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« Apart
Together » : un merveilleux trio d’acteurs de … 240 ans !
par Brigitte
Duzan,
21 février
2010, révisé 8 mars 2012.
Cinquième
long métrage de
Wang Quan’an (王全安),
« Apart Together » (《团圆》)
tire
son inspiration première d’un reportage vu par
hasard, un jour, à la télévision ; il racontait
l’histoire d’un ancien soldat de l’armée
nationaliste qui avait laissé son épouse à Shanghai
quand lui-même avait dû partir à Taiwan au moment du
repli des forces du Guomingdang dans l’île ;
plusieurs dizaines d’années plus tard, il tentait
d’indemniser le mari qu’elle avait ensuite épousé
pour pouvoir la ramener avec lui.
Wang
Quan’an vit aussitôt le parti qu’il pouvait tirer
d’une histoire simple, mais touchant un épisode
sensible de l’histoire chinoise qui avait débouché
sur nombre de tragédies personnelles.
Ours
d’argent du meilleur scénario à la Berlinale 2010 |
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Apart Together,
l’affiche française |
Apart Together, photo |
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Il ne s’est
pas borné à imaginer une histoire à partir de ce
sujet. Il a commencé par une enquête de terrain, en
interviewant d’anciens soldats taiwanais et leurs
familles qui avaient vécu des histoires semblables.
Puis il a écrit le scénario avec une jeune
journaliste, Jin Na (金娜).
Ils
abordaient là un sujet éminemment épineux,
s’agissant des relations entre « les deux rives du
détroit » (海峡两岸关 |
系)
comme disent les Chinois. Le scénario prend appui
sur l’accord intervenu en 1987 entre « les deux
parties », qui a permis aux vétérans nationalistes
établis à Taiwan de revenir sur le continent une
fois par an rendre visite à leurs familles.
C’est à la
suite de cet accord qu’une Shanghaienne, Qiao Yue,
reçoit un jour une lettre de l’homme qu’elle avait
aimé quelque cinquante ans plus tôt ; soldat dans
l’armée nationaliste, il avait dû fuir à Taiwan, et
l’avait laissée à Shanghai |
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Apart Together, photo |
Apart Together, photo |
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enceinte.
Tout en s’excusant de ne pas avoir repris contact
avec elle pendant tout ce temps-là, il lui annonce
que son épouse est décédée trois ans plus tôt, et
qu’il revient maintenant à Shanghai dans le cadre
d’une délégation d’anciens combattants en espérant
pouvoir la voir… et la ramener avec lui à Taiwan.
Evidemment,
Qiao Yue, elle aussi, s’est mariée entre temps, et
elle lit la lettre à la famille toute entière
rassemblée autour d’elle, avec des réactions
mitigées, le plus |
calme étant
son mari qui fait preuve d’un remarquable esprit de
tolérance … Une bonne partie du film se passe autour
de la table, les réactions des uns et des autres
traduisant leurs sentiments, leurs blessures
profondes que la situation met à vif.
Le film est
tourné en longues séquences, avec une caméra très
peu mobile, qui insiste sur la difficulté de vivre
cet épisode douloureux, difficulté d’exprimer ce que
l’on ressent et difficulté même à
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Apart Together, photo |
Xu Caigen terrassé par
l’émotion
dans « Apart Together
» |
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replonger
dans ses souvenirs. La caméra attend, patiemment,
sur le côté et enregistre… Le film est construit en
grande partie comme une pièce de théâtre, avec une
quarantaine de scènes bien souvent filmées en
intérieur.
Il
faut reconnaître qu’il ne tombe jamais dans le mélo,
et pourtant le sujet s’y prêtait. Wang Quan’an a insisté sur la peinture du
drame intime que traversent ses personnages, pour
éviter l’écueil du pamphlet politique ; le prix du
scénario a sans doute voulu récompenser cet effort
de n’aborder le problème politique que de biais,
sans trop insister, en tentant de privilégier
l’aspect humain.
Le
‘Hollywood Reporter’ a très bien résumé cela : "Small
in scope but tightly structured, gracefully acted
and directed, “Apart Together” opens up deep
historical wounds and generational traumas created
by China's civil war but does
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not
press on them, exploring instead more universal
human dilemmas…”
Ce que Wang Quan’an a
particulièrement réussi, c’est le traitement très
subtil des souvenirs de chacun, souvenirs qui ne
remontent qu’au cours d’un dîner un peu trop arrosé,
ou à l’occasion d’une chanson qui véhicule tout un
pan du passé, comme souvent en Chine. Chacun met du
temps à se livrer, et ne le fait qu’indirectement.
Dans ces conditions, finalement, ce sont les acteurs
qui sont le meilleur du film.
Un
formidable trio d’acteurs
Xu Caigen (徐才根), qui interprète le mari shanghaien, est un revenant du début des
années 1980. Spécialiste de seconds rôles, il prend
ici sa revanche : il a été couronné d’un
Coq d’or de
la meilleure interprétation masculine pour son rôle
dans le film.
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Xu Caigen récompensé
d’un Coq d’or |
Lin Feng |
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Quant à
l’ancien soldat du Guomingdang, Ling Feng (凌峰),
il
est
tellement parfait dans son rôle qu’on en oublie
qu’il n’était pas, à l’origine, celui qui était
prévu pour l’interpréter. C’était en fait … le
réalisateur Hou Hsiao-hsien ! Il était d’accord,
mais il était pris sur un autre tournage au moment
où Wang Quan’an avait prévu le sien, et il n’a donc
pas pu accepter. Mais Ling Feng a conquis Wang
Quan’an en lui chantant (il est chanteur) le chant
qui est l’un des morceaux de bravoure du film, et
sans doute sa scène la plus réussie.
Quant à
l’actrice, Lisa Lu (ou Lu Yan
卢燕),
elle a déjà
une longue carrière derrière elle. Elle a été formée
toute jeune à l’opéra kunqu, puis est partie
aux Etats-Unis où elle a travaillé pour la
télévision à partir du début des années 1950. Elle a
commencé à jouer au cinéma dix ans plus tard, mais
sa carrière cinématographique a vraiment démarré
dans |
Lu Yan aujourd’hui |
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les années
1970. Elle est célèbre pour son interprétation de
l’impératrice Cixi dans « Le dernier empereur » de
Bertolucci (1987), de l’une des immigrantes
chinoises du « Joy Luck Club » de Wayne Wang (1993)
ou encore de Mrs Shui dans « The Postmodern Life of
my Aunt » d’Ann Hui (2006).
Le premier,
né en 1932, a 80 ans cette année ; le second en a 76
et Lisa Lu en a aujourd’hui 86. Ils ont à eux trois
plus de 240 ans, mais c’est un bonheur !
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Lu Yan à ses
débuts |
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A lire en complément :
La
critique de Luisa Prudentino :
http://www.chin-ema.com/apart.htm
Sortie du DVD le 4 juin 2013
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