« Strangers When We Meet » : un film délicat de Zhang Guoli,
avec Fan Wei et Zhou Dongyu
par
Brigitte Duzan, 30 décembre 2024
Strangers When We Meet
/ 朝云暮雨, affiche pour la sortie en Chine
Tourné
en 2021, mais sorti seulement trois ans plus tard, le 17 mai
2024, « Strangers When We Meet » (zhāo
yún mù yǔ《朝云暮雨》)
est un film réalisé par Zhang
Guoli (张国立),
connu jusqu’ici surtout comme acteur. Le film est passé
pratiquement inaperçu, et pourtant c’est un film original et
très réussi, dans un style tout en demi-teinte et en
douceur, peu courant et d’autant plus appréciable dans la
Chine d’aujourd’hui.
Un scénario inspiré d’une histoire vraie
Scénario d’après Xia Longlong
Signé
du pseudonyme Ye Hao (也好)
et coécrit avec Zhang Guoli, le scénario est adapté d’un
récit de l’écrivain Chong An (虫安),
nom de plume de Xia Longlong (夏龙龙) :
« La meurtrière en robe de mariée » (《穿婚纱的杀人少女》).
D’abord paru sur internet, le récit a été publié en décembre
2024, après la sortie du film, dans un recueil de dix
nouvelles portant le même titre, et racontant toutes des
histoires de criminels à leur sortie de prison.
La meurtrière en robe
de mariée
(le recueil de
nouvelles)
Une
vie après la prison
L’histoire se passe dans l’Anhui, en 2016. Le « vieux Qin »
(老秦)
sort de prison. Il doit recevoir des autorités locales 1,5
million de RMB de dédommagement pour la démolition de la
vieille maison de ses parents, plus 20 000 supplémentaires
parce que leur tombe a dû être déplacée, étant sur les lieux
d’un réservoir en projet. Libre et riche, son vœu le plus
cher est désormais de se marier et d’avoir un enfant pour
répondre aux souhaits de ses parents. Comme il sort de
prison, l’agence de mariage a du mal à lui trouver
quelqu’un. En désespoir de cause, il se poste à la porte de
la prison avec une pancarte : cherche femme… Mais seule une
jeune femme s’offre à lui : elle a dormi dehors, devant la
prison, parce que personne n’est venu la chercher…
Au bord de la route
Très
réticent, Qin lui offre malgré tout à manger. Elle lui
propose d’acheter un appartement et de faire un essai de vie
commune avec elle. Elle s’appelle Chang Juan (常娟),
a 24 ans et a été condamnée à la prison dix ans auparavant
pour un crime prémédité. Qin tente de la renvoyer chez elle,
mais finalement, il accepte de tenter cette expérience ;
elle le prévient cependant qu’il n’est pas question de
rapport sexuel tant qu’elle n’est pas d’accord, sinon elle
l’accusera de viol et il écopera encore de dix ans.
Projets d’avenir
Au
bout d’un certain temps, elle propose qu’ils se marient, sa
seule exigence étant de recevoir 184 400 RMB. Pour fêter
l’occasion, ils boivent un bon coup et se racontent leurs
histoires respectives. Lui a fait 27 ans de prison pour
avoir tué un voleur de céréales et fait du transport
illégal ; elle a été condamnée pour avoir tué, pour venger
ses parents, la fillette de 12 ans d’un chauffeur ivre qui
avait provoqué leur mort dans un accident…. Ils se sentent
de plus en plus proches, mais l’humeur de Chang Juan est
changeante…
Une délicate symbiose d’acteurs
C’est
déjà un scénario d’une grande sensibilité, qui réserve des
surprises jusqu’à la fin. Mais le film doit tout son charme
un peu désuet à ses deux interprètes principaux :
Fan Wei (范伟)
dans le rôle de Qin, et Zhou
Dongyu (周冬雨)
dans celui de Chang Juan.
Fan Wei et Zhou Dongyu
Le
film tourne presque au bon vieux mélo vers la fin, mais
Zhang Guoli a gardé le même ton délicat jusqu’à l’ultime
séquence : le film laisse finalement une impression de conte
- un conte moderne, plein de sérénité, avec un petit goût
amer, mais à peine, comme l’évoque tout de suite le titre
chinois.
Note sur le titre chinois
Ce
titre est choisi pour inciter à la rêverie, avec un rien de
tristesse.
Zhāo
yún mù yǔ朝云暮雨 est
une expression de type chengyu (成语)
qui signifie « nuages le matin, pluie le soir ». Elle vient
d’un poème de Song Yu (宋玉),
de l’État de Chu, pendant la période des Royaumes
combattants (战国·楚) :
le « Fu de Gaotang » (《高唐赋》).
“妾在巫山之阳,高丘之阻,旦为朝云,暮为行雨。…”
Je
suis à l’adret du mont Wushan, à l’abri de hautes cimes, le
matin me fais nuages, et
le
soir pluie.
Le
poème fait référence à une légende : le dieu du soleil Yandi
(太阳神炎帝)
avait une fille qu’il aimait beaucoup nommée Yao Ji (瑶姬),
mais qui mourut avant qu’il ait eu le temps de la marier. Il
en fit la déesse des nuages et de la pluie (云雨之神),
sur le mont Wushan. Le matin, c’est un superbe nuage
matinal, et au coucher du soleil elle donne une petite
bruine qui exhale toute sa tristesse. À la fin des Royaumes
combattants, le roi Huai de Chu (楚怀王)
qui passait par là s’arrêta à un pavillon nommé Gaotang. La
déesse lui rendit visite pendant sa sieste en lui confessant
son amour. Lorsque le roi se réveilla, se rappelant son
rêve, il fut tellement triste qu’il fit construire un temple
tout près. Plus tard son fils passa par-là lui aussi et fit
le même rêve. Ces deux rêves inspirèrent deux poèmes à Song
Yu : le Fu de Gaotang (Gaotang fu《高唐赋》)
et le Fu de la déesse (Shennü fu《神女赋》).
Le
chengyu est une métaphore qui évoque, comme dans la
légende, la délicatesse de sentiments entre un homme et une
femme, et un amour impossible dans une nature très belle,
entre nuages, brume et bruine, incitant à une rêverie sans
fin.