« The
piano in a factory » : Zhang Meng plus détonnant que jamais
par Brigitte
Duzan, 14 mars 2011,
révisé 29 septembre 2011
Le film de
Zhang Meng (张猛)
« The piano in a factory » (《钢的琴》)est un des
meilleurs souvenirs, côté production chinoise, de la 13ème
édition du festival du cinéma asiatique de Deauville. Il
avait déjà été remarqué au festival de Shanghai en juin
2010, ainsi qu’au festival de Toronto en septembre.
Le film a été
tourné à Anshan (鞍山),
dans le Liaoning, donc non loin du site de tournage du
documentaire fleuve de Wang Bing
« A l’ouest des rails » (《铁西区》).
C’est une histoire du Dongbei des années 90, l’époque de la
reconversion des vieux sites industriels de la région. C’est
là qu’est né
Zhang Meng, il y a trente cinq ans, et l’on
peut comprendre que la région lui tienne à cœur.
Une histoire vraie,
entre rêve et réalité
Ce qu’il nous fait
partager, cependant, c’est bien plus que l’amour classique
pour le coin de pays natal de tout Chinois qui se respecte :
c’est l’amour pour les gens qui y vivent. Le film est un
hommage qui leur est rendu, avec une charge émotive qui
vient du
Affiche
fond du cœur.
Zhang Meng a
raconté que c’est en fait, à la base, une histoire vraie
qu’on lui a racontée alors qu’il venait de terminer ses
études, et qu’il avait rêvé depuis lors d’en faire un film.
Père et fille, et 1ère
ébauche de piano, en bois
Le personnage
principal, Chen Guilin (陈桂林),
est séparé de sa femme depuis quelques années et s’occupe de
sa fille. Il fait partie d’un orchestre amateur local, joue
de l’accordéon, et voudrait que sa fille soit pianiste, mais
n’a pas les moyens de lui payer un piano. Sa femme finit par
demander le divorce et revient demander la garde de leur
fille. Le juge laisse à l’enfant le soin de choisir avec
lequel de ses parents elle préfère aller vivre, sur quoi
elle répond très pragmatiquement
qu’elle ira avec celui qui lui achètera un piano.
Chen Guilin fait
alors tout ce qu’il peut pour en obtenir un. Il essaie
d’abord d’emprunter de l’argent autour de lui, mais en vain.
Puis, un soir, avec ses copains, il tente de voler le piano
de l’école, mais ils sont repérés par la police, et libérés
à la seule condition de rapporter le piano à sa place. C’est
alors que le petit groupe a l’idée d’ouvrir l’instrument
pour voir comment il fonctionne : ils découvrent alors qu’il
est fait de plaques d’acier et de cordes de métal : ils
peuvent en fabriquer un eux-mêmes, dans leur vieille aciérie
fermée qui va bientôt être détruite.
Entre rêve et réalité
Ebauche du piano
Commence alors une
course d’obstacles pour se procurer les matériaux et
concevoir l’instrument, à partir d’un vieux manuel russe. Et
tout le groupe de copains au chômage se lance à corps perdu
dans une aventure qui leur donne, au moins provisoirement,
un but dans la vie, et leur permet de faire preuve au
passage d’une formidable créativité que l’on devine jusque
là étouffée dans le quotidien de la vie à l’usine.
Cette histoire est
doublée d’histoires secondaires qui viennent la renforcer :
l’amour
de Chen pour la
chanteuse du groupe, ou le sort des deux immenses cheminées
d’usine qui constituent
le décor du village et
en semblent tellement indissociables que ce n’est qu’à
regret que les responsables du village décident de les faire
sauter. Finalement, quand le piano est terminé, car il est
finalement terminé, il a un son métallique atroce, ce qui
est normal vu qu’il est entièrement en métal, mais
l’imagination suffit à le transcender…
Un petit chef
d’œuvre d’humour baroque
C’est une histoire
loufoque, mais c’est surtout un film mené de main de maître,
et remarquablement
monté en utilisant la
Musique
musique(russe comme le manuel) pour donner le rythme et la
tonalité, et lier subtilement les
Fête
séquences.
La musique
reflète en effet parfaitement le thème du film, qui reprend
en le développant celui du film précédent, et tout aussi
déjanté, de
Zhang Meng,
« Lucky
Dog »
(《耳朵大,有福》): un hommage à
l’esprit de débrouillardise optimiste et d’invincible
ténacité des gens du Dongbei, rendu avec le même brio.
Saluons les
acteurs, et surtout les deux acteurs principaux, peu connus
mais excellents : l’acteur Wang Qianyuan (王千源),
lui-même originaire de Shenyang,et
l’actrice
Qin
Hailu (秦海璐),
qui
jouait déjà dans
le drolatique « Chicken Poets » (《像鸡毛一样飞》)
de Meng Jinghui (孟京辉)
(2002).