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Repères
historiques : cinéma de Hong Kong
V. Colonisation, Rétrocession et conséquences
par Brigitte Duzan,
27 avril 2013
Hong Kong est
aujourd’hui une "région administrative spéciale" de la
République populaire de Chine (中华人民共和国的特别行政区),
"rétrocédée" par le Royaume-Uni à la Chine le 1er
juillet 1997, après une période coloniale d’un siècle et
demi.
Le processus de
colonisation a eu lieu en plusieurs étapes, ce qui a rendu
plus complexe celui de la rétrocession. Mais, celle-ci
achevée, l’avenir du territoire n’est pas définitivement
réglé pour autant… L’incertitude s’est substituée aux peurs
qui ont précédé la rétrocession, et ont entraîné de
nouvelles vagues de migration tout en se reflétant dans la
littérature autant que dans le cinéma.
On ne peut pas
analyser ni comprendre une œuvre littéraire ou
cinématographique datant de cette époque, à Hong Kong, sans
connaître le contexte socio-historique.
Processus
progressif de colonisation …
La colonisation par
le Royaume-Uni s’est déroulée en trois phases :
1. Début du 18ème
siècle : développement des échanges
Ce sont les
Portugais qui sont apparus les premiers dans les eaux
chinoises, au début du 16ème siècle, avec un
comptoir établi à Macao en 1557. Les Britanniques ont réussi
à débarquer à Canton en 1637, mais sans parvenir à établir
un avant-poste commercial.
Le commerce
chinois ne se développe avec les marchands
britanniques qu’à partir de la première mission de
la British East India Company en Chine en 1699. Le
premier comptoir britannique est établi à Canton en
1711, seul port chinois ouvert aux étrangers.
Le premier
ambassadeur britannique en Chine est Lord Macartney
qui arrive à Canton en 1792, après un voyage de près
d’un an, accompagné de son secrétaire Sir George
Staunton, et surtout du fils de celui-ci, le jeune
George Thomas : un surdoué de douze ans qui avait
commencé à apprendre le chinois et va servir
d’interprète dans les négociations menées par
Macartney.
Mais il ne
s’agit encore que de relations commerciales. Les
choses vont changer quand les Britanniques vont
vouloir défendre leur commerce lucratif de l’opium,
qu’ils produisaient en Inde et importaient par
l’intermédiaire de la East India Company. |
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Lord George Macartney |
2. 19ème siècle :
guerres de l’opium, cession de Hong Kong et Kowloon
L’empereur Qianlong
tenta à plusieurs reprises de stopper les importations
d’opium par des édits impériaux qui ne furent cependant pas
suivis d’effet. A partir des années 1820, les importations
augmentèrent encore, les Britanniques tentant de maintenir
leurs revenus malgré la chute des prix entraînée par la
concurrence de nouvelles zones de culture en Inde.
Lin Zexu surveillant
la destruction des chargements d’opium |
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Finalement,
en 1839, l’empereur nomme Lin Zexu (林则徐)
au poste de commissaire en charge du contrôle du
trafic de l’opium dans le port de Canton ; homme
d’une grande intégrité, il procède à des centaines
d’arrestations, fait détruire des chargements
d’opium et écrit à la reine Victoria pour protester
contre les agissement des « barbares ».
A
l’automne, une escarmouche dans le port signale le
début
de la
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première guerre
de l'opium (1839-1842), suivie d’une seconde quatorze ans
plus tard (1856-1858). Ce sont deux conflits catastrophiques
pour l’empire des Qing. Ils signent le début de la
colonisation de Hong Kong.
- Après une série
de défaites chinoises lors de la première guerre, l’île
de Hong Kong (香港島)
est occupée par les Anglais le 20 janvier 1841, et cédée
« provisoirement » au Royaume uni ; cette cession est
confirmée par le traité de Nankin, signé le 29
août 1842. L’île de Hong Kong est ainsi le premier lieu
d’implantation de la colonie anglaise.
- Puis, à l’issue
de la seconde guerre de l’opium, la convention de
Pékin, le 18 octobre 1860, marque la fin des hostilités
en accordant un bail perpétuel sur la péninsule de
Kowloon (九龙半岛),
au sud de Boundary Street (界限街).
3. 1898 :
adjonction des Nouveaux Territoires
A des fins de
défense stratégique, par la seconde convention de Pékin,
le 9 juin 1898, les Nouveaux Territoires (新界),
c’est-à-dire la partie de Kowloon au nord de Boundary
Street, passent aussi sous contrôle britannique, mais aux
termes d’un bail de 99 ans, c’est-à-dire
jusqu’au 30 juin 1997.
Ils représentent 86
% de la superficie de la région administrative. Plusieurs
villes nouvelles y ont été créées dans les années 1970-1980.
C’est sur l’une des quelque deux cents îles des Nouveaux
Territoires, l’île de Lantau, qu’a été construit l’aéroport
international de Hong Kong.
… et processus
progressif de décolonisation
La rétrocession à
la Chine des territoires ainsi passés sous le contrôle de la
Couronne britannique s’est déroulée en trois temps : un
temps de négociations menant à une déclaration d’intention,
avant la signature finale de l’accord de rétrocession (香港回归).
1. A la fin
des années 1970, la question du statut des Nouveaux
Territoires devient préoccupante pour la Couronne
qui doit emprunter pour les développer. En mars
1979, le gouverneur de Hong Kong Murray
MacLehose se rend en visite officielle à Pékin pour
aborder la question avec Deng Xiaoping qui, pris par
surprise, affirme la volonté de la Chine de
récupérer ces territoires.
Trois ans
plus tard, en 1982, quinze ans avant
l’expiration du bail sur les |
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1982 : rencontre
Margaret Tchatcher/Deng Xiaoping |
Nouveaux
Territoires, les gouvernements du Royaume-Uni et de la
République populaire entament les négociations sur l’avenir
de Hong-Kong, mais dans une vision plus large.
Les deux premiers
ministres Margaret Thatcher et Zhao Ziyang
lors de la signature
de la déclaration commune |
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La RPC
refuse en effet de reconnaître les traités par
lesquels l’île de Hong Kong et la péninsule de
Kowloon ont été cédées à la Grande-Bretagne à
perpétuité, les considérant comme injustes et
inégaux. Elle ne revendique pas seulement la
rétrocession des Nouveaux Territoires, mais
celle de la totalité de l'île de Hong-Kong et
de la péninsule de Kowloon.
Cette
revendication est appuyée sur une résolution de la
27ème Assemblée |
générale des
Nations unies, adoptée le 8 novembre 1972, affirmant
la souveraineté de la Chine sur Hong Kong et Macao, et
supprimant ces deux noms de la liste des colonies inscrites
à la Déclaration contre le colonialisme (1).
Pour faire
accepter la position chinoise en calmant les
inquiétudes, Deng Xiaoping annonce en même temps une
politique pragmatique de « un pays, deux systèmes »
(一国两制)
promettant de préserver à Hong Kong un système
politique et économique différent de celui régissant
la Chine continentale (2).
2. Le 19
décembre 1984, la déclaration commune
sino-britannique sur la question de Hong Kong (中英联合声明)
est signée par les gouvernements de la RPC et du
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Un pays, deux systèmes
pour unifier la Chine |
Royaume-Uni ; elle
est ratifiée l’année suivante. Aux termes de cet accord,
Hong-Kong doit cesser d'être une colonie britannique le 1er juillet
1997 et devenir une Région administrative spéciale de
la RPC (中华人民共和国的特别行政区).
Le 4 avril 1990, la
loi fondamentale de Hong Kong (Basic Law of Hong Kong)
est officiellement adoptée comme constitution de Hong-Kong
après la rétrocession.
3. La rétrocession
a lieu dans l’ordre le 1er juillet 1997.
Rétrocession sans
heurts mais non sans douleur
La perspective de
la rétrocession a déclenché à Hong Kong une réaction de
peur, d’anxiété et de doute quant à l’avenir, accrue encore
par les événements de Tian’anmen en juin 1989, qui s’est
traduite par une nouvelle vague d’émigration, comme en 1967.
Un vent
d’inquiétude, puis de panique
Dès l’annonce des
débuts des pourparlers entre les émissaires britanniques et
le gouvernement chinois, l’atmosphère est devenue très
tendue à Hong Kong. Un incident est révélateur de la
crispation croissante des esprits.
En 1983, le typhon
Ellen ravage Hong Kong, entraînant la chute du dollar
hongkongais ; l’incertitude climatique est, dans un discours
public, associée par le Secrétaire aux finances John
Bremridge à l’incertitude économique liée à l’instabilité
politique. Il est alors accusé par la Chine de jouer la
carte économique pour intimider le gouvernement chinois et
obtenir la satisfaction des exigences britanniques.
En juin 1989, les
événements de Tian’anmen renforcent la suspicion à l’égard
du régime communiste, et l’on craint à nouveau une tentative
de coup de force à Hong Kong, comme en 1967 : cette
année-là, au début de la Révolution culturelle, des groupes
de Gardes rouges s’étaient formés à Hong Kong et avaient
fomenté des troubles et des manifestations. La panique
s’était emparée d’une population qui, dans sa grande
majorité, avait fui le continent pour échapper aux
communistes.
Dans l’un
et l’autre cas, la peur entraîne une vague
d’émigration. En 1967, elle entraîne une chute de
l’immobilier et une crise économique. Vingt ans plus
tard, la vague d’émigration est encore plus
importante. On considère que près d’un million de
personnes ont quitté Hong Kong entre 1984 et 1997,
avec des conséquences désastreuses pour l’économie.
Cette
atmosphère délétère se reflète dans la littérature,
et dans le cinéma, et ce dès le début des années
1980.
Angoisse en
littérature
L’une des
premières nouvelles à traduire l’angoisse suscitée
par 1997 a été publiée dès 1983, par Liu
Yichang (刘以鬯) ;
la nouvelle s’appelle tout simplement « 1997 » (《一九九七》) :
c’est l’histoire d’un petit industriel qui cherche
désespérément à vendre son affaire pour pouvoir
partir à l’étranger avant la Rétrocession, mais il
meurt dans un accident de voiture avant d’avoir pu
mettre son projet à exécution (3). |
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Villes du souvenir,
villes inventées |
Atlas : Archéologie
d’une cité imaginaire |
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Les années
précédant la Rétrocession voient fleurir les
nouvelles et romans qui jouent sur la nostalgie tout
en tentant de recréer Hong Kong par l’imagination.
Ainsi le roman de 1993 de Ye Si (也斯)
« Villes du souvenir, villes inventées » (《记忆的城市.虚构的城市》)
où l’auteur reconstruit Hong Kong à travers le
prisme des autres cultures où il a vécu ou qu’il a
visitées, en combinant éléments fictionnels et
autobiographiques. Toute l’œuvre de Ye Si est
d’ailleurs construite autour de Hong Kong et de son
identité.
Un autre
exemple est un roman d’un auteur plus jeune, né en
1967 à Hong Kong, Dung Kai-cheung (董启章)
qui a publié en 1997 un roman intitulé « Atlas :
Archéologie d’une cité imaginaire » (《地图集 :一个想象的城市的考古学》)
où il imagine la ville du point de vue d’un
archéologue du prochain millénaire tentant d’en
cerner l’histoire et l’identité culturelle à travers
des cartes anciennes. On pourrait citer encore le
recueil de |
nouvelles de Xi
Xi (西西)
« Marvels of a Floating City » (浮城),
publié en 1997, mais évoquant l’atmosphère des années 1980.
Mais c’est
peut-être Wong Bik-wan (黄碧云)
qui offre les exemples les plus typiques. C’est
toute son œuvre des années 1990 qui serait à citer
(4), mais tout particulièrement
« La ville
perdue » (《失城》),
véritable allégorie de la Rétrocession. Contée en
flash-back à partir d’un épisode introductif d’un
tragique glacial, l’histoire est celle d’un
architecte qui se marie avec une infirmière au
moment de la Rétrocession, justement ; ils émigrent
en Amérique, mais sans se faire à leur nouvelle vie,
et quand ils reviennent à Hong Kong, tout a changé
et le retour est |
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La ville perdue |
aussi
cauchemardesque que le départ l’avait été.
L’anxiété au cinéma
Le cinéma
hongkongais, aussi, à la fin des années 1990, est hanté par
l’attente angoissée de la Rétrocession.
City of Glass |
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C’est le
cas, par exemple, du film de
Mabel Cheung (张婉婷)
« City of Glass » (《玻璃之城》),
sorti en 1997 : deux amants meurent dans un accident
de voiture à Londres alors que sonne minuit, le jour
de l’An 1997, accident qui met symboliquement fin à
une vie secrète et une union illégitime. Mais, quand
ils meurent, une vision inversée des feux d’artifice
semble signaler un avenir sombre.
Vision
inversée qui rappelle celle du skyline de Hong Kong
à la fin du « Happy Together » de
Wong Kar-wai,
pris de l’intérieur d’une voiture avançant
lentement : le film a été commencé avant et terminé
après la Rétrocession et met en scène la fuite de
deux amis homosexuels en Amérique latine pour
échapper à l’angoisse d’un avenir incertain ; mais,
comme dans la nouvelle de
Wong
Bik-wan, l’exil se révèle décevant et sans issue. On
ne peut échapper à Hong Kong. |
Cette
angoisse devant l’avenir se traduit très souvent par
un repli nostalgique sur le passé.
Wong
Kar-wai a ainsi bâti tout un univers complexe sur
une vision nostalgique du passé couplée à une
angoisse quant à l’avenir, vision qui se retrouve
aussi dans sur les films de
Stanley Kwan (关锦鹏),
en particulier
« Rouge » (《胭脂扣》,
sorti en 1988.
Et après
Finalement,
la rétrocession s’est passée sans incident notable ;
s’il y eut des manifestations de protestation, elles
ne furent pas noyées dans le sang, comme prédit.
C’est le sujet de la nouvelle de 1998 de Chan
Koonchung (陈冠中)
« Il ne s’est rien passé » (《什么都没有发生》).
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Rouge |
Mais la peur – par
anticipation – s’est transformée en incertitude crispée
quant à l’avenir, le régime chinois ayant promis que rien ne
serait changé au système politique hongkongais pendant
cinquante ans, c’est-à-dire jusqu’en 2046.
Notes
(1) En réalité, la
raison pour laquelle la Chine a demandé cette radiation de
Hong Kong et Macao de la liste des pays colonisés tenait à
l’avenir des ces deux territoires qu’elle revendiquait : les
pays figurant dans cette liste devaient retrouver leur
souveraineté et leur indépendance une fois décolonisés.
(2) Le concept « un
pays, deux systèmes » était ingénieusement pensé pour
englober les deux « régions administratives spéciales » de
Hong Kong et Macao, mais également Taiwan. Macao a acquis ce
statut en 1999. Les compétences reconnues à chaque région
spéciale sont assez vastes et incluent le système légal et
monétaire, la politique d’immigration, le système postal, la
langue officielle et le système éducatif.
(3)
Sur
Liu Yichang, voir
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Liu_Yichang.htm
(4) Sur Wong
Bik-wan, voir
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_WongBikWan.htm
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