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Stanley Kwan / Guan
Jinpeng 关锦鹏
Présentation
par Brigitte Duzan, 27 janvier 2014, actualisé 3 février
2016
Stanley Kwan (关锦鹏
Guān Jǐnpéng) est né
en 1957 à Hong Kong. Son père étant mort lorsqu’il
avait treize ans, sa mère dût assumer seule la
charge de la famille. Stanley Kwan a donc grandi
dans un environnement essentiellement féminin,
conditions familiales qui ont influencé sa vision du
monde et des relations humaines, ainsi que les
thèmes et personnages de ses films.
Premières armes, troisième vague |
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Stanley Kwan |
Après le lycée, il est entré en 1976 à l’Université baptiste
de Hong Kong (香港浸会学院) pour faire des études de journalisme
et sciences de la communication. Mais il s’est en même temps
inscrit au cours d’art dramatique de la chaîne de télévision
TVB (香港无线电视台艺员培训班), véritable pépinière d’où sont sortis les
grands acteurs de Hong Kong comme Chow Yun-fat, Tony Leung
Chiu-wai, Andy Lau et bien d’autres.
Passionné de cinéma, au grand dam de sa mère qui n’y voyait
qu’une perte de temps et d’argent, il s’est en effet éveillé
très jeune au troisième art avec les films populaires qui
passaient à Hong Kong dans son enfance, puis s’est nourri
des films de la Nouvelle Vague française et des films
japonais de la même époque, Truffaut et Ozu en tête. C’est
le second, surtout, qui l’a influencé, par ses peintures de
la famille et des relations familiales, et il partage cet
amour pour Ozu avec
Hou Hsiao-hsien (侯孝贤), qui
lui a rendu hommage en 2004 dans son film « Café Lumière »
(《咖啡時光》).
A la fin de ses études, Stanley Kwan a commencé à travailler
à la chaîne de télévision TVB. Mais il a vite abandonné
l’ambition de devenir comédien et opté pour le métier
d’assistant réalisateur. Il a commencé comme assistant de
Dennis Yu (余允抗) en 1979, puis s’est formé en travaillant sur
des téléfilms et des séries télévisées avec les futurs
grands réalisateurs comme
Ann Hui (许鞍华) et Patrick
Tam (谭家明). Il les suivit lorsqu’ils quittèrent la télévision
à la fin des années 1970 et participa alors à ce qu’on
appelle la ‘Nouvelle Vague’ du cinéma de Hong Kong
dans les années 1980, ou plutôt la ‘Troisième vague’, comme
Stanley Kwan lui-même préfère dire (1).
Il est en marge d’un
cinéma qui a toujours privilégié l’aspect commercial
et les succès populaires, en évitant les sujets
politiques, avec une prédominance de films de genre,
thrillers, comédies, films de kungfu et autres,
parce qu’il est généralement admis qu’il y a une
forte demande pour ces films. Les cinéastes comme
Stanley Kwan ont eu beaucoup de mal à s’imposer dans
ce cadre ; à ses débuts, il a fait appel à de grands
acteurs, très connus, pour se faire connaître et
pouvoir créer ensuite un style personnel et exprimer
un point de vue différent.
Années 1990-2005, les années d’or
1985-1995 : Premiers films
1. Il réalise son premier film en 1985 : « Women »
(《女人心》), avec Chow Yun-fat (周润发), Cora Miao (缪骞人) et
Cherie Chung (钟楚红), grandes vedettes de l’époque
qu’il avait connues à la télévision, et qui avaient
eu un grand succès |
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Women |
’année précédente dans
une adaptation par
Ann Hui d’une nouvelle de Zhang
Ailing : « Love in a Fallen City » (《倾城之恋》).
L’histoire est assez banale – celle d’une femme qui
divorce après avoir découvert que son mari avait une
affaire avec une autre femme. Mais le film est
superbement interprété et mis en scène : ce fut un
grand succès au box-office, et un bon début pour
Stanley Kwan.
2. L’année suivante, « Love Unto Waste» (《地下情》)
reprend peu ou prou les mêmes ingrédients, mais le
grand film de cette période est, en 1987,
« Rouge »
(《胭脂扣》), adapté d’un roman de Lillian Lee (李碧华).
Nous sommes en 1934 à
Hong Kong. Le jeune « 12ème maître » est
un playboy qui fréquente les fumeries d’opium et
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Love Unto Waste |

Rouge |
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les courtisanes à la mode.
Il se lie avec l’une d’elles, Fleur, mais leur
liaison est condamnée quand elle est découverte par
la famille. Ils décident alors de se suicider
ensemble. Après avoir attendu en vain dans
l’au-delàpendant cinquante ans, Fleur décide de
revenir sur terre voir ce qui s’est passé. Elle
retrouve son amant, mais c’est maintenant un vieil
homme de 70 ans réduit à la misère, qui survit comme
figurant dans une troupe d’opéra. Fleur se rend
compte qu’il a encore plus souffert qu’elle, étant
torturé par sa conscience. Il implore son pardon,
mais en vain. Elle repart en lui rendant l’étui de
rouge à lèvres qu’il lui avait offert….
Les deux rôles principaux sont interprétés avec une
extrême sensibilité par
Leslie Cheung (张国荣) et
Anita Mui (梅艳芳). « Rouge » est l’une des grandes réussites
de Stanley Kwan.
En 1990, « Full
Moon in New York » (《人在纽约》) réunit trois
actrices de premier plan pour dépeindre l’histoire
de la |
diaspora chinoise aux
Etats-Unis du point de vue de trois femmes : une Taiwanaise
(Sylvia Chang), une Hongkongaise (Maggie Cheung), et une
Chinoise du continent (Siqin Gaowa 斯琴高娃).
3. En 1991, « Center
Stage » (《阮玲玉》) est une autre étape importante
dans l’œuvre de Stanley Kwan, un film à la limite du
documentaire, avec Maggie Cheung dans le rôle
principal. Le réalisateur y rend hommage à l’actrice
Ruan Lingyu (阮玲玉)
tout en faisant le portrait d’une époque. Il analyse
en particulier les circonstances qui ont entraîné
son suicide, et fait un portrait tragique de femme
détruite par le conformisme social et la rumeur
publique. Mais c’est aussi un hommage indirect aux
cinéastes, acteurs et actrices de l’âge d’or du
cinéma de Shanghai dont le cinéma de Hong Kong est
le descendant direct.
4. Après deux courts métrages, Stanley Kwan signe
ensuite, en 1994, une nouvelle adaptation d’une
œuvre littéraire, cette fois une nouvelle de Zhang
Ailing :
« Red Rose, White Rose »
(《红玫瑰白玫瑰》). Le film montre la finesse et
la |
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Center Stage |
profondeur de sa compréhension
de la nouvelle, et sa maîtrise de l’outil cinématographique
pour en traduire l’esprit à l’écran.
1996 : le tournant
En 1996, son documentaire « Yang ± Yin» (《男生女相》),
histoire très personnelle du cinéma chinois vue sous l’angle
de « la confusion des sexes », marque un tournant dans sa
carrière. C’est le reflet à la fois, selon ses propres
dires, de « sa réflexion sur son éducation et son contexte
familial, sa carrière cinématographique, son orientation
sexuelle et son identité en tant que Chinois vivant dans une
colonie britannique ». Le film est construit à partir d’une
série d’interviews de grands réalisateurs,
John Woo,
Tsui
Hark,
Hou Hsiao-hsien,
Tsai Ming-liang,
Ang
Lee, etc… Il y a même glissé un mot de sa mère.

Lan Yu |
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Il y révélait son
homosexualité tout en annonçant
« Lan Yu »
(《藍宇》), qui est sans doute le film le plus troublant
et le plus sensible qu’il ait réalisé. Sorti en
2001, c’est un sommet de la carrière du
réalisateur : une histoire d’amour entre un jeune
étudiant en architecture et un homme d’affaires,
avec pour toile de fond, à peine esquissés, les
événements de Tian’anmen de 1989.
Le scénario est inspiré d’un roman publié
anonymement sur internet et intitulé « Beijing
Story » (《北京故事》) (2). Une foisencore, Stanley Kwan a
su réunir d’excellents acteurs dans des rôles
difficiles, celui du jeune Lan Yu, interprété par
Liu Ye (刘烨), et celui de l’homme d’affaires par un
fidèle du réalisateur, Hu Jun (胡军). Le film a été
projeté à l’université de Pékin en décembre 2001,
dans le cadre du « China’sFirst Gay Film Festival »,
et il a fait salle comble malgré l’absence de
publicité. |
Le contexte hongkongais
Bien qu’il se défende
de s’intéresser à la politique, l’œuvre de Stanley
Kwan reflète, pendant toute cette période, les
problèmes qui étaient alors dans tous les esprits et
que l’on retrouve en filigrane dans ses films : la
question de la rétrocession de Hong Kong et des
rapports de l’ancienne colonie britannique avec la
Chine continentale, question ambivalente pour toute
sa génération : d’une part, la Chine était ressentie
affectivement comme la mère patrie, d’un autre côté
la rétrocession a entraîné des réflexes d’angoisse
et de défense d’une culture plus libérale et ouverte
que celle du continent.
C’est une relation
ambiguë, partagée entre l’amour et la haine, dont
les premiers souvenirs remontent chez Stanley Kwan à
son adolescence. En effet, ses parents ont immigré à
Hong Kong avant 1949 ; tous les deux, simples
travailleurs, avaient un grand amour pour leur
patrie, et pour Mao dont son |
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Everlasting Regret |
père écoutait des
enregistrements avec émotion, ce qui rendait son
fils furieux.
L’une de ses originalités est d’avoir réussi, dans
ses films, à faire des relations entre ses
personnages des emblèmes de la situation de Hong
Kong et l’occasion d’une réflexion sur le sujet, et
ce, dès
« Red Rose, White Rose »,
en 1994.
Années
2005-2015
L’année
2005 est marquée par une autre belle réussite :
« Everlasting
Regret » (《长恨歌》),
adapté d’un roman de Wang Anyi (王安忆)
et produit, comme « Rouge » et « Center Stage », par
Jackie Chan.
Depuis
lors, cependant, Stanley Kwan semble traverser une
période difficile : les temps ne sont pas favorables
à des œuvres aussi délicates que les siennes.
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Devant l’affiche de
l’opéra
kunqu ‘Liangxiang ban’ |

Sur le tournage de
Showtime, avec Christopher Doyle |
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Première
réalisation depuis
« Everlasting Regret »,
présenté au festival de Shanghai en juin 2009,
« Showtime » (《用心跳》)
a déçu les critiques comme le public malgré la
pléiade de bons acteurs qu’il réunit :
Hu Jun (胡军),
Carina Lau (刘嘉玲),
Li Bingbing (李冰冰),
Tony Leung (梁家辉).
Même le directeur de la photographie, Christopher
Doyle, ne semblait pas au mieux de sa forme. Le
problème viendrait du scénariste,
Jimmy Ngai
(魏紹恩),
qui a commencé à travailler avec Kwan en 1998, pour
« Hold you tight » (3). |
Stanley
Kwan a ensuite annoncé un nouveau film adapté d’un
roman du célèbre
bloggeur/romancier de Shanghai
Han Han (韩寒),
intitulé « Son pays » (《他的国》)
et publié en janvier 2009. Le projet a depuis lors
été abandonné.
Pendant ce temps, il a diversifié ses activités,
réalisé des films télévisés, et, en avril 2010, a
mis en scène un opéra kunqu (昆曲),
d’après une pièce de Li Yu (李渔) écrite
en 1651 sur l’homosexualité féminine : Liangxiang
ban ou « Fragrance of Beauty »
(《怜香伴》).
En 2011-2012,
Stanley
Kwan a produit le
premier film réalisé par
Zhao Wei (赵薇),
« So
Young » (《致青春》).
2016 et après |
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Stanley Kwan et Zhao
Wei faisant
la promotion du film
de Zhao Wei |

Fanglang ji
(première affiche avec Zhao Wei) |
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Stanley
Kwan prépare un autre film, intitulé provisoirement Fanglang Ji (《放浪记》),
dont la sortie est maintenant annoncée pour 2016,
après l’avoir été pour 2014, puis 2015.
Sur un scénario de Li Qiang (李樯),
le scénariste, entre autres, du film de Zhao Wei,
Fanglang Ji
raconte l’histoire de la rivalité de deux
comédiennes, Su Luo (苏洛),
interprétée par
Zhao Wei (赵薇),
et sa consœur plus âgée, Wei Tianyi (韦天怡),
interprétée par
Joan Chen (陈冲).
Le film marquera les retrouvailles du réalisateur
avec Joan Chen, plus de vingt ans après
« Red Rose, White Rose ».
Le tournage, prévu au départ pour juillet 2012, a dû
être repoussé et le film a pris du retard parce que
Zhao Wei terminait alors la postproduction de son
film.
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Notes
(1) La ‘Première Nouvelle Vague’ est constituée par
les réalisateurs qui travaillaient à la TVB à la fin des
années 1970 : Ann Hui, Patrick Tam, Yim Ho, etc.. Ils ont
alors tourné des téléfilms en 16mm que l’on peut cependant
considérer comme de véritables œuvres cinématographiques.
C’est à partir du moment où ils quittent la télévision, au
début des années 1980 que l’on parle de ‘Première Vague’.
Dans les années 1980, une ‘Deuxième vague’ est aussi
issue de la télévision, mais les réalisateurs sont moins
connus : les producteurs recherchaient de nouveaux talent et
étaient prêts à donner leur chance à des jeunes frais
émoulus des studios de télévision.
Les réalisateurs de la ‘Troisième vague’, quant à
eux, dont Stanley Kwan et
Wong Kar-wai, ont été formés auprès
de ceux de la première, le premier comme assistant
réalisateur (surtout d’Ann Hui), le second comme scénariste
(notamment pour Patrick Tam).
(2) D’après Stanley Kwan, l’auteur était une femme, vivant à
New York ; le roman était un mélodrame très explicite,
allant jusqu’à décrire la revanche de la femme de l’homme
d’affaires ; le réalisateur a adapté le récit en se
concentrant sur l’analyse de la relation entre les deux
hommes ; l’auteur aurait protesté.
(3) Voir la critique de Derek Elley :
www.filmbiz.asia/reviews/showtime
Filmographie
1985 Women 《女人心》 Nü ren xin
1986 Love Unto Waste 《地下情》 Di xia qing
1987
Rouge 《胭脂扣》 Yan zhi
kou
1990 Full Moon in New York 《人在纽约》 Ren zai Niu Yue
1991 Center Stage《阮玲玉》
Ruan Lingyu
1992 Too Happy for Words 《两个女人,一个靓一个唔靓》
Liang ge nü ren, yi ge liang,
yi ge wul iang (court métrage)
1993 Kinchan no Cinema Jack 《陈健没有杰克电影院》
Chen Jian mei you jia ke dian
ying yuan (court métrage)
1994
Red Rose, White Rose 《红玫瑰白玫瑰》
Hong mei gui, bai
mei gui
1996 Yang ± Yin : Gender in Chinese Cinema 《男生女相:华语电影之性别》
Nan nü sheng xiang : hua yu
dian ying zhi xing bie (documentaire)
1997 Hold You Tight 《愈快乐愈堕落》 Yue kuai le, yue duo
luo
1997 Still Love You After All These 《念你如昔》
Nian ni ru xi (documentaire)
1999 The Island Tales 《有时跳舞》 You shi
tiao wu
2001
Lan Yu 《蓝宇》 Lan Yu
2005
Everlasting Regret 《长恨歌》 Chang
hen ge
2010 Show Time 《用心跳》 Yong xin
tiao
2011 13 Minutes in the Lives of…. (segment Quattro Hong
Kong 2)
2014 Fanglangji 《放浪记》
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