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Yuan Muzhi 袁牧之

1909-1978

Présentation

par Brigitte Duzan, 06 novembre 2011

 

Yuan Muzhi (袁牧之) est considéré comme l’un des plus brillants représentants de ce qu’il est convenu d’appeler la « seconde génération » des réalisateurs chinois, celle dont les principales œuvres datent des années 1930-1940.

 

Non seulement elle accomplit la transition du cinéma muet au cinéma parlant, mais elle réalisa une autre transition tout aussi importante : celle des films de divertissement à des films ancrés dans la réalité sociale de leur temps, s’attachant à en dépeindre, sinon à en dénoncer, la misère et les injustices.

 

La carrière et l’œuvre de Yuan Muzhi sont à analyser dans ce contexte, abruptement court-circuité par l’occupation

japonaise.

 

Yuan Muzhi en 1936

 

Jeunesse sous l’influence du théâtre

 

Yuan Muzhi (袁牧之), de son vrai nom  Yuan Jialai (袁家莱), est né en mars 1909 à Ningbo, dans la province du  Zhejiang (浙江宁波).

 

La maison natale de Yuan Muzhi à Ningbo

 

Il est attiré très jeune par le théâtre, et surtout par le ‘drame civilisé’ ou wénmíngxì (文明戏), terme repris d’une forme ancienne de drame parlé pour désigner le théâtre moderne parlé, influencé par le théâtre occidental, qui se développe alors dans les cercles d’intellectuels revenus du Japon.

 

Jeune collégien, il fait du théâtre en amateur ; à treize ans, il est envoyé au lycée à Shanghai, et, l’année suivante,

entre dans une société d’art dramatique, la société Xinyou  (辛酉剧社), qui avait été créée en 1924 pour développer et faire connaître le théâtre parlé, en commençant par des pièces du répertoire étranger, russe et japonais en particulier.

 

Yuan Muzhi est le seul acteur enfant de la troupe ; comme il n’a pas de rôles très importants, il s’intéresse à tout, et se forme sur le tas. Il rencontre cependant l’opposition de sa famille. Yuan Muzhi, qui a acquis des idées progressistes au contact des acteurs et auteurs de gauche avec lesquels travaille la Xinyou, abandonne définitivement ses études pour se consacrer au métier d’acteur.

 

La société est dissoute en août 1930 en raison de ses liens avec la Ligue de Gauche et le parti communiste. Yuan Muzhi y a cependant fait la connaissance de personnalités qui auront marqué sa sensibilité, comme le dramaturge Hong Shen (洪深), et d’autres avec lesquels il continuera à travailler, comme le futur réalisateur Ying Yunwei (应云卫).

 

Ying Yunwei

 

Acteur aux mille visages

 

Les malheurs de la jeunesse

 

Yuan Muzhi devient célèbre dans les années 1930 : capable de jouer tous les types de rôles, il est surnommé l’« acteur aux mille visages » (舞台千面人”). Mais il écrit aussi des pièces de théâtre.

 

En 1934, il entre au studio Diantong (電通影片公司), créé en 1933 par quatre ingénieurs du son formés aux Etats-Unis pour développer en Chine le matériel nécessaire au cinéma parlant, puis transformé l’année suivante en studio à part entière. C’est aussi un studio réputé pour ses liens avec la Ligue de Gauche : il est lancé en recrutant au départ dans les milieux progressistes du théâtre, et les quatre films produits au cours des deux années de sa brève existence (1934 et 1935) sont de parfaits exemples du cinéma de gauche de la période.

 

Yuan Muzhi interprète le rôle principal dans l’un des premiers

films produits, en 1934 : « Les malheurs de la jeunesse » (桃李劫táolǐjiè), de Ying Yunwei (应云卫),

premier film parlant sonorisé par un procédé entièrement chinois. Yuan Muzhi y interprète le rôle d’un jeune homme perdu par son honnêteté inflexible, aux côtés de son épouse, dans le film comme dans la vie, Chen Bo’er (陈波儿).

 

Puis, en 1935, Yuan Muzhi est l’un des deux principaux interprètes du film  « Enfants de Chine », en anglais « Children of Troubled Times » (风云儿女), de Xu Xingzhi (许幸之), d’après une pièce de Tian Han (田汉), grand dramaturge très actif dans le milieu du 

 

 

Children of Troubled Times

cinéma, adaptée par un autre dramaturge contemporain, Xia Yan (夏衍).

 

La marche des volontaires, publiée en 1935

 

Le film est surtout célèbre pour le chant qu’y interprète Yuan Muzhi, avec Gu Menghe (顾梦鹤) : « La marche des volontaires » (义勇军进行曲) (1), dont la mélodie revient comme un leitmotiv dans tout le film, et qui est devenue l’hymne national chinois. Les paroles étaient de Tian Han lui-même et la musique du compositeur Nie Er (聂耳), qui étaient déjà les auteurs des chansons du film précédent, « Les malheurs de la jeunesse ».

 

On dit que Tian Han écrivit les paroles sur une feuille de papier à cigarettes après avoir été arrêté par le Guomingdang en 1934 et emprisonné. Quant à Nie Er, il mourut accidentellement quelques mois plus tard au Japon, à l’âge de vingt quatre ans…

 

 

En 1936, la Diantong ayant disparu, il entre à la Mingxing (明星影片公司) (2) où il joue dans un autre film de Ying Yunwei (应云卫), « A la vie à la mort » (《生死同心》), dans lequel il interprète un double rôle : un jeune révolutionnaire qui réussit à s’évader dans l’incendie de la prison où il enfermé, et un jeune Chinois d’outre-mer qui, lui ressemblant à s’y méprendre, est arrêté à sa place. Yuan Muzhi y joue à nouveau aux côtés de son épouse Chen Bo’er. Le couple remporte un grand succès.

 

Mais, entre-temps, il a fait ses débuts de réalisateur.

 

Brillants débuts de réalisateur

 

C’est en effet en 1935 que Yuan Muzhi se tourne vers la réalisation, à la fin de ce qu’il est convenu d’appeler « l’âge d’or du cinéma chinois », qui est aussi celui du cinéma de Shanghai, avant que la ville tombe aux mains des Japonais.

 

« Scènes de la vie urbaine »

 

Ses débuts de réalisateur sont placés tout de suite sous le signe de l’innovation. Comme le cinéma américain à la fin des années 1920 et au début des années 1930 (3), le nouveau cinéma parlant chinois fait la part belle à la musique.

 

Le premier film de Yuan Muzhi, produit par la Diantong, est une sorte de comédie musicale dont il a aussi écrit le scénario et dans laquelle il interprète un rôle secondaire : « Scènes de la vie urbaine » (都市风光),. C’est encore une œuvre de transition du muet au parlant, toujours en noir et blanc. Mais le film est par ailleurs un mélange de séquences comiques et romantiques sur fond d’observation quasi documentaire des problèmes socio-économiques de la Shanghai de l’époque.

 

Scènes de la vie urbaine

 

Le père de l’un des personnages principaux, par exemple, est un prêteur sur gage qui a lui-même du mal à joindre les deux bouts car personne n’a plus les moyens de venir racheter les objets mis en gage chez lui. Dans une scène pleine d’humour, il tente même de récupérer un peu d’argent en mettant en gage chez un confrère certains des objets qu’il a en dépôt.

 

Tout le début du film est un montage rapide d’éléments caractéristiques du paysage urbain de la ville trépidante et cosmopolite qu’était Shanghai : enseignes au néon, immeubles modernes, théâtres, cathédrale, foule de piétons et voitures dans les rues. La musique est omniprésente, rythmant chacune des séquences, comme elle l’est dans tout le film. Elle est signée du compositeur He Luting (贺绿汀) qui deviendra célèbre avec les chansons composées pour le film suivant de Yuan Muzhi.

 

Le film

 

 « Les anges du boulevard » 

 

Second film de Yuan Muzhi, en 1937, « Les anges du boulevard »  (《马路天使》)  est un chef d’œuvre incontesté, tragi-comédie d’un style très personnel qui lança une jeune actrice de dix-huit ans, totalement inconnue, Zhou Xuan (周璇).

 

Le scénario dépeint un pan de la vie d’un groupe de jeunes – une chanteuse, sa sœur prostituée et un soldat qui est son amant – dont le manque d’argent et la marginalisation sociale sont un obstacle au bonheur. C’est un film qui a frappé, par la suite, par son caractère néo-réaliste avant la lettre.

 

Là encore, le film comporte des séquences musicales, et non des moindres : les deux airs célèbres, sur une musique de He Luting (贺绿汀), qu’interprète Zhou Xuan - "La chanson des quatre saisons"  (四季歌) et "La chanteuse du bout du

 

Les anges du boulevard

 

Zhou Xuan chantant « La chanteuse du bout du monde  »

dans « Les anges du boulevard »

 

monde" (天涯歌女) - sont restés des références cinématographiques souvent citées dans des films ultérieurs, dans « Lust.Caution » (·), d’Ang Lee (李安), par exemple.

 

Le film est sorti pendant l’été 1937, juste avant la chute de Shanghai aux mains des Japonais. Ce fut un immense succès auprès du public, mais ce fut aussi  l’un des derniers produits du grand « âge d’or » du cinéma chinois, celui du cinéma de Shanghai : les artistes furent bientôt forcés de se replier dans les concessions, et bridés par la censure japonaise.

 

A Yan’an pendant la guerre

 

Après l’occupation de Shanghai, Yuan Muzhi laisse le cinéma et revient au théâtre, jouant et écrivant des pièces. Avec une troupe patriotique, la « troupe de Shanghai pour sauver la nation » (上海救亡演剧队”), toujours avec Chen Bo’er (陈波儿), il part à Wuhan.

 

Il joue dans des pièces du répertoire de propagande. L’une d’elles, « Huit cents soldats héroïques » (八百壮士), qui dépeint l’épisode de la défense de l’entrepôt de Sihang (四行仓库), fin 1937, à la fin de la

 

L’équipe cinématographique de Yan’an

résistance de Shanghai contre l’assaut des troupes japonaises, est adaptée par Ying Yunwei au cinéma en 1938, avec Yuan Muzhi et Chen Bo’er comme principaux interprètes (4).

 

Joris Ivens et la première caméra de l’équipe

 

Yuan Muzhi est alors appelé par Zhou Enlai et part à Yan’an pour y fonder l’« équipe cinématographique de Yan’an » (延安电影团”), en août 1938. Le matériel est en partie acheté à Hong Kong, en partie rapporté de Shanghai (celui des défuntes Diantong et Mingxing). Joris Ivens, venu en Chine tourner son documentaire « Les 400 millions », leur fait cadeau de sa caméra en partant…

 

Pendant près de deux ans, Yuan Muzhi parcourt alors avec l’armée communiste toute la zone libérée Shaanxi-Gansu-Ningxia (陕甘宁边区) en tournant des documentaires, dont, en 1939, le grand documentaire historique « Yan’an et la 8ème armée de route » (《延安与八路军》). Il écrit aussi une pièce qui dépeint la vie dans les bases révolutionnaires : « La trilogie de Yan’an » (《延安三部曲》).

 

Cinéaste officiel après 1940

 

Yan’an et la 8ème armée de route

 

Les studios du Nord-Est

 

En 1940, il devient membre du Parti communiste et, l’été, est envoyé en mission d’étude en Union soviétique. Il y rencontre Eisenstein avec lequel il tourne un film. Mais, en raison de la guerre, le voyage est plus long que prévu. Yuan Muzhi ne revient en Chine qu’en 1946. Il est alors chargé d’organiser les studios du Nord-Est (东北电影制片厂), premiers studios d’Etat qu’il crée avec Chen Bo’er sur la base des studios que les Japonais

avaient établis à Changchun et dont il devient le directeur.

 

Il y produit le premier film de fiction de la Chine nouvelle, « Le pont » (《桥》), réalisé par Wang Bin (王滨) et sorti en 1949. Le film bénéficia de la collaboration d’une partie du personnel japonais qui resta en Chine jusqu’en 1953.

 

En mars 1949, après la libération de ce qui était encore Beiping, il organise dans la capitale le Bureau central de contrôle du cinéma (中央电影事业管理局) et en devient directeur, poste qu’il conserve après la fondation de la République. Début 1950, cependant, il devient vice-ministre de la culture quand le Bureau est rattaché au ministère de la Culture. Il est par ailleurs nommé à diverses fonctions officielles lors des grandes assemblées des débuts du régime.

 

Le Bureau ouvre très vite une Ecole de cinéma, avec 

 

Chen Bo’er

diverses sections, dont une section artistique est confiée à Chen Bo’er. Elle ne conservera néanmoins ce poste que pour une courte période, car elle meurt subitement en novembre 1950.

 

Yuan Muzhi âgé

 

C’est un coup très dur pour Yuan Muzhi. En 1954, il abandonne toute activité professionnelle, officiellement pour raisons de santé.

 

Il meurt en juin 1978 à Pékin, à l’âge de 69 ans. 

 

 

 

 

Notes

(1) Paroles :

起来!不愿做奴隶的人们! 

Qǐlái! Búyuàn zuò núlì de rénmen!

Debout ! Nous ne voulons plus être des esclaves,

把我们的血肉,筑成我们新的长城!
Bǎ wǒmende xuèròu, zhùchéng wǒmen xīnde chángchéng!

nous allons bâtir de notre chair et de notre sang notre nouvelle muraille !

中华民族到了最危险的时候,

Zhōnghuá mínzú dàole zuìwēixiǎnde shíhòu.
Le peuple chinois connaît son heure la plus grave,

每个人被迫着发出最后的吼声。

Měigerén bèipòzhe fāchū zuìhòude hǒushēng.
Incitant chacun à pousser un dernier cri.

起来!起来!起来!

Qǐlái!  Qǐlái!  Qǐlái!

Debout ! Debout ! Debout !
 etc…
(2) Sur les principaux studios chinois des années 1930-1940, voir :

………

(3) Comme l’explique Michel Chion dans son ouvrage « La musique au cinéma », « c’est autour d’un chanteur populaire de l’époque, Al Jolson, que fut construit le premier long métrage qualifié – avec peu d’à propos – de "parlant" : Le Chanteur de jazz. …. ». Avec peu d’à propos parce que le seul moment véritablement parlé est un monologue d’une vingtaine de minutes adressé par le chanteur à sa mère, et encore en tapant de temps en temps des accords sur son piano… Mais Michel Chion le définit comme « le film qui fit tout basculer ». C’était en 1927. Pour dépasser la musique séquentielle, les compositeurs vont ensuite s’attacher à créer un tissu musical continu. Avec leurs séquences musicales plus ou moins intégrées, les films chinois de l’époque de Yuan Muzhi sont à replacer dans ce contexte.

(4) Un premier film sur le même sujet, adapté et réalisé par Lu Si (鲁司), est sorti à Hong Kong en avril 1938. Un troisième a été produit à Taiwan en 1975, avec Brigitte Lin, Sylvia Chang, etc…

 

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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