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Teng
Wenji 滕文骥
Né en 1944
Présentation
par Brigitte
Duzan, 05 avril 2012
Teng Wenji
est l’un des réalisateurs sacrifiés de la quatrième
génération : réduit au silence par la Révolution
culturelle, éclipsé par la cinquième génération,
puis limité à la production pour la télévision.
Pourtant,
réalisateur prolixe, il a réalisé des films d’une
grande originalité et qualité esthétique, le plus
souvent sans se préoccuper des modes et des
courants, artistiques ou idéologiques.
Il est né
en 1944 à Pékin. Enfant, il est passionné par la
musique et le théâtre. En 1964, cependant, ayant
raté le concours d’entrée au Conservatoire de
musique, il entre à l’Académie du cinéma de Pékin,
dans le département de mise en scène. La Révolution
culturelle éclate deux ans plus tard. Les cours sont
suspendus, mais il s’achète des livres et continue à
étudier.
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Teng Wenji |
En 1969, il entre
dans l’armée, et y reste quatre ans. En 1973, il est enfin
affecté au studio de Xi’an, où il gravit peu à peu les
échelons jusqu’à devenir assistant réalisateur.
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Fiche de présentation
(sur Muyi chengzhou 暮已成昼) |
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Réalisateur
controversé du studio de Xi’an
1. Il réalise son
premier film en 1979, avec
Wu Tianming (吴天明) :
« The Thrill of Life » ou « Les trémolos de la vie » (《生活的颤音》).
Il avait écrit le
scénario l’année précédente, pour les dirigeants du studio
qui lui avaient demandé de leur montrer ce qu’il était
capable de faire. Le scénario leur plut beaucoup. Il raconte
l’histoire d’un violoniste qui évoque avec tristesse le
souvenir de Zhou Enlai, mort en janvier 1976 et objet d’un
véritable culte populaire. Autant les autorités avaient
supprimé toute manifestation de soutien au Premier Ministre
au printemps 1976, autant l’atmosphère était en faveur de
telles manifestations après la chute de la Bande des Quatre.
Pour Teng
Wenji, c’était le meilleur sujet pour obtenir de
passer enfin derrière la caméra. Mais il le traite
de façon originale, sous un angle musical. Dès ce
premier film, il a l’intention de faire un film
musical. Il n’y est pas vraiment parvenu, mais le
film a eu beaucoup de succès : il a valu au studio
un prix de 10 000 yuans accordé par les autorités de
la province du Shaanxi (où est situé le studio).
C’était un prix destiné au jeune réalisateur, mais
il n’en toucha en fait que 90 yuans, car l’argent
fut réparti, comme c’était l’usage, entre les
différentes |
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Awakening |
personnes qui
avaient participé au tournage, y compris le portier.
Le film lui
rapporta bien plus : une notoriété soudaine qui le propulsa
dans diverses positions officielles : comité de la Culture
et des Arts, association des cinéastes du Shaanxi, etc… Ce
fut un tremplin pour lui, bien qu’il ait toujours déclaré
qu’il ne l’aimait pas.
2. Son
second film, en 1980, est encore réalisé avec
Wu Tianming : « Kith and Kin » (《亲缘》).
Mais c’est son troisième film, en 1981, qui
représente
le véritable début de sa carrière : « Awakening »
(《苏醒》),
étude sur le fossé entre générations et allusion
aussi voilée que possible aux désirs de liberté et
d’émancipation des jeunes.
Le film,
cependant, déclencha une controverse car le
gouvernement prétendit qu’il était incompréhensible
des gens ordinaires. D’autres, plus astucieux,
préférèrent soutenir le film pour qu’on ne se
préoccupe pas trop d’en comprendre le message.
Il marque
le début d’une collaboration avec Joan Chen (陈冲) qui
y interprète le rôle principal et jouera dans deux
autres films du réalisateur. Mais c’est aussi le
film qui permit à Teng Wenji de découvrir l’actrice
qui n’interprétait là qu’un |
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Chess King |
rôle secondaire
mais allait jouer dans tous ses autres films : Yin Tingru
(殷亭如).
3. Dans le
film suivant, en 1982, « A Corner in the City »
(《锅碗瓢盆交响曲》),
Yin Tingru interprète le rôle une ouvrière modèle
d’un chantier naval, qui, parce qu’elle est érigée
en modèle, se trouve isolée dans son unité de
travail.
Pour
réaliser le film, Teng Wenji vécut six mois dans les
faubourgs de Shanghai et les quartiers pauvres, en
partageant la vie des gens, d’où l’aspect très
réaliste du film. Cependant, bien que défendu par le
vice-ministre de la culture en charge du cinéma à
l’époque,
Chen
Huangmei (陈荒煤)
(1),
il fut très critiqué à sa sortie, pour avoir
présenté une ouvrière modèle coupée « des masses »
et les quartiers les plus sordides de la ville. En
outre, le scénariste fut accusé de plagiat et le
film déclencha une autre controverse.
Teng Wenji
obtint pourtant pour ce film une « mention
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Ballad of the Yellow
River |
honorable » du
meilleur réalisateur aux Coqs d’or, en 1982 ; mention
honorable, certes, en raison de la controverse, mais qui
traduit quand même la reconnaissance de la profession.
4. Teng
Wenji poursuit, l’année suivante, avec un film, « Symphony
of Cooking Ustensils »,
qui
soulève à nouveau des débats enflammés. Le scénario
est en effet l’histoire d’un réformiste bien peu
héroïque qui accumule les déboires dans sa vie
sentimentale.
Pour le
film suivant, en 1984, « On the Beach » (《海滩》),
Teng
Wenji fait à nouveau preuve d’originalité et de
caractère : il reprend le scénariste de « A Corner in the City », lavé des accusations
de plagiat mais toujours ostracisé, et donne
le rôle principal à l’actrice Bai Ling (白灵),
actrice de théâtre à la vie mouvementée qui avait
frisé la folie ; il lui donne son premier rôle au
cinéma : celui d’une jeune villageoise qui va
travailler en usine et se bat contre la volonté
familiale pour épouser un cousin. |
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In a Distant Land |
5. En 1985,
il collabore une première fois avec l’écrivain
A
Cheng (阿城) qui vient d’abandonner son poste de directeur artistique dans une revue
littéraire pour se consacrer à l’écriture de
scénarios (2). En collaboration avec un autre
scénariste, Xiao Mao (肖矛),
A
Cheng écrit le scénario de « Big Star » (《大明星》),
où l’on retrouve Yin Tingru dans le rôle principal.
Cette
collaboration se poursuit ensuite, et donne en 1988
un film méconnu mais superbe, qui fut présenté à la
biennale de Venise : « Chess King », ou « Le roi
des échecs » (《棋王》),
adapté de la nouvelle éponyme d’A Cheng (3).
6. En 1989,
il découvre les paysages sauvages et grandioses des
bords du fleuve Jaune. Enthousiasmé par la musique
populaire locale qu’il découvre en même temps, il
réalise un |
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Story of Xiangxiang |
film qui est, comme
le titre l’indique, une ode au fleuve : « Ballad of the
Yellow River » (《
黄河谣》),
avec Ge You (葛优)
dans un rôle secondaire qui obtient un prix du Coq d’or pour
son interprétation.
Ce film
peut être considéré comme le sommet de la carrière
du réalisateur. On y trouve ce qui fait
l’originalité de son inspiration et de sa création,
l’accent mis sur la forme esthétique, ce qui a
contribué à l’incompréhension avec laquelle furent
reçues ses œuvres, par des critiques qui ne
parlaient que de contenu et de message.
Teng Wenji
a expliqué que la qualité visuelle d’un film était
pour lui étroitement liée à la musique, et les
couleurs associées au rythme musical, ce qui donne
une sorte de vibration à ses images. Tous ses films
peuvent être analysés en ces termes. Son film
suivant, tourné au Qinghai en 1993, « In a
Distant Land » (《在那遥远的地》),
poursuit cette recherche.
Réalisateur
assagi du studio de Pékin
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Rhapsody of Spring |
1993 est une année
charnière. Teng Wenji quitte Xi’an pour continuer sa
carrière au studio de Pékin. Il devient en même temps
directeur adjoint d’une société de production pékinoise (北京创世纪影业公司)
et se tourne vers la réalisation de films commerciaux et de
films pour la télévision.
Sunrise Sunset |
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En 1995, il
réalise une série télévisée en vingt épisodes,
« Histoire d’automne à Pékin (《北京深秋的故事》),
aussitôt suivie de deux films réussis : « The
Story of Xiangxiang »
(《香香闹油坊》)
en 1996, où l’on retrouve Joan Chen, et « Rhapsody
of Spring »
(《春天的狂想》)
en 1998, qui raconte l’histoire d’un jeune musicien,
avant et pendant le Révolution culturelle.
En 2005, il
signe encore un film salué par la critique : « Sunrise
Sunset » (《日出日落》),
chronique d’une troupe itinérante de musiciens du
nord du Shaanxi qui tentent contre vents et marées
de perpétuer leur art, avec, toujours, une part
importante du film consacrée à la musique elle-même.
Teng Wenji
continue de tourner, mais, depuis une dizaine
d’années, ce sont de plus en plus des réalisations
pour la |
télévision, qui
sont cependant très populaires auprès du grand public.
Notes
(1) Chen Huangmei
eut une action très positive sur le cinéma dans les années
1980. Il défendit nombre de films qui étaient critiqués,
« Ruyi »
(《如意》)
de
Huang Jianzhong
(黄健中),
par exemple, la même année.
(2) Sur A Cheng,
voir
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_A%20Cheng.htm
(3) Sur l’analyse
comparée de la nouvelle et du film, voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Adaptations_cinematographiques_A_Cheng_roi_des_echecs.htm
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