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« A Sigh » : un film de transition dans l’œuvre de Feng Xiaogang

par Brigitte Duzan, 11 avril 2012

 

Sorti au tournant du millénaire et beaucoup moins connu que les comédies qui le précèdent et le suivent, « A Sigh » (《一声叹息》) représente une transition dans l’évolution stylistique et thématique de l’œuvre de Feng Xiaogang (冯小刚).

 

En 1996, la société de production créée par le réalisateur avec l’écrivain et scénariste Wang Shuo (王朔) est acculée à la faillite après l’interdiction coup sur coup de deux films : « Living a Miserable Life » (过着狼狈不堪的生活), que Feng Xiaogang avait commencé à tourner sur un scénario de Wang Shuo (王朔), puis celle de « I’m Your Dad » (《我是你爸爸》), réalisé par Wang Shuo lui-même (1). Les conditions de censure obligent alors Feng Xiaogang à renoncer à la critique sociale qui caractérise ses premiers films.

 

A deux doigts d’opter pour la réalisation underground, il se rallie finalement à une solution de compromis et crée, à partir de là,

 

A Sigh, affiche

un créneau spécifique au sein du cinéma populaire en plein développement : la comédie de fin d’année ou hesui pian (贺岁片).

 

Ce nouveau genre évitait la contestation ouverte des films précédents, mais les films réalisés après 1996 ont cependant évolué en fonction des conditions de censure et de production cinématographique. Drame familial sans élément de comédie, « A Sigh » apparaît comme une œuvre charnière dans ce contexte.

 

Abandon de la critique sociale par Feng Xiaogang après 1996

 

« A Sigh » se situe entre deux trilogies de comédies dont la thématique et le style ont considérablement évolué ; ce film reprend en réalité le scénario de 1996 qui avait été interdit et reflète le relatif relâchement de la censure à partir de 2000.

 

Le fiasco de « Living a Miserable Life »

 

Feng Xiaogang

 

Les premiers films de Feng Xiaogang mettaient l’accent sur les problèmes sociaux de la Chine contemporaine, et en particulier la corruption et l’inégalité entre classes. « Living a Miserable Life », pour sa part, dénonçait les conséquences d’une liaison extraconjugale sur la vie d’un couple.

 

Le film était un projet de coproduction de « Good Dream », la société de production de Feng Xiaogang et Wang Shuo, et du studio de Pékin ; le scénario avait reçu l’aval de la censure et le tournage avait commencé au printemps de 1996. Deux semaines plus tard, le studio de Pékin reçut une lettre officielle du Bureau de la censure l’invitant à « choisir un autre sujet » ou « effectuer des modifications substantielles ».

 

Entre-temps, en mars 1996, la Conférence de Changsha

avait en effet resserré les conditions de censure en réaffirmant une stricte orthodoxie et, en particulier, la fonction pédagogique dévolue au cinéma (2).  Il n’était plus question d’accepter des scénarios évoquant des situations maritales contraires à la morale.

 

Après six mois de tournage, plus d’un million de yuans avaient déjà été dépensés. Feng Xiaogang aurait donc souhaité modifier le scénario pour le rendre acceptable aux censeurs, et sauver le film. Mais le directeur du studio de Pékin, Han Sanping (韩三平), l’en dissuada, sachant pertinemment qu’un projet qui avait été jugé « malsain » n’avait aucune chance d’être accepté, quelles que soient les révisions effectuées.

 

Abandon des thèmes de critique sociale

 

Sous la pression de Han Sanping, Feng Xiaogang se tourna alors vers une option plus sûre : la comédie. Entre 1996 et 1999, il réalisa coup sur coup trois films qui sont sa première trilogie de comédies de fin d’année : « Dream Factory », ou « Partie A Partie B » (《甲方乙方》), « Be There or Be Square » (《不见不散》)  et « Sorry Baby » (《没完没了》).

 

Dans ces films, la critique sociale n’a pas complètement disparu, mais les thèmes en sont habilement camouflés sous la surface de comédies légères et divertissantes. Ils ont pour protagonistes des "petits personnages" (xiao renwu 小人物) , c’est-à-dire des gens ordinaires, petits citadins aux prises avec des difficultés économiques et des contraintes sociales reflétant les changements engendrés par la politique de réforme et la croissance, mais qui finissent par réaliser leurs rêves et réussir dans leurs aspirations ;

 

Wang Shuo

l’accent est optimiste, et le ton réaliste, d’où le succès rencontré auprès de spectateurs lassés des héros socialistes, et trouvant dans tous ces petits personnages des alter ego avec lesquels s’identifier.

 

Face à ces petits personnages représentant les valeurs de base de la société chinoise, ces films dépeignent des « privilégiés » - nouveaux riches, célébrités, hommes d’affaires, médecins ou policiers – qui cumulent toutes les tares sociales : hypocrisie, incompétence, corruption, malhonnêteté. Feng Xiaogang touche ainsi la critique sociale de façon indirecte, montrant les fausses promesses de la croissance et la corruption qu’elle engendre, mais de façon larvée et sans conséquence puisque les films se terminent de façon positive et sans remettre en cause le statu quo. Le conflit direct avec les censeurs était ainsi évité.

 

Reprise de la critique sociale par Feng Xiaogang au tournant du millénaire

 

Au tournant du millénaire, la censure s’est relâchée, dans un contexte de restructuration du cinéma visant à en optimiser les profits  (3) ; Feng Xiaogang a alors pu reprendre les thèmes qui lui sont chers et qu’il avait dû étouffer sous le couvert de comédies légères. C’est ce tournant qu’amorce « A Sigh ».

 

« A Sigh », film de compromis

 

Yazhou et Xiaodan

 

A partir de 1999, les grands studios de cinéma sont restructurés pour en faire des groupes modernes, financièrement solides, et, en même temps, la censure est réformée pour promouvoir le développement de la production cinématographique qui avait été réduite à la portion congrue dans les dernières années de la décennie en raison d’une censure draconienne.

 

Le relâchement de la censure intervient surtout à partir de 2003, mais « A Sigh », en 2000, est déjà un moyen pour Feng Xiaogang de tâter le

terrain ; il a tout simplement repris le scénario écrit en 1996 par Wang Shuo (王朔) pour « A Miserable Life », intitulé lángbèi bùkān (《狼狈不堪》), expression figée (chengyu) qui signifie : être dans une situation extrêmement embarrassante, pris entre le marteau et l’enclume.

 

Liang Yazhou (梁亚洲) est un scénariste renommé de la télévision auquel le producteur Liu Dawei (刘大为) a loué un appartement dans l’île de Hainan pour qu’il écrive un nouveau scénario, en lui payant également une jeune et jolie assistante, Li Xiaodan (李小丹). Yazhou étant déjà marié, il décide, au bout de deux mois, de rentrer à Pékin pour ne pas céder à la tentation d’une relation extraconjugale. Mais il y est entraîné une fois à Pékin.

 

Quand son épouse Song Xiaoying (宋晓英)

 

Xiaoying et la petite Yueyue

l’apprend, sa première réaction est de demander le divorce ; ils se séparent, mais Xiaoying finit par accepter la relation pour le bien de leur fille, Yueyue (月月), qui vit très mal la séparation de ses parents. Pour la même raison, parce qu’il adore sa fille, Yazhou refuse de son côté d’épouser Xiaodan : il reste pris entre les deux femmes sans arriver à trancher.

 

Mari et femme

 

Absorbée dans la décoration de l’appartement qu’ils ont acheté auparavant, Xiaoying se blesse en tombant d’une échelle et l’incident rapproche les deux époux. Yazhou voit de moins en moins Xiaodan, mais celle-ci vient lui apporter un cadeau pour son quarante-deuxième anniversaire. Elle est reçue par Xiaoying qui propose qu’elles cessent toute hostilité pour l’occasion ; elle raconte alors à Xiaodan comment elle a rencontré Yazhou et comment ils sont tombés amoureux.

 

Après cette visite, Yazhou et Xiaodan mettent un point final à leur relation. La séquence finale montre Yazhou et sa famille jouant gaiement sur une plage à Hainan ; il reçoit soudain un appel sur son portable, et tourne la tête, surpris, en cherchant quelqu’un du regard…

 

Le scénario est finalement conforme à la moralité, c’est le bon mari et bon père qui triomphe, la fin est cependant ouverte, suggérant que le traumatisme de la rupture n’est pas totalement guéri, mais ne faisant que le suggérer : c’est le résultat d’un compromis. Feng Xiaogang a expliqué que c’était la première fois que les autorités chinoises autorisaient ce genre de sujet pour un film et qu’il a dû accepter des coupes, au début, mais surtout à la fin.

 

Il y avait à l’origine une séquence finale très romantique où, des années après leur rupture, Yazhou sortait voir Xiaodan en cachette, dans une rue bordée d’arbres. Elle a dû être supprimée pour deux raisons, l’une tenant à la censure, l’autre à l’exploitation en salles : d’une part, la censure a considéré que la liaison devait être terminée après la rupture entre les deux amants ; en outre, il faisait initialement 115 minutes, presque deux heures, ce qui ne permet pas aux cinémas de faire huit séances d’affilée, comme pour les

 

Scène finale

films normaux de 90 ou 100 minutes. Feng Xiaogang a préféré transiger.

 

Le film a malgré tout été un succès, en grande partie grâce à l’interprétation : Zhang Guoli (张国立) dans le rôle de Liang Yazhou, Liu Bei (刘蓓) dans celui de Li Xiaodan, Xu Fan (徐帆), l’épouse de Feng Xiaogang, dans celui de Song Xiaoying, et Fu Biao (傅彪) dans celui de Li Dawei. C’est l’un des rares films de Feng Xiaogang où n’apparaît pas Ge You. « A Sigh » a remporté les prix du meilleur film, du meilleur scénario, du meilleur acteur et de la meilleure actrice au Festival international du cinéma du Caire en 2000.

 

« A Sigh », film de transition

 

« A Sigh » est un film de transition à deux égards :

 

1. Il annonce un changement thématique et stylistique. Avec ce film, Feng Xiaogang abandonne les comédies légères de fin d’année, pour s’orienter vers des films qui font toujours rire, mais sont plus graves ; ce sont des films dont le sujet n’est plus centré sur les petites gens, mais sur les problèmes liés au déclin moral des classes supérieures et des privilégiés de la société chinoise moderne.

 

Ces films sont de plus en plus critiques et cyniques ; ils n’offrent plus de faciles solutions aux problèmes qu’affrontent les personnages.

 

2. En outre, à partir de 2001, Feng Xiaogang entre dans la course aux profits de ce qui est désormais « l’industrie du cinéma ». « A Sigh » est une production du studio de Pékin en coopération avec la société des Huayi Brothers ; les deux producteurs en sont Han Sanping (韩三平) et Wang Zhongjun (王中军).

 

Han Sanping

 

Wang Zhongjun

 

Il annonce les trois comédies suivantes, dont la critique sociale est fermement ancrée dans le monde « commercialisé » auquel a accédé la Chine avec son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce, en 2002. « A Sigh » laisse déjà transparaître les pressions exercées par les sponsors et financiers sur les réalisateurs : le nouvel appartement de Yazhou et Xiaoying est meublé Ikea, les rencontres secrètes des deux amoureux ont lieu dans un Starbucks Café de Pékin, etc… La liste des marques apparaît au générique final.

 

Le système sera caricaturé dans le film suivant, « Big Shot’s Funeral » (《大腕》), mais tous les films qui suivent seront financés de la sorte. Feng Xiaogang doit désormais jongler non seulement avec les censeurs, mais aussi avec les sponsors qui financent la majeure partie des budgets…

 

 

 

Notes
(1) Sur Wang Shuo, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Wang_Shuo.htm

(2) Sur la conférence de Changsha, voir….

(3) Sur l’évolution du contexte politique et idéologique au début du millénaire, voir……………..

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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