« The Silent War » :histoire
d’amour et d’espionnage, l’un des succès de l’été 2012 en
Chine
par Brigitte
Duzan, 30 août 2012
« The
Silent War » (《听风者》)
a été réalisé par le duo
Alan Mak (麦兆辉)
/ Felix Chong (庄文强)
qui a déjà signé les scénarios de plusieurs films du
même genre qui ont été des réussites au moins en
termes de recettes : la trilogie « Infernal
Affairs » (《无间道》),
en 2002/2003, le diptyque « Overheard » (《窃听风云》)
en 2009/2011, et « The Lost Bladesman » (《关云长》)
en 2011.
Sorti le 7
août 2012 sur les écrans chinois, « The
Silent War » a eu un
succès tel qu’il a relégué au second plan la
nouvelle mouture de « L’âge de glace » qui était
jusque là en tête du box office chinois.
Succès
estival
Le film
avait beaucoup d’ingrédients pour réussir, et en
particulier un scénario original et des interprètes
de choix.
Scénario
original
The Silent War
Le scénario est
adapté du second volet d’une trilogie du spécialiste de la
littérature chinoise
Affiche promotionnelle
d’espionnage : « Complot secret » (《暗算》),
de Mai Jia (麦家)
(1), bestseller qui a été couronné du prix Mao Dun
en 2008 et dépeint la lutte entre agents secrets
communistes et nationalistes au tout début de la
République populaire.
Quand le
film commence, nous sommes à Shanghai en 1949. La
guerre civile fait rage. Le Parti communiste a gagné
du terrain dans les zones rurales, mais le
Guomingdang tient encore bon nombre de villes. Pour
les services secrets communistes, l’important est
d’arriver à capter les communications de l’ennemi
qui ont brusquement disparu des ondes.
Pour ce
faire, l’agent Zhang Xuening (张学宁)
est chargée de recruter un accordeur de piano réputé
pour ses dons auditifs. Mais elle réalise que son
assistant, He Bing (阿炳),
a une oreille bien plus fine : il est aveugle. Il
est donc recruté comme agent spécial chargé de
l’écoute des messages de l’ennemi
transmis par radio ; c’est le sens du titre : celui qui
écoute les bruits [des ondes] (听风者).
Mais He Bing est
un personnage illettré qui vit d’expédients et doit
être encadré et formé. Dans le cours de sa mission,
Zhang Xuening s’éprend peu à peu de lui, mais
fait taire ses sentiments dans l’intérêt du service
et du pays, comme elle l’avait déjà fait avant
l’arrivée de He Bing, pour étouffer une relation
naissante avec son chef.
La grande
astuce du scénario tient
Alan Mak et Felix
Chong
au personnage de
Zhang Xuening, qui est un agent féminin : ceci permet
d’introduire une intrigue
Le livre (Ansuan)
amoureuse
qui vient doubler celle de l’histoire d’espionnage,
astuce providentielle pour le film car une bonne
partie du travail de He Bing implique de longues
séquences face à face avec la radio, peu propices à
des scènes d’action.
L’accent
est mis sur les relations personnelles entre les
deux personnages principaux. « The Silent War » se
distingue ainsi des films d’espionnage habituels.
C’est l’un des slogans promotionnels du film :
« film d’espionnage non traditionnel » (“非传统谍战片”).
Le roman a
déjà été adapté avec quelque succès à la télévision
en 2005, mais la grande supériorité du film tient à
l’interprétation, et surtout au choix des deux
acteurs principaux.
Tony Leung et Zhou
Xun
Les deux
rôles principaux de He Bing et Zhang Xuening sont
interprétés respectivement par Tony Leung Chiu Wai (梁朝伟),
et Zhou Xun (周迅),
ce qui constitue un lien avec les autres films des
deux réalisateurs ainsi qu’avec l’autre adaptation
de Mai Jia : comme un petit clin d’œil de
connivence. Zhou Xun interprète l’un des rôles
principaux de « The Message » et Tony Leung jouait déjà dans le premier « Infernal
Affairs ».
Il est en
outre un habitué des rôles d’aveugle : il a
interprété un épéiste aveugle en 1994 dans
« Les
cendres du temps»
(《东邪西毒》)de
Wong Kar-wai (王家卫),
un saxophoniste aveugle en 1996 dans « Blind Romance » (《偷偷愛你》)
de Tan Lanchang (谭朗昌)
et un conseiller en mariage aveugle en 2003 dans
« Sound of Colours » (《地下铁》).
Il a profité d’une pause dans le tournage du nouveau
film de Wong Kar-wai « The
Grandmasters » (《一代宗师》)
pour tourner dans « The
Silent War », parce qu’il est un grand ami des
réalisateurs.
Zhou Xun dans The
Silent War
Tony Leung accordeur
aveugle de piano
Il donne de la profondeur au
personnage de He Bing qui n’est guère au départ
qu’un petit malfrat et s’épanouit au contact d’un
travail inattendu, mais dangereux. Le rôle reste
cependant très pâle étant donné qu’il consiste en
grande partie en séquences d’écoute et décodage,
plus facile à rendre sur le papier qu’en images,
surtout dans un film dont le public attend quand
même de l’action et du suspense.
Une grande partie de la
tension du film est générée par le personnage de
Zhang
Xuening, et l’interprétation toute en finesse de
Zhou Xun. Au début apparemment sûre d’elle-même,
dans un monde où elle navigue entre vrai et
illusion, maîtresse même de ses sentiments, elle
évolue peu à peu vers plus d’ambivalence, mais sans
tomber dans le doute ou la confusion des rôles.
Les
réalisateurs se sont adaptés à son jeu et ont confié
avoir modifié le scénario
Recruté par Zhou Xun
au fur et à mesure
du tournage pour suivre l’évolution qu’elle insufflait
elle-même à son personnage. Il est certain qu’il est bien
plus vivant et complexe que celui de He Bing.
Film efficace
Le problème du
film, et de sa réalisation, tient dans le fait que ce sont
justement les activités de ce dernier qui sont au centre du
scénario. Les réalisateurs et scénaristes ont sacrifié
l’intrigue secondaire qui aurait pu être développée, autour
du chef du service, Guo, interprété par Wang Xuebing (王学兵),
et de la pâle Shen Jing, interprétée par Mavis Fan (范晓萱).
Le film y perd en profondeur ce qu’il gagne en clarté.
Agent secret à
Shanghai
Surtout, on
est quand même sidéré de trouver comme thème central
d’un film, aujourd’hui, l’idéalisme romantique
révolutionnaire qui a fait les beaux jours du cinéma
chinois des années 1950 : l’abnégation dans le
service dû à la patrie, au prix de l’oubli de ses
propres sentiments. A moins que l’on considère qu’il
s’agit d’une parfaite reconstitution des sentiments
de l’époque…
Il reste
qu’Alan Mak et Felix
Chong sont
plus percutants dans les films policiers
ou
films d’action contemporains. « The Silent War »fleure bon
le film de Hong Kong réalisé avec un œil sur le box office
du continent. Et le résultat est là : grand succès estival…
Bande annonce
Note
(1) Le troisième
volet de la trilogie, « Décodé » (《解密》),
a déjà été adapté au cinéma. Sorti en 2010, sous le titre
« The message » (《风声》), le film a été
réalisé par Gao Qunshu (高群书)
et Chen Kuofu (陈国富).