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« La rose sauvage » de Sun Yu : élégie rurale et amour romantique dans l’enfer urbain

par Brigitte Duzan, 25 septembre 2012

 

Achevé en 1932, « La Rose sauvage » (《野玫瑰》) est l’un des premiers films réalisés par Sun Yu (孙瑜) à la Lianhua (联华影业公司). C’est l’un de ses meilleurs films, si subtilement romantique qu’on en oublierait presque les thèmes récurrents de nationalisme et de critique sociale qui le rattachent à la période où il a été tourné : les lendemains du 8 septembre 1931, date de l’occupation japonaise de la Mandchourie.

 

Une élégie rurale qui tourne au mélodrame

 

C’est Sun Yu lui-même qui a écrit le scénario : il traduit son âme de poète aussi bien que ses idées progressistes et nationalistes en ce début des années 1930.

 

1. La première partie se passe dans un décor rural : un village le long d’une rivière, où sont amarrés des bateaux.

 

Wang Renmei, la Rose sauvage

Dans la coque d’un vieux rafiot posé sur la rive habitent la jeune Xiao Feng (小凤) et son père. Vive, rieuse et délurée, elle passe le plus clair de son temps, quand elle ne garde pas ses oies, à jouer à la guerre avec une bande d’enfants du village. La Mandchourie vient d’être envahie, ne l’oublions pas.

 

Wang Renmei, la Rose sauvage

 

Passe un jeune citadin, élégant et souriant, venu de la ville au volant d’une voiture décapotable. Il assiste de loin à la revue des enfants-soldats. Xiao Feng leur fait répéter leur leçon : qui aimes-tu par-dessus tout ? J’aime ma patrie. Au plus petit qui répond ‘ma maman’, elle répond : c’est pareil, ta patrie, c’est ta mère… La séquence est drôle, naturelle et bien jouée… Apercevant l’autre qui rit, Xiao Feng ordonne d’aller le capturer. Quand il répond qu’il aime sa patrie pour toujours, il est intronisé général de la troupe.

 

C’est le début d’un amour idyllique. Il s’appelle Jiang Bo (江波), il est peintre et revient poser son chevalet pour croquer Xia Feng qui pose pour lui, jambes nues sous un arbre.

 

Son père, cependant, est poursuivi par un usurier auquel il doit de l’argent. Lors d’une visite bien arrosée, celui-ci finit par lui suggérer de lui donner Xiao Feng en échange de l’annulation de sa dette. Furieux, le père se rue sur lui et le tue. Dans la bagarre, le feu se propage dans tout le bateau qui est réduit en cendres. Le père réussit à s’échapper, mais les villageois croient que ce sont ses restes carbonisés qu’ils retrouvent au milieu des décombres.

 

2. Désormais orpheline et sans toit, Xiao Feng est recueillie par Jiang Bo qui l’emmène chez lui, à Shanghai, et décide de la présenter à son père. Permanentée et habillée à la dernière mode, Xiao Feng doit faire son entrée dans le salon familial au cours d’une réception mondaine. Mal assurée dans des chaussures à talons qui lui font mal aux pieds, elle cause catastrophes et scandale, et Jiang Bo est prié de la ramener d’où elle vient. Il préfère quitter le cocon familial pour la suivre.

 

Il s’ensuit une vie de bohême, d’abord heureuse et décontractée. Les deux tourtereaux trouvent une chambre

 

Wang Renmei dans "La Rose sauvage"

dans un de ces « prétendus logements sociaux », comme dit un intertitre, c’est-à-dire où une dizaine de famille se partagent 10 m2. Ils partagent le lieu avec deux copains avec lesquels ils forment une joyeuse bande. L’un, Xiao Li, peint des publicités sur les murs de Shanghai, et l’autre, Xiao Qiang, vend des journaux dans la rue.

 

Quand l’hiver arrive, cependant, les choses se gâtent. Jiang Bo tombe malade, ils n’ont plus d’argent, la propriétaire réclame son loyer. Xiao Feng ramasse par terre un portefeuille tombé de la poche d’un ivrogne ; mais il s’en aperçoit et appelle la police. Jiang Bo se dénonce, il est emmené en prison.

 

Pour l’en sortir, Xiao Feng va demander l’aide de son père qui y consent à la condition qu’elle ne revoie plus jamais son fils. Xiao Feng accepte et disparaît après un dernier adieu à Jiang Bo.

 

3. Jiang Bo la cherche partout sans réussir à la trouver. Elle s’est embauchée dans un atelier textile. Mais l’avancée des troupes japonaises entraîne une levée en masse de volontaires pour le front. La foule défile dans la rue en

 

Silvana Mangano dans "Riz amer"

scandant des slogans patriotes, observée de leurs fenêtres par Jiang Bo et les siens. Apercevant ses anciens amis, Jiang Bo se précipite et se mêle à leurs rangs… aux côtés de Xiao Feng. La guerre, finalement, les réunit – ou plutôt la défense de la patrie.

 

Un film où prévaut le romantisme

 

Zheng Junli

 

« La Rose sauvage » est l’œuvre d’un poète, mais un poète qui vit dans une époque troublée, un poète engagé, sensible à la misère du peuple et aux menaces de guerre qui nécessitent l’union nationale et l’abolition des inégalités sociales.

 

Le film est parcouru de déclarations qui, parce qu’elles sont textuellement transcrites dans les intertitres, font parfois sourire par leur idéalisme ingénu - ainsi les intertitres soulignant que leur chambre se trouve dans un prétendu logement social et que Shanghai est prétendument prospère, ou montrant Jiang Bo, malade dans cette chambre glaciale, refusant de revenir se faire soigner chez lui et déclarant à Xiao Feng : si je ne veux pas rentrer chez moi, c’est que je veux partager la misère du peuple.

 

« La Rose sauvage » prône l’abolition d’une société duale où une petite élite jouit de la richesse nationale tandis que les autres mènent une existence misérable. Ce sont les idéaux prônés par la Lianhua, idéaux modernistes et progressistes que l’on a trop longtemps limités à un mouvement de gauche (左翼电影运动). On voit bien dans ce film qu’il s’agit plus d’idéalisme, et d’un idéalisme qui fait la part belle au romantisme.

 

On a parlé de mélodrame social. On est frappé, en particulier, par la parenté avec les « Scènes de la vie de bohême » d’Henri Murger, dont les « bohémiens » sont aussi des artistes vagabonds dont la seule alternative à l’art est la mort. A noter également que, chez Murger, la « bohême » n’est possible qu’à Paris…

 

Sun Yu joue lui aussi de l’opposition campagne/ville, les deux

 

Han Langen

étant un rêve vu de loin. La ville, cependant, apparaît comme la confluence de l’extrême misère sociale, tout en étant aussi la condition de la prise de conscience nationale. 

 

Les quatre copains dans les rues de Shanghai

 

Ces idéaux sont exprimés avec lyrisme, sans aucun dogmatisme idéologique, et ce lyrisme est imbu d’un romantisme chaleureux et d’une joie de vivre qui sont la marque essentielle du film, comme des autres films de Sun Yu de la même période. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être sévèrement critiqué : il fut accusé d’être « empoisonné » à cause de son humanisme sentimental et son individualisme excessif.

 

Quoi qu’il en soit, c’est cette chaleur humaine pleine de poésie qui fait tout le charme du film,

soutenue par le rythme imparti par la caméra et un montage nerveux (1), et transmise par des interprètes exceptionnels qui vont jusqu’à l’incarner physiquement.

 

Romantisme incarné par les interprètes

 

« La Rose sauvage » est interprété par quatre acteurs fétiches et amis de Sun Yu.

 

Commençons par les deux rôles secondaires du peintre de réclames publicitaires, Xiao Li, et du vendeur de journaux, Xiao Qiang. Le premier est interprété par Zheng Junli (郑君里), qui était alors acteur sous contrat à la Lianhua avant de passer à la réalisation ; le second est joué par Han Langen (韩兰根), acteur comique au visage très particulier que l’on retrouve dans presque tous les films de Sun Yu. (2)

 

Mais ce sont surtout les deux interprètes principaux qui sont devenus indissociables du film : l’acteur Jin Yan (金焰) et l’actrice Wang Renmei  (王人美). Il avait vingt ans, elle en avait dix-sept et venait d’une troupe de danse. Comme plus tard aussi Li Lili (黎莉莉), elle personnifie ici la pureté, le naturel et la vitalité des jeunes campagnardes : une rose sauvage. Elle a d’ailleurs des poses que l’on a comparées à celles de Silvana Mangano dans « Riz amer ».

 

Tous deux venaient de tourner « Two Stars of the Milky Way » qui les avait déjà consacrés comme une sorte de couple mythique ; après« La Rose sauvage », les deux amoureux à l’écran le devinrent dans la vie, et leur histoire fit le tour de Shanghai. Ils se marièrent le jour du Nouvel An 1934. Mais, alors que la guerre les avait réunis sur l’écran dans « La Rose sauvage », elle les sépara ensuite dans la vie.

 

 

Notes

(1) Sun Yu y fait aussi des innovations techniques, comme la conception d’une grue permettant des mouvements de caméra ascendants et descendants qui accentuent le dynamisme des images.

(2) Parmi les autres rôles secondaires, où l’on retrouve nombre d’acteurs qui forment partie intégrante de l’univers de Sun Yu, citons l’actrice Ye Juanjuan (叶娟娟) qui représente une exception : elle interprète le rôle de la jeune femme moderne et mondaine promise à Jiang Bo, et n’a joué que des rôles secondaires, à part un rôle principal après être passé peu de temps après à la Yihua. Elle disparut ensuite des écrans sans plus laisser de traces, sans que l’on puisse vraiment expliquer pourquoi elle n’a pas connu la célébrité de ses consœurs  Wang Renmei, Li Lili, Chen Yanyan et autres…

 

 

Le film

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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