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« L’arche » : le chef d’œuvre précurseur de Tang Shu Shuen

par Brigitte Duzan, 02 juillet 2012

 

Sorti à Hong Kong en 1969, « L’arche » (《董夫人》) est le premier film de Tang Shu Shuen (唐书璇) (1). C’est un film unique, précurseur de la Nouvelle Vague du cinéma de Hong Kong qui ne s’imposerait que dix ans plus tard.

 

Œuvre étonnante à bien des égards, « L’arche » est l’expression d’une subjectivité féminine complexe et subtile restée longtemps méconnue et

 

L’arche

marginalisée, suscitant autant d’incompréhension que de passions, comme toute œuvre pionnière. 

 

Réalisation 

 

« L’arche » est le reflet des recherches stylistiques de Tang Shu Shuen, traduisant dès ce premier film sa maîtrise de la forme, qui était pour elle le point fondamental.

 

Le passé comme distanciation emblématique du présent

 

Elle a situé son film dans la Chine du sud-ouest, sous la dynastie des Ming, mais il s’agit d’un passé vague, sans datation précise, qui est plus recréation imaginaire que cadre historique. « L’arche » offre une exploration du passé comme figure quasiment abstraite de la tradition chinoise, dénoncée comme mortifère pour la femme.

 

Mère et fille

 

D’ailleurs, le village où se situe l’histoire est réduit à un portique d’entrée et quelques murs dans une forêt de légende, perdue dans la brume. La seule maison qui nous est montrée est celle des trois femmes qui occupent le centre de l’histoire : trois générations, la Dong Furen du titre (disons dame Dong) étant restée avec sa mère et sa fille après la mort de son mari.

 

Veuve exemplaire, elle enseigne le chinois et des bribes de poèmes aux enfants du village, dans une petite école traditionnelle qui fait partie de la maison, et passe le reste de son temps à s’occuper de taches ménagères, tissage, couture, nettoyage, cuisine. C’est une veuve tellement exemplaire qu’un décret impérial lui a octroyé une arche en reconnaissance de sa vertu. Cependant, quand débarque un jour une escouade de soldats appelés pour protéger le village des bandits, et que le chef est logé dans les locaux de la petite école faute de mieux, la paix est rompue.

 

Il se noue une complicité affective entre Dong Furen et lui, complicité qui reste muette car une veuve est intouchable ; muette hormis un poème, et intouchable hormis un bref frôlement de mains, par hasard, le temps d’attraper un grillon…

 

Mais la fille de Dong Furen s’accroche elle aussi à cet homme providentiel qui vient animer un quotidien si morne : elle s’évade avec lui pour des promenades en forêt ou au bord de la rivière. Pour éviter les

 

La fille, Wei Ling

commérages, la mère finit arranger le mariage et les deux jeunes époux repartent ensemble avec l’escouade.

 

Après la mort de la grand-mère, Dong Furen reste seule. Même son fidèle serviteur, désespéré de la voir s’enfoncer dans une telle solitude, finit lui aussi par la quitter. Son arche est en construction, mais sa vie est un désert affectif. On a l’impression d’un mort vivant.

 

Dong Furen restée seule

 

Le film est ainsi construit et narré dans un passé imaginaire qui sert de cadre emblématique à un discours qui dépasse le contingent, avec des personnages traités comme des icônes : mère et fille, et surtout, au centre, cette femme quasiment immatérielle, figée dans un rôle imposé, sans l’ombre d’une émotion apparente, comme un symbole du néant auquel est réduite la femme chinoise depuis l’aube des temps.

 

Beauté formelle et remarquable interprétation

 

« L’arche » est d’abord un film d’une grande beauté formelle. En rupture totale avec les codes et le style du cinéma chinois de l’époque, il repose sur l’art du montage, c’est par le montage qu’est dévoilée une réalité qui est celle imaginée et exprimée par la réalisatrice. Elle a dit lors d’une interview à la sortie du film que l’art devait dépasser le politique et le social pour traiter de ce qui est essentiel dans la condition humaine – et, dans le cas de « L’arche », la condition féminine.

 

Le sujet du film, c’est en fait l’éternel problème du conflit entre devoir et désir, mais porté à un extrême inhumain dans le cas de la femme chinoise qu’elle a choisi de mettre en scène. Et cette mise en scène, soulignée par une musique sur instruments traditionnels souvent réduite symboliquement au pincement de quelques cordes (2),  est dépouillée à l’extrême pour faire de l’image qu’elle donne de Dong Furen une épure intemporelle dont les dernières images glacent le sang.

 

Lisa Lu avec la réalisatrice sur le tournage du film

 

Mais cette épure est incarnée, par une actrice venue spécialement pour le tournage, en 1967 : Lu Yan, ou Lisa Lu (卢燕). Née en 1927 dans ce qui était alors Beiping, elle avait alors quarante ans. Formée à l’opéra de Pékin dans son adolescence, elle avait ensuite émigré aux Etats-Unis mais tourna plusieurs films chinois dans les années 1970, dont « The Empress Dowager » (《倾国倾城》) de Li Hanxiang (李翰祥), en 1975, où elle interpréta l’impératrice Cixi. « L’arche » reste cependant son plus beau rôle, et le plus émouvant (3). Il lui valut le Coq d’or de la meilleure actrice.

 

Mais le film décrocha aussi le Coq d’or de la meilleure photographie, qui est bien plus étonnante encore : elle est signée de l’un des plus grands directeurs de la photo, Subrata Mitra, celui de Satyajit Ray, réalisateur que Tang Shu Shuen vénérait et qui l’a beaucoup inspirée. Mitra était un génie de la photo et un pionnier dans l’utilisation de la lumière, aussi naturelle que possible ; il savait lui donner une aura poétique, et travailler les détails, jusqu’au grain de la peau. Les images de la maison et des visages, dans « L’arche », sont magnifiées par son objectif.

 

Subrata Mitra (avec les lunettes)

sur le tournage de Pather Panchali

 

Réflexion

 

Le film a été tourné en 1966/67, au moment où Hong Kong était agitée par des mouvements sociaux, étudiants et ouvriers, provoqués par la rapide industrialisation du territoire, et des démonstrations anti-impérialistes. Les studios Cathay étaient désertés.

 

Tang Shu Shuen revenait de Californie et ne connaissait personne à Hong Kong. Elle tentait de se reconstruire une identité mise à mal par de nombreux déplacements et de le faire en revenant sur une tradition chinoise qu’elle inventait autant qu’elle la redécouvrait, et dont elle s’attaquait à l’aspect le plus dérangeant pour elle : l’oppression des femmes dans une société dominée par les hommes.

 

En un sens, sa critique sociale rejoignait la critique politique, oppression féminine contre oppression coloniale, hégémonie masculine contre hégémonie britannique. Mais, a-t-elle dit, « la politique ne m’intéresse pas… » C’est justement parce qu’il est au-delà du politique que son discours est aussi universel.

 

« L’arche » fut un échec commercial à Hong Kong, mais a étonné les critiques et spécialistes du cinéma dès sa sortie. Il est l’un des premiers films chinois à avoir été acclamé en Occident, et en particulier en France. Il est toujours aussi fascinant.

 

 

Notes

(1) En pinyin Tang Shuxuan, mais je conserve la graphie généralement utilisée pour son nom.

(2) La musique est de Lu Tsan-yuan

(3) On l’a retrouvée en 2010 dans le rôle central du film « Apart Together » (《团圆》) de Wang Quan’an (王全安), un rôle qui rappelle par bien des aspects celui de « L’arche », ne serait-ce que dans sa retenue et le non-dit affectif.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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