Li
Han-hsiang est un réalisateur légendaire. Arrivé à
Hong Kong en 1949 sans avoir jamais touché une
caméra, il s’y est imposé en quelques années comme
le réalisateur le plus marquant des années 1950,
partant ensuite à Taiwan où il a aussi contribué à
l’essor du cinéma, et revenant à Hong Kong pour
créer encore de nouveaux genres, sans se soucier des
modes : c’est lui qui les créait.
Tellement
prolifique et éclectique qu’on ne peut tout aimer ni
défendre dans son œuvre, si l’on s’attache déjà à ce
que l’on trouve réussi, on a déjà une belle palette
de films qui ont marqué leur époque et restent des
grands classiques, dans les genres les plus divers.
Du Liaoning
à Hong Kong, de la peinture au cinéma
Li Han-hsiang
Li Han-hsiang est
né en 1926 dans le district de Jinxi (锦西县)
de la province de Fengtian (奉天),
aujourd’hui Liaoning.
Du Liaoning à
Beiping
Après l’incident de
Mukden, le 18 septembre 1931, et l’invasion de la
Mandchourie, l’armée japonaise occupe Jinxi en 1932. Les
parents de Li Han-hsiang s’enfuient avec leur fils et ses
sœurs à Pékin, ou plutôt Beiping comme était encore appelée
la capitale.
En 1946, le jeune
Li Han-hsiang entre à l'Institut d’Etat des beaux-arts de
Beiping (国立北平艺术专科学校)
pour étudier la peinture occidentale à l’huile, mais en
faisant aussi du théâtre amateur. C’est une période agitée.
Il s’enrôle dans le mouvement étudiant, et devient le
représentant des étudiants du Dongbei. En 1948, cependant, à
cause de son rôle dans le mouvement, il est exclu de
l’école.
Or, en juillet,
l’Association nationale des dramaturges, basée à Shanghai,
établit une représentation à Beiping. Le dramaturge Ma
Yanxiang (马彦祥)
est missionné par le directeur de l’Institut d’art
dramatique de Shanghai pour recruter de nouveaux élèves dans
la capitale ; Li Han-hsiang est remarqué pour ses talents
d’acteur et recruté ; il part pour Shanghai en septembre. Il
y fait par hasard la connaissance du réalisateur
Shen Fu (沈浮).
Le mois suivant, il
décide d’arrêter ses études pour faire du cinéma. A
l’invitation de Shen Fu, il part à Hong Kong, pour tâter le
terrain, sans trop savoir ce qui l’attend là-bas. Il a 22
ans.
Débutant à Hong
Kong, de studio en studio
En décembre, il
interprète un premier petit rôle dans un film tourné à la
compagnie Dazhonghua (大中华影业公司). Puis,
en 1949, il entre au cours de formation d’acteurs créé par
la compagnie Yung Hwa /Yonghua (永华影业公司)
où il fait la connaissance du réalisateurLi
Pingqian (李萍倩).
Mais
Li
Pingqianquitte la Yonghua pour entrer au
studio de la Grande Muraille (长城公司),
et c’est là qu’il va tourner le grand succès de l’année
1949, « L’enchanteresse d’une génération » (《一代妖姬》),
avec l’actrice Bai
Guang (白光) et l’acteur Yan Jun (严俊).
Li Han-hsiang entre lui aussi au studio et devient son
assistant sur le tournage du film : il est responsable
artistique des décors, dessine les affiches publicitaires,
et joue même un petit rôle.
En 1950, le studio
de la Grande Muraille produit « Flower Street» (《花街》),
réalisé par Yueh Feng (岳枫)
sur un scénario de Tao Qin (陶秦),
avec Yan Jun et l’actrice Zhou
Xuan (周璇).
Li Han-hsiang entre dans l’équipe de doublage des films du
studio et devient assistant de rédaction des dialogues.
Cui Cui, avec Lin Dai,
1953
En janvier 1952, dans un climat
de chasse aux sorcières entraîné par les activités
gauchistes du studio de la Grande Muraille
[2],
Li
Han-hsiang continue un temps à travailler dans le
studio ; il est responsable des décors de « Diao
Chan » (《貂蝉》),
film cantonais réalisé par Zhao Shushen (赵树燊),
et directeur artistique d’un autre film. Mais il
revient à la Yonghua, commebon nombre de cinéastes
et acteurs de la Grande Muraille.
Il est
alors coscénariste et assistant réalisateur de Yan
Jun (严俊)
pour son film « Cui Cui » (《翠翠》),
adapté de la nouvelle de 1934 de Shen Congwen (沈从文)
« La ville frontalière » (《边城》)
[3],
avec Lin Dai (林黛)
dans le rôle féminin principal. A la fin du
tournage, Li Han-hsiang travaille également à la
post-production, en se formant en même temps au
montage. Le film est un grand succès à sa sortie, en
1953, et lance la carrière de Lin Dai.
Premier film et
entrée à la Shaw Brothers
En août 1954, un
incendie ravage les locaux de la Yonghua. En 1955, le studio
est repris par Lu Yuntao/Loke Wan-tho, fils du magnat Loke
Yew dont il a hérité des soixante cinémas, qui distribuaient
les films de la Yonghua. La compagnie est réorganisée,
devient International Films, noyau de ce qui deviendra plus
tard la Motion Picture and General Investment (MP&GI).
Li
Han-hsiang quitte la compagnie en pleine
réorganisation, pour rejoindre un studio créé sur
ces entrefaites par un banquier du Yunnan venu
s’installer à Hong Kong : le studio Yadong (亚东电影公司).
Il engage aussitôt l’actrice
Li Lihua (李丽华),
encore inconnue.
C’est grâce
à ce nouveau studio que Li Han-hsiang réalise son
premier film, sorti en 1956 : « Red Bloom in the
Snow » (《雪里红》),
avec Li Lihua et l’acteur Lo Wei (罗维)
dans les rôles principaux, et six autres
acteurs dont Ge Lan (葛兰),
Wang Yuanlong (王元龙),
l’actrice d’opéra Fen Juhua (粉菊花)…..
Affiche de Red Bloom
in the Snow (1956),
avec Li Lihua et Lo
Wei
Red Bloom in
the Snow, extrait
Le film est
distribué par la compagnie Shaw & Sons, dirigée par Runde
Shaw (邵邨人),
le second des frères Shaw. Impressionné par le film, il
invite Li Han-hsiang à entrer dans la société.
De Hong Kong à
Taiwan
Li Han-hsiang avec Run
Run Shaw
Bientôt
reprise en main par
RunRun Shaw (邵逸夫),
le plus jeune des frères, et transformée en 1957 en
compagnie Shaw Brothers (SB), la compagnie devient
bientôt la première société de production de Hong
Kong. Li Han-hsiang en est une figure de proue. Il y
réalise 23 films, dans des genres très différents
qu’il contribue à rendre populaires, avant de fonder
sa propre société de production, en 1963.
Premières
nouveautés : huangmeidiao et guzhuang pian
En 1956, il
réalise un premier film à ce qui est encore la Shaw
& Sons : « Beyond the Blue Horizon » (《水仙》(ou《海茫茫》)),
avec l’actrice Shi Ying (石英),
les acteurs Zhao Lei (赵雷),
Lo Wei (罗维)
etc… ; tourné dans l’île de
Cheung Chau, une petite île au sud-ouest de Hong
Kong, le film dépeint la vie de pêcheurs.
Après « Un
merveilleux printemps » (《春光无限
Beyond the Blue
Horizon
好》),
en 1957, il enchaîne avec un
film huangmeidiao (黄梅调歌唱片) :
« Diao Chan », ou
En répétition avec Lin
Dai pour Diao Chan (1957)
« Diau Charn » (《貂蝉》).
Huangmeidiao est une forme d’opéra
traditionnel populaire du centre de la Chine dont
les adaptations au cinéma se sont développées dans
les années 1950. Mais ce n’était au départ que des
représentations filmées. Avec « Diao Chan », Li
Han-hsiang en fait un genre musical
cinématographique à part entière. En même temps, ces
films sont chantés en mandarin et participent de
l’essor du cinéma en mandarin à partir de la fin des
années 1950, sous l’égide, justement, de la Shaw
Brothers.
C’est en outre un film
qui suscite une vogue de films historiques « en
costumes » (guzhuang pian 古装片) : l’histoire
est adaptée d’un épisode du grand classique
« L’Histoire des Trois Royaumes » (《三国演义》), de Luo
Guanzhong, qui se passe pendant la période troublée de
la fin de la dynastie des Han
[4].
« Diao
Chan » est interprété par les grands acteurs des
films précédents,
Lin Dai, Zhao Lei, Lo Wei….En outre, Li
Han-hsiang a apporté un soin particulier aux décors
et aux costumes. Outre l’interprétation et la
musique, C’est ce qui rend le film particulièrement
populaire, à côté des productions cantonaises aux
budgets éthiques, et tournées très vite, comme le
« Diao Chan » de 1952, par exemple, sur lequel avait
travaillé Li Han-hsiang.
Diao Chan, 1958
Diao Chan,
la bande annonce
The Kingdom and the
beauty
En avril 1958, le film remporte cinq prix au
festival du cinéma asiatique, aux Philippines. En
même temps, Runde Shaw se retire et cède
officiellement les rênes de la Shaw Brothers à
RunRun Shaw. En février 1959, « Love Letter Murder »
(《杀人的情书》)
est le premier film tourné par Li Han-hsiang dans la
compagnie réorganisée.
Mais, la
même année, il revient très vite vers le
huangmeidiao avec « The
Kingdom and the Beauty»
(《江山美人》),
toujours avec Lin Dai. La beauté en question est une
jeune paysanne qui séduit l’empereur
Chengde, plus intéressé par les femmes que par la
conduite des affaires de l’empire, un jour qu’il est
sorti de son palais déguisé en homme du peuple…
Cette histoire sera reprise avec des variantes dans
divers films ultérieurs. Jeffrey Lau en fera même
une comédie parodique en 2002 : « Chinese Odyssey
2002 » (《天下无双》).
En 1960, Li Han-hsiang signe l’un de ses plus beaux
films, un guzhuangpian adapté d’un Conte du
Liaozhai (《
聊斋志异》),
de Pu Songling (蒲松龄)
:
« The
Enchanting Shadow » (《倩女幽魂》),
C’est aussi l’un de ses films plus subtils, en
osmose parfaite avec le récit de Pu Songling, et
l’un de ses plus beaux portraits féminins. Nie
Xiaoqing est interprétée, face à Li Kun (李昆)
par
Betty Loh Ti (乐蒂)
que le film rend aussitôt immensément populaire, et
qui va rejoindre le groupe d’actrices fétiches de Li
Han-hsiang. Il
a été un formidable directeur d’actrices.
Il poursuit dans le même genre avec un autre superbe
film sorti en 1962, « The
Magnificent Concubine »
ou
« Yang
Kwei Fei » (《杨贵妃》).
Le film est en compétition officielle au festival de
Cannes en 1962 et obtient le Grand prix de la
Commission supérieure technique (meilleure
photographie d’intérieur et couleur). Le prix
souligne bien l’une des grandes
The Enchanting Shadow
The Magnificent
Concubine
qualités du film : si le scénario peut parfois
paraître un peu lourd dans ses aspects
mélodramatiques, le film reste incomparable dans sa
réalisation. Mais il vaut avant tout grâce à
l’interprétation sensible et retenue de
Li Lihua (李丽华).
The Magnificent
Concubine, le film
Love Eterne
L’année suivante,
Li Han-hsiang
revient encore vers le huangmeidiao
pour réaliser ce qui reste son chef-d’œuvre en la
matière :
« The Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》),
avec
Ivy Ling Po (凌波)
dans le rôle de Liang Shanbo et
Betty Loh Ti dans
celui de Zhu Yingtai. Perfectionnant son style, il a
ajouté des mouvements de caméra très mobiles qui
suivent les acteurs dans des décors naturels qui
dépassent les décors traditionnels de théâtre, en
faisant du film une réussite visuelle aussi bien que
musicale
[5].
Cette même année 1963, « Empress Wu Zetian » (《武则天》)
est encore présenté en compétition officielle au festival de
Cannes, sous le titre « La Reine diabolique », avec une
formidable Wu Zetian interprétée par Li Lihua qui reprendra
le rôle à diverses reprises par la suite.
Pourtant le film est loin de faire l’unanimité des
critiques. Celle du journal italien
Il messaggero, par exemple, est très dure : "Les
défauts du film
Empress Wu Tse-tien's sont impardonnables pour
quiconque a quelques notions de cinéma. On ne peut pas
appeler ce travail un film : c’est un simple roman-photo tel
qu’on en trouve dans de nombreux magazines. » D’autres
critiques reprochent au film son manque d’acuité et de
modernité. Avec le recul du temps, il apparaît comme le type
même des productions de studio de l’époque, avec leurs
limitations, effectivement.
Fin d’une époque
C’est pour tenter de s’en libérer que, cette même année
1963, Li Han-hsiang fonde sa propre compagnie, à Hong Kong
d’abord, mais en coopération avec la Cathay (国泰)
de Singapour et la Union Film (联邦公司)
de Taiwan, d’où le nom : compagnie Guolian (国联电影公司),
Guo pour Guotai (Cathay) et Lian pour
Lianbang (Union Film).
Le principal
facteur conduisant à cette création est la rivalité féroce,
depuis les années 1950, entre les deux grands concurrents,
la Motion Picture and General Investment (MP&GI), filiale de
la Cathay à Hong Kong, et la Shaw Brothers. La MP&GI était
devenue leader sur le marché des films en mandarin, en
pointe par rapport au conservatisme de la Shaw & Sons,
jusqu’à ce que la maison mère envoie à Hong Kong le jeune
RunRun Shaw qui se lança dans une compétition
directe avec les films de la Cathay, en recrutant
activement.
En 1963, la Cathay
préparant un nouveau film huangmeidiao,
RunRun Shaw lance un projet identique, confié à
Li Han-hsiang, avec l’aide de
King
Hu, Chu Mu,
Tien Feng et quelques
autres réalisateurs du studio : c’est « The Love Eterne »,
terminé en un temps record, grande réussite, et grand succès
commercial, en particulier à Taiwan.
C’est alors
que la Cathay décide de passer à l’action en
investissant dans des projets de différents
réalisateurs de la Shaw Brothers. Li Han-hsiang est
le premier cinéaste à fonder ainsi sa société.
Fondée à Hong Kong, la Guolian doit cependant très
vite être transférée à Taiwan en raison des litiges
dus à la rupture de contrat de Li Han-hsiang avec la
SB. Grâce au soutien de (Peter) Long Fang, directeur
du Taiwan Film Studio (société de production du
gouvernement taïwanais), Li Han-hsiang transfère sa
société à Taiwan en octobre 1963, emmenant avec lui
un groupe d’acteurs, cinéastes et techniciens.
De Hong Kong à Taiwan
A Taiwan,
la Guolian a joué un rôle très important. Elle a
produit 23 films de genres très différents dans les
huit années entre 1963 et 1970, dont onze réalisés
par Li Han-hsiang lui-même. Il y a dans le lot un
film d’espionnage et un film de
The Seven Fairies, le
film de
Li Han-hsiang avec
Chiang Ching
revenants, mais la
moitié sont des wenyipian mélodramatiques adaptés de
romans.
La vogue du
huangmeidiao à Taiwan
Chiang Ching dans
Trouble in the Wedding Night, 1964
Les deux
films d’opéra huangmeidiao réalisés à Hong
Kong, « The
Kingdom and the Beauty»
et « The Love Eterne » avaient remporté un immense
succès à Taiwan. Le premier film réalisé par Li Han-hsiang avec la Guolian, en 1963, est
donc une luxueuse adaptation d'opéra : « The
Seven Fairies » (《七仙女》),
tourné en seulement vingt jours dans les studios du
Taiwan Film Studio, tandis que la version originale
sortait en décembre à Hong Kong, terminée par
d’autres
[6].
A la sortie du film à Taiwan, le succès lance
l’actrice Chiang Ching (江青)
qui, dans le film de Li Han-hsiang, avait remplacé
au pied levé
Betty Loh Ti dans le rôle principal
[7].
C’est
Chiang Ching qui interprète également le rôle
principal dans le
film huangmeidiao suivant de Li Han-hsiang, « Trouble
on the Wedding Night » (《状元及第》),
le grand succès de l’année 1964 à Taiwan, mais, aussi, à
Hong Kong.
Lourde année 1964
et problèmes financiers
En juin
1964, cependant, le tragique accident d’avion au
centre de Taiwan qui cause la mort à la fois du PDG
de la MP&GI, du président de la Lianbang et du
directeur du Taiwan Film Studio est un coup très dur
pour Li Han-hsiang qui était en train de développer
les activités de la Guolian et de coproduire « Xi
Shi » ou « Beauty of Beauties » (《西施》)
avec le Taiwan Film Studio. Les successeurs à la
MP&GI et la Lianbang sont moins favorables aux
productions de Li Han-hsiang, et cela va affecter
ses futures opérations.
Heureusement, il obtient le soutien de Yang Chiao,
le successeur de Long Fang au Taiwan Film Studio,
pour pouvoir continuer la réalisation de « Xi Shi ».
Il s’agissait en fait d’un film de « politique
nationale », c’est-à-dire entrant dans la politique
taïwanaise en faveur de « films nationaux », faits
pour louer la détermination de ceux qui
n’abandonnent jamais même confrontés aux situations
les plus difficiles, voire à l’échec – allégories de
la situation de Taiwan.
Xi Shi, 1965
En effet, le film est l’histoire du roi de Yue, pendant la
période des Royaumes combattants. Vaincu et fait prisonnier
par son rival le roi de Wu, quand il est libéré, il revient
dans son royaume la rage au cœur, bien décidé à se venger,
et la peaufinant avec une arme subtile : Xi Shi, la plus
belle femme du royaume…
En deux parties, et
en noir et blanc, mais avec des décors somptueux et une
profusion de figurants, le film a l’envergure d’une épopée
hollywoodienne, comme « Les 10 Commandements » de Cecil de
Mille (1956) ou le « Ben-Hur » de William Wyler (1959), avec
un budget qui ne sera atteint à nouveau par une autre
production à Taiwan qu’en 2008.
Sorti en 1965, il
rencontre un immense succès, auprès du publics comme des
critiques, mais les recettes ne parviennent cependant pas à
couvrir les coûts de production, et il entraîne de sérieux
problèmes financiers pour la Guolian. Li Han-hsiang n’a pas
cessé en fait de s’enfoncer dans des dettes à force de
dépasser ses budgets pour faire des films somptueux, et de
ne pas respecter les délais de production.
L’hiver
L’Hiver, 1969
La plus
belle réalisation de Li Han-hsiang à cette époque
est
« The
Winter »
(《冬暖》),
sorti en 1969,
considérée par beaucoup comme son chef-d'œuvre.
Bien qu’il
ait aussi pour modèle les films réalistes de
Shanghai des années 1930-1940, il est à replacer
dans la vogue des films de « réalisme sain » en
vogue à Taiwan. « L’Hiver » est une histoire d’amour
entre une jeune fille d’une petite ville taïwanaise
et un homme plus âgé venu de Chine continentale.
C’est un
wenyipian, adapté d’une nouvelle de Luo Lan (罗兰),
pour lequel Li Han-hsiang a dépensé beaucoup
d’argent afin d’en renforcer le réalisme, en
insistant sur la qualité, et avec une intégrité
artistique qui entraîna à nouveau dépassement
budgétaire et retard dans la production.
En 1970, le
film en quatre parties « Four Moods » (《喜怒哀乐》)
a été conçu pour l’aider à sortir de ses problèmes
financiers.
King Hua
signé le volet « Anger » (“怒”)
qui est un complément de la « trilogie des
auberges ». Mais il était lui-même en litige avec la
Lianbang et il est revenu à Hong Kong en 1971. Quant
à Li Han-hsiang, il a réalisé le volet intitulé
« Happiness » (“乐”) : l’histoire d’un meunier et du fantôme qu’il rencontre alors qu’il
est en train de pêcher…. Le court métrage de
King Hu
est le meilleur des quatre, mais celui de Li
Han-hsiang a de superbes images.
Happiness, 1970
Le film ne sera
cependant d’aucune aide, ayant été lui aussi en dépassement
budgétaire.
Entêtement
irréaliste
Malgré les dettes
accumulées, Li Han-hsiang continue pourtant à vouloir
absolument construire son propre studio. Utilisant ses
droits de distribution comme garantie, il achète un terrain
dans la banlieue de Taipei, ce qui rend furieux la Cathay et
la Lianbang, qui refusent de régler les droits des films de
la Guolian distribués à Taiwan et dans le sud-est asiatique.
Li Lihua dans Storm
over the Yangtse, 1969
La
détérioration de la situation de la compagnie oblige
le gouvernement nationaliste à créer une commission
pour venir en aide au cinéaste ; ils décident
d’inviter des investisseurs étrangers à se porter
garants pour que la compagnie puisse obtenir des
prêts bancaires. Mais, finalement, Li Han-hsiang
perd le contrôle de sa société. Par la suite, il
travaille encore comme réalisateur indépendant,
tournant un étonnant film d’espionnage en 1969, « Tempête
sur le Yangtsé » (《扬子江风云》),
avec
Li Lihua, puis, en 1971,
« L’histoire de Ti
Ying » (《缇萦》),
produit par le China Film Studio, possédé et opéré par
l’armée taïwanaise.
« Tempête sur le
Yangtsé » a été restauré (extrait)
Cependant, accusé
d’espionnage, il ne pouvait pas quitter le territoire. Il ne
put rentrer à Hong Kong qu’à la faveur d’un voyage au Japon
pour terminer la musique de « L’histoire de Ti Ying ».
Il aura apporté une
contribution importante au développement du cinéma taïwanais
pendant les huit ans d’opération de la compagnie Guolian, en
lançant de nombreux genres populaires, y compris les
adaptations de romans de Chiong Yao dont il avait acquis les
droits. Dans les années 1970 ensuite, les films adaptés de
ses histoires romantiques auront un grand succès à Taiwan…
Il a aussi
beaucoup apporté au cinéma de Taiwan grâce aux
talents qu’il y a attirés, mais aussi parce qu’il a
lui-même aidé les jeunes réalisateurs à qui il a
donné des occasions de tourner. Il a en outre ouvert
une classe de formation d’acteurs, et promu le
« star system » en développant la publicité dans les
medias.
Li
Han-hsiang, mais aussi
King Hu, ont
aidé la Lianbang à se construire un studio, et ce
sont les talents formés par eux qui sont devenus les
acteurs et réalisateurs des années 1970 à Taiwan. Si
la Guolian n’a produit qu’une vingtaine de films,
Li Han-hsiang avec
King Hu
ils étaient de
qualité supérieure, et ils ont créé une émulation favorable
aux réalisateurs taiwanais.
Kung Hong, par
exemple, qui a été directeur général de la Guolian de 1963 à
1971, a été un réalisateur très influent dans les années
1960 ; il a été en particulier un grand promoteur du
tournage en extérieur, et d’un style réaliste, tout en
évitant le côté « noir » de la peinture sociale. Ces films
sont d’un réalisme « sain », soulignant l’importance de
l’éthique confucéenne, plutôt que d’exposer et critiquer la
réalité sociale. C’est très différent du réalisme des films
faits à Shanghai dans les années 1930-1940, ou des
mélodrames faits à Hong Kong dans les années 1950-1960. Le
nouveau style fut loué par le public chinois à Taiwan et
dans la diaspora, ce qui contribua à élargir le marché des
films en mandarin faits à Taiwan.
Entre Hong Kong et
la Chine populaire
Revenir à
Hong Kong au début des années 1970 n’était pas
facile, autant pour Li Han-hsiang que pour
King Hu. La mode
était au kung-fu, mais les comédies dominaient le
box-office. Li Han-hsiang va sortir de l’impasse en
innovant.
Nouveaux
genres à Hong Kong
Dès son retour à Hong Kong, il crée un nouveau
genre : les films sur le thème de la « duperie »
(骗术片).
Sa « trilogie de la duperie » (骗术三部曲)
est un grand succès qui lui vaut une invitation à
revenir à la Shaw Brothers.
Il crée alors une série de films érotiques (ou
fengyue
风月),
puis une série de quatre comédies, autour de
« seigneurs de guerre » égrillards et loufoques ; la
première, « The Warlord » (《大军阀》),
en 1972, lance un Michael Hui (许冠文)
encore inconnu qui va devenir le roi de la comédie
The Warlord, 1972
hongkongaise ; le dernier, « Sinful Confessions » (《声色犬马》),
sort en 1974, date à laquelle Michael Hui fonde sa propre
compagnie.
The Empress Dowager,
1975
Le succès de ses films et leur profitabilité valent
à Li Han-hsiang la confiance de
RunRun Shaw
qui lui confie la réalisation de « The Empress
Dowager » (《倾国倾城》)
en 1975 et de « The Last Tempest » (《瀛台泣血》)
en 1976, deux drames historiques sur la cour
impériale Qing dans le style des films réalisés dix
ans auparavant.
Le premier se passe en 1894 : à 60 ans,
l’impératrice Cixi laisse officiellement le trône à
son neveu Guangxu, mais il se rend compte très vite
qu’elle exerce toujours le pouvoir car les ministres
sont à sa solde. En outre, il est malheureux dans
son mariage avec l’impératrice Chin Feng, et se
console dans la compagnie d’une concubine.
Le scénario est ordinaire, mais le film est sauvé
par ses interprètes : Ivy Ling Po dans le rôle de
l’impératrice Chin Feng, Lisa Lu dans le rôle de
Cixi, et Ti Lung dans celui, inhabituel pour lui, de
l’empereur Guangxu.
« The Last Tempest » en est la suite, comme un commentaire
en marge : Guangxu monte sur le trône, mais son autorité est
battue en brèche par celle de l’impératrice douairière.
The Empress Dowager, la
bande annonce
Le Rêve dans le
Pavillon rouge, 1977
L’année suivante, Li Han-hsiang revient vers la
comédie, mais traitée en film historique mâtiné d’un
zeste d’érotisme : « Moods of Love » (《风花雪月》)
se passe sous la dynastie des Song. Mais le grand
film de cette année 1977 est son « Rêve dans le
Pavillon rouge » (《金玉良缘红楼梦》),
avec une musique superbe et une
Brigitte Lin
éblouissante, dans un rôle qui marque un tournant
dans sa carrière, annonçant ses rôles travestis à
venir qui sont le meilleur de sa filmographie.
Le rêve dans le pavillon rouge, 1977,
l'extrait
En 1977 et 1978, ses films reprennent des thèmes
antérieurs, drames historiques et comédies. En perte
de vitesse, la Shaw Brothers n’a pas su s’adapter à
l’époque, de toute façon une nouvelle génération de
cinéaste est en train de se former à la télévision,
la Nouvelle Vague est en route, et le nouveau cinéma
sera cantonais. Li Han-hsiang, lui, est en panne. Sa
réponse à ce nouveau tournant dans sa carrière est
inattendue, mais logique : il reste fermement
attaché aux films en mandarin.
En 1979, il commence à faire des plans pour tourner
des coproductions en Chine continentale… en
continuant à tourner des films historiques où il
arrive quand même à faire preuve d’originalité, en
particulier dans le choix des acteurs, pris à
contre-emploi dans une sorte de clin d’œil aux films
de kungfu, comme Ti Lung dans « The Empress
Dowager ». En 1982, il va même jusqu’au pastiche de
kungfu, avec le même Ti Lung en
Wu Song, 1982
maître d’arts martiaux dans « Tiger Killer », ou Wu Song
(《武松》).
Cette même année, il tourne même un étonnant « Passing
Flickers » (《三十年细说从头》)
qui et une adaptation de « La Nuit américaine » de François
Truffaut. Mais c’est alors que ses plans avec la Chine
finissent par aboutir.
Les coproductions en Chine continentale
L’Incendie du Palais
d’été, 1983
Les films qu’il tourne à Pékin n’ont pourtant rien
de spécialement innovant, ce sont à nouveau des
drames historiques traitant de la Cour impériale à
la fin des Qing, du temps de l’impératrice Cixi : « L’incendie
du Palais d’été » (《火烧圆明园》)
et « La régence derrière le rideau » (《垂帘听政》),
sortis en 1983. La grande différence, c’est que,
cette fois, les films sont tournés sur les lieux
mêmes, par autorisation spéciale, et non en studio à
Hong Kong. On retrouve là le souci du détail vrai
qui a toujours été l’une des grandes qualités de Li
Han-hsiang. Comme les deux films tournés à Hong Kong
sur le même sujet en 1975 et 1976, le second est la
suite du premier.
Le premier commence par des images de synthèse de
l’incendie du Yuanmingyuan, et continue sur
une vision plus traditionnelle de la cour des Qing à
la fin du 19ème siècle, mais
avec la même qualité visuelle propre au réalisateur,
déployant ses foules de figurants, hommes et
chevaux, dans la Cité interdite. Il débute par une
lecture ironique de l’ascendance de Cixi à travers
la représentation du dragon et phénix dans les
sculptures du palais pour tracer le portrait
attachant d’un jeune empereur et souverain faible.
Comme toujours chez Li Han-hsiang, le film est en
outre remarquablement interprété, par des acteurs
nouveaux dans sa filmographie : un tout jeune Tony
Leung Ka-fai et, de Chine continentale,Liu Xiaoqing (刘晓庆).
Liu Xiaoging dans
L’Incendie du Palais d’été, 1983
L’incendie du Palais d’été, la bande annonce
Les films suivants reprennent plus ou moins le même sujet
historique avec des variantes.
Problèmes politiques
Li Han-hsiang, cependant, est entraîné dans l’arène
politique. Il est nommé membre du Comité national de la
Commission politique consultative du peuple chinois. Cette
collaboration avec la Chine continentale provoque la fureur
du gouvernement nationaliste taïwanais qui, au même moment
soutient la production nationale en promulguant une loi
obligeant les cinémas de l’île à réserver au moins quatre
semaines par an aux films nationaux – ce qui va lancer le
mouvement du Nouveau Cinéma… Li Han-hsiang est interdit à
Taiwan.
Retour à Hong Kong
A Hong Kong, il n’est plus en prise sur le cinéma de son
temps. Il tente une ouverture vers le drame contemporain en
1994 avec « Lover’s Lover » (《情人的情人》),
et Tony Leung Ka-fai dans le rôle principal.
Mais il meurt, à Pékin, le 17 décembre
1996, d’une crise cardiaque
lors du tournage d’une série télévisée sur sa thématique
habituelle, « L’incendie
du palais du Premier Empereur ».
C’était un mois
avant le décès de King
Hu. Fin d’une époque.
1969 Storm Over the Yangtse River
《扬子江风云》ou 《一寸山河一寸血》
1970 Four Moods
《喜怒哀乐》
volet
“乐”
(les trois
autres réalisés par
King Hu,
Li Hsing, Pai
Ching-jui)
1971 The Story of Ti Ying 《缇萦》
Hong Kong – 1971-1982
1971 A Tale of
Ghost and Fox 《骗术奇谭》
1972 Cheating in
Panorama
《骗术大观》
1972
The Warlord 《大军阀》
comédie avec
Michael Hui
1972 Legends of
Lust
《风月奇谭》
triptyque d’histoires érotiques
1973 Legends of
Cheating
《骗术奇中奇》
1973 Tales of
Larceny
《牛鬼蛇神》
1973 Facets of
Love
《北地胭脂》
1973
The Happiest Moment
《一乐也》
comédie avec Michael Hui
1974 Golden Lotus
《金瓶双艳》
1974
Chou Wen
《丑闻》
avec Michael Hui et Li Lily
1974
Sinful Confessions
《声色犬马》 dernier film avec
Michael Hui
1975
The Empress Dowager
《倾国倾城》
1976
The Last Tempest 《瀛台泣血》
1976 Love Swindler
《骗财骗色》
1977 Moods of Love
《风花雪月》
1977
Adventures of Emperor Chien Lung 《乾隆下江南》
1977 The Dream of the Red Chamber
《金玉良缘红楼梦》
avec
Brigitte Lin
1977 The Mad
Monk
《佛跳墙》
1978 The Voyage
of Emperor Chien Lung
《乾隆下扬州》 avec Liu Yung
1979 The
Scandalous Warlord 《军阀趣史》
1979 Ghost Story
《鬼叫春》 adapté d’un conte
du Liaozhai
1979
Return of the Dead
《销魂玉》
1980
Emperor Chien Lung and the Beauty 《乾隆皇与三姑娘》
avec Liu Yung
1981
Tiger and the Widow 《徐老虎与白寡妇》
1982 The
Emperor and the Minister 《乾隆皇君臣斗智》
1982 Passing
Flickers
《三十年细说从头》
adaptation de La Nuit américaine de F. Truffaut
1982
Tiger Killer (Wu Song) 《武松》
avec Ti Lung
1983 Take care,
your Majesty 《皇帝保重》
Chine
continentale – 1982-1990
1983 The Burning of
the Imperial Palace
《火烧圆明园》
1983 Reign Behind a
Curtain
《垂帘听政》
1986 The Last
Emperor
《火龙》
1987 Snuff
Bottle
《八旗子弟》
avec Chen Daoming (陈道明)
1989 The
Empress Dowager (Ci Xi’s Epic)《一代妖后》(《西太后》)
(Taiwan)
1991 Dun Huang
Tales of the Night
《敦煌夜谭》
adapté d’un conte du Liaozhai
1991
The Golden Lotus : Love and Desire 《金瓶风月》
Hong Kong
1994
The Amorous Lotus Pan
《少女潘金莲》
1994
Lover’s Lover
《情人的情人》
[1]
Ou Li Hanxiang, mais je garde la transcription
usuelle à Hong Kong.
[2]
Le studio obligeait ses acteurs à
suivre des cours qui étaient en fait des cours de
marxisme-léninisme ; l’actrice Lin Dai, ayant refusé
et voulu rompre son contrat avec le studio, se vit
demander le remboursement des frais liés à son
contrat ; elle avala des somnifères, ce qui causa un
scandale, à la suite duquel le gouvernement de Hong
Kong expulsa des cinéastes gauchistes, en janvier
1952.
[4]
Chanteuse et musicienne, Diao Chan est la fille
adoptive de Wang Yun, ministre de la cour du roi
Xiandi. Voulant éliminer le sinistre premier
ministre Dong Zhuo, il conçoit un stratagème pour
envenimer les relations entre lui et le général Lu
Bu, pour que ce dernier le tue. Il propose Diao Chan
comme concubine aux deux, puis la donne à Dong Zhuo,
en laissant à Diao Chan la charge d’attiser la haine
entre les deux. Lu Bu tue Dong Zhuo en 191, Diaochan
devient sa concubine, mais l’histoire ne s’arrête
pas là.
[5]
Dans une approche réaliste totalement
différente de celle du
film éponyme de Sang Huréalisé dix ans auparavant.
[6]
Li Han-hsiang avait commencé à préparer le film à
Hong Kong, avec
Betty Lo Ti dans le rôle principal ;
il a été terminé par trois réalisateurs de la Shaw
Brothers et le film hong-kongais porte toujours la
mention de Li Han-hsiang, comme scénariste, et il a
un autre titre anglais (« The Maid
from Heaven »)….