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Li Han-hsiang [1] 李翰祥

Présentation

par Brigitte Duzan, 08 décembre 2015

 

Li Han-hsiang est un réalisateur légendaire. Arrivé à Hong Kong en 1949 sans avoir jamais touché une caméra, il s’y est imposé en quelques années comme le réalisateur le plus marquant des années 1950, partant ensuite à Taiwan où il a aussi contribué à l’essor du cinéma, et revenant à Hong Kong pour créer encore de nouveaux genres, sans se soucier des modes : c’est lui qui les créait.

 

Tellement prolifique et éclectique qu’on ne peut tout aimer ni défendre dans son œuvre, si l’on s’attache déjà à ce que l’on trouve réussi, on a déjà une belle palette de films qui ont marqué leur époque et restent des grands classiques, dans les genres les plus divers.

 

Du Liaoning à Hong Kong, de la peinture au cinéma 

 

Li Han-hsiang

 

Li Han-hsiang est né en 1926 dans le district de Jinxi (锦西县) de la province de Fengtian (奉天), aujourd’hui Liaoning.

 

Du Liaoning à Beiping

 

Après l’incident de Mukden, le 18 septembre 1931, et l’invasion de la Mandchourie, l’armée japonaise occupe Jinxi en 1932. Les parents de Li Han-hsiang s’enfuient avec leur fils et ses sœurs à Pékin, ou plutôt Beiping comme était encore appelée la capitale.

 

En 1946, le jeune Li Han-hsiang entre à l'Institut d’Etat des beaux-arts de Beiping (国立北平艺术专科学校) pour étudier la peinture occidentale à l’huile, mais en faisant aussi du théâtre amateur. C’est une période agitée. Il s’enrôle dans le mouvement étudiant, et devient le représentant des étudiants du Dongbei. En 1948, cependant, à cause de son rôle dans le mouvement, il est exclu de l’école.

 

Or, en juillet, l’Association nationale des dramaturges, basée à Shanghai, établit une représentation à Beiping. Le dramaturge Ma Yanxiang (马彦祥) est missionné par le directeur de l’Institut d’art dramatique de Shanghai pour recruter de nouveaux élèves dans la capitale ; Li Han-hsiang est remarqué pour ses talents d’acteur et recruté ; il part pour Shanghai en septembre. Il y fait par hasard la connaissance du réalisateur Shen Fu (沈浮).

 

Le mois suivant, il décide d’arrêter ses études pour faire du cinéma. A l’invitation de Shen Fu, il part à Hong Kong, pour tâter le terrain, sans trop savoir ce qui l’attend là-bas. Il a 22 ans.

 

Débutant à Hong Kong, de studio en studio

 

En décembre, il interprète un premier petit rôle dans un film tourné à la compagnie Dazhonghua (大中华影业公司). Puis, en 1949, il entre au cours de formation d’acteurs créé par la compagnie Yung Hwa /Yonghua (永华影业公司) où il fait la connaissance du réalisateur Li Pingqian (李萍倩).

 

Mais Li Pingqian quitte la Yonghua pour entrer au studio de la Grande Muraille (长城公司), et c’est là qu’il va tourner le grand succès de l’année 1949, « L’enchanteresse d’une génération » (《一代妖姬》), avec l’actrice Bai Guang (白光) et l’acteur Yan Jun (严俊). Li Han-hsiang entre lui aussi au studio et devient son assistant sur le tournage du film : il est responsable artistique des décors, dessine les affiches publicitaires, et joue même un petit rôle.

 

En 1950, le studio de la Grande Muraille produit « Flower Street» (《花街》), réalisé par Yueh Feng (岳枫) sur un scénario de Tao Qin (陶秦), avec Yan Jun et l’actrice Zhou Xuan (周璇). Li Han-hsiang entre dans l’équipe de doublage des films du studio et devient assistant de rédaction des dialogues.

  

Cui Cui, avec Lin Dai, 1953

 

En janvier 1952, dans un climat de chasse aux sorcières entraîné par les activités gauchistes du studio de la Grande Muraille [2], Li Han-hsiang continue un temps à travailler dans le studio ; il est responsable des décors de « Diao Chan » (《貂蝉》), film cantonais réalisé par Zhao Shushen (赵树燊), et directeur artistique d’un autre film. Mais il revient à la Yonghua, commebon nombre de cinéastes et acteurs de la Grande Muraille.

 

Il est alors coscénariste et assistant réalisateur de Yan Jun (严俊) pour son film « Cui Cui » (《翠翠》), adapté de la nouvelle de 1934 de Shen Congwen (沈从文) « La ville frontalière » (《边城》) [3], avec Lin Dai (林黛) dans le rôle féminin principal. A la fin du tournage, Li Han-hsiang travaille également à la post-production, en se formant en même temps au montage. Le film est un grand succès à sa sortie, en 1953, et lance la carrière de Lin Dai.

 

Premier film et entrée à la Shaw Brothers

 

En août 1954, un incendie ravage les locaux de la Yonghua. En 1955, le studio est repris par Lu Yuntao/Loke Wan-tho, fils du magnat Loke Yew dont il a hérité des soixante cinémas, qui distribuaient les films de la Yonghua. La compagnie est réorganisée, devient International Films, noyau de ce qui deviendra plus tard la Motion Picture and General Investment (MP&GI).

 

Li Han-hsiang quitte la compagnie en pleine réorganisation, pour rejoindre un studio créé sur ces entrefaites par un banquier du Yunnan venu s’installer à Hong Kong : le studio Yadong (亚东电影公司). Il engage aussitôt l’actrice Li Lihua (李丽华), encore inconnue.

 

C’est grâce à ce nouveau studio que Li Han-hsiang réalise son premier film, sorti en 1956 : « Red Bloom in the Snow » (《雪里红》), avec Li Lihua et l’acteur Lo Wei (罗维) dans les rôles principaux, et six autres acteurs dont Ge Lan (葛兰), Wang Yuanlong (王元龙), l’actrice d’opéra Fen Juhua (粉菊花)….. 

 

Affiche de Red Bloom in the Snow (1956),

avec Li Lihua et Lo Wei

 

 

Red Bloom in the Snow, extrait

 

Le film est distribué par la compagnie Shaw & Sons, dirigée par Runde Shaw (邵邨人), le second des frères Shaw. Impressionné par le film, il invite Li Han-hsiang à entrer dans la société.

 

De Hong Kong à Taiwan

 

Li Han-hsiang avec Run Run Shaw

 

Bientôt reprise en main par RunRun Shaw (邵逸夫), le plus jeune des frères, et transformée en 1957 en compagnie Shaw Brothers (SB), la compagnie devient bientôt la première société de production de Hong Kong. Li Han-hsiang en est une figure de proue. Il y réalise 23 films, dans des genres très différents qu’il contribue à rendre populaires, avant de fonder sa propre société de production, en 1963.

 

Premières nouveautés : huangmeidiao et guzhuang pian

 

En 1956, il réalise un premier film à ce qui est encore la Shaw & Sons : « Beyond the Blue Horizon » (《水仙》(ou《海茫茫》)), avec l’actrice Shi Ying (石英), les acteurs Zhao Lei (赵雷), Lo Wei (罗维) etc… ; tourné dans l’île de Cheung Chau, une petite île au sud-ouest de Hong Kong, le film dépeint la vie de pêcheurs.

 

Après « Un merveilleux printemps » (《春光无限

 

Beyond the Blue Horizon

好》), en 1957, il enchaîne avec un film huangmeidiao (黄梅调歌唱片) : « Diao Chan », ou

 

En répétition avec Lin Dai pour Diao Chan (1957)

 

« Diau Charn » (《貂蝉》). Huangmeidiao est une forme d’opéra traditionnel populaire du centre de la Chine dont les adaptations au cinéma se sont développées dans les années 1950. Mais ce n’était au départ que des représentations filmées. Avec « Diao Chan », Li Han-hsiang en fait un genre musical cinématographique à part entière. En même temps, ces films sont chantés en mandarin et participent de l’essor du cinéma en mandarin à partir de la fin des années 1950, sous l’égide, justement, de la Shaw Brothers.

 

 

C’est en outre un film qui suscite une vogue de films historiques « en costumes » (guzhuang pian 古装片) : l’histoire est adaptée d’un épisode du grand classique « L’Histoire des Trois Royaumes » (《三国演义》), de Luo Guanzhong, qui se passe pendant la période troublée de la fin de la dynastie des Han [4].

 

« Diao Chan » est interprété par les grands acteurs des films précédents, Lin Dai, Zhao Lei, Lo Wei….En outre, Li Han-hsiang a apporté un soin particulier aux décors et aux costumes. Outre l’interprétation et la musique, C’est ce qui rend le film particulièrement populaire, à côté des productions cantonaises aux budgets éthiques, et tournées très vite, comme le « Diao Chan » de 1952, par exemple, sur lequel avait travaillé Li Han-hsiang.

 

Diao Chan, 1958

 

 

Diao Chan, la bande annonce

 

The Kingdom and the beauty

 

En avril 1958, le film remporte cinq prix au festival du cinéma asiatique, aux Philippines. En même temps, Runde Shaw se retire et cède officiellement les rênes de la Shaw Brothers à RunRun Shaw. En février 1959, « Love Letter Murder » (《杀人的情书》) est le premier film tourné par Li Han-hsiang dans la compagnie réorganisée.

 

Mais, la même année, il revient très vite vers le huangmeidiao avec « The Kingdom and the Beauty» (江山美人), toujours avec Lin Dai. La beauté en question est une jeune paysanne qui séduit l’empereur Chengde, plus intéressé par les femmes que par la conduite des affaires de l’empire, un jour qu’il est sorti de son palais déguisé en homme du peuple… Cette histoire sera reprise avec des variantes dans divers films ultérieurs. Jeffrey Lau en fera même une comédie parodique en 2002 : « Chinese Odyssey 2002 » (天下无双).

 

En 1960, Li Han-hsiang signe l’un de ses plus beaux films, un guzhuangpian adapté d’un Conte du Liaozhai (《 聊斋志异》), de Pu Songling (蒲松龄) : « The Enchanting Shadow » (《倩女幽魂》), C’est aussi l’un de ses films plus subtils, en osmose parfaite avec le récit de Pu Songling, et l’un de ses plus beaux portraits féminins. Nie Xiaoqing est interprétée, face à Li Kun (李昆) par Betty Loh Ti (乐蒂) que le film rend aussitôt immensément populaire, et qui va rejoindre le groupe d’actrices fétiches de Li Han-hsiang. Il a été un formidable directeur d’actrices.

 

Il poursuit dans le même genre avec un autre superbe film sorti en 1962, « The Magnificent Concubine » ou « Yang Kwei Fei » (《杨贵妃》). Le film est en compétition officielle au festival de Cannes en 1962 et obtient le Grand prix de la Commission supérieure technique (meilleure photographie d’intérieur et couleur). Le prix souligne bien l’une des grandes

 

The Enchanting Shadow

 

The Magnificent Concubine

 

qualités du film : si le scénario peut parfois paraître un peu lourd dans ses aspects mélodramatiques, le film reste incomparable dans sa réalisation. Mais il vaut avant tout grâce à l’interprétation sensible et retenue de Li Lihua (李丽华).

 

 

 

The Magnificent Concubine, le film

 

Love Eterne

 

L’année suivante, Li Han-hsiang revient encore vers le huangmeidiao pour réaliser ce qui reste son chef-d’œuvre en la matière : « The Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》), avec Ivy Ling Po (凌波) dans le rôle de Liang Shanbo et Betty Loh Ti dans celui de Zhu Yingtai. Perfectionnant son style, il a ajouté des mouvements de caméra très mobiles qui suivent les acteurs dans des décors naturels qui dépassent les décors traditionnels de théâtre, en faisant du film une réussite visuelle aussi bien que musicale [5].

 

  

Cette même année 1963, « Empress Wu Zetian » (《武则天》) est encore présenté en compétition officielle au festival de Cannes, sous le titre « La Reine diabolique », avec une formidable Wu Zetian interprétée par Li Lihua qui reprendra le rôle à diverses reprises par la suite.

 

Pourtant le film est loin de faire l’unanimité des critiques. Celle du journal italien Il messaggero, par exemple, est très dure : "Les défauts du film Empress Wu Tse-tien's sont impardonnables pour quiconque a quelques notions de cinéma. On ne peut pas appeler ce travail un film : c’est un simple roman-photo tel qu’on en trouve dans de nombreux magazines. » D’autres critiques reprochent au film son manque d’acuité et de modernité. Avec le recul du temps, il apparaît comme le type même des productions de studio de l’époque, avec leurs limitations, effectivement.

 

Fin d’une époque

 

C’est pour tenter de s’en libérer que, cette même année 1963, Li Han-hsiang fonde sa propre compagnie, à Hong Kong d’abord, mais en coopération avec la Cathay (国泰) de Singapour et la Union Film (联邦公司) de Taiwan, d’où le nom : compagnie Guolian (国联电影公司), Guo pour Guotai (Cathay) et Lian pour Lianbang (Union Film).

 

Le principal facteur conduisant à cette création est la rivalité féroce, depuis les années 1950, entre les deux grands concurrents, la Motion Picture and General Investment (MP&GI), filiale de la Cathay à Hong Kong, et la Shaw Brothers. La MP&GI était devenue leader sur le marché des films en mandarin, en pointe par rapport au conservatisme de la Shaw & Sons, jusqu’à ce que la maison mère envoie à Hong Kong le jeune RunRun Shaw qui se lança dans une compétition directe avec les films de la Cathay, en recrutant activement.

 

En 1963, la Cathay préparant un nouveau film huangmeidiao, RunRun Shaw lance un projet identique, confié à Li Han-hsiang, avec l’aide de King Hu, Chu Mu, Tien Feng et quelques autres réalisateurs du studio : c’est « The Love Eterne », terminé en un temps record, grande réussite, et grand succès commercial, en particulier à Taiwan.

 

C’est alors que la Cathay décide de passer à l’action en investissant dans des projets de différents réalisateurs de la Shaw Brothers. Li Han-hsiang est le premier cinéaste à fonder ainsi sa société. Fondée à Hong Kong, la Guolian doit cependant très vite être transférée à Taiwan en raison des litiges dus à la rupture de contrat de Li Han-hsiang avec la SB. Grâce au soutien de (Peter) Long Fang, directeur du Taiwan Film Studio (société de production du gouvernement taïwanais), Li Han-hsiang transfère sa société à Taiwan en octobre 1963, emmenant avec lui un groupe d’acteurs, cinéastes et techniciens.

 

De Hong Kong à Taiwan

 

A Taiwan, la Guolian a joué un rôle très important. Elle a produit 23 films de genres très différents dans les huit années entre 1963 et 1970, dont onze réalisés par Li Han-hsiang lui-même. Il y a dans le lot un film d’espionnage et un film de

 

The Seven Fairies, le film de

Li Han-hsiang avec Chiang Ching

revenants, mais la moitié sont des wenyipian mélodramatiques adaptés de romans.

 

La vogue du huangmeidiao à Taiwan

 

Chiang Ching dans Trouble in the Wedding Night, 1964

 

Les deux films d’opéra huangmeidiao réalisés à Hong Kong, « The Kingdom and the Beauty» et « The Love Eterne » avaient remporté un immense succès à Taiwan. Le premier film réalisé par Li Han-hsiang avec la Guolian, en 1963, est donc une luxueuse adaptation d'opéra : « The Seven Fairies » (《七仙女》), tourné en seulement vingt jours dans les studios du Taiwan Film Studio, tandis que la version originale sortait en décembre à Hong Kong, terminée par d’autres [6]. A la sortie du film à Taiwan, le succès lance l’actrice Chiang Ching (江青) qui, dans le film de Li Han-hsiang, avait remplacé au pied levé Betty Loh Ti dans le rôle principal [7].

 

C’est Chiang Ching qui interprète également le rôle

principal dans le film huangmeidiao suivant de Li Han-hsiang, « Trouble on the Wedding Night » (《状元及第》), le grand succès de l’année 1964 à Taiwan, mais, aussi, à Hong Kong.

 

Lourde année 1964 et problèmes financiers

 

En juin 1964, cependant, le tragique accident d’avion au centre de Taiwan qui cause la mort à la fois du PDG de la MP&GI, du président de la Lianbang et du directeur du Taiwan Film Studio est un coup très dur pour Li Han-hsiang qui était en train de développer les activités de la Guolian et de coproduire « Xi Shi » ou « Beauty of Beauties » (《西施》) avec le Taiwan Film Studio. Les successeurs à la MP&GI et la Lianbang sont moins favorables aux productions de Li Han-hsiang, et cela va affecter ses futures opérations.

 

Heureusement, il obtient le soutien de Yang Chiao, le successeur de Long Fang au Taiwan Film Studio, pour pouvoir continuer la réalisation de « Xi Shi ». Il s’agissait en fait d’un film de « politique nationale », c’est-à-dire entrant dans la politique taïwanaise en faveur de « films nationaux », faits pour louer la détermination de ceux qui n’abandonnent jamais même confrontés aux situations les plus difficiles, voire à l’échec – allégories de la situation de Taiwan.

 

Xi Shi, 1965

 

En effet, le film est l’histoire du roi de Yue, pendant la période des Royaumes combattants. Vaincu et fait prisonnier par son rival le roi de Wu, quand il est libéré, il revient dans son royaume la rage au cœur, bien décidé à se venger, et la peaufinant avec une arme subtile : Xi Shi, la plus belle femme du royaume…

 

En deux parties, et en noir et blanc, mais avec des décors somptueux et une profusion de figurants, le film a l’envergure d’une épopée hollywoodienne, comme « Les 10 Commandements » de Cecil de Mille (1956) ou le « Ben-Hur » de William Wyler (1959), avec un budget qui ne sera atteint à nouveau par une autre production à Taiwan qu’en 2008.

 

Sorti en 1965, il rencontre un immense succès, auprès du publics comme des critiques, mais les recettes ne parviennent cependant pas à couvrir les coûts de production, et il entraîne de sérieux problèmes financiers pour la Guolian. Li Han-hsiang n’a pas cessé en fait de s’enfoncer dans des dettes à force de dépasser ses budgets pour faire des films somptueux, et de ne pas respecter les délais de production.

 

L’hiver

 

L’Hiver, 1969

 

La plus belle réalisation de Li Han-hsiang à cette époque est « The Winter » (《冬暖》), sorti en 1969, considérée par beaucoup comme son chef-d'œuvre.

 

Bien qu’il ait aussi pour modèle les films réalistes de Shanghai des années 1930-1940, il est à replacer dans la vogue des films de « réalisme sain » en vogue à Taiwan. « L’Hiver » est une histoire d’amour entre une jeune fille d’une petite ville taïwanaise et un homme plus âgé venu de Chine continentale.

 

C’est un wenyipian, adapté d’une nouvelle de Luo Lan (罗兰), pour lequel Li Han-hsiang a dépensé beaucoup d’argent afin d’en renforcer le réalisme, en insistant sur la qualité, et avec une intégrité artistique qui entraîna à nouveau dépassement budgétaire et retard dans la production.

 

En 1970, le film en quatre parties « Four Moods » (《喜怒哀乐》) a été conçu pour l’aider à sortir de ses problèmes financiers. King Hu a signé le volet « Anger » () qui est un complément de la « trilogie des auberges ». Mais il était lui-même en litige avec la Lianbang et il est revenu à Hong Kong en 1971. Quant à Li Han-hsiang, il a réalisé le volet intitulé « Happiness » (“乐”) : l’histoire d’un meunier et du fantôme qu’il rencontre alors qu’il est en train de pêcher…. Le court métrage de King Hu est le meilleur des quatre, mais celui de Li Han-hsiang a de superbes images.

 

Happiness, 1970

 

Le film ne sera cependant d’aucune aide, ayant été lui aussi en dépassement budgétaire.

 

Entêtement irréaliste

 

Malgré les dettes accumulées, Li Han-hsiang continue pourtant à vouloir absolument construire son propre studio. Utilisant ses droits de distribution comme garantie, il achète un terrain dans la banlieue de Taipei, ce qui rend furieux la Cathay et la Lianbang, qui refusent de régler les droits des films de la Guolian distribués à Taiwan et dans le sud-est asiatique.

 

Li Lihua dans Storm over the Yangtse, 1969

 

La détérioration de la situation de la compagnie oblige le gouvernement nationaliste à créer une commission pour venir en aide au cinéaste ; ils décident d’inviter des investisseurs étrangers à se porter garants pour que la compagnie puisse obtenir des prêts bancaires. Mais, finalement, Li Han-hsiang perd le contrôle de sa société. Par la suite, il travaille encore comme réalisateur indépendant, tournant un étonnant film d’espionnage en 1969, « Tempête sur le Yangtsé » (《扬子江风云》), avec Li Lihua, puis, en 1971,

« L’histoire de Ti Ying » (《缇萦》), produit par le China Film Studio, possédé et opéré par l’armée taïwanaise.

 

« Tempête sur le Yangtsé »  a été restauré (extrait) 

 

Cependant, accusé d’espionnage, il ne pouvait pas quitter le territoire. Il ne put rentrer à Hong Kong qu’à la faveur d’un voyage au Japon pour terminer la musique de « L’histoire de Ti Ying ».

 

Il aura apporté une contribution importante au développement du cinéma taïwanais pendant les huit ans d’opération de la compagnie Guolian, en lançant de nombreux genres populaires, y compris les adaptations de romans de Chiong Yao dont il avait acquis les droits. Dans les années 1970 ensuite, les films adaptés de ses histoires romantiques auront un grand succès à Taiwan…

 

Il a aussi beaucoup apporté au cinéma de Taiwan grâce aux talents qu’il y a attirés, mais aussi parce qu’il a lui-même aidé les jeunes réalisateurs à qui il a donné des occasions de tourner. Il a en outre ouvert une classe de formation d’acteurs, et promu le « star system » en développant la publicité dans les medias.

 

Li Han-hsiang, mais aussi King Hu, ont aidé la Lianbang à se construire un studio, et ce sont les talents formés par eux qui sont devenus les acteurs et réalisateurs des années 1970 à Taiwan. Si la Guolian n’a produit qu’une vingtaine de films,

 

Li Han-hsiang avec King Hu

ils étaient de qualité supérieure, et ils ont créé une émulation favorable aux réalisateurs taiwanais.

 

Kung Hong, par exemple, qui a été directeur général de la Guolian de 1963 à 1971, a été un réalisateur très influent dans les années 1960 ; il a été en particulier un grand promoteur du tournage en extérieur, et d’un style réaliste, tout en évitant le côté « noir » de la peinture sociale. Ces films sont d’un réalisme « sain », soulignant l’importance de l’éthique confucéenne, plutôt que d’exposer et critiquer la réalité sociale. C’est très différent du réalisme des films faits à Shanghai dans les années 1930-1940, ou des mélodrames faits à Hong Kong dans les années 1950-1960. Le nouveau style fut loué par le public chinois à Taiwan et dans la diaspora, ce qui contribua à élargir le marché des films en mandarin faits à Taiwan.

 

Entre Hong Kong et la Chine populaire

 

Revenir à Hong Kong au début des années 1970 n’était pas facile, autant pour Li Han-hsiang que pour King Hu. La mode était au kung-fu, mais les comédies dominaient le box-office. Li Han-hsiang va sortir de l’impasse en innovant.

 

Nouveaux genres à Hong Kong

 

Dès son retour à Hong Kong, il crée un nouveau genre : les films sur le thème de la « duperie » (骗术片). Sa « trilogie de la duperie » (骗术三部曲) est un grand succès qui lui vaut une invitation à revenir à la Shaw Brothers.

 

Il crée alors une série de films érotiques (ou fengyue 风月), puis une série de quatre comédies, autour de « seigneurs de guerre » égrillards et loufoques ; la première, « The Warlord » (《大军阀》), en 1972, lance un Michael Hui (许冠文) encore inconnu qui va devenir le roi de la comédie

 

The Warlord, 1972

hongkongaise ; le dernier, « Sinful Confessions » (《声色犬马》), sort en 1974, date à laquelle Michael Hui fonde sa propre compagnie. 

 

The Empress Dowager, 1975

 

Le succès de ses films et leur profitabilité valent à Li Han-hsiang la confiance de RunRun Shaw qui lui confie la réalisation de « The Empress Dowager » (《倾国倾城》) en 1975 et de « The Last Tempest » (《瀛台泣血》) en 1976, deux drames historiques sur la cour impériale Qing dans le style des films réalisés dix ans auparavant.

 

Le premier se passe en 1894 : à 60 ans, l’impératrice Cixi laisse officiellement le trône à son neveu Guangxu, mais il se rend compte très vite qu’elle exerce toujours le pouvoir car les ministres sont à sa solde. En outre, il est malheureux dans son mariage avec l’impératrice Chin Feng, et se console dans la compagnie d’une concubine.

 

Le scénario est ordinaire, mais le film est sauvé par ses interprètes : Ivy Ling Po dans le rôle de l’impératrice Chin Feng, Lisa Lu dans le rôle de Cixi, et Ti Lung dans celui, inhabituel pour lui, de l’empereur Guangxu.

 

« The Last Tempest » en est la suite, comme un commentaire en marge : Guangxu monte sur le trône, mais son autorité est battue en brèche par celle de l’impératrice douairière.

 

 

The Empress Dowager, la bande annonce

 

Le Rêve dans le Pavillon rouge, 1977

 

L’année suivante, Li Han-hsiang revient vers la comédie, mais traitée en film historique mâtiné d’un zeste d’érotisme : « Moods of Love » (《风花雪月》) se passe sous la dynastie des Song. Mais le grand film de cette année 1977 est son « Rêve dans le Pavillon rouge » (《金玉良缘红楼梦》), avec une musique superbe et une Brigitte Lin éblouissante, dans un rôle qui marque un tournant dans sa carrière, annonçant ses rôles travestis à venir qui sont le meilleur de sa filmographie.

 

 

Le rêve dans le pavillon rouge, 1977, l'extrait

  

En 1977 et 1978, ses films reprennent des thèmes antérieurs, drames historiques et comédies. En perte de vitesse, la Shaw Brothers n’a pas su s’adapter à l’époque, de toute façon une nouvelle génération de cinéaste est en train de se former à la télévision, la Nouvelle Vague est en route, et le nouveau cinéma sera cantonais. Li Han-hsiang, lui, est en panne. Sa réponse à ce nouveau tournant dans sa carrière est inattendue, mais logique : il reste fermement attaché aux films en mandarin.

 

En 1979, il commence à faire des plans pour tourner des coproductions en Chine continentale… en continuant à tourner des films historiques où il arrive quand même à faire preuve d’originalité, en particulier dans le choix des acteurs, pris à contre-emploi dans une sorte de clin d’œil aux films de kungfu, comme Ti Lung dans « The Empress Dowager ». En 1982, il va même jusqu’au pastiche de kungfu, avec le même Ti Lung en

 

Wu Song, 1982

maître d’arts martiaux dans « Tiger Killer », ou Wu Song (《武松》).

 

Cette même année, il tourne même un étonnant « Passing Flickers » (《三十年细说从头》) qui et une adaptation de « La Nuit américaine » de François Truffaut. Mais c’est alors que ses plans avec la Chine finissent par aboutir.

 

Les coproductions en Chine continentale

 

L’Incendie du Palais d’été, 1983

 

Les films qu’il tourne à Pékin n’ont pourtant rien de spécialement innovant, ce sont à nouveau des drames historiques traitant de la Cour impériale à la fin des Qing, du temps de l’impératrice Cixi : « L’incendie du Palais d’été » (《火烧圆明园》) et « La régence derrière le rideau » (《垂帘听政》), sortis en 1983. La grande différence, c’est que, cette fois, les films sont tournés sur les lieux mêmes, par autorisation spéciale, et non en studio à Hong Kong. On retrouve là le souci du détail vrai qui a toujours été l’une des grandes qualités de Li Han-hsiang. Comme les deux films tournés à Hong Kong sur le même sujet en 1975 et 1976, le second est la suite du premier.

 

Le premier commence par des images de synthèse de l’incendie du Yuanmingyuan, et continue sur une vision plus traditionnelle de la cour des Qing à la fin du 19ème siècle, mais

avec la même qualité visuelle propre au réalisateur, déployant ses foules de figurants, hommes et

chevaux, dans la Cité interdite. Il débute par une lecture ironique de l’ascendance de Cixi à travers la représentation du dragon et phénix dans les sculptures du palais pour tracer le portrait attachant d’un jeune empereur et souverain faible.

 

Comme toujours chez Li Han-hsiang, le film est en outre remarquablement interprété, par des acteurs nouveaux dans sa filmographie : un tout jeune Tony Leung Ka-fai et, de Chine continentale, Liu Xiaoqing (刘晓庆).

 

 

Liu Xiaoging dans L’Incendie du Palais d’été, 1983

 

 

L’incendie du Palais d’été, la bande annonce

 

 

Les films suivants reprennent plus ou moins le même sujet historique avec des variantes.

 

Problèmes politiques

 

Li Han-hsiang, cependant, est entraîné dans l’arène politique. Il est nommé membre du Comité national de la Commission politique consultative du peuple chinois. Cette collaboration avec la Chine continentale provoque la fureur du gouvernement nationaliste taïwanais qui, au même moment soutient la production nationale en promulguant une loi obligeant les cinémas de l’île à réserver au moins quatre semaines par an aux films nationaux – ce qui va lancer le mouvement du Nouveau Cinéma… Li Han-hsiang est interdit à Taiwan.

 

Retour à Hong Kong

 

A Hong Kong, il n’est plus en prise sur le cinéma de son temps. Il tente une ouverture vers le drame contemporain en 1994 avec « Lover’s Lover » (《情人的情人》), et Tony Leung Ka-fai dans le rôle principal.

 

Mais il meurt, à Pékin, le 17 décembre 1996, d’une crise cardiaque lors du tournage d’une série télévisée sur sa thématique habituelle, « L’incendie du palais du Premier Empereur ».

 

C’était un mois avant le décès de King Hu. Fin d’une époque.

 


 

Principale filmographie

 

Hong Kong - 1956-1963

1956 Red Bloom in the Snow 《雪里红》

1956 Beyond the Blue Horizon 《水仙》

1958 Diao Chan 《貂蝉》

1959 Love Letter Murder杀人的情书》 ou 《卡尔登情杀案》

1959 The Kingdom and the Beauty 江山美人

1960 Rear Entrance 《后门》 avec Hu Die (胡蝶)

1960 Enchanting Shadow 《倩女幽魂》

1962 The Magnificent Concubine /Yang Kwei Fei 《杨贵妃》

1963 The Love Eterne 《梁山伯与祝英台》

1963 Empress Wu Zetian 《武则天》

1963 4 drames historiques en coréalisation, dont :

The Adulteress 《杨乃武与小白菜》 coréalisé avec Ho Meng-hua (何梦华)

Return of the Phoenix 《凤还巢》 drame musical coréalisé avec Kao Li (高立)

 

Taiwan – 1963-1970

1963 Seven Fairies 《七仙女》

1964 Trouble on the Wedding Night 《状元及第》

1965 Xi Shi : Beauty of Beauties 《西施》

1968 At Dawn 《破晓时分》 coréalisé avec Sung Tsun-shou

1969 The Winter 《冬暖》

1969 Storm Over the Yangtse River 《扬子江风云》 ou 《一寸山河一寸血

1970 Four Moods 《喜怒哀乐》 volet

        (les trois autres réalisés par King Hu, Li Hsing, Pai Ching-jui)

1971 The Story of Ti Ying 《缇萦》

 

Hong Kong – 1971-1982

1971 A Tale of Ghost and Fox 《骗术奇谭》

1972 Cheating in Panorama 《骗术大观》

1972 The Warlord 《大军阀》 comédie avec Michael Hui

1972 Legends of Lust 《风月奇谭》 triptyque d’histoires érotiques

1973 Legends of Cheating 《骗术奇中奇》

1973 Tales of Larceny 《牛鬼蛇神》

1973 Facets of Love 《北地胭脂》

1973 The Happiest Moment 《一乐也》 comédie avec Michael Hui                 

1974 Golden Lotus 《金瓶双艳》

1974 Chou Wen 《丑闻》 avec Michael Hui et Li Lily  

1974 Sinful Confessions 《声色犬马》 dernier film avec Michael Hui

1975 The Empress Dowager 《倾国倾城》

1976 The Last Tempest 《瀛台泣血》

1976 Love Swindler 《骗财骗色》

1977 Moods of Love 《风花雪月》

1977 Adventures of Emperor Chien Lung 《乾隆下江南》

1977 The Dream of the Red Chamber 《金玉良缘红楼梦》 avec Brigitte Lin

1977 The Mad Monk 《佛跳墙》

1978 The Voyage of Emperor Chien Lung 《乾隆下扬州》 avec Liu Yung

1979 The Scandalous Warlord 《军阀趣史》

1979 Ghost Story 《鬼叫春》 adapté d’un conte du Liaozhai

1979 Return of the Dead 《销魂玉》

1980 Emperor Chien Lung and the Beauty 《乾隆皇与三姑娘》 avec Liu Yung

1981 Tiger and the Widow 《徐老虎与白寡妇》

1982 The Emperor and the Minister 《乾隆皇君臣斗智》

1982 Passing Flickers 《三十年细说从头》 adaptation de La Nuit américaine de F. Truffaut

1982 Tiger Killer (Wu Song) 《武松》 avec Ti Lung

1983 Take care, your Majesty 《皇帝保重》

 

Chine continentale – 1982-1990

1983 The Burning of the Imperial Palace 《火烧圆明园》

1983 Reign Behind a Curtain 《垂帘听政》

1986 The Last Emperor 《火龙》

1987 Snuff Bottle 《八旗子弟》 avec Chen Daoming (陈道明)

1989 The Empress Dowager (Ci Xi’s Epic)《一代妖后》(《西太后》)

 

(Taiwan)

1991 Dun Huang Tales of the Night 《敦煌夜谭》 adapté d’un conte du Liaozhai

1991 The Golden Lotus : Love and Desire 《金瓶风月》

 

Hong Kong

1994 The Amorous Lotus Pan 《少女潘金莲》

1994 Lover’s Lover 《情人的情人》

 


 


[1] Ou Li Hanxiang, mais je garde la transcription usuelle à Hong Kong.

[2] Le studio obligeait ses acteurs à suivre des cours qui étaient en fait des cours de marxisme-léninisme ; l’actrice Lin Dai, ayant refusé et voulu rompre son contrat avec le studio, se vit demander le remboursement des frais liés à son contrat ; elle avala des somnifères, ce qui causa un scandale, à la suite duquel le gouvernement de Hong Kong expulsa des cinéastes gauchistes, en janvier 1952.

[4] Chanteuse et musicienne, Diao Chan est la fille adoptive de Wang Yun, ministre de la cour du roi Xiandi. Voulant éliminer le sinistre premier ministre Dong Zhuo, il conçoit un stratagème pour envenimer les relations entre lui et le général Lu Bu, pour que ce dernier le tue. Il propose Diao Chan comme concubine aux deux, puis la donne à Dong Zhuo, en laissant à Diao Chan la charge d’attiser la haine entre les deux. Lu Bu tue Dong Zhuo en 191, Diaochan devient sa concubine, mais l’histoire ne s’arrête pas là.

[5] Dans une approche réaliste totalement différente de celle du film éponyme de Sang Hu réalisé dix ans auparavant.

[6] Li Han-hsiang avait commencé à préparer le film à Hong Kong, avec Betty Lo Ti dans le rôle principal ; il a été terminé par trois réalisateurs de la Shaw Brothers et le film hong-kongais porte toujours la mention de Li Han-hsiang, comme scénariste, et il a un autre titre anglais (« The Maid from Heaven »)….

[7] Sur l’histoire de cette double production et le rôle de Chiang Ching, voir le témoignage de l’actrice elle-même : www.evanschan.com/Datong/download/HK_Film_Archive_newsletter54.pdf

 

     

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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