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« Black Snow » : analyse comparée du roman de Liu Heng et du film de Xie Fei

par Brigitte Duzan, 01 mars 2013

 

« Black Snow » (《黑的雪》) est un roman de Liu Heng (刘恒) publié en 1988, caractéristique du mouvement néo-réaliste qui s’est développé à la fin des années 1980 et dont Liu Heng est l’un des écrivains les plus représentatifs (1). Ce roman représente une nouvelle thématique dans son œuvre : le sujet est toujours un problème de survie, mais, contrairement aux romans et nouvelles précédents, dans la jungle urbaine d’une Chine en pleine mutation, économique et sociale.

 

Xie Fei (谢飞) en a tourné une adaptation très peu de temps après la publication du roman, sur un scénario adapté par Liu Heng lui-même. Intitulé « Black Snow » (《本命年》), il représente un sujet aussi nouveau dans la cinématographie du réalisateur que le sujet du roman est novateur dans l’œuvre de l’écrivain. Il reprend la ligne narrative du roman, mais dans une optique légèrement différente, la

 

Black Snow, le film

différence étant symboliquement annoncée dès le titre.

 

I. Le roman

 

Dans « Black Snow », Liu Heng raconte l’histoire d’un jeune garçon nommé Li Huiquan qui vient de sortir de prison après y avoir passé trois ans pour avoir été complice malgré lui d’un règlement de compte se terminant mal : un ami lui avait demandé de l’accompagner se venger d’un malotru qui sortait avec sa petite amie.

 

Deux terribles chapitres introductifs

 

Black Snow, le roman

 

Le roman commence par la description du douloureux retour de Li Huiquan dans son ancienne maison, dans une vieille cour d’un hutong pékinois ; l’accent est mis sur le regret, mais aussi une sorte de fatalisme :

 

院子里蹲着一个白白胖胖的家伙。 李慧泉剛踏進院門就看見了那副冷冰冰的微笑。李慧泉刚踏进院门就看见了那副冷冰冰的微笑。 他背著行李走過去,把那片微笑摘了下來。他背着行李走过去,把那片微笑摘了下来。 煤球眼睛,辣椒鼻子,紙簍高帽,跟他小時候用的原料幾乎一模一樣。煤球眼睛,辣椒鼻子,纸篓高帽,跟他小时候​​用的原料几乎一模一样。如今的孩子沒有多大長進。如今的孩子没有多大长进。他把削成月牙兒的蘿蔔片倒著貼回原處,冷冰冰的微笑立即化作冷冰冰的悲哀。他把削成月牙儿的萝卜片倒着贴回原处,冷冰冰的微笑立即化作冷冰冰的悲哀。 他小時候用的是父親舊皮鞋上的鐵掌兒,他堆的雪人一律小嘴,像是羞答答的,像是害怕見人。他小时候用的是父亲旧皮鞋上的铁掌儿,他堆的雪人 一律小嘴,像是羞答答的,像是害怕见人。

Dans la cour était assis sur ses talons un type blanc ventripotent. Li Huiquan aperçut son sourire glacial dès qu’il franchit le seuil et, son sac sur le dos, s’approcha pour le corriger. Des morceaux de charbon pour les yeux, un bout de piment pour le nez, une corbeille à papier pour le chapeau,  c’était exactement la même chose que ce qu’il avait

utilisé quand il était enfant. Les enfants n’avaient pas fait beaucoup de progrès. Il prit le morceau de navet coupé en forme de croissant de lune et le retourna, transformant le sourire glacial en une expression de désolation glaciale. Enfant, il utilisait les fers des vieilles chaussures de cuir de son père pour donner à ses bonshommes de neige une petite bouche qui leur donnait une expression de timidité mêlée de frayeur.

西屋門縫裡探出一顧女人腦袋,頭髮燙得哈叭狗似的。西屋门缝里探出一顾女人脑袋,头发烫得哈叭狗似的。  他剛想打招呼,狗頭髮「嗖」一下縮了回去。他刚想打招呼,狗头发嗖一下缩了回去。 女人面生,可能是新搬來的住戶。女人面生,可能是新搬来的住户。 北屋掛著窗簾沒人。北屋挂着窗帘没人。南屋也上了鎖,他十幾年前就認識羅大媽家這把又大又笨的黑鎖了。南屋也上了锁,他十几年前 就认识罗大妈家这把又大又笨的黑锁了。老太太說不定還在街道上跑,計劃生育,撒耗子藥,活的死的一通亂管。老太太说不定还在街道上跑,计划生育,撒耗子药,活的死的一通乱管。
「你找誰?」 「你找谁?」
Par l’entrebâillement de la porte de l’aile ouest, il vit apparaître la tête d’une femme aux cheveux permanentés qui lui donnaient un air de carlin.  Il allait l’apostropher quand la tête disparut sans un bruit, comme elle était apparue. Il ne connaissait pas cette femme, elle avait dû emménager là depuis peu. Aux fenêtres de l’aile nord, les rideaux étaient fermés, il n’y avait personne, et au sud, la porte était fermée par le même gros cadenas noir que la mère Luo utilisait déjà dix ans auparavant. Savoir où elle était, maintenant, sans doute quelque part dans la rue, à contrôler les naissances ou distribuer de la mort-aux-rats, elle s’occupait de tout, la vieille Luo, les vivants comme les morts.

- Qui cherches-tu ?

西屋的女人不知什麼時候鑽了出來,紅色羽絨背心像一團火。西屋的女人不知什么时候钻了出来,红色羽绒背心像一团火。 是個三十多歲的胖娘們兒,確實沒見過。是个三十多岁的胖​​娘们儿,确实没见过。 她傲慢警覺的表情讓李慧泉感到很不舒服。她傲慢警觉的表情让李慧泉感到很不舒服。
「我找人。」 「我找人。」
「姓什麼?」 「姓什么?」
「……姓李!」 「……姓李!」
「是後院姓李的嗎?」 「是后院姓李的吗?」

La femme de l’aile ouest surgit derrière lui sans qu’il l’ait vue venir, avec sa doudoune rouge comme une boule de feu. Il était sûr de ne jamais avoir vu cette petite femme boulotte d’une trentaine d’années dont le regard inquisiteur le rendait mal à l’aise.

- Je cherche quelqu’un.

-Il s’appelle comment ?

- Li

- Les Li de la cour de derrière ?

李慧泉懒得说话,把雪人的辣椒鼻子揪下来,恶毒地插在它脑门儿上。他繞過旁邊的自來水管子,往北屋東側的夾道裡走。他绕过旁边的自来水管子,往北屋东侧的夹道里走。靠牆的公用小廁所敞著門,糞坑像個火山口,四周鼓著富士山似的黃冰。靠墙的公用小厕所敞着门,粪坑像个火山口,四周鼓着富士山似的黄冰。 夾道裡的雪很乾淨,連個腳印都沒有。夹道里的雪很干净,连个脚印都没有。 他看見了自己蓋的那間小廚房,窗戶上蒙的塑料布已經碎了,髒布條似地掛在窗框上。他看见了自己盖的那间小厨房,窗户上蒙的塑料布已经碎了,脏布条似地挂在窗框上。 他停下來,想吸煙。他停下来,想吸烟。 平時做夢都想到這個小後院,真的回來了卻難受得要命,腿都軟了。平时做梦都想到这个小后院,真的回来了却难受得要命,腿都软了。

Li Huiquan n’était pas d’humeur à parler ; il arracha le bout de piment qui formait le nez du bonhomme de neige et l’enfonça brutalement dans la tête. Contournant la conduite d’eau qui était sur le côté, il prit l’allée est pour gagner l’aile nord. La porte des petites latrines publiques adossées au mur était ouverte, révélant au-dessus de la fosse un trou béant comme l’orifice d’un volcan, bordé de neige jaunie comme le mont Fuji. Dans l’allée, au contraire, la neige était encore vierge, sans aucune trace de pas.

Quand il vit la petite cuisine dont il avait lui-même fabriqué l’auvent, le plastique des fenêtres tout déchiré pendant des bords comme un tissu sale, il s’arrêta, pris de l’envie soudaine de fumer une cigarettes. Il s’était souvent vu, dans ses rêves, revenir dans cette petite cour ; mais, maintenant qu’il y était, il se sentait très mal, ses jambes se dérobaient sous lui.
「他們家沒人。」 「他们家没人。」
警惕的女人跟了過來。警惕的女人跟了过来。
「我知道。」 「我知道。」
「姓李的給強勞了。」 「姓李的给强劳了。」
「我知道。」 「我知道。」

「你是他亲戚吧,他们家老太太叫儿子给气死了,我也是听人说的,我们去年才搬来。罗主任呆会儿回来,有什么事你打听她准行,她们是老邻居……」
- Il n’y a plus personne chez eux, dit l’inquisitrice qui l’avait suivi.

- Je sais.

- Le fils a été envoyé en camp de travail.

- Je sais.「你是他親戚吧,他們家老太太叫兒子給氣死了,我也是聽人說的,我們去年才搬來。羅主任呆會兒回來,有什麼事你打聽她准行,她們是老鄰居……」

- Vous êtes de la famille ? On dit que le fils était un voyou et que la mère en est morte. Nous, nous venons juste d’emménager ici l’an dernier, mais la présidente Luo va être de retour sous peu, elle vous dira tout ce que vous voulez savoir, elle a été longtemps leur voisine…

 

[il imagine ensuite les réactions des voisins à son retour, certains allant jusqu’à espérer sans doute qu’il ait été fusillé]

 

Tout est donc dit entre les lignes, le passé est ensuite évoqué peu à peu, par bribes. On apprend ainsi que Li Huaiquan était un garçon prône à se battre, et réputé pour ses rixes, mais qui n’aurait jamais sorti un couteau pour tuer quelqu’un. Surtout, un soir, alors qu’il cherche un dictionnaire pour écrire une lettre, Liu Heng nous le montre retrouvant d’abord les vieux livres jaunis de son père, un petit comptable mort d’un cancer en 1965, puis ses anciens cahiers d’écolier et ses carnets de notes ; il se rappelle alors soudain qu’il avait été un bon élève, alors qu’il est devenu quasiment illettré :

 

李慧泉把书填进了木箱子,无意中发现了自己小时候的作业簿。母親用針線把它們裝訂成幾大冊,包了牛皮紙的封皮,書似的,數不清的五分,他做過一陣子好學生,他忘了,母親沒忘,母親指望他永遠是個好學生。母亲用针线把它们装订成几大册,包了牛皮纸的封皮,书似的,…他做过一阵子好学生,他忘了,母亲没忘,母亲指望他永远是个好学生。 他讀了一篇作文,許多字不認識。他读了一篇作文,许多字不认识。他不相信這文章竟是他寫的。他不相信这文章竟是他写的。文章敘述了他加入紅小兵的喜悅和他的理想。文章叙述了 他加入红小兵的喜悦和他的理想。「把无产阶级专政下的继续革命进行到底」,这流畅到底」,这流畅而宏大的誓言让他对自己的童年肃然起敬。  「把無產階級專政下的繼續革命進行到底」,這流暢到底」,這流暢而宏大的誓言讓他對自己的童年肅然起敬。

En remettant les livres dans le coffre, Li Huiquan remarqua soudain ses propres devoirs d’écolier, que sa mère avait reliés, avec du fil et une aiguille, en quelques petits fascicules à la couverture de papier velin, comme des livres… Il avait oublié qu’il avait été un aussi bon élève, sa mère, elle, n’avait pas oublié ; elle avait espéré qu’il resterait éternellement un bon élève. Il lut un de ses devoirs, mais il y avait beaucoup de caractères qu’il ne connaissait pas. Il n’arrivait pas à croire que c’était lui qui avait écrit cela. Le texte décrivait sa joie d’être devenu petit Garde rouge, ainsi que son ambition de « poursuivre jusqu’au  bout la Révolution sous la dictature du prolétariat » ; la solennité et la grâce de cet engagement suscitaient en lui un profond respect pour l’enfant qu’il était.

他蹲在木箱子散發的潮味兒裡欣賞自己的作文,直至天黑。他蹲在木箱子散发的潮味儿里欣赏自己的作文,直至天黑。陌生的歲月今人神往,但是即便人能夠重新活一回,他也沒有折向那個年代的足夠的勇氣。陌生的岁月今人神往,但是即便人能够重新活一回,他也没有折向那个年代的足够的勇气。再走一遍,他也還是現在這個樣子。再走一遍,他也还是现在这个样子。許多同學出息了,一個個人模狗樣的,但是他沒有別的路可以選擇。许多同学出息了,一个个人模狗样的,但是他没有别的路可以选择。他命裡注定在二十五歲的時候哀歎往昔擔憂未來,為找不到工作和自己的種種不幸而發愁。他命里注定在二十五岁的时候哀叹往昔担忧未来,为找不到工作和自己的种种不幸而发愁。 他根本就沒必要離開電纜溝;他應該撇開人世的煩惱永遠地睡在那兒。他根本就没必要离开电缆沟;他应该撇开人世的烦恼永远地睡在那儿。

Accroupi dans l’odeur d’humidité qu’exhalait le coffre, il resta plongé dans la lecture de ses devoirs, captivé par ces années oubliées, jusqu’à la tombée de la nuit. Pourtant, si on lui avait donné la possibilité de les revivre, il n’en aurait certainement pas eu le courage. Il s’en tirerait sans doute d’ailleurs exactement de la même manière. Beaucoup de ses camarades avaient eu leurs chances, chacun s’en était sorti, mais lui n’avait pas eu le choix. A 25 ans, maintenant, il ne pouvait que regretter le passé et s’inquiéter pour l’avenir, devant les difficultés à trouver du travail et autres malheurs.

En fait, il aurait mieux fait de rester dans la tranchée du câble électrique [où on l’avait trouvé] ; cela lui aurait évité tous les ennuis de ce monde, si l’on l’avait laissé dormir là pour l’éternité.

 

A ses yeux, tout son malheur vient de ses origines : il a été abandonné bébé dans une tranchée d’un chantier près de la gare où un ami de celui qui devint son père adoptif l’a trouvé, un jour pluvieux d’automne 1959. Puis, quand son père est mort, d’un cancer, en 1965, il s’est retrouvé seul avec sa mère.

 

Constat amer de la faillite d’une génération

 

Il ne s’agit pourtant pas simplement d’un sort malheureux. Tout le destin de Li Huiquan est en fait déterminé par l’histoire.

 

Les dates précisées par Liu Heng sont importantes pour bien comprendre l’évolution du personnage, de petit garçon studieux à délinquant juvénile. 1959 est la période du Grand Bond en avant, et 1965 la veille de la Révolution culturelle. Pendant la Révolution culturelle, les écoles sont fermées, beaucoup d’enfants, laissés à eux-mêmes, se retrouvent dans la rue ; le drame de Li Huiquan est d’abord d’avoir été privé d’éducation. A la fin de la Révolution culturelle, ce n’est plus qu’un adolescent bagarreur qui n’a aucune qualification.

 

Dans la Chine du boom économique, ensuite, les usines obsolètes où il aurait pu trouver des petits boulots, comme ses parents, ferment les unes après les autres, il se retrouve sans emploi.   

 

On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a quelque chose d’autobiographique dans cette partie de l’histoire : Liu Heng, lui aussi, a vu ses études écourtées par la Révolution culturelle ; en 1976, il a dû aller travailler à la chaîne dans une usine d’automobiles… La chaleur et la force de son récit vient sans doute de là.

 

Chronique d’une mort annoncée

 

Li Huiquan, en outre, est un pur : il a conservé un certain idéalisme, il y a quelque chose de candide, voire d’angélique en lui. C’est ce qui va finir de l’entraîner à sa perte.

 

Il a la ferme volonté de retrouver une place dans la société en gagnant honnêtement sa vie – en vendant des vêtements, c’est la seule possibilité qui lui reste, comme tant d’autres – même l’usine où travaillait sa mère a fait faillite. Mais il n’a ni famille ni amis véritables sur lesquels compter, et un avenir réduit à une peau de chagrin. Il se rend compte chaque jour un peu plus que, dans la nouvelle société qui se construit autour de lui, il faut savoir répondre vite aux occasions qui se présentent, quelles qu’elles soient. Li Huiqian a peu de chances de réussir dans ce contexte.

 

Ce qui achève de le mener à sa perte est son amour désespéré pour une chanteuse de cabaret pour laquelle il fait un temps office de garde du corps quand elle rentre chez elle la nuit, après les spectacles. Dans une dernière tentative pour la conquérir, il dépense la totalité de ses économies, 14 000 yuans, une somme considérable à l’époque, pour lui acheter un collier en or qu’il va lui offrir le soir du Nouvel An.

 

Il est repoussé sans ménagement, le collier finit dans le caniveau, écrasé par une voiture, et Li Huiqian sous les coups d’une bande de malfrats qui l’attaquent au coin de la rue. La Chine est devenue dangereuse, et sans espoir pour les faibles et les rêveurs.

 


 

II. Le film

 

Le film de Xie Fei (谢飞), « Black Snow » (《本命年》), est sorti en avril 1990. C’est l’un des premiers films chinois achevés après les événements de Tian’anmen, l’un de la petite demi-douzaine de films qui sortent pendant l’année 1990. Il a été produit par l’Institut du cinéma de Pékin.

 

 

Affiche avec les trois principaux personnages

 

 

Il dégage une atmosphère de désespoir amer qui n’est pas sans rapport avec la période. Si l’histoire de Li Huiquan est reprise dans ses grandes lignes dans le scénario de Li Heng, l’approche choisie pour le film est légèrement différente de celle du roman. Le choix du titre chinois, qui n’a rien à voir avec celui du roman, est symptomatique à cet égard.

 

De la symbolique de la neige à celle du destin

 

Symbolique de la neige dans le roman

 

Liu Heng a choisi son titre (la neige noire) pour signifier la déchéance d’un individu dans un univers noir où l’idéalisme et la pureté n’ont plus droit de cité. Il l’a lui-même expliqué ainsi :

 

人就像飘落的雪花一样,原本都是纯洁的,但落到不同的地面上,落在何处却不能自由选择。有的能保持原来的纯净,有的则被人践踏,变得污秽不堪。

les hommes sont comme des flocons de neige qui tombent en

 

Xie Fei et Jiang Wen sur le tournage de Black Snow

voltigeant ; ils sont purs à l’origine, mais atterrissent dans des endroits différents, sans pouvoir choisir leur point de chute. Certains peuvent ainsi préserver leur pureté originelle ; d’autres, en revanche, sont aussitôt piétinés, et irrémédiablement salis.

 

Li Huiquan raccompagnant la chanteuse dans la nuit

 

Il y a donc, dans l’idée initiale du romancier, un sentiment de fatalité. Mais cette fatalité est relativisée par l’histoire ; il n’y a pas tellement fatalité absolue, mais plutôt fatalité découlant d’une responsabilité historique. C’est l’histoire qui a entraîné la déchéance du jeune Li Huiquan, et c’est elle aussi qui va déterminer sa mort, en conditionnant un contexte socio-économique où il n’a pas sa place. Il est l’un de ces flocons de neige souillés, mais souillés à cause d’une politique aberrante qui a condamné toute une génération.

 

Li Huiquan est le petit frère des hooligans de Wang Shuo (王朔) (2), ses contemporains, plus que des adolescents déprimés de Jia Zhangke qui sont, eux, les victimes d’une autre époque.

 

Symbolique du destin dans le film

 

Le film a gommé tout cet aspect du roman, et d’abord pour des raisons contingentes : il n’a pas neigé à Pékin cette hiver-là. Il a donc fallu reconfigurer tout le début du roman pour tourner le film. Le scénario a finalement été bâti autour d’un autre symbole, plus étroitement lié à l’idée d’un destin inéluctable, exprimé dans le titre chinois : běnmìngnián (《本命年》).

 

Il s’agit d’un terme difficilement traduisible, ce qui explique que l’on ait conservé en anglais la traduction du titre du roman. Il se réfère aux

 

Le hutong au printemps, et non dans la neige

douze rameaux terrestres (地支) qui sont, dans la tradition chinoise, associés aux dix troncs célestes (天干) pour former le système cyclique de datation et la base de représentation du temps. Or, chaque

 

Avec Luo Dama (symphonie de bleus)

 

nouveau cycle de rameaux terrestres correspond pour tout individu à une année fatidique, l’année où le destin peut basculer.

 

C’est le cas pour Li Huiquan. Il est bien précisé dès le début du film qu’il a 24 ans, alors que, dans le roman, il en a 25. Son destin est donc inéluctable, déterminé par un sinistre faisceau de coordonnées cosmiques auquel il est soumis de par la nature des choses. Qu’il soit naturellement bon et idéaliste ne fait qu’aggraver sa fragilité face à la noirceur du monde ambiant.

 

Le film est profondément pessimiste, dans son refus de rédemption. Il est rare de voir un film chinois se terminer sur une telle note désespérée.  

 

Un film d’une grande beauté plastique

 

Il manque au film la profondeur des descriptions du roman. Liu Heng lui-même a dit sa déception, en général, face à la rigidité de l’image cinématographique qui fige la pensée, comparée à l’évocation subtile que permet la littérature, en laissant libre cours à l’imagination de chacun.

 

Il n’en reste pas moins que « Black Snow » est une réussite visuelle, aussi bien qu’une superbe mise en scène, grâce en particulier à l’interprétation toute en finesse de

 

Le tour de chant de Zhao Yaqiu

Jiang Wen (姜文) dans le rôle principal, entouré d’acteurs moins connus mais très justes dans leur jeu.

 

Jiang Wen 姜文         Li Huiquan 李慧泉 

Cheng Lin 程琳         Zhao Yaqiu 赵雅秋, la chanteuse

Cai Hongxiang蔡鸿翔  Cui Yongli 崔永利, trafiquant de marchandises en tout genre

Meng Jin 孟瑾           Luo Dama 罗大妈, la vieille voisine 

Yue Hong 岳红         Luo Dafen 罗小芬, la fille de la voisine  

Liang Tian 梁天        Shizi刷子 (Lion), l’un des amis de Li Huiquan  

Liu Xiaoning 刘小宁    Chazi 叉子, le meurtrier, autre ami de Li Huiquan

 

Jiang Wen en Li Huiquan

 

La réussite visuelle, quant à elle, est due à la photographie du chef opérateur Xiao Feng (萧风).  C’est l’un de ceux sortis en 1982 de l’Institut du cinéma de Pékin, la promotion de Zhang Yimou et Hou Yong, dont il partage la formation initiale de peintre et dessinateur. D’ailleurs, lui-même a dit qu’il avait mis beaucoup de temps à se faire à la photographie.

 

C’est lui qui a signé en 1983, avec Zhang Yimou, la photographie de « One and Eight » (《一个和八个》) de

Zhang Junzhao (张军钊),  l’un des films fondateurs de la cinquième génération, mais aussi celle du premier film de la trilogie de Pékin de Ning Ying (宁瀛), sorti en 1992 : « Jouer pour le Plaisir » (找乐). On retrouve dans ce film les mêmes bleutés caractéristiques, et une innovation identique dans l’utilisation de la caméra portée, avant l’avènement du numérique.

 

Le film frappe dans l’ensemble par sa facture étonnamment moderne. Plus que comme un précurseur de la sixième génération, cependant, « Black Snow » serait plutôt à considérer comme un de ces films inclassables qui participent de l’air du temps et du génie de leur auteur, et contribuent en fait à brouiller les nomenclatures.

 

Quant à benmingnian, cette année fatidique, on peut se demander si elle ne désigne pas finalement aussi … 1989.

 

Note

(1) Sur Liu Heng, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_LiuHeng.htm

(2) Sur Wang Shuo, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Wang_Shuo.htm

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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