« Hong Mudan » ou « Pivoine rouge » : souvenir nostalgique
d’un vieux mélo
par Brigitte
Duzan, 6 février 2021
Sorti en
France le 6 janvier 1982 sous le titre « Pivoine
rouge », « Hong Mudan » (《红牡丹》)
est un film délicieusement désuet, et qui l’était
déjà quand il a été tourné, au studio de Changchun,
en 1980
[1].
Un mélo
Il débute
par une scène hivernale : une femme est assise dans
la neige, au pied d’un arbre, en tenant une petite
fille dans ses bras. Passe un mendiant qui s’apitoie
sur son sort ; la femme pleure abondamment, et, à
bout de force, demande à l’homme d’emmener l’enfant
avec lui ; sur quoi elle rend le dernier soupir
après avoir donné à la petite fille le dernier objet
de quelque valeur qui lui reste : une épingle à
cheveux en argent. La scène est jouée dans le style
des films chinois néo-réalistes de la fin des années
1930, mais de manière un peu raide, un peu
artificielle.
Hong Mudan
On retrouve ensuite
le vieux Zhao (赵大爷)
et la petite fille traversant une ville. Un homme
s’intéressé à l’enfant ; après l’avoir tâtée et observée
sous toutes les coutures, il se déclare prêt à l’acheter, ce
à quoi le vieil homme se refuse avec indignation. Mais
l’enfant voit les avantages d’un gîte et d’un couvert
assurés, et pleure à chaudes larmes jusqu’à finit par le
persuader ; le vieux Zhao, cependant, ne consent à l’affaire
qu’à condition d’être embauché lui aussi. Ils se retrouvent
ainsi au service de cet homme, Huang Fuyi (皇甫义),
qui est en train de monter un spectacle de foire avec des
enfants qu’il forme à la dure. Hong Mudan – le nouveau nom
de la petite fille – devient ainsi une écuyère d’élite, tout
autant qu’une ravissante jeune fille. Avec ses camarades,
elle connaît un grand succès partout où elle passe, et
contribue à enrichir Huang Fuyi.
Le vieux Zhao et la
petite Mudan
Celui-ci
décide alors d’aller mettre sa fortune à l’abri à
Hong Kong. Hong Mudan y est remarquée par un odieux
potentat local, Zhang Deren (张德仁),
qui n’a plus alors qu’une idée en tête : en faire sa
maîtresse. Et comme la jeune fille refuse avec
dégoût ses avances, la situation se dégrade peu à
peu jusqu’à causer la mort accidentelle de sa
meilleure amie, obligée pour le bon plaisir de Zhang
Deren de faire trois fois un numéro d’équitation
très dangereux. Furieuse, Mudan décide de se venger
et, au cours d’un gala donné par le
riche magnat,
lance son cheval au galop contre l’estrade d’où il regarde
le spectacle, renversant sa table et le blessant légèrement.
Se précipitant sur son cheval pour la protéger son ami
d’enfance est mortellement blessé par l’un des gardes du
corps de Zhang Deren.
Hong Mudan a ainsi
perdu les deux amis avec lesquelles elle avait partagé les
joies et les peines de son enfance et de son adolescence. Ce
qui reste de la troupe est alors obligé de fuir
précipitamment et de revenir en Chine. Le scénario se
termine sur un retournement de situation dramatique que l’on
se gardera bien de dévoiler afin de laisser le suspense
intact pour ceux qui voudraient découvrir le film.
Le film
Malgré tout, le
film laisse de bons souvenirs.
Souvenir de la
chanson
Il a le
charme un peu désuet des vieux albums photo aux
feuilles jaunies. Et quand, aux trois-quarts du
film, arrive la séquence de la fameuse « chanson de
Mudan », on se souvient du succès qu’a eu la chanson
dans les années 1980. Composée par Tang He et Lu
Yuan (唐诃/吕远)
sur des paroles de Qiao Yu (乔羽),
elle est interprétée dans le film par le chanteur
Jiang Dawei (蒋大为)
qui devint aussitôt célèbre.
Hong Mudan à cheval
La chanson de
Mudan
啊牡丹 Ah Mudan,
百花丛中最鲜艳
d’une brassée de cent fleurs tu es la plus vive,
啊牡丹
Ah Mudan,
众香国里最壮观
des mille senteurs du pays tu es la plus capiteuse
有人说你娇媚
Il est des gens pour dire que tu joues de tes charmes,
娇媚的生命哪有这样丰满 mais est-il une
coquette qui ait une vie si bien remplie ?
有人说你富贵
Il est des gens pour dire que tu as honneurs et richesse,
哪知道你曾历尽贫寒 mais bien peu
savent le dénuement extrême qui fut le tien jadis.
啊牡丹啊牡丹 Ah Mudan, Ah Mudan ..
哪知道你曾历尽贫寒 ……
La chanson de
Mudan
Un rôle pour Jiang
Lili
On reste
bien sûr étonné par l’aspect mélodramatique des
situations, un jeu d’acteurs très appuyé, et des
images assez statiques qui ont tendance à favoriser
les gros plans sur les visages, et en particulier
les regards. On est encore dans la lignée des films
dénonçant les abus dont étaient victimes les femmes
dans l’ancienne société, et en particulier dans les
troupes de théâtre, et louant l’esprit de résistance
de Hong Mudan, en en faisant une révolutionnaire.
L’actrice Jiang Lili
Le
film a été coréalisé, sur un scénario de Yan Fengle (阎丰乐),
par Xue
Yandong (薛彦东)
et Zhang Yuan (张圆),
mais c’est l’actrice Jiang Lili (姜黎黎)
qui lui a valu son succès.
Le vieux Zhao et Mudan
à la fin du film
Zhang Yuan
avait été lui-même une star du cinéma dans les
années 1960. Alors que les deux réalisateurs
cherchaient sans succès l’actrice idoine pour
interpréter le rôle de Hong Mudan, Zhang Yuan a
rencontré Jiang Lili qu’il avait connue auparavant –
originaire de Shenyang, elle avait été recrutée en
1975 par le studio de Changchun. Elle correspondait
parfaitement au rôle, mais elle n’avait aucune
expertise ni en arts martiaux ni en équitation. Elle
a dû aller de se former dans une ferme militaire
dans la région de Changchun
ainsi que dans une
troupe d’acrobates. Il fallait en particulier qu’elle soit
parfaitement capable de sauter sur le dos d’un cheval et de
partir au galop sans selle. Bien sûr, le tournage ne fut pas
sans incidents, mais le rôle l’a rendue célèbre. En 1985,
elle a pu réaliser son rêve : entrer à l’Institut du cinéma
de Pékin.
Signalons aussi,
dans le rôle du vieux Zhao, l’acteur Gao Baocheng (高保成)
qui, né en 1926, avait commencé à jouer dans les années
1950, puis était entré au studio du 1er août en
1961 où il avait joué dans une série de films, dont « Sparkling
Red Star » (《闪闪的红星》)
en 1974. On le retrouvera en 1994 dans le film de
Jiang Wen (姜文)
« In
the Heat of the Sun » (《阳光灿烂的日子》).
« Hong Mudan »
reste cependant une curiosité : il permet de mesurer la
distance entre les films traditionnels encore réalisés dans
les studios comme celui de Changchun au début des années
1980, et les films de la Cinquième Génération qui vont
bientôt sortir et sidérer tout le monde.
[1]À ne pas
confondre avec le classique de
Zhang Shichuan (张石川)
produit par la Mingxing en 1931 : « Red Peony, the
Singsong Girl » ou « La chanteuse du pavillon
rouge » (Genü Hong Mudan
《歌女红牡丹》),
premier film chinois parlant, avec la célèbre Hu Die
(胡蝶).
C’est
aussi le titre d’une nouvelle de Lin Yutang, mais
qui n’a rien à voir avec le film.