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Cen Fan
岑范
1926-2008
Présentation
par Brigitte Duzan,
22 mai 2020
Un peu
oublié aujourd’hui, Cen Fan a pourtant tourné des
films remarquables, dont le plus célèbre est sans
doute
« La
véritable histoire d’AQ »
(《阿Q正传》), adapté de la nouvelle éponyme de Lu Xun (鲁迅).
Première
formation : acteur de théâtre amateur
Cen Fan (岑范)
est né en 1926 à Shanghai, dans une famille
originaire du Guangdong. Il avait des ancêtres
illustres : un grand-oncle général et gouverneur des
provinces du Guangdong et du Guangxi à la fin de la
dynastie des Qing (两广总督),
et un oncle qui fut l’un des fondateurs, en 1912, de
la branche du Guomingdang au Guangdong. Inutile de
dire qu’il ne s’est jamais glorifié de ces
antécédents.
De toute
façon, quand il est né, la famille n’avait plus rien
de |
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Cen Fan |
glorieux. Son père
était un petit employé aux émoluments tellement modestes que
l’enfant dut se contenter de l’enseignement maternel pour
apprendre à lire et écrire. En 1939, le père est licencié,
et la famille déménage à Nankin. A treize ans, Cen Fan entre
au collège.
Un jour, alors que
l’école prépare une pièce de théâtre, il est choisi pour
interpréter un rôle féminin. Il est tellement parfait dans
son rôle, que, étant allé aux toilettes, il fait fuir les
garçons épouvantés qui pensent qu’une fille s’est introduite
par erreur chez eux, avant que l’histoire se termine dans
l’hilarité générale. Mais Cen Fan est lancé : il continue à
jouer dans des groupes de théâtre amateur et développe ainsi
une connaissance approfondie du répertoire du théâtre parlé
(huaju
话剧)
en plein essor à l’époque.
Poulain de Zhu
Shilin
A seize ans, il
écrit un premier scénario de cinéma, intitulé « Profonde
affection fraternelle » (《手足情深》),
qu’il a
l’audace d’envoyer à l’une de ses idoles, le grand réalisateur
Zhu
Shilin (朱石麟),
en lui demandant
juste un
autographe. Zhu Shilin lui renvoie l’autographe demandé,
mais en y ajoutant un petit mot d’encouragement
:
“你诚挚的态度和顽皮的笔调使我对你发生了兴趣。”
J’ai
été très intéressé par ta sincérité et le ton enjoué de ton
récit.

Cen Fan jeune acteur |
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Ce
n’étaient pas des paroles en l’air : il invita
ensuite Cen Fan sur le plateau lors de ses tournages
et l’initia peu à peu au cinéma… jusqu’à ce que, en
1946, il soit invité à Hong Kong par la compagnie
Nanyang (南洋公司)
pour tourner
« Two Persons in Trouble »
(《同病不相怜》)
:
il emmena Cen Fan avec lui comme assistant et le fit
jouer dans le film.
Cen Fan
avait vingt ans. Il resta six ans à Hong Kong et
participa au tournage d’une dizaine de films, comme
assistant réalisateur, de Zhu Shilin et d’autres,
mais aussi comme scénariste et acteur, acquérant
ainsi une triple expérience, et une formation très
complète. Il fut entre autres l’assistant de Zhu
Shilin en 1946 pour « Rêve de printemps » (《春之梦》)
et en 1948 pour
« L’Histoire
secrète de la cour des Qing » (《清宫秘史》) ; il est aussi |
l’auteur du scénario de son film de 1949 « La vie et la
mort » (《生与死》)
où il
interprète également un rôle.
En tant
qu’acteur, Cen Fan joua avec les grands réalisateurs
du moment, partageant la vedette avec les stars
féminines comme Xia Meng (夏梦),
Bai Yang (白杨)
ou Hu Die
(胡蝶),
dans
quelques-uns des meilleurs films de la fin des
années 40 et du début des années 50 à Hong Kong :
« Une Tragédie paysanne » (《山河泪》)
de
Wu Zuguang (吴祖光),
« Rêve de papillon » (《蝴蝶梦》)
de Shu Shi (舒适)
ou encore trois comédies de
Li Pingqian (李萍倩),
dont « Le mariage, non ! »
(《禁婚记》), dans lequel il joue pour la dernière fois aux côtés de
Xia Meng.
Retour en
Chine continentale |
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Cen Fan et Xia Meng
dans la comédie
de Li Pingian, « Le
mariage, non ! » |
En 1951, il est
appelé à Pékin pour devenir réalisateur au studio du Premier
Août (八一电影制片厂). Il part en septembre et
ce départ l’éloigne de Xia Meng avec laquelle il avait noué
une relation profonde et féconde qui allait au-delà de
l’affectif : ils partageaient la même passion pour le cinéma
et travaillaient ensemble en échangeant leurs idées. Elle
voulut le suivre mais ne réussit pas à obtenir son visa : la
compagnie de la Grande Muraille (Changcheng
长城公司)
pour laquelle ils travaillaient tous les deux refusa de la
laisser partir, craignant de ne pas survivre à une telle
hémorragie de talent. Elle se maria trois ans plus tard. Cen
Fan dira que c’était aussi bien ainsi, car elle aurait
beaucoup souffert pendant la Révolution culturelle…

Avec Mei Lanfang sur
le tournage
de « L’art de Mei
Lanfang » |
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Il ne resta pas longtemps au studio
du Premier
Août. Il fut presque aussitôt transféré au studio de
Pékin, puis, en 1957, au studio de Shanghai.
Commença alors une période de réalisation
prolifique : plus de quarante films, plus de
nombreux scénarios et
des films
télévisés.
Parmi ses
films les plus célèbres figurent nombre de films
d’opéra. Il a commencé par en réaliser deux en
collaboration avec
Wu Zuguang :
en 1955-1956, un documentaire en deux parties sur
« L’art de Mei Lanfang » (《梅兰芳舞台艺术》)
et, en 1956, |
« La Déesse de la
rivière Luo » (《洛神》),
opéra de Pékin interprété par Mei Lanfang lui-même.
Puis, à
partir de 1957, il réalise « La Réunion des héros »
(《群英会》),
opéra de Pékin,
« Le Rêve dans le pavillon rouge » (Hongloumeng《红楼梦》),
opéra yue, grand succès de 1962, avec la
grande actrice Cao Yindi (曹银娣)
dans le rôle de Jia Baoyu (贾宝玉) ;
« Le
Bouvier et la tisserande »
(《牛郎织女》),
opéra huangmei sorti en 1963
,
ou encore « La Belle-sœur Xianglin » (《祥林嫂》),
autre opéra yue , réalisé aux lendemains de
la Révolution culturelle, en 1978, sur un livret
adapté de la nouvelle de Lu Xun « Le Sacrifice du
Nouvel An » (《祝福》). |
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Le Hongloumeng
de Cen Fan (1962) |

Lin Zexu 1959 |
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Mais il a
tourné autant de films de fiction. Le
premier, en 1959, fut
« Lin
Zexu » (《林则徐》),
réalisé en collaboration avec Zheng Junli (郑君里), avec le grand acteur Zhao Dan (赵丹)
dans le rôle principal, et l’un des derniers, en
1993, fut « Le rêve n’est pas un rêve » (梦非梦).
Mais le
plus célèbre est sans doute
« La
véritable histoire d’AQ »
(《阿Q正传》), présenté en compétition au festival de Cannes en 1982.
Il s’est
éteint en janvier 2008, à l’âge de 82 ans, des
suites d’une longue maladie.
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