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Edward Yang
楊德昌
Présentation
par Brigitte Duzan, 10 octobre 2014
Avec
Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤),
Edward Yang est l’un des réalisateurs les plus importants du
Nouveau Cinéma taïwanais qui a émergé au début des années
1980.
Or, si l’on connaît relativement bien les films du premier,
ce n’est pas le cas d’Edward Yang dont seul le dernier film,
« Yi Yi » (《一一》),
lui a valu une soudaine consécration : il a obtenu en 2000
le prix de la mise en scène au festival de Cannes. Ce n’est
pourtant que le dernier opus d’une œuvre qui a marqué une
ère nouvelle dans l’histoire du cinéma de Taiwan.
Ingénieur et scénariste
Edward Yang (杨德昌)
est né en novembre 1947 à Shanghai, mais ses parents sont
partis à Taiwan quand il avait un an ; il a donc grandi à
Taipei. S’il aimait le cinéma, il ne s’y destinait pas et ce
n’est qu’au bout d’un parcours sinueux qu’il y est arrivé.
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Edward Yang |
Ingénieur
En 1965, il termine ses études secondaires au lycée
municipal Chien Kuo de Taipei (台北建国中学)
et entre à l’université nationale Chiao Tung (国立交通大学)
(1) dont il sort en 1969 avec un diplôme d’ingénieur
électronicien.
Il part alors continuer ses études aux Etats-Unis, à
l’université de Floride d’abord, où il travaille au Centre
de recherche en informatique et décroche en 1974 un master
d’ingénieur informaticien. Passionné de cinéma depuis son
enfance, il s’inscrit alors à la Film School de l’université
de Californie du Sud à Los Angeles, mais décroche très vite,
déçu par un enseignement qu’il trouve trop orienté vers le
cinéma commercial.
Il pense un temps
poursuivre des études d’architecture et s’inscrit à la Harvard
Graduate School of Design. Mais il y renonce finalement pour
entrer à l’Université
de Washington à
Seattle où
il fait pendant sept ans de la recherche sur les
microordinateurs et
le développement
de logiciels pour la défense.
Pendant cette période, il continue à s’intéresser au cinéma
et découvre de nombreux films occidentaux, dont « Aguirre,
la colère de Dieu » de Werner Herzog, et le cinéma
d’Antonioni qui exercera une profonde et durable influence
sur lui.
Scénariste
L’hiver de 1905 |
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Edward Yang rentre à Taiwan en 1981. Le cinéma taïwanais
traverse une profonde crise, mais la relève se prépare ; il
va participer au mouvement, d’abord comme scénariste.
Il commence par écrire le scénario d’un film produit par
Zhan Hongzhi (詹宏志)
(2) et réalisé par Yu Wei-yen (余为彦),
avec…
Tsui Hark (徐克)
dans le rôle principal : « L’hiver
de 1905 »
(《1905年的冬天》).
Le film évoque l’histoire de Li Shutong (李叔同),
artiste chinois peu orthodoxe, peintre et musicien formé au
Japon de 1905 à 1910, et premier professeur de peinture en
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Chine à utiliser des modèles nus dans ses classes ; touché
par la révélation, il s’est fait moine bouddhiste en 1917,
devenant Maître Hong Yi (弘一),
et dédiant le reste de son existence à la propagation de la
doctrine bouddhiste, en ne pratiquant plus que la
calligraphie.
Le scénario d’Edward
Yang dépeint le personnage dans sa jeunesse, au moment où il
va partir au Japon, en août 1905, après la mort de sa mère,
en le replaçant dans son époque : celle, chaotique, de la
guerre russo-japonaise de 1904-1905; il souligne avec
sensibilité la dimension humaine de l’artiste, jeune
intellectuel s’efforçant de poursuivre ses idéaux et de
réaliser ses ambitions malgré le chaos politique ambiant.
Du scénario à la mise en scène
Edward Yang travaille ensuite à la télévision, écrivant des
scénarios pour la série « Onze femmes » (《十一个女人》)
produite, en 1981 aussi, par
Sylvia Chang (张艾嘉) ;
il passe lui-même derrière la caméra pour réaliser
l’épisode intitulé « Fuping » ou Lentille
d’eau (“浮萍”).
Deux autres épisodes de la série – « Heureuses femmes
célibataires » (《快乐单身女郎》)
et « L’été dernier » (《去年夏天》)
- sont réalisés par un jeune cinéaste encore inconnu, Ko
I-chen (柯一正) :
Edward Yang et lui vont être recrutés pour tourner deux des
quatre courts métrages d’un film omnibus qui va marquer une
nouvelle ère du cinéma taïwanais…
Le Nouveau Cinéma
En 1981, le très officiel Central Motion Picture Corporation
ou CMPC (中央电影事业股份有限公司)
décide de produire des films nouveaux pour reconquérir le
public taïwanais et stopper la |
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Avec Sylvia Chang au
début
des années 1980 |
désaffection dont souffre le
cinéma de l’île. Les deux premiers sont des films omnibus
dont le but est de permettre à des jeunes réalisateurs de
débuter et de se faire connaître, en rompant avec le modèle
dominant, à base de
mélos, films de kung-fu, comédies romantiques et ghost
stories, avec stars en têtes d’affiche pour attirer le
chaland.
1982 : Désirs
Le premier projet (3), achevé en 1982, est confié à deux
jeunes écrivains / scénaristes, Hsiao Yeh (小野)
et Wu Nien-jen (吴念真),
qui garderont tous deux des liens étroits avec Edward Yang.
Ils sélectionnent quatre jeunes réalisateurs inconnus
auxquels ils donnent comme objectif commun de dépeindre
l’évolution de la société et des mentalités à Taiwan des
années 1950 à 1980 à travers quatre personnages à des âges
différents : un écolier, une collégienne, un étudiant et un
jeune couple.
Il en résulte un film omnibus de quatre courts métrages
intitulé « In Our Time » (《光阴的故事》)
(4), considéré comme l’un des événements précurseurs du
Nouveau Cinéma taïwanais (台湾电影新浪潮),
concrétisé l’année suivante avec « Growing Up » (《小毕的故事》)
de Chen Kun-hou (陈坤厚).
Growing up ou les difficultés de grandir et de passer
à l’âge adulte dans le monde des années 1980 : telle est,
justement, l’une des
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In our Time |
thématiques fondamentales de « In Our Time », comme du
Nouveau Cinéma taïwanais dans son ensemble.
Les quatre jeunes
réalisateurs de In our Time
(de g. à dr.: Zhang
Yi, Ko I-chen, Tao Te-chen et Edward Yang) |
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Edward Yang réalise le second des quatre courts métrages :
« Désirs » (《指望》),
traduit au pluriel mais qui pourrait aussi bien l’être au
singulier puisque le film traite de la naissance du désir
chez une jeune adolescente, Xiao Fang (小芬).
Elle vit seule avec sa mère et sa sœur aînée ; dans cette
maison où le père est absent, arrive un jour un jeune
étudiant qui y loue une chambre et éveille les sens des deux
sœurs ; quand Xiao Fang se décide à approcher le garçon,
elle s’aperçoit qu’elle a été devancée par sa sœur. Le désir
est aussitôt suivi de frustration.
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Il n’y a pas de message politique, mais un message clair,
encodé dans ce que dit l’enfant à qui Xiao Fang a appris à
faire de la bicyclette : « Je voulais apprendre pour
aller où bon me semblait, mais maintenant que j’ai appris,
je ne sais pas où aller. » C’est l’un des thèmes que
l’on retrouve dans les films d’Edward Yang comme dans ceux
de ses contemporains : le manque de repères d’une génération
de jeunes désorientés auxquels l’avenir semble sans issue,
dans une société moderne où ils peinent à trouver leur
place.
1983 : Un jour sur la plage
Avec « Désirs », Edward Yang a annoncé sa thématique ; dans
« Ce jour-là, sur la plage » (《海滩的一天》),
l’année suivante, c’est la recherche formelle qui prime ; le
film préfigure ce qui sera l’une des caractéristiques
récurrentes de ses scénarios : la fragmentation de la
narration.
« Ce jour-là, sur la plage » se déroule avec en toile de
fond l’énigme d’une disparition, celle d’un homme dont on ne
saura pas s’il s’est suicidé, ou s’il est simplement parti
avec l’argent volé à son entreprise. L’énigme est laissée
entière parce que ce n’est pas l’essentiel. Le film est
construit autour de la rencontre de deux amies qui ne se
sont pas revues depuis treize ans. L’une, Jia-li, est une
épouse piégée dans un mariage en train de s’effondrer.
L’autre est l’ancienne petite amie de son frère ; elle est
partie à l’étranger, a fait une carrière de pianiste
semble-t-il réussie, et vient de rentrer à Taiwan. Pourtant
elle est aussi insatisfaite que son amie.
Le film est une peinture de la société taïwanaise de
l’époque
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Ce jour-là, sur la
plage |
vue sous l’angle féminin, et fait un constat désenchanté de
l’avenir qui est promis aux deux femmes,
Sylvia Chang dans Ce
jour-là… (photo Christopher Doyle) |
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malgré des choix qui semblaient au départ librement
consentis. C’est donc un aspect de la thématique générale
des films d’Edward Yang, et du Nouveau Cinéma dans son
ensemble. Mais, là encore, ce n’est pas l’essentiel : toute
l’originalité du film tient à sa structure, construite en
une suite de flash-backs qui brisent la linéarité narrative
et ajoutent à la confusion des esprits.
Le film est porté par l’interprétation de Sylvia Chang dans
le rôle de Jia-li, et sublimé par la photographie de
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Christopher Doyle qui commençait là sa carrière et dont la
photo a déjà les subtils cadrages, les jeux de transparence
et de lumière dont il sera maître par la suite.
Début du film (noter le cadrage inhabituel de la séquence du
générique
et le rôle de la musique comme lien entre les
séquences)
« Ce jour-là, sur la plage » apparaît in fine comme un
puzzle temporel, première approche de la déconstruction
narrative opérée par Edward Yang dans toute son œuvre. Il va
la poursuivre dans ses deux films suivants en travaillant
non plus sur le temps mais sur l’espace de la narration :
c’est l’éclatement des lieux qui devient la base du puzzle
narratif, avec simultanéité d’actions parallèles et
croisement d’histoires individuelles qui n’ont apparemment
rien à voir les unes avec les autres.
1985 : Taipei Story
Sur l’un des premiers scénarios de
Hou Hsiao-Hsien et
Chu Tien-wen (朱天文),
« Taipei
Story » (《青梅竹马》)
(5) met en scène la fragilité de deux êtres, condamnés dans
un monde urbain agressif, en pleine mutation. Une jeune
femme à la recherche de son avenir en voit la clef dans un
ancien joueur de base-ball, Ah Long (阿隆) ;
mais celui-ci, à cause de son indéfectible fidélité aux
valeurs ancestrales, dilapide sa maigre fortune pour venir
en aide à son père ; victime d’une agression, il mourra seul
dans la rue, dans l’indifférence générale, comme si la
loyauté, la solidarité et les valeurs humaines ne pouvaient
être que des éléments de perdition dans le monde des années
1980 à Taiwan.
L’une fuit le passé auquel s’accroche l’autre, mais aucun ne
trouve d’issue à sa quête existentielle. Les deux rôles
principauxsont interprétés par la chanteuse Tsai Chin (蔡琴),
que le réalisateur épousera après le film, et surtout par
Hou Hsiao-Hsien dans
le rôle de Long, consacrant les liens étroits
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Taipei Story |
entre les deux cinéastes et leurs œuvres. Wu Nien-ren et
Ko I-chen interprètent des rôles secondaires, ainsi
qu’Edward Yang lui-même.
On peut dire que « Taipei
Story » est à tous points de vue une incarnation du
Nouveau Cinéma. Mais c’est avec son film suivant qu’Edward
Yang atteint l’un des sommets de sa filmographie.
1986 :
The Terrorizers
« The
Terrorizers» (《恐怖分子》)
est sans doute l’œuvre la plus complexe d’Edward Yang,
couronnée d’un Léopard d’argent au festival de Locarno en
1986. Edward Yang a rédigé ce scénario avec Hsiao Yeh. Il y
pousse à des extrêmes, mais parfaitement maîtrisés, l’art de
la multi-narration éclatée développé dans les films
précédents, la forme se prêtant parfaitement au fond, une
réflexion sur l’aliénation et les dérives de la vie
urbaine. On a parlé d’ « esthétique de la fragmentation » (6)
Dès la première séquence, le film s’engage dans son parcours
en dents de scie, où un personnage en appelle un autre,
recoupe un moment son trajet pour s’en séparer et repartir
en rencontrer un autre. Un corps est allongé sur le bitume,
entouré de flics sur lesquels tirent deux jeunes du haut
d’un appartement ; un photographe capte la scène, assistant
à l’évasion d’une jeune fille dont le copain est arrêté… Une
femme, au même moment, s’éveille, quelque part ailleurs ;
elle |
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The Terrorizers |
est romancière, en panne d’inspiration ; quelques temps
plus tard, elle recevra un coup de fil anonyme la persuadant
de l’infidélité de son mari ; il vient de la jeune fille du
début, celle qui s’est évadée…
Eclatement et
recomposition |
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C’est ainsi qu’avance le film, par va et vient entre les
personnages dont aucun n’est plus important que les autres,
par prise de relais et bifurcation. La narration est aussi
déglinguée que les personnages, comme le visage de la femme
reconstitué par le photographe avec une myriade de petits
carrés de photographies, dans une séquence désormais
célèbre. On a comparé
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« The
Terrorizers » à Blow-Up, à Mulholland Drive en
cherchant des analogies, des points d’ancrage. Aucune
comparaison n’est satisfaisante.
Au-delà de cette fragmentation narrative, le film se
distingue par une recherche formelle touchant l’image et sa
composition. La ville apparaît comme un immense réseau de
cubes et de cellules, un quadrillage de rectangles, de verre
et de béton, qui décline visuellement le thème de
l’éclatement. Derrière cette géométrie des formes, Edward
Yang joue sur l’illusion du réel : un réel insaisissable par
l’œil comme par l’esprit, qui pourrait bien être le fruit,
tout simplement, de l’imagination de la romancière tramant
toute cette histoire… Le film atteint là une dimension
fantastique qui rappelle par certains côtés les jeux de
miroir du « 2046 » de
Wong Kar-wai.
A la suite de ce film, à la fin des années 1980, le cinéma
taïwanais traverse à nouveau une crise, en raison de la
diminution des activités de la CMPC, son plus puissant
producteur et distributeur à l’époque. En 1989, pour
produire ses films, Edward Yang crée alors sa propre
structure de production qu’il appelle tout simplement « La
société cinématographique d’Edward Yang » (“杨德昌电影公司”).
Il est alors professeur dans le département d’art dramatique
de l’Institut national des Arts, Il va utiliser cette
position pour former les quelque quatre-vingts acteurs de
son film suivant.
Les années 1990
1991 : A BrighterSummer Day
Pour ce film, « A
Brighter Summer Day » (《牯岭街少年杀人事件》),
Edward Yang est parti d’un fait divers qui l’a frappé dans
sa jeunesse, alors qu’il avait tout juste treize ans:
l’assassinat à Taipei, le 15 juin 1961, de la petite amie
d’un chef de gang par un fils de fonctionnaire de quatorze
ans, condamné à mort, puis gracié en raison de la
médiatisation de l’affaire ; c’était un premier cas de
meurtre par un mineur sous le régime nationaliste, et un cas
avéré de délinquance juvénile, ou paraissant tel.
C’est justement là qu’intervient le génie d’Edward Yang qui
va en faire une peinture originale, en revisitant l’histoire
de Taiwan depuis 1949 : l’histoire de milliers de Chinois
obligés de fuir de chez eux, et élevant leurs enfants dans
une atmosphère militariste, et une ambiance de malaise et
d’incertitude quant à l’avenir. Les enfants virent dans les
produits américains déversés dans l’île la seule promesse de
liberté qui leur était
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A Brighter Summer Day |
offerte, et formèrent des gangs pour lutter contre les
bandes indigènes, et se donner l’illusion d’une identité et
un sentiment de sécurité.
Ces gangs sont un thème récurrent chez Edward Yang comme
chez ses contemporains. Ils forment la colonne vertébrale du
scénario de « A
Brighter Summer Day », en l’occurrence le gang « du
petit parc »
(“小公园帮”)
contre le gang local 217 (“217眷村帮”).
Mais la tonalité du film est différente selon les versions.
La version originale fait quelque 230 minutes, réduite à
trois heures pour le festival de Tokyo où le film a remporté
le Prix spécial du jury en 1992. Dans ce montage, c’est la
relation entre Xiao Si’r (小四儿)
et sa petite amie Ming (小明)
qui domine la peinture sociale, un peu à la manière de West
Side Story. Dans la version de 127 minutes montée pour les
besoins de la distribution, l’accent est mis en revanche sur
l’histoire : la peinture d’un moment de crise nationale à
travers les vies des jeunes des deux bandes et de leur
entourage.
La chanson d’Elvis
Presley, évocation de l’époque |
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Edward Yang semble avoir renoncé à son éclatement narratif
habituel pour un récit plus linéaire. Mais il a pris le
parti de la froideur et de la distanciation. Sa caméra filme
de loin, sans gros plans ni émotion, il n’y a pas de héros ;
même Xiao Si’r est un témoin passif, poussé au désespoir par
ses échecs scolaires et ses déceptions sentimentales. Edward
Yang ne travaille pas sur les visages, mais plutôt sur les
objets, et leur signification profonde, et sur un
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réseau de
symboles qui renvoient au sentiment d’aliénation de ses
personnages : objets venus d’ailleurs et d’identités
confuses, tel ce roman russe pris pour un roman de samouraï.
Dans « The Terrorizers », Edward Yang jouait sur
l’impossible ligne de partage entre l’imaginaire et la
réalité, ici il se place au point de rupture entre la
mémoire et la reconstitution historique. Il raconte son
pays, et en reconstitue l’histoire récente à partir d’un
fait divers sanglant, mais c’est une histoire qui comporte
aussi bien des éléments de la sienne, noyés dans une
pénombre d’où émergent quelques traits de lumière, comme des
îles apparaissant dans la brume.
La plupart des interprètes sont non professionnels, mais le
film marque les débuts de Chang Chen (张震) qui
joue aux côtés de son père : il avait quinze ans. Le film a
été restauré en 2009 par la World Cinema Foundation fondée en
2007 par Martin Scorsese.
1994 : A Confucian Confusion
Présenté en
compétition officielle au festival de Cannes en 1994,
« A
Confucian Confusion » (《独立时代》)
est une comédie qui avait à l’origine été écrite pour le
théâtre.
Edward Yang ironise ici sur la « culture » taïwanaise des
années 1990, à travers une série de portraits détonants sur
fond de paysage urbain aux couleurs de néons : Molly, chef
d’une « entreprise culturelle », son fiancé richissime, sa
sœur animatrice de talk-shows télévisés, et le mari de cette
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A Confucian Confusion |
dernière, romancier qui a imaginé dans son dernier livre un
Confucius réincarné revenant dans le monde moderne et
découvrant avec horreur ce qu’on a fait de son enseignement.
Le titre chinois, dulishidai, semble suggérer que la
page est tournée : Taiwan est entré dans l’ère de
l’indépendance, indépendance de la mère patrie, et peut-être
aussi de ses modèles américains de la décennie précédente.
Taiwan est devenu un carrefour de cultures.
C’est un film aussi réussi que les précédents d’Edward
Yang, mais dans un genre où on ne l’attendait pas. C’est
pourtant sous cet aspect que l’œuvre du réalisateur a connu
un début de reconnaissance internationale.
1995 : Mahjong
« Mahjong »
(《麻将》)
poursuit dans la même veine, satirique et décalée, mais
cette fois la satire emprunte un regard extérieur : l’île
est devenue un eldorado pour les étrangers, et en
particulier les Anglo-Saxons… incarnés ici par Nick
Erickson. |
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Mahjong |
Extrait
Son discours enthousiaste est typique de l’époque. Mais la
réalité locale vue par Edward Yang est bien plus sordide :
« il y a deux types de gens, les escrocs et les crétins »
dit Red Fish, un magouilleur dont le père ruiné est en fuite
après avoir fait faillite. Il est le chef d’une bande de
quatre jeunes gigolos, dont Hong Kong, interprété par Chang
Chen. C’est dans ce nid de rats que débarque la jeune Marthe
(Virginie Ledoyen) initialement à la poursuite de l’Anglais
mais séduite par Hong Kong…
« Mahjong » a quelque chose de l’hystérie affairiste
qu’épingle Edward Yang. C’est rapide, mordant, déjanté, mais
la greffe des étrangers ne prend pas. C’est plus un cri de
colère que les films réfléchis et peaufinés qui restent la
marque d’Edward Yang.
« Mahjong » a été présenté au 46ème festival de
Berlin, où il a obtenu une mention honorable.
Yi Yi et après
2000 : Yi Yi
Ce n’est malheureusement qu’avec « Yi Yi » (《一一》)
qu’Edward Yang accède à la notoriété internationale : le
film est en compétition internationale au festival de Cannes
qui décerne au réalisateur le prix de la mise en scène.
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Yi Yi |
A Cannes en 2000 avec
l’actrice Kelly Lee et
le jeune interprète de
Yi Yi, Jonathan Chang |
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Le film est un concentré de la vie à Taipei, dépeinte à
travers celle d’une famille vue par trois de ses membres :
le père, interprété par Wu Nien-ren, son jeune fils Yan
Yang, interprété par le pétillant Jonathan Chang, et sa
fille adolescente Ting Ting, jouée par Kelly Lee.
Le film commence par un mariage et se termine par un
enterrement, encadrant un pan de vie ordinaire d’une famille
bourgeoise à Taipei, avec les problèmes habituels de
chacun : ceux du père dans son entreprise d’informatique, au
moment où ses partenaires tentent – inévitablement - une
entente avec un mogul |
japonais du jeu vidéo, et que débarque un de ses amours de
jeunesse ; ceux de Yi Yi à l’école et
en marge du monde des adultes, et les problèmes
sentimentaux de sa sœur qui en a l’âge.
Edward Yang sort des sentiers battus grâce à ses personnages
secondaires, bien plus atypiques : la mère de famille, en
crise, qui s’est retirée dans un monastère bouddhiste, sa
propre mère qui est dans le coma, etc… le film est
finalement une satire sociale
subtile et réussie, et
abordable pour tout public. |
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Avec Jackie Chan sur
leur projet de dessin animé de wuxia en 2002 |
Mais, si « Yi Yi » a valu à Edward Yang la consécration
internationale, il a aussi contribué à l’oubli relatif du
reste de son œuvre. Quand il est mort, le 29 juin 2007, des
suites d’un long combat contre un cancer, il était connu
presque exclusivement pour « Yi Yi ». On découvrira son
œuvre par la suite grâce à des rétrospectives, celle de la
Cinémathèque française, par exemple, en décembre 2010 (7).
Edward Yang dessinateur
Cette rétrospective comportait entre autres des dessins
d’archives qui montraient Edward Yang sous un jour peu
connu : dessinateur.
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The Wind, projet
d’affiche |
The Wind, dessin
préparatoire |
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The Wind, une scène
réalisée |
Edward Yang en
personnage
de bande dessinée |
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Au cours des dernières années avant sa mort, il a travaillé
avec Jackie Chan sur un projet de dessin animé de wuxia:
« The Wind » (《追风》).
En juillet 2002, avec sa seconde épouse, la pianiste Peng
Kaili (彭铠立),
il a même créé une société pour le produire : la société
Kaijiade technologie du divertissement (铠甲娱乐科技公司).
Seulement dix minutes ont pu être réalisées : elles sont
superbes. Ce sont dix minutes qui font d’autant plus
amèrement regretter la disparition si précoce du réalisateur.
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le film d'animation d'Edward
Yang
Notes
(1) Université Chiao Tung ou Université des communications.
(2) Egalement transcrit Jan Hung-tze.
Il restera proche d’Edward Yang, dont il produira « Une belle
journée d’été », et jouera un rôle important dans le Nouveau
Cinéma, côté
production. C’est lui qui sera, entre autres, le producteur
exécutif du « Maître de marionnettes » de
Hou
Hsiao-Hsien.
(3) Le second film collectif est « L’homme-sandwich » (《儿子的大玩偶》),
dont
Hou Hsiao-Hsien a
signé la première partie, qui donne son titre au film.
(4) Ce film charnière est sorti en
DVD chez Spectrum Films
en septembre 2014, en même temps que « The
Terrorizers ».
(5) Le titre est d’une ironie amère, évoquant le paradis
perdu de l’enfance et de l’innocence : 青梅竹马 qīngméizhúmǎ,
prunes vertes et chevaux de bambou, est une expression
désignant la période bénie où les enfants, garçons et
filles, grandissent et jouent innocemment ensemble.
(6) Profil d’une œuvre, par
Michel Maxime Egger,
Positif,
no 375-76, mai 1992, p. 61-64.
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Avec Hou Hsiao-Hsien
en 2007 |
(7) A cette occasion, la Cinémathèque a constitué un dossier
comportant articles, revue de presse, photos et vidéos que
l’on peut consulter en ligne :
www.cineressources.net/recherche_t_r.php?pk=13259&textfield=Edward+Yang&rech_type=E&rech_
mode=contient&pageF=1&pageP=1&type=PNP
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