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Ji Dan
季丹
Présentation
par Brigitte Duzan, 26 mars 2017
Ji Dan est
une documentariste chinoise indépendante dont les
films sont des portraits d’une grande sensibilité,
de personnages dont elle partage un temps la vie et
les difficultés, voire les drames, personnels ou
familiaux.
De Harbin
au Japon et au Tibet, et retour
Etudes
littéraires
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Ji Dan |
Elle est née en
1963
à à Harbin (哈尔滨),
dans le Heilongjiang. En 1987, elle sort avec un diplôme de
littérature de l’Université normale de Pékin et, l’année
suivante, part au Japon poursuivre ses études,
à l’université de Yokohama, puis l’université Seika de
Kyoto.
Elle a ensuite
travaillé à l’agence de presse japonaise Asia Press
International, avant d’abandonner le journalisme et de
s’orienter vers le film documentaire au début des années
1990. Elle a travaillé pour la télévision japonaise NHK, la
télévision coréenne KBS, et même une chaîne de télévision
taïwanaise.
1. Elle tourne son
premier documentaire sur un sujet à cheval sur le Japon et
la Chine (du nord-est) : les femmes japonaises restées en
Chine, dans le Dongbei, après la fin de la guerre (《日本战后残留妇女在中国》).
Puis elle part au Tibet.
Un an au Tibet,
deux films
2. En 1994, elle
passe un an dans le petit village de Lazi (拉孜),
dans la région de Shigatse. Elle a raconté qu’elle s’était
peu à peu intégrée à la vie de cette petite communauté ;
elle a en particulier pris part aux réunions de personnes
âgées, trois fois par mois, se familiarisant avec leur
langue et leur philosophie de la vie et de la mort.
Elle en
est revenue avec des heures de rushes dont elle a
fait deux films, tous deux coréalisés avec
Sha Qing (沙青)
qui débutait aussi en tant que documentariste
indépendant :
- le
premier documentaire,
« The
Elders » (《老人们》),
est un film sur la vie de personnes âgées dans le
village
et a été
présenté en première mondiale au Festival du film
documentaire d’Amsterdam en 1999 ;
- le
second, « La
vie heureuse de Gongbo » (ou « Gongbo’s Happy Life »
(《贡布的幸福生活》),
a
été présenté en 2000 au festival international du
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La vie heureuse de
Gongbo |
documentaire de
Taiwan, puis au festival Yunfest du Yunnan en 2003.
C’est le début
d’une œuvre fondée sur le même principe et la même méthode,
qu’elle partage avec son mari
Sha
Qing (沙青),
et son amie Feng Yan (冯艳),
rencontrée au Japon. Elles ont commencé à tourner en même
temps, et, quand Ji Dan est partie au Tibet, Feng Yan est
allée dans la région des Trois Gorges (三峡)
où elle est restée dix ans, revenant de temps à autre au
Japon faire des traductions pour financer ses recherches. Là
encore, la longue durée a permis d’enregistrer les
changements dans les mentalités et les réactions aux
déplacements forcés dus au barrage.
Le temps passé
ensemble
3. En 2000-01, Ji
Dan part dans le district de Fugu (府谷县),
dans le nord du Shaanxi, pour tourner « Spirit Home » ou
« Nuages sur la terre » (《地上流云》).
En 2002, elle est coréalisatrice et productrice du très beau
documentaire de
Sha
Qing « Wellspring » (《在一起的时光》),
dont le titre chinois signifie « Le temps passé ensemble »,
qui peut s’entendre dans un double sens.

Spirit Home |
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L’idée
initiale était de filmer un artiste spécialiste des
papiers découpés ; mais, quand Sha Qing est arrivé
chez lui, il s’est rendu compte qu’il avait un
enfant handicapé et c’est l’enfant qui est devenu le
sujet principal. Le film documente, vues de
l’intérieur, les difficultés de la vie des parents,
accablés par la détérioration progressive de la
santé de l’enfant. Il forme en ce sens un pendant de
la seconde partie de « Spiral Staircase of Harbin »
de même qu’il représente le même processus de
découverte progressive d’une réalité |
familiale mouvante
qui est le sujet même du documentaire réalisé par Ji Dan
après « Spiral Staircase of Harbin » : « When the Bough
Breaks » (《危巢》).
A son retour du
Shaanxi, elle tourne un film sur les malades en fin de vie
d’un hôpital de Pékin.
4. En
2007, elle a bénéficié d’une aide du Panstar Fund du
festival de Busan (section Asian Network of
Documentary Fund) pour un documentaire sur un sujet
encore tabou en Chine, le mouvement anti-
« droitiers » de 1957 et la condamnation de quelque
trois millions de gens, et surtout des
intellectuels, aux camps de rééducation par le
travail : c’est « Dream of the Empty City » (《空城一梦》),
qui s’appelait initialement « Chronique d’une ville
vide » (《空城计》). |
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Dream of the Empty
City |
Le documentaire
s’attache à montrer les conséquences personnelles à long
terme de ces condamnations qui n’ont été levées qu’au bout
de vingt-deux ans, et ce à travers deux personnages : un
ancien droitier de maintenant soixante-dix ans, finalement
réuni avec son fils qui avait sept ans au moment de la
condamnation de son père. Le film dissèque leurs souvenirs
de cette période de cauchemar absurde et leurs sentiments
profonds, jusque-là inexprimés. Cela rappelle la nouvelle de
Bei Dao (北岛),
« Un inconnu de retour » (《归来的陌生人》)
.
Harbin entre passé
et présent
5. C’est alors que
Ji Dan revient chez, elle, à Harbin, pour voir ce que sont
devenus son ancien quartier et ses habitants. Elle en fait
une sorte d’élégie sur le passé, condensé dans la forme
hélicoïdale d’un escalier….

The Spiral Staircase
of Harbin |
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« The
Spiral Staircase of Harbin » (《哈尔滨旋转楼梯》)
est l’un des plus beaux documentaires chinois de la
fin des années 2000. Elle y
décrit la
vie de son quartier natal et de ses anciens voisins
tel qu’elle les retrouve après trente ans d’absence.
Le quartier est sur une colline, dans un endroit un
peu abandonné, il s’appelle
dàowàiqū
(道外区),
c’est-à-dire ‘le coin hors des chemins balisés’,
c’est tout dire.
Les
camarades d’enfance ont grandi, ce sont leurs
enfants qui ont maintenant l’âge de la
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réalisatrice quand
elle en était partie, pleine d’espoir et d’illusions. Ils ne
semblent pas en avoir autant…
Le film a obtenu
le prix Asian New Currents au festival de Yamagata.
Vie sur les dépôts
d’ordures
6. En
2011, Ji Dan étonne encore avec un documentaire sur
une famille qui vit du recyclage des ordures en
habitant directement sur une montagne de déchets :
« When The Bough Breaks » (《危巢》)
.
Le projet a mis longtemps à mûrir : Ji Dan a connu
les deux plus jeunes filles de la famille en 2004
alors qu’elle faisait des interviews d’élèves dans
une école de Pékin pour la télévision. Sur le
moment, elle n’a pas vu de sujet à développer ; les
deux enfants étaient joyeuses et n’avaient pas de
problème pour aller à l’école car, à l’époque,
l’école ne demandait pas de frais de scolarité.
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When the Bough Breaks |
Ce n’est que
quatre ans plus tard que le sujet a soudain surgi : les
filles lui ont téléphoné pour lui dire que leur sœur aînée
avait disparu. Comme elle était jolie, il était permis, et
plausible, de penser au pire. La situation familiale a
changé du tout au tout. Ji Dan est allée vivre à l’école des
filles, pour être sur place, en pensant centrer son
documentaire sur l’histoire de la grande sœur. Mais les
choses ont encore évolué.
Parallèlement, en
effet, les deux sœurs se sont battues pour que leur petit
frère puisse aller à l’école, et non travailler tout de
suite comme le voulait le père.C’est devenu le sujet
principal. Pour cela, Ji Dan leur a donné les 2 000 yuans
nécessaires.
Le geste a changé
le rapport de la réalisatrice à son sujet ; elle
franchissait la frontière entre le moi et les autres,
filmés, pour substituer au regard extérieur une connivence
avec son sujet, un « toi et moi » à l’opposé du détachement
distancié des documentaristes masculins dans leur ensemble –
à l’exception notable de
Hu Jie
(胡杰),
dont Ji Dan est proche.
« When The Bough
Breaks » est sorti au festival Yunfest en 2011, et a été
l’un des films remarqués du festival de Rotterdam en janvier
2012.
Depuis lors, Ji
Dan a annoncé travailler sur les changements en œuvre en
Chine, et préparer une ode au peuple chinois et à sa culture
…
Filmographie
1993/8 Les femmes
japonaises en Chine après la fin de la guerre
《日本战后残留妇女在中国》
1999 The Elders
《老人们》
2000 Gongbo’s
Happy Life 《贡布的幸福生活》
2006 Spirit
Home
《地上流云》
2007 Dream of
the Empty City
《空城一梦》
2009
The Spiral Staircase of Harbin
《哈尔滨旋转楼梯》
2011 When The
Bough Breaks
《危巢》
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