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Jin Shan
金山
1911-1982
Présentation
par Brigitte Duzan, 27 octobre 2018
Né à Yuanling (沅陵),
dans le Hunan en 1911, Jin Shan fut un acteur
célèbre dans les années 1930, avant de passer à la
réalisation. Il ne nous a malheureusement laissé que
quatre films, réalisés avant la Révolution
culturelle, mais le premier, au moins, mériterait
d’être plus connu.
Débuts au théâtre, acteur de cinéma
Comme c’était courant à l’époque, il a eu une
enfance difficile car son père est mort quand il
n’avait encore que deux mois. Maltraité, dit-on, par
son beau-père, il a dû plusieurs fois interrompre
ses études.
Il part à Shanghai à l’âge de dix-sept ans. C’est la
fin des années 1920. Passionné de théâtre, il entre
à la Ligue des dramaturges de gauche, devient membre
du Parti communiste |
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Jin Shan jeune |
en 1932 et fait du théâtre militant avant de se tourner vers
le cinéma, d’abord comme acteur.

Jin Shan dans son
premier rôle
(en 1935 dans le film
de Ren Pengnian) |
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Il fait sa première apparition dans un film en
1935 : dans « Folle nuit » (《昏狂》)
de
Ren Pengnian (任彭年).
Puis il joue dans deux films de
Shi Dongshan (史东山),
produits en 1936 par la compagnie Xinhua : « Chant
de l’éternel regret » (《长恨歌》)
et « Nuit de liesse » (《狂欢之夜》),
adapté du « Révizor » de Gogol, film où il joue aux
côtés de…
Zhou Xuan !
Mais ce qui le rend célèbre, c’est son rôle dans le
superbe « Song at Midnight » (《夜半歌声》)
de
Ma-Xu Weibang (马徐维邦),
sorti en 1937. |
Adapté du « Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux,
ce premier film d’horreur de l’histoire du cinéma
chinois connut un immense succès ; l’image de Jin
Shan défiguré comme Song Danping (宋丹萍)
dans le film resta longtemps affichée sur un énorme
panneau publicitaire dans Nanjing lu, à Shanghai, et
la rumeur courut qu’une petite fille était morte de
peur en la voyant si bien que le film dut être
interdit aux moins de six ans. Quoi qu’il en soit,
cela n’a fait que renforcer encore la popularité du
film, et Jin Shan est resté connu pour son
interprétation de Song Danping dont le profond
impact sur le spectateur tenait surtout à sa
formation d’acteur de théâtre.
Comme beaucoup d’autres stars du cinéma de Shanghai
des années 1930, quand il passe derrière la caméra,
c’est cette maîtrise de l’art théâtral, développée
d’abord dans son cas comme metteur en scène de
théâtre, qui fait de lui un excellent réalisateur
dès son premier film. |
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Au théâtre en 1935 |
Réalisateur frustré
Premier film, premier succès

En tournage avec Shi
Dongshan |
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Ce premier film,
« Sur la Soungari » (《松花江上》),
est réalisé en 1947 dans de difficiles conditions à
Changchun, par
les « Productions cinématographiques de Changchun »,
alors sous obédience nationaliste. C’est l’une des
premières tentatives de rendre compte de l’invasion
japonaise qui a suivi l’annexion de la Mandchourie
en 1932.
Le film raconte une révolte de mineurs contre les
Japonais, à travers l’histoire d’une jeune
villageoise qui s’enfuit de son village avec son
fiancé après que les Japonais ont tué ses |
parents. Il est embauché dans une mine gérée par les
Japonais et conduit une révolte quand la mine s’effondre à
la suite d’une inondation. Tous deux finissent par s’engager
dans la guérilla dans la lutte de résistance contre les
Japonais.
Le film n’offre pas de grandes surprises dans sa
ligne narrative, mais il a une poésie visuelle que
l’on a rapprochée de celle de Dovchenko. En outre,
le rôle principal est le premier grand rôle au
cinéma interprété par la grande actrice
Zhang Ruifang (张瑞芳)
que Jin Shan avait épousée en 1943.
Retour au théâtre, mariage avec Sun Weishi
C’était un début très prometteur pour Jin Shan. Mais
il restait connu surtout pour ses talents d’acteur.
Ainsi, au début de 1950, quand Sun Weishi (孙维世)
fut nommée à la direction artistique du China Youth
Art Theatre, devenant la première metteuse en scène
chinoise de théâtre parlé (huaju
话剧),
formée à Moscou, elle décida de mettre en scène une
pièce adaptée de « Comment l’acier fut trempé » de
Nikolaï Ostrovski, « Pavel Korchagin » (《保尔·柯察金》), et
choisit Jin Shan et Zhang Ruifang pour interpréter
les deux principaux rôles. |
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Avec Zhang Ruifang |

Avec Sun Weishi |
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Ce fut un grand succès. Jin Shan interprétant le
rôle principal de Pavel, Pavel éclipsa Song Danping,
devenant même un prénom populaire en Chine pendant
tout le début des années 1950.
Mais la pièce eut une autre conséquence pour Jin
Shan : une liaison avec Sun Weishi qui s’ébruita et
fit scandale. Finalement, Zhang Ruifang divorça et
Jin Shan se remaria avec Sun Weishi le 14 octobre
1950. Son destin fut désormais lié à celui de son
épouse. |
Trois films dans les années 1950
Pendant toute la première moitié des années 1950, il
se consacre au théâtre, et ce n’est qu’en 1956 qu’il
réalise son second film : « Le Mont Huanghua » (《黄花山》).
Il est suivi deux ans plus tard de « La Ballade du
réservoir des treize tombeaux Ming » (《十三陵水库畅想曲》),
adapté d’une pièce de Tian Han (田汉)
qu’il venait de mettre en scène au Théâtre de la
jeunesse.
En 1959, il réalise « La Tempête » (《风暴》),
sur la grande grève des cheminots de la ligne
Pékin-Hankou, le 7 février 1923 (京汉铁路工人大罢工),
grève, dirigée par les communistes, qui se soldera
par un échec, mais qui aura une influence
considérable sur l’avenir du Parti. Jin Shan
lui-même interprète le rôle principal.
Ce sera le dernier film qu’il réalisera. Il va
revenir ensuite vers le théâtre, avec Sun Weishi.
Théâtre dans le Grand Nord |
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En tournage dans les
années 1950
(photo tirée du livre de souvenirs de
Zhang Ruifang
《张瑞芳回忆录》) |
En 1961, elle met en scène une pièce où elle expérimente de
nouvelles techniques et qui a énormément de succès : « La
Haine des esclaves noirs » (《黑奴恨》),
adaptée de « La Case de l’oncle Tom ».
A la suite de ce succès, Zhou Enlai lui commande une pièce
du même ordre, sur les actions héroïques des travailleurs
des gisements de pétrole de Daqing, dans le nord-est (大庆油田).
Pour la préparer, Sun Weishi et Jin Shan vont s’installer à
Daqing et vivent avec les ouvriers et leurs épouses. La
pièce qui en résulte, « Soleil levant » (《初升的太阳》),
décrit les conditions très dures de mise en exploitation des
gisements et la contribution des femmes à l’agriculture
locale, avec des interprètes choisis sur place.
La pièce ayant eu
un grand succès à Daqing, à Pékin et dans le Shandong. Jin
Shan et Sun Weishi conçurent le projet de revenir à Daqing
pour écrire d’autre pièces sur le même sujet, mais ils ne
purent les mener à bien à cause de la Révolution culturelle.
Le sujet sera repris au cinéma en 1975
.
Victime de Jiang Qing

Jin Shan âgé |
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Jiang Qing
nourrissait une jalousie mortelle envers Sun Weishi,
pour diverses raisons, et d’abord parce qu’elle
était la fille adoptive de Zhou Enlai
.
La Révolution culturelle lui donna la possibilité
d’exercer des représailles terribles, et Jin Shan en
fit indirectement les frais.
Au début de la Révolution culturelle, Zhou Enlai,
affaibli, fut incapable de protéger sa fille
adoptive et son mari. Jiang Qing réussit à les faire
arrêter en 1968 et força Zhou Enlai à signer le
mandat d’arrêt de Sun Weishi. Elle fut torturée
pendant sept mois dans des conditions infrahumaines,
jusqu’à ce que mort s’ensuive, le 15 octobre 1968.
Après sa mort, Jiang Qing fit incinérer son corps
avant qu’une autopsie - demandée par Zhou Enlai -
ait pu être réalisée. Jin Shan n’apprit sa mort que
lorsqu’il fut libéré, en 1975, après avoir passé
sept ans en prison. |
Il fit encore quelques mises en scène de théâtre, puis
mourut en juillet 1982 sans avoir pu réaliser un ultime
projet de mise en scène pour la télévision.
Persistance du mythe
Arthur
Miller a fait un voyage de cinq semaines en Chine en
1978, avec son épouse, la photographe Inge Morath.
Elle avait pensé en faire un livre, pas lui, le
sujet lui semblait trop lourd. Mais, quand il est
arrivé, il a commencé à prendre des notes de ses
rencontres. Et l’une des premières personnes qu’il a
rencontrées fut, justement, Jin Shan dont on lui
avait donné le nom aux Etats-Unis, avant son départ,
en lui disant qu’il était le Clark Gable chinois…
On se souvient de l’acteur, beaucoup moins du |
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Timbres commémoratifs
célébrant ses différents rôles |
metteur en scène, au théâtre et encore moins au cinéma. La
légende a la vie dure.
[La plupart des illustrations sont tirées du blog
http://blog.sina.com.cn/s/blog_9862f0550101jwox.html]
Le film, « Les Pîonniers » (《创业》),
fut réalisé par Yu Yanfu (于彦夫)
au studio de Changchun au début de 1975 sans
l’autorisation de Jiang Qing qui l’attaqua ensuite,
malgré une note de Mao disant qu’il fallait le
soutenir. Il célèbre le courage et même l’héroïsme
des travailleurs qui ont mis en valeur les champs
pétroliers de Daqing, dans le même esprit que la
pièce de Sun Weishi et Jin Shan.
Les raisons sont multiples. D’abord, son père ayant
été tué par le Guomingdang, Sun Weishi avait été
adoptée par Zhou Enlai, la bête noire de Jiang Qing.
Quand elle arriva à Yan’an en 1937, elle fut
surnommée « la deuxième épouse » (“二姨太太”)
tandis que Sun Weishi était « la Grande Demoiselle »
(“大小姐”)
(d’après deux rôles qu’elles avaient interprétées
dans une pièce). Pendant la guerre, en outre, Sun
Weishi était allée faire des études de théâtre à
Moscou où elle avait rencontré Lin Biao qui lui
avait proposé de l’épouser et de revenir en Chine
avec lui, en 1942. Sun ne revint qu’après la fin de
la guerre à Shanghai où elle commença à faire des
mises en scène de théâtre et Lin Biao épousa
quelqu’un d’autre, mais c’était aussi une chose que
Jiang Qing n’avait pas pardonné.
En 1950, Sun Weishi fut interprète de Mao lors d’un
voyage à Moscou. Puis elle fut nommée à la tête du
China Youth Art Theatre où elle mit en application
et diffusa les idées de Stanislavski. Ses mises en
scène de l’époque sont restées célèbres.
En 1956, elle est en outre devenue directrice
artistique du théâtre expérimental chinois. C’était
une personnalité reconnue dans le monde du théâtre
chinois et sa réussite attisait encore plus
l’animosité de Jiang Qing.
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