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Shi Dongshan 史东山
1902-1985
Présentation
par Brigitte
Duzan, 15 novembre 2011
Shi
Dongshan (史东山)
est né à Hangzhou en 1902. Son nom était en réalité
Shi Kuangshao (史匡韶),
mais, comme sa famille
était originaire de Dongshan (东山),
dans le Fujian, il en fit plus tard son pseudonyme,
par amour et nostalgie pour cet endroit.
1919-1930 -
débuts modestes
Ses parents
sont des intellectuels qui lui donnent le goût de
l’art. Son père est peintre, écrivain et musicien.
Il semble présent dans toute son œuvre, où les
personnages de musiciens sont nombreux. Mais, la
famille étant très pauvre, Shi Dongshan ne peut
poursuivre ses études ; il quitte ses parents à
l’âge de 17 ans, et trouve un premier travail à
Zhangjiakou (张家口),
dans le Hebei, comme opérateur radio, mais apprend
la peinture à ses heures de loisirs. |
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Shi Dongshan |
Un bonheur de mère |
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Deux ans
plus tard, en 1921, il part à Shanghai, devient
décorateur dans le studio Yingxi (上海影戏)
tout en jouant des petits rôles de temps en temps.
Il se familiarise ainsi avec la profession et
apprend le métier de scénariste. En 1924, il
présente un scénario à un concours ; il est intitulé
« Chatons de saules » (《柳絮》liǔxù)
– c’est une référence à un épisode du « Rêve dans le
pavillon rouge » (《红楼梦》),
le chapitre 70. Le scénario reçoit des critiques
élogieuses. C’est celui de son premier film, qu’il
tourne l’année suivante, en 1925, mais sous un titre
légèrement différent : |
littéralement
‘Regrets des fleurs de saule’ (《杨花恨》).
En 1926,
Shi Dongshan passe à un autre studio, le
Dazhonghua Baihe (大中华百合)
où il tourne ses deux films suivants, à nouveau sur
ses propres scénarios. Ceux-ci restent dans l’esprit
de la période : ce sont des histoires morales, dont
son film de 1926, « Un bonheur de mère » (《儿孙福》),
est un parfait exemple. C’est l’histoire d’une femme
dont le mari se tue, littéralement, à la tâche après
avoir répété qu’il fallait qu’il travaille pour
nourrir la maisonnée et nourrir les enfants, et que
ceux-ci se chargeraient d’eux dans leurs vieux
jours ; elle reste seule pour élever ses quatre
enfants, mais, quand ils atteignent l’âge adulte,
chacun a ses propres problèmes ou son propre égoïsme
et elle tombe dans l’indigence ; les quatre enfants
ne se réunissent que sur son lit de mort, mais elle
a encore le temps de les voir ensemble autour
d’elle : c’est son « bonheur de mère ». |
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Zhou Wenzhu |
Le film est porté
par une remarquable interprétation : ce sont les débuts d’un
couple d’acteurs à la scène comme à la ville : Zhou Wenzhu (周文珠)
qui interprète là le rôle de la mère et
Wang Cilong (王次龙) celui du fils aîné adulte
– ce dernier devenant ensuite un réalisateur prometteur. Ils
se marieront peu après, mais détruiront leur carrière en
devenant opiomanes.
1930-1937 :
réalisateur des studios de gauche
1930 marque
un tournant important dans la carrière de Shi
Dongshan : il entre à la Lianhua Film
Company (联华影业公司),
puis, à la suite de « l’incident du 18 septembre » (九一八事变),
c’est-à-dire l’entrée des Japonais dans Shenyang,
marquant le début de l’occupation du Dongbei, il
devient
membre de
la Ligue des écrivains de gauche (中国左翼作家联盟).Il
devient ensuite l’un des principaux réalisateurs de
la Lianhua, avec Cai Chusheng (蔡楚生),
Sun Yu (孙瑜)
et
Wang Cilong (王次龙).
En 1931,
ils apparaissent dans un étonnant film muet de Shi
Dongshan qui est à la fois une superbe histoire
d’amour et un documentaire sur la Shanghai de
l’époque mais aussi sur son cinéma:
« Two Stars in the Milky
Way » (《银汉双星》). |
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Two Stars in the Milky
Way |
Facing the national
crisis |
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L’année
suivante, en 1932, Shi Dongshan co-réalise avec eux
un film engagé : « Facing the National Crisis » (《共赴国难》),
où il reprend, entre autres, le couple d’acteurs qui
avait assuré une bonne part du succès de son film
précédent :
Jin Yan (金焰)
et
Wang Renmei (王人美),
mais aussi Zhou Wenzhu (周文珠),
qui interprétait la figure de la mère dans « Un
bonheur de mère » (《儿孙福》).
C’est le premier film de fiction sur la guerre de
résistance contre le Japon. |
C’est un
tournant dans son style. A partir de là, ses films
sont à la fois sur des sujets patriotiques, mais
aussi sur des thèmes sociaux. En septembre 1933,
quand est créée une autre compagnie de gauche, la
Yihua (艺华),
Shi Dongshan la rejoint, à l’instigation du
dramaturge et scénariste Tian Han (田汉)
qui en est le principal organisateur (1). Shi
Dongshan y tourne deux films, en 1934 et 1935.
Ensuite, à cause des menaces dont il était l’objet
de la part du Guomingdang (2), le studio prit une
autre orientation, ce qui entraîna le départ en
masse des réalisateurs de gauche, le divorce final
étant concrétisé dans une lettre ouverte de novembre
1936, signée par trente deux critiques
cinématographiques dénonçant la nouvelle orientation
mercantile de la société qui trahissait ses
objectifs initiaux.
Shi
Dongshan intégra alors une nouvelle compagnie, la
Xinhua (新华),
créée par l’ancien directeur du théâtre de
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Jin Yan |
l’opéra de Pékin de Shanghai. Il récupéra les actifs de l’éphémère
compagnie Diantong et créa sa propre
Nuit de liesse |
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compagnie avec l’argent qu’il avait gagné au théâtre. La société devint
alors non seulement un havre pour les cinéastes de
gauche, mais en plus produisit des films à succès si
bien qu’elle fut la seule à subsister après 1937 et
l’occupation de Shanghai par les Japonais.
Shi
Dongshan y réalisa plusieurs films, dont, en 1936,
une adaptation de la pièce de Gogol « Le Revizor » -
« Nuit de liesse » (《狂欢之夜》),
avec une autre star de l’époque, Hu Ping (胡萍),
dans le rôle principal
– et, en
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1937, un film de
défense nationale tout à fait dans l’air du temps – « La
marche de la jeunesse » (《青年进行曲》).
1938-1945 :
intermède hors Shanghai
Après la
chute de Shanghai, en 1938, il part à Wuhan, où il
tourne « Défendons notre terre » (《保卫我们的土地》),
avec la compagnie de production créée là dès 1935,
la National Film Company (中国电影制片厂).
Puis il va à Chongqing et y écrit et réalise encore
trois films patriotiques. |
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Hu Ping dans Nuit de
Liesse |
1945-1955 : dix
années chaotiques
Après la
guerre, il revient à Shanghai, avec une mission de
Zhou Enlai : faire renaître la Lianhua, dévastée par
la guerre. Il s’attelle à la tâche avec ses amis
réalisateurs Cai Chusheng (蔡楚生),
Yang Hansheng (阳翰笙),
Zheng Junli (郑君里).
En 1947, il rouvre un des studios de la Lianhua,
qui
va former la base de la nouvelle compagnie : la
Kunlun (昆仑).
C’est là
qu’il co-réalise alors, avec Wang Weiyi, l’un de ses
films les plus connus, avec la grande actrice Bai
Yang (白杨)
dans le rôle principal, aux côtés de Tao Jin (陶金) : « Huit mille lis de lune et de nuages » (《八千里路云和月》).
C’est un des grands films qui lancèrent la Kunlun,
avec le film de Cai Chusheng et Zheng Junli « The
Spring Rivers Flows East » (《一江春水向东流》)
sorti la même année, avec les deux mêmes acteurs.
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La marche de la
jeunesse |
Une étudiante à
Shanghai, Jiang Lingyu, entre dans une troupe de théâtre de
propagande en 1937 et parcourt le pays. Quand ils atteignent
Chongqing, le conseiller musical de la troupe tombe malade
et
8000 lis de lune et de
nuages |
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Jiang
Lingyu reste le soigner. Ils se marient à l’annonce
de la défaite des Japonais, mais la situation de
l’après-guerre est tout aussi difficile. Revenus à
Shanghai, ils apprennent que son père est mort, vont
vivre chez un oncle, mais n’aimant pas son caractère
profiteur, déménagent dans un logis misérable, en
tentant de vivre selon leur idéal, en dénonçant les
injustices. Jiang Lingyu épuisée finit à l’hôpital,
après une fausse couche… La fin est un immense point
d’interrogation : un intertitre qui demande aux
spectateurs d’imaginer la suite… |
Le film arrive en
27ème position dans la liste des cent meilleurs
films chinois établie par le festival de Hong Kong. C’est
l’apogée de la carrière de Shi Dongshan. Il réalise encore
une œuvre majeure après 1949 : « Le nouveau roman des jeunes
héros » (《新儿女英雄传》),
primé au 6ème festival de Karlovy Vary en 1951,
mais sans retrouver la ferveur de ses films précédents.
Réalisateur
prisé du nouveau régime, il devient un personnage officiel,
participant à toutes les grandes assemblées des premières
années du nouveau régime concernant les arts, dont le
cinéma.
Pourtant, il se
suicide en février 1955, à l’âge de 52 ans.
Une mort
mystérieuse
Sa mort
reste un mystère. Elle fut annoncée par une phrase
neutre dans le Quotidien du Peuple du 25 février,
citant ses titres officiels, mais disant juste qu’il
était mort deux jours plus tôt à l’hôpital. Ses
biographies éludent la question.
On ne peut
pas exclure qu’il ait été inquiété pour son
apparition dans le film de son ami
Sun Yu, « La vie
de Wu Xun » (《武训传》),
qui devint le centre d’une vive polémique en 1951,
dans un contexte de lutte idéologique exacerbée en
1952 par la guerre de Corée (抗美援朝) :
le film fut critiqué pour suggérer, selon ses
détracteurs, |
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Citations de Shi
Dongshan sur un mur
de sa maison natale
(史东山遗训) |
que
l’éducation, plutôt que la révolution, était l’avenir de la
Chine, ce qui était l’exemple même d’une mentalité
bourgeoise. Le climat se détendit ensuite, mais les attaques
contre les intellectuels reprirent à la fin de 1954.
Selon
la fille de Shi Dongshan, peu de temps avant sa mort, son
père aurait eu une longue conversation avec son épouse, Hua
Danni (华丹妮).
Celle-ci n’en a rien révélé jusqu’à la veille de sa propre
mort, en décembre 2004. Shi Dongshan, d’après elle, se
serait suicidé après deux visites de Jiang Qing (江青).
C’était au début des attaques contre son ami l’écrivain Hu
Feng (胡风) ;
celui-ci allait passer la majeure partie des vingt cinq
années suivantes en prison, et continuerait à être inquiété
même après sa réhabilitation, jusqu’à sa mort en 1985…
Notes
(1) La compagnie
fut créée par deux anciens acteurs de films d’arts martiaux
qui demandèrent à Tian Han de leur écrire un scénario de
film patriotique parce que c’est ce qui était recherché par
le public. Elle eut l’originalité d’être financée par un
trafiquant d’opium reconverti dans le cinéma, trouvant
celui-ci plus profitable (et sans doute moins dangereux) !
Et comme il n’y connaissait rien, il laissa toute
l’organisation entre les mains de Tian Han. Les films ne
firent pas beaucoup de recettes, mais attirèrent l’attention
du Guomingdang : fin 1933, les locaux et l’équipement furent
vandalisés et les cinéastes menacés. Mais cela ne changea
pas l’orientation du studio jusqu’en 1935.
(2) Il ne faut pas
oublier qu’il existait une censure draconienne à l’époque.
En avril 1927, le gouvernement du Guomingdang, basé à
Nankin, avait demandé à son ministre de l’Intérieur de
mettre en place un « règlement de contrôle du cinéma ». Le
système entra en application en novembre 1931. Il était
particulièrement dirigé contre les films de gauche.
Filmographie
(les titres sont
laissés en anglais, ce sont les plus connus)
1925 Willow Catkins
(Yanghuas’s Hate)
《杨花恨》
Shanghai
Yingxi
1926
Mother's
Happiness
《儿孙福》
Dazhonghua
Baihe
1926 Live on
Love
《同居之爱》
-
1931
Two Stars of
the Milky Way 《银汉双星》
Lianhua Film
Company
1932 Facing the
National Crisis *
《共赴国难》
-
1933 Struggles
《奋斗》
-
1934 Women
《女人一画》
Yihua
Film Company
1935 Men at birth
《人之初》
-
1936 Night of the
Debauche
《狂欢之夜》
Xinhua
Film Company
1937 March of
Youth
《青年进行曲》
-
1938 Protect
our Land
《保卫我们的土地》
National Film Company
1939 Good
Husband
《好丈夫》
-
1941 Victory
March
《胜利行进曲》
-
1945 Give Me My
Country Back 《还我故乡》
-
1947 Eight Th.
Li of Cloud and Moon
《八千里路云和月》
Kunlun Film
Company
1951 New Heroes
and Heroines 《新儿女英雄传》
Beijing Film
Studio
*
co-dirigé avec Cai Chusheng, Sun Yu et Wang Cilong
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