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Li Yalin
李亚林
1931-1988
Présentation
par Brigitte Duzan, 17 janvier 2015
Li Yalin a d’abord eu une longue carrière d’acteur,
à partir du milieu des années 1950, avant de passer
à la réalisation après la Révolution culturelle.
Formé dans le sérail, il a tourné dans des films
très marqués par leur époque dont beaucoup ne sont
jamais sortis de Chine. Il n’a pu réaliser ses
propres films que très tard, trop tard : il a été
emporté par un cancer avant même d’avoir achevé le
quatrième. On ne peut que regretter les films qu’il
n’a pu faire.
1955-1979 : Acteur
Né
en 1931 au sud-est du Liaoning, à Andong (辽宁安东),
aujourd’hui Dandong, (丹东),
Li Yalin a
fait ses études secondaires à Pékin et c’est par
hasard qu’il s’est ensuite tourné vers une formation
d’acteur.
De Dalian à Changchun |
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Li Yalin jeune |
Au départ, il se destine en effet à une carrière dans la
Marine, et pense se présenter au concours d’entrée de
l’Université maritime Haiyun de Dalian (大连海运大学).
Mais il est obligé d’y renoncer pour des raisons de santé.
Il s’oriente alors vers une formation d’acteur, par hasard :
en s’inscrivant à une école en réponse à une petite annonce
dans le journal.
Il entre ainsi en 1951 à l’école de cinéma qui dépendait du
Bureau du cinéma, embryon de ce qui deviendra l’Institut du
cinéma de Pékin et qui ne formait à l’origine que des
acteurs.
Il termine cette formation en 1953 et, en 1955, est
affecté au studio de Changchun (长春电影制片厂),
le premier
grand studio d’Etat de la Chine nouvelle.
Il y interprète son premier rôle en 1956, dans
« Catch Them in Their Den » (《虎穴追踪》)
coréalisé par Chen Huai’ai (陈怀皑)
et Huang Can (黄粲).
Cette même année, il joue dans un autre film
caractéristique de la production du studio à
l’époque : « Le mystérieux compagnon de voyage » (《神秘的旅伴》)
réalisé par Lin Nong/ Zhu Wenshun (林农/ 朱文顺)
d’après une nouvelle de Bai Hua (白桦)(1).
En 1957, il interprète
le rôle d’un chef de bandits dans un film de Yu
Yanfu (于彦夫)
dont le scénario reprend un récit
semblable de lutte de l’Armée de libération au Yunnan :
« Chant d’amour pour flûte de bambou » (《芦笙恋歌》)
(2), puis, en 1958, joue dans un autre film du même genre :
« Amis dans l’adversité »《患难之交》de
Wang Yi (王逸).
Non seulement tous ses films ont des thèmes
semblables, mais, en outre, les rôles qu’y
interprète Li Yalin sont du même genre : rôles de
bandits ou de contre-révolutionnaires, bref les
méchants de l’histoire. Il ne semble pas pouvoir en
sortir. C’est le réalisateur Yu Yanfu qui va le lui
permettre.
Le cas Xu Qiuying
Yu Yanfu (于彦夫)
était aussi originaire de Dandong, où il était né en
1924. Il va être en quelque sorte le mentor de Li
Yalin. C’est grâce au rôle qu’il lui donne en 1958
dans son film « L’affaire Xu Qiuying » (《徐秋影案件》)
que la carrière de Li Yalin va véritablement
décoller.
Li Yalin y interprète le chef du service des
enquêtes criminelles Wang Liang (汪亮).
Pour une fois ce n’est pas un rôle négatif, mais
surtout, Li Yalin donne au personnage une profondeur
psychologique inhabituelle dans les films du studio
à l’époque. |
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L’affaire Xu Qiuying (Li Yalin en bas
à dr.) |
Il est remarqué, les critiques sont favorables et lui
donnent le titre flatteur de « xiao sheng » (小生)
du cinéma.
Les jeunes de notre village
« Les jeunes de notre
village » (Li Yalin en haut à dr.) |
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En 1959, il interprète le rôle principal dans « Les
jeunes de notre village » (《我们村里的年轻人》)
de Su Li (苏里) :
le soldat démobilisé Gao Zhanwu (高占武),
symbole de l’esprit de la jeunesse dans la Chine
nouvelle, fait de courage, ardeur au travail,
abnégation, camaraderie, joie de vivre… C’est l’un
des grands films et des grands rôles du début du
Grand Bond en avant. Li Yalin partage les
acclamations du public avec l’actrice Jin Di (金迪).
Il enchaîne avec des films qui forment comme une
galerie type des grands films de l’époque, films de
guerre ou films destinés à insuffler ardeur et
enthousiasme à la population dans la lutte pour
l’acier, ou les remotiver après cette épreuve
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tragique, comme c’est le cas en 1962 avec « Le feu du four
est bien rouge » (《炉火正红》)
réalisé par Yan Gong (严恭),
où Li Yalin interprète l’un des rôles principaux : celui de
l’un des ouvriers d’une aciérie qui, pendant le Grand Bond
en avant, trouvent une nouvelle manière de fabriquer un
haut-fourneau.
Révolution culturelle
La Révolution culturelle ne l’épargne pourtant pas.
En 1969, il est même envoyé se rééduquer à la
campagne, dans la commune populaire « La seconde
voie » (二道公社),
du district de Shulan (舒兰县),
dans le nord-est de la province du Jilin. Il y noue
des liens d’amitié avec les paysans, mais n’y reste
pas très longtemps.
En effet, le studio de Changchun a besoin d’acteurs,
pour des films de propagande réalisés à partir de
1972. Li Yalin y est renvoyé. Et en 1974, il joue
l’un des rôles |
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Li Yalin dans « Les
géants de l’acier » (assis au milieu) |
principaux dans un autre film de Yan Gong (严恭),
du même style que celui de 1962 : « Les Géants de l’acier »
(《钢铁巨人》).
Studio Emei
En 1975, il est transféré au Sichuan, au studio Emei (峨眉电影制片厂),
un petit nouveau, ce studio, créé à Chengdu en 1958.
Li Yalin dans « Les
Paons s’envolent au mont Awa » |
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L’activité cinématographique renaît, mais avec des
films qui correspondent aux mots d’ordre et à la
ligne du Parti. Li Yalin poursuit sa carrière avec
des rôles types : en 1976, celui du cadre plein de
ressources Li Qingshan (李青山)
dans « La fièvre du printemps » (《春潮急》),
coréalisé par Zhang Fengxiang et Xiang Lin (张凤翔/向霖) ;
en 1978, celui du chef de brigade de l’Armée de
libération Bai Wenjin (白文进)
dans « Les paons s’envolent aux monts Awa » (《孔雀飞来阿佤山》)
réalisé par |
Zhang Qi (张其)
et, l’année suivante, le secrétaire et chef de faction Wu
Sunzheng (吴纯正)
dans « L’éclat du printemps » (《柳暗花明》).
Mao est mort, mais les studios comme Changchun et Emei
continuent sur leur lancée. Il n’y a pas de rupture. Dans ce
contexte, Li Yalinassume des rôles types, qui ne sortent pas
du moule de l’époque, mais son interprétation, elle, sort
des schémas habituels.
En 1980, quand il a enfin la possibilité de passer derrière
la caméra, il va tout de suite faire de même en réalisant
son premier film : un film aussi personnel que possible sur
un thème et un schéma classiques à l’époque.
1980-1987 : Réalisateur
Li Yalin n’a eu le temps de réaliser que quatre films avant
sa mort, et encore seuls les deux derniers sont entièrement
de lui.
1981 : Un petit coin oublié par
l’amour
C’est avec Zhang Qi (张其),
avec lequel il avait tourné en 1978, qu’il coréalise
son premier film, toujours au studio Emei :
« Un
petit coin oublié par l’amour »
(《被爱情遗忘的角落》),
d’après la nouvelle éponyme de Zhang Xian (张弦).
Li Yalin revient vers un genre qui a donné parmi les
meilleurs films chinois : l’adaptation d’œuvres
littéraires. Et la nouvelle qu’il choisit est l’une
des plus populaires de celles publiées au lendemain
du lancement de la politique d’ouverture : couronnée
du prix de la meilleure nouvelle de l’année 1980,
elle s’inscrit dans tout un courant littéraire qui
suit directement le mouvement de la « littérature
des cicatrices », et qui s’intéresse aux
conséquences sur la vie des gens de la pauvreté
couplée à des modes de pensée traditionnels (3).
« Un petit coin oublié par l’amour » traduit
l’expérience personnelle de l’auteur, avec des
résonnances chez Li Yalin |
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Un petit coin oublié
par l’amour |
comme elle pouvait en avoir chez les Chinois à la même
époque. Le film délaisse de même les schémas du réalisme
révolutionnaire : il n’est plus question de héros, mais de
gens du peuple, de gens ordinaires pris dans les engrenages
de modes de vie et de pensée qui laissent peu de marge à la
vie personnelle et à l’expression des aspirations
individuelles, en particulier quand on est femme. La
nouvelle pose le problème directement, dès sa première
phrase :
尽管已经跨入了二十世纪七十年代的最后一年,在天堂公社的青年们心目中,爱情,还是个陌生的、神秘的、羞于出口的字眼。
Même en cette toute fin des années 1970, pour les jeunes de
la Commune du Paradis, l’amour restait un mot inconnu,
mystérieux, que l’on avait honte de prononcer …
La nouvelle raconte l’histoire de deux sœurs, Cunni (存妮)
et Huangmei (荒妹),
filles d’une famille pauvre, dans un village perdu d’un
lointain district, à une époque où l’idéologie ne permet
guère l’épanouissement des sentiments individuels. La
première se suicide de désespoir pendant la Révolution
culturelle, mais le film est centré sur l’histoire de la
seconde, en 1979 comme le précise la phrase introductive.
Huangmei est amoureuse du jeune cadre Xu Rongshu (许荣树)
qui milite contre la collectivisation car il pense qu’elle
mène à la pauvreté à la campagne. Or le père de Huangmei a
été étiqueté droitier en 1958 pour avoir tenu des propos
semblables et s’être opposé à ce que l’on coupe des arbres
fruitiers pour alimenter le haut fourneau du village ; la
mère de Huangmei craint donc pour sa fille si elle épouse Xu
Rongshu ; elle est en outre hantée par les souvenirs du
scandale provoqué par sa fille aînée. Elle marie donc sa
cadette avec un autre villageois, qui lui apporte en outre
en dot les 500 yuan requis pour rembourser les dettes
laissées par son mari.
Le film reflète l’esprit de l’époque. Il fait partie d’une
série de films réalisés au début des années 1980 demandant
un réexamen non seulement de la période de la Révolution
culturelle, mais aussi des politiques menées dans les années
1950 (collectivisation et campagne anti droitiers). Il
dénonce les politiques menées par le régime maoïste qui n’a
fait qu’appauvrir les campagnes, et souligne la nécessité du
développement économique que vient de prôner Deng Xiaoping à
la 3ème session du 11ème Congrès du
Parti.
Il n’est sorti qu’au milieu de l’année 1982 car, comme
beaucoup de films des lendemains de la Révolution
culturelle, il a soulevé de violentes critiques. Mais il a
obtenuen 1981 le prix du meilleur film de l’année décerné
par le Ministère de la culture (文化部优秀影片奖)
et deux prix au festival du Coq d’or en 1982.
C’est un film réalisé avec beaucoup de nuances et de
chaleur, et très bien interprété, en particulier par
l’actrice interprétant le rôle de la mère, He Xiaoshu (贺小书),
qui était l’épouse de Li Yalin, entrée en même temps que lui
au studio de Changchun et partie avec lui « à la campagne »
en 1969. Pour ce rôle, elle a été couronnée du prix de la
meilleure actrice dans un rôle secondaire au second festival
du Coq d’or en 1982.
1984 : Pourquoi m’avoir donné le jour ?
Pourquoi m’avoir donné
le jour ? |
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C’est en 1984, après la campagne « contre la
pollution spirituelle », que sort le second film de
Li Yalin, coréalisé avec Yan Wenfan (晏文藩) :
« Pourquoi m’avoir donné le jour ? » (《为什么生我》).
Il obtient à nouveau le prix du meilleur film de
l’année décerné par le Ministère de la culture, mais
reste très peu connu.
Il a pour personnage principal un petit garçon du
nom de Songsong (松松),
très perturbé par la séparation de ses parents ; il
vit depuis lors avec son père, conducteur de train,
qui l’aime beaucoup mais n’a pas beaucoup de temps à
lui consacrer, et a pour meilleur compagnon une oie
blanche qui l’accompagne à l’école. Or, rendant un
jour visite à sa mère, l’enfant découvre dans son
placard les vêtements d’une petite fille…
C’est un film empreint d’une grande profondeur de
sentiments, |
et, dans le rôle principal, l’enfant acteur, Ji Chenmu (姬晨牧),
est étonnant de justesse et de sensibilité.
1985 : Le village de Bahe
Le film que Li Yalin tourne l’année suivante, « Le
village de Bahe » (《巴河镇》),
conte l’histoire d’un village qui s’éveille à la
réforme économique, qui passe d’abord par la réforme
des mentalités. C’est le premier film que Li Yalin
réalise seul.
Dans ces films, les personnages les plus importants
sont les femmes, et les femmes héroïques ont fait
place aux femmes ordinaires écrasées par la
tradition et les préjugés, comme dans les autres
films qui sortent à la même époque. Ce sont des
films à la fois introspectifs et rétrospectifs, qui
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Le Village de Bahe |
réfléchissent sur le présent en revisitant le passé, et en
prenant le parti d’exprimer l’opinion populaire, ce qui leur
assure un grand succès.
Mais, comme l’a souligné Li Zeng dans son ouvrage ‘The Past
Revisited : Popular Memory of the Cultural Revolution in
Contemporary China” (4), la majorité des films du début des
années 1980 tendent en fait à reconstruire l’histoire
de la Révolution culturelle dans le cadre idéologique
officiel, reformulé fin 1979. Ils tissent des récits de vies
personnelles dans un cadre de narration à thèmes
nationalistes, avec des conclusions suggérant la renaissance
spirituelle des personnages, donc celle du peuple. Il n’y a
pas de contestation de la légitimité ou de la suprématie du
Parti, son discours dominant est incorporé dans le récit en
termes de réforme, sous toutes ses formes. Cette description
est applicable aux films de Li Yalin.
C’est cependant avec son film suivant qu’il s’affirme
vraiment comme réalisateur à part entière.
1987 : Le Puits
Le Puits, Pan Hong et
He Xiaoshu |
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Adapté de
la nouvelle éponyme de Lu Wenfu (陆文夫),
« Le
Puits » (《井》)
marque une nouvelle étape de maturation dans la
carrière de Li Yalin.
Comme la nouvelle, le film est
l’histoire d’une jeune intellectuelle de Suzhou,
chimiste fraîche émoulue de l’université et réduite
à de basses besognes dans l’usine où elle est
affectée, Révolution culturelle oblige ; promue à un
poste de recherche plus conforme à ses capacités par
un homme qui a jeté son dévolu sur elle et finit par
l’épouser, elle se retrouve sous la coupe de sa
belle-mère dans son foyer et confrontée à
l’extérieur aux préjugés tenaces des voisines et aux
rumeurs qu’elles font courir sur elle par jalousie.
Le puits du titre est un caractère des ruelles de
Suzhou où se passe la nouvelle, lieu de
rassemblement et de commérages, et lieu symbolique
d’enfermement. Li Yalin montre que les |
changements promis par la politique d’ouverture valent
peut-être dans le domaine économique, mais que les
changements sociaux sont freinés par les mentalités, surtout
en ce qui concerne les femmes, qui continuent à être
reléguées dans les tâches domestiques et familiales, sous
l’œil attentif des voisins.
Le film est un superbe duo d’actrices :
He Xiaoshu (贺小书)
à nouveau, ici dans le rôle de la belle-mère, superbement
acariâtre, et
Pan Hong (潘虹)
dans le rôle principal. Excellente actrice, elle s’était
fait remarquer dans un film de 1981 sorti parallèlement à
« Un petit coin oublié par l’amour » : « Arrivé à l’âge
mûr » (ou « At Middle Age »《人到中年》),
coréalisé par Wang Qimin et Sun Yu (王启民/孙羽) ;
le film avait déjà pour thème la condition de la femme, en
l’occurrence une doctoresse surchargée de tâches domestiques
outre son travail professionnel.
Pan Hong avait obtenu le
prix de la meilleure actrice au festival du Coq d’or pour ce
rôle.
C’est elle qui a terminé « Le Puits ». En effet, Li Yalin
est tombé malade avant la fin du tournage, atteint par ce
qui se révèlera être une tumeur au cerveau qui le laissera
bientôt paralysé.
« Le Puits » a été présenté au festival de Cannes, à la
Semaine de la Critique. Mais Li Yalin est décédé l’année
suivante, en 1988.
Notes
(1) L’une des nouvelles écrites par Bai Hua au début des
années 1950, qui reflètent son expérience de la guerre, en
particulier dans la région à « ethnies minoritaires » du
Yunnan. Il en adaptera lui-même certaines à l’écran.
Voir :
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Bai_Hua.htm
(2) Le lusheng
芦笙
du titre est une sorte d’orgue à bouche en bambou utilisé en
particulier chez les Hmong dans la région du Yunnan-Guizhou.
Il donne tout de suite une indication géographique autant
que poétique.
(3) La nouvelle figure en traduction française dans le
recueil « Les meilleures œuvres chinoises 1949-1989 »,
éditions Littérature chinoise, collection Panda, 1989, pp.
72-88.
Sur Zhang Xian, voir chineseshortstories (à venir)
(4) Editions Proguest 2007.
Galerie de photos des principaux rôles interprétés par Li
Yalin :
http://blog.sina.com.cn/s/blog_9862f0550101k4d1.html
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