par Brigitte Duzan, 24 avril
2017, actualisé
22 novembre 2019
Midi Z est un réalisateur taïwanais issu de la
minorité chinoise de Birmanie. Cinéaste autodidacte
né au début des années 1980 et voix originale dans
le cinéma taïwanais, il a été remarqué par
Hou Hsiao-hsienen 1999 et s’est depuis lors établi une
solide réputation qui a très vite franchi les
frontières de l’île.
Parcours mouvementé de Birmanie à Taiwan
La première originalité, fondamentale, de
Midi Z
Midi Z est identitaire : comment devient-on « taïwanais issu
de la minorité chinoise de Birmanie » ?
De Nankin à Lashio…
Midi Z est né en décembre 1982 à Lashio, dans l’Etat de
Shan, au nord-est de Myanmar, aux confins de la Chine, du
Laos et de la Thaïlande.
Ses parents,
cependant, étaient de Nankin. Son grand-père était un soldat
de l’armée nationaliste qui, pendant la Seconde Guerre
mondiale, a fait partie des troupes envoyées combattre
l’armée japonaise qui occupait les Etats fédérés Shan ;
après la défaite japonaise, ces troupes ont formé là une
base du Guomingdang pour reconquérir la Chine, et les
soldats y sont ensuite restés avec leurs familles, dans un
contexte de rébellions armées réprimées par le gouvernement
après l’indépendance
[1].
A seize ans ouvrier à
Taipei (à dr.)
C’est ainsi que Midi Z est né à Lashio. Midi est,
dans le dialecte local, le nom désignant le petit
dernier d’une famille : il était en effet le plus
jeune de quatre enfants. Quant à Z, c’est le début
de son nom en chinois, réduit à la première lettre
de la transcription pinyin car le son zh est
difficile à prononcer dans le dialecte local.
L’enfant est doué, mais la famille pauvre. C’est
donc une aubaine quand, en 1998, à l’âge de seize
ans, il décroche une
bourse pour aller étudier à Taiwan – une de ces bourses
d’études décernées par le gouvernement taïwanais aux
meilleurs rejetons de ses anciens soldats, pour bons et
loyaux services.
… et de Lashio à Taipei
C’est à Taipeh que, disent ses biographies, il termine ses
études secondaires, puis fait des études de design à
l’université de science et technologie de Taiwan.
En fait, la bourse ne couvrait que les frais d’études, pas
le voyage. La famille s’est donc endettée pour le lui payer
et lui, en arrivant à Taipeh, au lieu d’aller en cours, est
surtout allé travailler en usine pour gagner de l’argent.
Il commence à "faire du cinéma" par hasard. A la
veille de se marier, un ami resté en Birmanie lui
demande de lui acheter une caméra pour filmer son
mariage. Mais la situation politique ne permet pas à
Midi Z de la lui envoyer : dans le contexte
d’insurrections armées et de répression, surtout
après le coup d’Etat du général Ne Win en 1962, et
malgré les accords de cessez-le-feu signés à la fin
des années 1980, toute caméra est considérée à
Myanmar comme une arme potentiellement séditieuse.
Avec son premier
appareil photo
Midi Z commence
donc à s’en servir pour filmer lui-même des mariages et
gagner un peu d’argent. Puis il commence à filmer des
réfugiés birmans de Taipei.
Naissance d’un cinéaste
Coup de pouce de Hou Hsiao-hsien
Quand, en 1999,
Hou Hsiao-hsiencrée
l’Institut du Golden Horse pour former de jeunes cinéastes
émergents, Midi Z est sélectionné pour la première édition.
Il a la chance d’avoir pour professeurs trois des plus
grands cinéastes taïwanais (et mondiaux) du moment qui lui
prodiguent leurs meilleurs conseils :
Hou Hsiao-hsien,
Ang Leeet
Tsai Ming-liang.
Mais c’est surtout sa rencontre avec Hou Hsiao-Hsien qui est
décisive : il lui apprend plus particulièrement à diriger
des acteurs amateurs dans un souci de réalisme, ce qui va
être l’un des traits caractéristiques des films de Midi Z.
Mais Hou Hsiao-Hsien est surtout fasciné par les sujets de
Midi Z, ces réfugiés birmans anonymes dans la capitale
taïwanaise, et par son désir de témoigner de leur situation
précaire.
Coup d’envoi à Busan
Après la fin de son stage de formation, Midi Z réalise en
2002 un premier court métrage documentaire : « Ombres
fugaces de la vie » (《生活浮影》).
Il est suivi, deux ans plus tard, d’un autre court métrage,
mais de fiction cette fois, tourné en numérique : « Mensonge
sur mensonge » (《以讹传讹》).
Deux ans plus tard encore, en 2006, sort le court métrage
qui, programmé au festival de Busan, puis à Melbourne, lui
apporte une première notoriété : « Paloma Blanca » (《白鸽》).
C’est une fiction de 13 minutes aux images énigmatiques dont
le titre donne une clé explicative : c’est, sur une plage,
une envolée de jeunes filles en blanc comme des
tourterelles, figurant les pigeons élevés pour des paris.
L’argument est tenu, si l’image est belle. Mais elle l’est
suffisamment pour attirer l’attention.
Le court métrage en deux parties :
Paloma Blanca 1
Paloma Blanca 2
Le motocycliste
En 2008, le quatrième court métrage de fiction de
Midi Z, « Le motocycliste » (《摩托车夫》),
est comme un exercice de style annonçant un thème
récurrent dans ses films. En 2009, le moyen métrage
« L’incident de la rue Hua-xin » (《华新街记事》)
est programmé au festival du cinéma international de
Hong Kong. Le monde de Midi Z est là, sombre et
violent.
L’incident de la rue Hua-xin
Après encore deux autres courts métrages en 2010,
Midi Z amorce ensuite la préparation de son premier
long métrage, sorti en 2011.
Trilogie du retour
Ce long métrageest le premier d’une trilogie qui
s’étale jusqu’en 2014 : la" trilogie du retour" (《归乡二部曲》).
1. « Return to Burma » (《归来的人》)
a été tourné en Birmanie, en partie clandestinement.
C’est un retour aussi pour Midi Z, mais le pays vers
lequel il revient est dépeint avec un humour
grinçant ; ce n’est pas celui des chansons de
propagande qui vantent la démocratie et la liberté.
L’histoire est celle d’un jeune Birman d’origine
chinoise, comme lui, qui, après avoir travaillé
douze ans comme
Devine qui je suis
ouvrier sur des chantiers à Taipei, revient chez lui pour y
rapporter les cendres d’un ami décédé. Il retrouve un pays
où tout le monde travaille pour des salaires de misère, en
économisant dans l’espoir de pouvoir se payer un passeport
et partir à l’étranger.
2. « Poor Folk » (《穷人。榴梿。麻药。偷渡客》)
sort l’année suivante. Le
titre entier signifie : Les pauvres. Durians.
Narcotiques. Immigrants illégaux. Le lot
commun, en quelque sorte. C’est sans doute le film
le plus dur, le plus osé aussi, de Midi Z : il l’a
tourné sans autorisation, sans argent, comme
témoignage de tous les trafics qui pullulent dans
son pays, et en particulier la drogue
[2].
Malgré tout, malgré l’aspect très documentaire,
c’est une fiction : l’histoire
Return to Burma, 2011
de deux garçons qui deviennent des petits délinquants à
Bangkok, pour tenter de réunir l’argent nécessaire pour
libérer la sœur de l’un, qui a été vendue, avec l’accord de
sa propre mère, à un réseau de prostitution. C’est une
fiction, mais Midi Z n’invente rien, c’est cet aspect
hyperréaliste qui est le plus glaçant.
Poor Folk, trailer
Midi Z a alors tourné deux courts métrages avant de réaliser
le troisième volet de sa trilogie : en 2013, « Asile muet »
(《沉默庇护》),
un court faisant partie du projet « Taipei Factory » (《台北工厂》),
et, en 2014, « Le palais sur la mer » (《海上皇宫》),
primé au festival de Pékin.
C’est une fable baroque dont l’histoire se passe dans un
temple bouddhiste installé sur une sorte de palace flottant
amarré à quai, où une jeune femme aux prises avec ses
souvenirs rencontre un moine émanant de sa prochaine
existence.
Le palais sur la mer, trailer
3. Troisième volet de la trilogie, « Ice Poison»
(《冰毒》)
dénote une certaine maturation du réalisateur. C’est
l’histoire d’une rencontre, dans une petite ville
birmane : celle d’un jeune paysan qui a quitté sa
ferme parce qu’il n’arrive plus à en vivre, et d’une
jeune femme revenue de Chine, où elle était partie
travailler, pour enterrer son grand-père.
Dès l’entrée, le tableau est bien brossé : le jeune
paysan et son grand-père descendent à la ville pour
tenter d’emprunter de l’argent à des parents qui
travaillent dans des mines de jade ou font du trafic
d’opium. Mais ils ont été ruinés par les taxes et
les extorsions diverses. Alors le grand-père donne
sa vache en gage pour offrir une mobylette à son
petit-fils pour qu’il puisse faire office de taxi.
C’est alors qu’il s’associe avec cette jeune émigrée
revenue au pays qui veut y rester avec son fils et
qui, pour vivre, est
Ice Poison
tentée par le trafic de stupéfiants – le "poison de glace"
du titre. Ils font les livraisons à deux…. Midi Z
Sur le tournage de «
Ice Poison »
filme sans juger, comme si tout cela était
parfaitement normal, et cela l’est presque : il n’y
a guère d’autres emplois dans le coin et il faut
bien survivre.
Sorti à la Berlinale en février 2014, « Ice Poison »
a également été présenté au festival de Tribeca et à
celui de Moscou, entre autres. Il a ensuite été
sélectionné pour représenter Taiwan aux Academy
Awards en 2015. Cela permet de mesurer le chemin
parcouru en quinze ans par Midi Z.
Documentaires
Midi Z a ensuite réalisé deux documentaires sur les
mines de jade illégales du Myanmar, qui sont sortis
en 2015 et 2016 : « Jade Miners » (《挖玉石的人》)
et « City of Jade » (《翡翠之城》),
ce dernier présenté à la Berlinale en février 2016
et sorti à Taiwan fin juillet 2016.
Le premier est une œuvre austère faite de vingt
plans d’une longueur totale de 104 minutes. Mais le
second est sans doute le plus personnel de tous les
films de Midi Z. Il est filmé dans sa région natale
où des
Avec Ang Lee,
présentant « Ice Poison » au festival de Tribeca
"chasseurs de jade", comme on dit des chasseurs d’or,
exploitent illégalement le minerai. Midi Z mêle informations
politiques et culturelles à une trame narrative
centrale potentiellement sensible : les retrouvailles de
Midi Z avec son frère aîné qui a disparu pendant une
vingtaine d’années.
City of Jade
La séquence initiale révèle que le frère a été
libéré d’une prison de Mandalay en 2010 après avoir
été condamné pour trafic de drogue, et que le
réalisateur lui a écrit des centaines de lettres
restées sans réponses. Il veut maintenant savoir ce
qui s’est passé pendant toutes ces années. Mais la
première chose que lui dit son frère est qu’il veut
revenir dans le nord, dans l’Etat de Kachin, et
reprendre la recherche du jade. Les mines de jade
étant en pleine zone de conflit ont été abandonnées
par les sociétés d’exploitation, laissant la voie
libre à des individus sans licence. La zone de
Kachin est appelée « Jade City ».
La discussion entre les deux frères prend place à bord d’un
train en route vers le nord. Le frère reste quasiment muet
sur les problèmes familiaux. En revanche, il explique la
chute dans la consommation d’opium, comme quelque chose
d’inéluctable, pour lutter contre la solitude et la peur
constante de descentes de police, et résister aux
difficultés et aux dangers de cette vie très dure. Mais,
comme pour les chercheurs d’or, l’attrait – irrationnel - du
gain espéré est le plus fort.
C’est sans doute dans le documentaire que Midi Z,
finalement, est le plus percutant, malgré une tendance aux
plans inutilement longs et répétitifs. Et c’est d’autant
plus vrai que c’est par leur aspect documentaire que ses
films de fiction prennent toute leur valeur de témoignage.
Adieu Mandalay
Il est
pourtant revenu vers la fiction aussitôt après ces
deux documentaires, avec « The Road to Mandalay » ou
« Adieu
Mandalay
[3]»
(《再见瓦城》)
sorti en première mondiale à la Biennale de Venise
en septembre 2016 et en France en avril 2017. A
Venise, le film a obtenu le prix Fedeora.
Mandalay est réduite à la rive du fleuve que
viennent traverser les migrants fuyant les combats
et la pauvreté. Le film est cette fois l’histoire de
deux
The Road to Mandalay
immigrants illégaux à Bangkok. L’un va travailler dans une
usine textile, sa compagne de voyage a d’autres plans :
avoir un travail légal et un passeport thaï. Mais elle est
obligée d’accepter un job de misère à la plonge d’un
restaurant, se fait prendre dans une descente de police, se
fait rouler, mais elle refuse de baisser les bras et va
rejoindre l’usine où travaille son copain.
La photographie est de Tom Fan, le montage de Matthieu
Laclau, la musique de
Lim Giong. Midi Z a
franchi une nouvelle étape dans la maturation de son art.
En novembre 2016, il a été couronné du titre de Cinéaste
taïwanais d’exception au 63ème festival du Golden
Horse.
Quatorze Pommes
14 Apples
En 2018, Midi Z revient vers le documentaire. Dans
« Quatorze Pommes » (《十四顆蘋果》),
il décrit l’expérience de son ami Wang Shin-hong, un
riche homme d’affaire de Mandalay : souffrant
d’insomnie, il est allé voir un diseur de bonne
aventure qui lui a prescrit d’acheter quatorze
pommes et d’aller faire une retraite pendant deux
semaines dans un monastère éloigné, dans la campagne
birmane, en mangeant une pomme par jour. Wang
Shin-hong se fait tondre la tête et se fait moine
pendant quinze jours.
L’expérience pratique du bouddhisme semble loin de
l’enseignement théorique : Wang Shin-hong réalise
que les villageois tentent de survivre comme
travailleurs migrants illégaux en Chine tout en lui
versant plus d’oboles qu’ils ne peuvent se le
permettre, tandis que d’autres moines tentent de
trouver des sources de revenus complémentaires.
Midi Z a repris le style documentaire de « Jade Miners »,
caméra sur l’épaule. Le film ressemble à un road movie, avec
des commentaires critiques axés sur deux thèmes principaux :
le bouddhisme et les travailleurs migrants. Le montage en
longues séquences et le rythme très lent soulignent la
volonté de Midi Z de se placer sur le terrain du film
d’auteur, mais le procédé semble à la longue un peu forcé,
et finit par ennuyer quelque peu malgré l’intérêt des
dialogues et des commentaires.
Le film a été présenté au Forum de la Berlinale en 2018.
14 pommes, extrait
Nina Wu
Nina Wu
Sur un scénario de la complice de Midi Z, l’actrice
Wu Ke-hsi (吴可熙),
« Nina Wu (《灼人秘密》)
est un film inspiré du scandale Harvey Weinstein ;
c’est un « thriller psychologique » précisent les
annonces du film, le premier tourné par le
réalisateur à Taiwan. Wu Ke- hsi interprète le rôle
d’une jeune fille venue à Taipei pour tenter de
réaliser son rêve de devenir actrice, mais qui doit
pour cela affronter violence et exploitation
sexuelle, outre différents traumas liés à famille et
à sa vie personnelle.
Le film a été sélectionné par la section Un
Certain Regarddu 72ème
festival de Cannes, en mai 2019. Il sort en France
le 8 janvier 2020.
Filmographie
Longs métrages
2011 Return to Burma 《归来的人》
2012 Poor Folk 《穷人。榴梿。麻药。偷渡客》
2014 Ice Poison 《冰毒》
2016 Adieu
Mandalay《再见瓦城》
2002
Ombres fugaces de la vie 《生活浮影》
2004 Mensonge sur mensonge 《以讹传讹》
2006 Paloma Blanca 《白鸽》 13’
2008 Le motocycliste 《摩托车夫》
2009 Devine qui je suis 《猜猜我是谁?》 16’
2009 L’incident de la rue Hua-xin 《华新街记事》23’
2013 Asile muet 《沉默庇护》
(projet « Taipei Factory » 《台北工厂》)
2014 Le palais sur la mer 《海上皇宫》 15’
Documentaires
2015 Jade Miners 《挖玉石的人》
2016 City of Jade 《翡翠之城》
2018 14
Pommes 《十四顆蘋果》
[1]
Etats fédérés créés par les Britanniques en 1922 et
entérinés par les constitutions de 1923 et 1937.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la zone a été
occupée par les Japonais. Après la guerre, les
Britanniques sont revenus, mais les forces chinoises
nationalistes sont restées. Dans le cadre du
processus menant à l’indépendance, la conférence de
Panglong, en février 1947, a créé un Etat Shan
unifié, qui a en outre obtenu le droit à sécession
dix ans après l’indépendance. Celle-ci, en janvier
1948, a aussitôt été marquée par des rébellions
armées, dont celle des troupes nationalistes
chinoises qui ont envahi le Shan en 1950 avant
d’être repoussées par les forces chinoises
communistes. Mais le Guomingdang voulait utiliser la
région à l’est de la Salween comme base pour
reconquérir la Chine. Il a bien failli réussir, avec
l’aide américaine, à conquérir le Shan en mars 1953.
L’armée birmane les a repoussés, mais les restes de
l’armée nationaliste et leur progéniture sont restés
dans le Shan.
[2]
Au début des années 1960, l’Etat de Shan était
secoué par de multiples rébellions. Zone de
conflits, la région devint une zone de culture et de
trafic de l’opium dont les revenus finançaient les
insurgés, dont le Parti communiste de Birmanie : le
fameux Triangle d’or.
[3]
Dans les plaines du centre de la Birmanie,
Mandalay est la deuxième ville du
pays et fut sa dernière capitale royale, surnommée
la « cité des joyaux ». Le mandarin y est de plus en
plus répandu : la ville compte de 30 à 40 % de
Chinois, pour la plupart immigrants venus dans les
années 1990 du Yunnan voisin, mais aussi du Sichuan.