Sha Meng
est l’un des grands réalisateurs chinois des années
1950, pourtant très peu connu hors de Chine. Son
œuvre est représentative d’un cinéma bien plus
exigeant qu’on ne le pense généralement, et
certainement loin des clichés dans lesquels on
l’enferme trop souvent.
Epanouissement artistique en temps de guerre
De son vrai
nom Liu Shangwen (刘尚文),
Sha
Meng (沙蒙)
est né en novembre 1907 dans un famille de paysans
du district de Yutian (玉田县)
dans ce qui est aujourd’hui le Hebei.
Ouverture
aux idées du 4 mai
Il
commence à étudier dans une petite école privée
traditionnelle (私塾),
puis, en 1919, arrive à Pékin où, trois ans plus
tard, il entre dans une école spécialisée pour
apprendre le français.
Sha Meng jeune
Influencé par les
idées libérales et révolutionnaires issues du mouvement du 4
mai, il prend part au
mouvement ouvrier et étudiant en réaction à « l’incident »
du 30 mai 1926 (五卅运动wǔsà yùndòng),
où des policiers avaient ouvert le feu sur des manifestants
ouvriers dans la concession internationale de Shanghai. Sha
Meng y participe activement en collectant des dons pour les
familles des victimes.
Il est sévèrement puni pour son action, et, furieux, quitte
l’école. L’année suivante, il entre dans une école
préparatoire à une université bilingue franco-chinoise, mais
sa situation matérielle ne lui permet pas de continuer.
En 1929, il trouve un travail à Harbin comme standardiste
pour les communications téléphoniques à longue distance.
C’est là qu’il commence à développer ses penchants
littéraires et artistiques.
Acteur, de théâtre
puis de cinéma, à Shanghai
En mai 1933, il
part à Shanghai et entre à l’Ecole des Beaux-Arts où il fait
la connaissance des futurs grands acteurs dont il devient
l’ami : Zhao Dan (赵丹),
Wang Weiyi (王为一),
Xu Tao (徐韬).
Il participe alors au mouvement du théâtre de gauche en
jouant dans des troupes d’avant-garde des grandes pièces du
répertoire chinois de huaju ou des adaptations de
pièces étrangères, de Shakespeare en particulier.
Sha Meng dans Au
Carrefour
Comme ses
camarades, du théâtre, il passe au cinéma où il joue
dans divers films, dont, en 1935 pour commencer,
« Scènes de la vie urbaine » (《都市风光》)
de Yuan Muzhi (袁牧之),
et, en 1937, « Le chant de minuit » (《夜半歌声》)
de Ma-xu Weibang (马徐维邦)
et « Au carrefour » (《十字街头》)
de Shen Xiling (沈西苓),
aux côtés de ses amis Zhao Dan (赵丹),
Lü Ban (吕班),
et l’actrice Bai Yang (白杨).
En même
temps, il utilise ses connaissances du français et
du russe pour
faire des traductions, de
pièces de théâtre et de nouvelles, dont des nouvelles de
Gorki.
Pérégrinations
pendant la guerre
Après
l’occupation de Shanghai par les troupes japonaises,
en 1938, Sha Meng s’engage, comme professeur, dans
l’une des nombreuses troupes de théâtre itinérant
qui sont créées au lendemain de l’entrée en guerre
du Japon. C’est alors qu’il fait la connaissance de
la jeune Ouyang
Ruqiu (欧阳儒秋)
qui fait partie de ses élèves – elle a onze ans de
moins que lui - et qu’il va épouser. Il lui donnera
le petit rôle de Lü Daniang
(吕大娘)
dans son premier film, Zhao Yiman
(《赵一曼》),
en 1950.
Sha Meng et son épouse
Ouyang Ruqiu à Yan’an en 1944
Ils sont à
Changsha au moment de la première bataille de Changsha, en
septembre 1939 ; Sha Meng fuit avec sa troupe en portant,
roulée sur le dos, la toile de fond de scène qui est une
partie de leur fond de commerce ; ses camarades le
surnomment « le chameau » (“骆驼”).
Après la rupture du Front uni entre le Guomingdang et le
Parti Communiste, les membres de la troupe sont sommés de
rejoindre les rangs du Guomingdang ; Sha Meng préfère la
quitter.
En 1940, il est à
Chongqing avec Ouyang Ruqiu, et rencontre Zhou Enlai. Après l’incident dit « de
Wannan » (“皖南事变”),
où la Nouvelle 4ème armée communiste est attaquée par
l’armée nationaliste, Ouyang Ruqiu part à
Yan’an avec le bébé qu’elle vient de mettre au monde, leur
fils Liu
Zhongsui (刘钟濉).
Sha Meng, lui, part à Hong Kong où il continue faire du
théâtre.
Après le
déclenchement de la guerre du Pacifique, il revient à Chongqing, et, de
là, en mars 1944, gagne Yan’an où il retrouve Ouyang Ruqiu.
Théâtre
expérimental à Yan’an, puis dans le Dongbei
A Yan’an, il
deveint professeur à l’Institut d’enseignement artistique Lu
Xun (鲁迅艺术学院),
dans la section d’art dramatique, et, en même temps, il est
nommé directeur de la troupe de théâtre expérimental
adjointe à l’Institut.
En septembre 1945,
le groupe auquel il appartient est transféré de Yan’an à
Shenyang (沈阳)
où il va former une partie du Groupe de travail des lettres
et des arts du Nord-Est (东北文艺工作团).
Sha Meng joue alors dans les pièces de propagande données
dans les principales villes du Dongbei pour célébrer la
victoire finale sur le Japon et mobiliser les esprits pour
poursuivre la lutte contre Chang Kai-chek.
En 1946, il devient
membre du Parti communiste.
Réalisateur de la
Chine nouvelle
En
septembre 1948, avec un groupe de quelque 140
personnes, il est intégré dans le Studio du
Nord-Est. A cette époque, le studio avait un mode de
direction collectif ; Sha Meng devient l’une des
onze personnes du comité de gestion du Studio (东影管理委员会),
avec Yuan Muzhi (袁牧之),
Tian Fang (田方),
Chen Po’er (陈波儿),
etc… Il devient en même temps scénariste et
réalisateur.
1. Il
tourne son premier film en 1950, sur un scénario de
Yu Min (于敏) :
« Zhao Yiman » (《赵一曼》).
Le film retrace l’histoire
d’une héroïne de la guerre de résistance contre le
Japon. C’est l’un des films représentatifs de l’une
des principales tendances du cinéma chinois de
l’année 1950. Avec la réforme agraire, et surtout la
guerre de Corée, le cinéma va cependant très vite
évoluer, et Sha Meng va participer à son évolution.
Zhao Yiman
2. En 1951,
il sort un film très sombre sur un camp de
prisonniers du Guomingdang au début des années 1940
: « Le camp de Shangrao » (《上饶集中营》) ;
c’est là que, au lendemain de « l’incident de
Wannan », en janvier 1941, deux à trois cents soldats de
la Nouvelle 4ème Armée ont été détenus
dans des conditions très dures par le Guomingdang.
Le film montre la résistance des soldats communistes
à l’intimidation et à la torture, et leur victoire
finale sur leurs geôliers.
Le film est
produit par le studio de Shanghai, et l’un des
grands succès de ce studio pendant cette période.
Le cinéma
chinois, cependant, traverse une crise en 1951 : la
production s’effondre, après une période faste dans
l’euphorie de la première année du régime. Le climat
d’incertitude est aggravé par les attaques
idéologiques dont sont victimes
3. Sha Meng attend
1953 pour sortir son troisième film, qui répond aux
impératifs idéologiques de l’heure : après les première
étape de la réforme agraire, il s’agit maintenant, dans une
seconde phase, de lutter contre le morcellement des
parcelles en mettant en place un système d’ « aide
mutuelle » qui est un premier pas vers la collectivisation.
Sha Meng avec Lin Shan
Sur un
scénario de Lin Shan (林杉),
« La
bonne récolte » (Fengshou 《丰收》)
se passe dans un village en 1953, au moment où sont
instituées les « coopératives d’entraide » (合作社).
Elles se heurtent bien sûr à des résistances, mais
celles des esprits rétrogrades tombent devant les
résultats de ceux qui vont de l’avant : la
coopération est le meilleur moyen de progresser vers
la prospérité.
Le film
n’est cependant pas caricatural : les personnages
sont bien campés, très bien
interprétés, et la
musique est superbe. Le tout est à replacer dans le climat
de l’époque, mais le réalisme prévaut.
Fengshou
4. C’est la
guerre de Corée qui fournit le sujet de son
quatrième film à Sha Meng : « Dans les monts
Shanggan » (Shanggan ling《上甘岭》),
sorti en 1956,
qui est considéré comme son chef d’œuvre.
Il faut
dire que Sha Meng a appliqué une pratique qui se
développait alors dans le cinéma chinois, comme en
littérature : l’enquête de terrain. Sans se soucier
de ses problèmes de santé, Sha Meng a passé huit
mois sur le front, à se documenter et enquêter ; il
aura fallu ensuite deux ans pour mettre au clair les
quelque 250 000 caractères de notes prises au cours
des entretiens, et la masse de documents rapportés.
Le film est
le résultat de ce travail épuisant, garant de son
réalisme.
Dans les monts
Shanggan
Sha Meng en reportage
sur le front coréen en 1954
Dans les monts
Shanggan
5. Aussitôt
après, Sha Meng s’est lancé dans un autre projet
basé sur une enquête de terrain : un film sur le
soviet du Jiangxi (江西苏区).
Il a rencontré là des anciens combattants qui lui
ont donné l’envie très forte de mettre en scène un
film sur leurs combats. Il a créé pour cela avec Lin
Shan un « bureau de recherche créatif » (“创作研究室”)
et ils ont finalement conçu un projet de quadrilogie
pour
représenter tout le processus des luttes
révolutionnaires ayant conduit à la révolution
socialiste ; cela
L’équipe du tournage
devait s’appeler
« la quadrilogie de la révolution chinoise » (“中国革命四部曲”).
Mais Sha Meng a
été condamné comme droitier en 1957, et il a dû remiser son
projet. Finalement, en 1960, il a été transféré du studio de
Changchun (héritier du studio du Nord-Est) au studio de
Pékin, et c’est là qu’il a réalisé son film suivant, sorti
en 1962 : « Au long de la rivière Fen » (《汾水长流》).
Sha Meng sur son
dernier tournage
Le sujet
est à nouveau la campagne : il correspond au mot
d’ordre donné aux cinéastes après le désastre ayant
suivi le Grand Bond en avant ; il fallait redonner
le moral aux paysans et
faire des films qui leur soient destinés.
L’histoire
du film de Sha Meng se passe dans un petit village
du Shanxi en 1954, sous les meilleurs auspices. La
mise en scène est vive et enlevée, et l’utilisation
de la musique traditionnelle est encore plus réussie
que dans « Fengshou ».
Au long de la
rivière Fen
Malheureusement,
Sha Meng était malade. Il est décédé à Pékin le 26 juin
1964, à l’âge de 57 ans.
C’est d’autant plus
regrettable qu’il n’aura guère pu s’exprimer vraiment comme
il le désirait, surtout après sa condamnation comme
droitier.