par Brigitte
Duzan, 21 septembre 2015,
actualisé 16 mai 2024
Après des
études aux Beaux-Arts, Wu Ershan s’est orienté vers
le cinéma et a commencé sa carrière en 1998 en se
spécialisant dans le film publicitaire. C’est ainsi
qu’il s’est formé, et s’est peu à peu peaufiné un
style très personnel, au confluent du commercial et
du film d’auteur.
Il n’a
encore que trois films à son actif, tous trois
originaux, à commencer par le scénario ; le
quatrième, « Mojin, the Lost Legend » (《鬼吹灯之寻龙诀》),
dont la sortie est annoncée pour la fin de 2015, est
très attendu. Wu Ershan peut ne pas plaire, il ne
laisse pas indifférent.
De la
peinture au film publicitaire
D’origine
mongole, Wu Ershan est né en 1972 à Hochhot,
capitale de la Mongolie intérieure. Mais ses parents
ont
Wu Ershan
déménagé à Pékin en
1976, quand il avait quatre ans ; c’est donc là qu’il
grandi, dans des locaux de l’armée.
Education
artistique
De 1988 à 1992, il
a étudié au lycée dépendant de l’Institut central des
Beaux-Arts, à Pékin (中央美术学院附中).
En 1992, il entre dans la classe de peinture à l’huile de
l’Institut (中央美术学院油画系),
mais, ne s’entendant pas avec son professeur, il abandonne
en seconde année, en 1993. C’est alors qu’il décide de
s’orienter vers le cinéma pour lequel il a toujours eu une
passion.
En 1994, il entre à
l’Institut du cinéma de Pékin, dans la section de
réalisation. Mais, comme beaucoup d’autres, ce qui
l’intéresse surtout, c’est de pouvoir regarder des films ;
il sèche des cours pour visionner des VHS, des films
étrangers, et des films anciens des années 1930 et 1940. Il
sort en 1998 avec une solide culture cinématographique.
En même temps, il a
commencé à faire des vidéos.
En 1998, il
participe à un festival de vidéo en Allemagne (Transmediale
’98).
Films publicitaires
Mais il se lance
d’abord dans une carrière publicitaire, et devient un
réalisateur connu pour ses films publicitaires pour la
télévision. Il se forge ainsi un style visuel rapide et
percutant, utilisant le noir et blanc aussi bien que la
couleur, et fait preuve d’une grand imagination dans la
conception de ses scénarios.
Il a fait par
exemple plusieurs films pour China Mobile, dont un au moment
des Jeux olympiques de Pékin, dont China Mobile était un
sponsor. Le film est intitulé « Prendre part » (fēnxiǎng
《分享》)
et illustre un slogan très subtil : 你的分享,世界的共享
avec la
participation de chacun, c’est le monde entier qui
participe.
China Mobile
(Participer
《分享》)
Autre exemple, son
film publicitaire pour la bière Sedrin (雪津啤酒)
pour illustrer l’idée d’une bière qui dégage le sentiment de
vrai, d’authentique (《真性情》) :
La bière Sedrin, le
sentiment de l’authentique
Pour les bonbons
Alps, il a fait un film qui joue sur le logo de la marque :
Alpenliebe, c’est-à-dire amour des Alpes. Son film
s’intitule « Les amants » (《恋人》) :
il suffit d’un Alps…
Les bonbons Alps,
Les amants
Il a aussi fait un
film pour les vêtements pour hommes Tries (才子服饰)
en jouant sur des effets de lavis animé pour rendre
l’impression d’élégance subtile, intemporelle.
Vêtements Tries,
Lavis
《水墨》
Mais les plus
réussis dans ce genre d’idée suggestive sont sans doute les
deux films réalisés pour la firme LG, pour ses téléphones
portables et ses machines à laver, dans les deux cas pour
suggérer l’impression d’un produit de luxe et de qualité.
Téléphones
portables LG : « Démaquillage »
《卸妆》
xièzhuāng
Machines à laver
LG : « Tempérament »
《气质》
(Slogan :
laver différemment)
Vidéos et
installations
Parallèlement, Wu Ershan continue ses créations
artistiques. En 2000, il fonde le “studio 523” et,
avec un groupe d’amis, réalise des courts métrages,
des installations et des vidéos. De 2000 à 2004,
outre en Chine, il est invitéà
des expositions et festivals de vidéos dans divers
pays (Pays-Bas, Belgique, Japon, Corée).
Du film publicitaire au cinéma
Il réalise son premier film en 2004.
2004 : Soap Opera
Soap
Ce premier film, il l’écrit, le réalise et le
produit. C’est un film expérimental, intitulé « Soap
Opera » (《肥皂剧》).
C’est déjà, au niveau de la structure du scénario,
la préfiguration de ses films suivants : il est en
effet constitué de trois histoires différentes.
Ce sont des faits divers. Un
collégien est victime d’un chantage par des petits
escrocs ; pour les payer, il vole de l’argent à ses
parents, puis kidnappe le fils de ses voisins, en
demandant 5000 yuans à sa mère ; il enferme l’enfant
dans une bâtisse délabrée et le tue.
La seconde
histoire est celle d’un homme d’âge moyen, qui a
appartement, voiture, femme et enfantet pourrait
avoir une vie tranquille, mais qui souffre
d’insomnie, le moindre bruit l’empêchant de dormir,
et qui devient violent quand il n’arrive pas à
dormir : or, au-dessus de chez lui habitent
plusieurs
femmes qui
sont hôtesses dans un
club de danse. Une nuit qu’il ne parvient pas à dormir, il
monte chez elles et les tue.
La troisième histoire est celle
d’un cuisinier, chef réputé dont le fils, à l’école,
a écrit un très bon devoir : il y raconte que son
papa n’est pas quelqu’un qui parle beaucoup, et,
quand sa maman clame qu’ « elle a épousé un marmiton
qui sait super bien cuisiner », il va s’enfermer
dans sa cuisine. Un jour, l’enfant découvre ce qui
est en fait un fémur – le cuisinier a tué sa femme,
et a fait congeler ses membres et ses viscères
[1].
“Soap
Opera” a obtenu le prix Fipresci for New Currents’
au 9ème Festival international de cinéma de Busan.
2008 : Nomadic
Plan in Outer Space
Après
« Soap Opera », Wu Ershan revient vers la publicité,
et la création artistique. Il conçoit tout un projet
développé autour de l’idée de nomadisme lié la
culture mongole : 'Nomadic
Plan in Outer Space’. Il
imagine la vie nomade étendue à l’univers et à
l’espace.
Combinaison spatiale
par Wu Ershan
(feutre et métal)
Epopée de l’espace,
entre yourte et cheval
Il mêle
sculptures, installations et photographies, mais
aussi une galerie de costumes qui pourraient aussi
bien être des maquettes pour un film de
science-fiction. Dans sa conception, l’œuvre
rappelle ‘2001 : A
Space Odyssey’
de Stanley Kubrick. Mais
la vision du futur qu’elle
illustre est inspirée par le grand classique mongol
« L’histoire secrète des Mongols »
[2].
C’est après
cette période de transition que Wu Ershan revient
vers le cinéma, et cette fois c’est définitif.
2011 :
The Butcher, the Chef and the Swordsman
En
septembre 2009, il commence le tournage de son
premier long métrage, conçu dans une optique
commerciale : « The
Butcher, the Chef and the Swordsman » (《刀见笑》),
présenté comme « un wuxia d’avant-garde » (先锋武侠喜剧),
dans un style peu ordinaire qui tient beaucoup de
son expérience dans le domaine publicitaire.
Il a
d’abord beaucoup travaillé le scénario, écrit avec
trois coscénaristes, Zhang Jiajia (张嘉佳)
[3],
Tang Que (唐缺)
et Ma Luoshan (马洛杉),
sur la base d’un roman de l’écrivain sichuanais An
Changhe (安昌河),
« La légende d’un couteau de cuisine » (《菜刀传奇》).
Comme
« Soap Opera », l’histoire est tripartite, mais les
trois
The Butcher, the Chef
and the Swordsman
fils
narratifs sont subtilement liés entre eux, autour du thème
central du couteau, ultime avatar de
Trois histoires, trois
époques
plusieurs
épées de grands maîtres dont il conserve en mémoire
la gloire passée et l’histoire. Les trois parties du
film sont bâties sur des sous-thèmes clairement
affichés : désir, vengeance et convoitise.
La
première partie relate l’histoire du boucher, dans
une époque ancienne indéfinie, humilié par un maître
d’arts martiaux qui lui subtilise la pensionnaire
d’une maison close qu’il voulait s’acheter ; le
boucher vole une arme à un mendiant pour se venger…
La seconde partie revient à l’histoire de l’arme du
mendiant, que l’on retrouve dans la cuisine d’un
chef réputé qui s’en sert comme hachoir pour
préparer un mets particulièrement raffiné, réclamé
par un
puissant
eunuque… La troisième partie remonte à
l’origine du hachoir …
Complexe,
pimentée d’humour et de pastiches de wuxia,
l’histoire est surtout prétexte à une mise en scène
d’une grande
originalité : Wu Ershan mêle tous les styles – noir et
blanc, animation, vidéo musicale, split screen…
Les personnages, qui tirent sur le baroque, voire le
grotesque, sont inspirés de la peinture et la
sculpture anciennes, en particulier l’eunuque et les
femmes du bordel (dans des séquences felliniennes).
Le montage donne un rythme rapide à l’ensemble.
Après une
première mondiale au festival de Toronto, le film
est sorti en Chine en mars 2011. Au 48ème
festival du Coq d’or, à Taiwan, Wu Ershan a décroché
pour ce film le prix du « meilleur nouveau
réalisateur » ainsi que, avec ses coscénaristes, le
prix du meilleur scénario adapté d’une œuvre
littéraire. C’est
devenu un film culte.
La légende du couteau
de cuisine
Film d’avant-garde,
cinéaste d’avant-garde
Trailer
2012 : Painted Skin
II
Wu Ershan
enchaîne aussitôt avec un film différent, avec des
acteurs et actrices de premier plan :
« Painted
Skin, the Resurrection » (《画皮2》).
Sorti fin juin 2012 en Chine, le film a remporté un
gros succès commercial.
Il est plus
linéaire, plus grand public, que le précédent, mais
reflète encore la formidable inventivité de Wu
Ershan. L’histoire est celle d’un amour triangulaire
tragique, entre humains et fantômes ; l’esprit est
celui du conte original, tiré des « Contes de
Painted Skin II, Zhao
Wei et son masque
l’étrange » de Pu
Songling (蒲松龄)
[4],
dont est directement inspiré le premier film, réalisé par
Gordon Chan.
Zhao Wei/Zhou Xun,
envoûtement réciproque
Mais, si Wu
Ershan a repris les trois principaux interprètes du
film précédent,
Zhao Wei (赵薇),
Zhou Xun (周迅)
et Chen Kun (陈坤),
leurs rôles sont différents et Wu Ershan a rajouté
son propre imaginaire et sa propre griffe : il a
créé un monde totalement différent.
L’histoire
est un conte original, écrit, ici aussi, avec
plusieurs coscénaristes. Une renarde très attirante
(Zhou Xun), qui se nourrit des cœurs des hommes
qu’elle séduit, offre sa beauté à une princesse qui
a été défigurée par
un ours (Zhao
Wei), en échange de l’amour du général qu’aime la
princesse(Chen Kun).
Première
originalité, Wu Ershan a replacé l’histoire dans le contexte
d’un conflit avec une mystérieuse nation de hordes nomades,
quelque part dans l’ouest du pays, et a même conçu une
langue dérivée du sanscrit pour ajouter de la couleur locale
aux barbares et à leurs rituels. Mais ces séquences ne sont
pas le plus intéressant, elles sont même un peu
artificielles,voire caricaturales. C’est le traitement des
personnages qui est fascinant.
Wu Ershan joue sur
les registres éternels de la séduction et de l’amour, mais
en centrant son histoire sur les relations entre les deux
femmes, et leur attraction réciproque, ce qui donne à son
film une émotion contenue, au-delà du magique et de la
féérie.Si l’on ajoute le rôle de la démone-oiseau qui,
attirée par la beauté de la renarde, l’a tirée de la glace
où elle dormait, « Painted Skin II »est un film essentiellement féminin, dont provient le
charme discret qu’il diffuse.
Le film est sorti
en première mondiale en juin 2012 au festival de Shanghai,
où il a déclenché autant de passions que de critiques, mais
celles-ci fustigeant surtout l’imagerie de la nation
barbare. Le film suivant du
réalisateur était dès lors attendu avec curiosité
2015 :
Mojin, the Lost Legend
Annoncé
pour décembre 2015, ce film, le quatrième de Wu
Ershan, a été présenté au festival de Cannes en mai
2015. C’est « Mojin,
the Lost Legend » (《鬼吹灯之寻龙诀》),
adapté d’un épisode d’un série de huit romans de
Zhang Muye (张牧野),
devenus des bestsellers extrêmement populaires,
vendus à quelque neuf millions d’exemplaires: « Le
fantôme souffle la chandelle » (《鬼吹灯》).
C’est le
premier film chinois sur des pilleurs de tombes.
L’histoire est celle de deux aventuriers, un ancien
soldat et son partenaire, qui tentent de vaincre une
ancienne malédiction en pillant des tombes
mythiques. Comme le récit original, le film mêle
réalité, fiction et légende ; il a même été tourné
dans une authentique tombe de la dynastie des Liao,
dont l’entrée avec été agrandie par un vrai pilleur
de tombes… mais une tombe de 30 m2 qui a demandé
beaucoup d’imagination pour en faire un film palpitant,
donnant l’impression d’un monde souterrain, et hanté.
Mojin, the Lost Legend
Wu Ershan et trois des
interprètes
(de g à dr : Shu Qi,
Chen Kun, Huang Bo)
Sur fond de
culture et d’anciennes croyances chinoises
concernant les morts et le monde des morts, Wu
Ershan a construit un film qui s’annonce aussi
brillant que les précédents, avec, dans les quatre
rôles principaux, les actrices
Shu Qi (舒淇) et Angelababy (杨颖)
et les acteurs Chen Kun (陈坤)
et
Huang Bo (黄渤).
Les droits des quatre premiers
romans ont été achetés par China Film et ceux des
quatre suivants par Wanda. « Mojin,
the Lost Legend »
est la première adaptation
achevée
[5].
C’est une coproduction des groupes
Wanda, Huayi Brothers et Enlight Media – ce dernier acquis en
juin 2015 par Fox International, qui a coproduit
« The Butcher, the Chef and the
Swordsman ». Wanda
a bien l’intention d’en faire un immense succès commercial,
en particulier en le diffusant sur ses propres réseaux aux
Etats-Unis.
Bande annonce de
Mojin, the Lost Legend
2023-2024 :
Creation of the Gods
Après
« Mojin », Wu Ershan s’est lancé dans un vaste
projet d’adaptation d’un grand classique chinois de
la période Ming : « L’investiture
des dieux » (《封神演义》).
Conçu comme une trilogie (《封神三部曲》)
sur des thèmes mythologiques et fantastiques
reprenant des récits plus anciens, remontant aux
périodes Song et Yuan, les trois volets ont été
tournés simultanément, sur 18 mois, et produits par
une demi-douzaine de sociétés de production avec en
tête Tencent Pictures (腾讯影业).
Le
premier volet de cette superproduction est sorti sur
les écrans chinois le 20 juillet 2023 : « Creation
of the Gods I : Kingdom of Storms » (Fēngshén
dì yī bù: Zháogē fēngyún《封神第一部:朝歌风云》).
L’histoire se déroule au 11e siècle avant
J.C., au moment où, au terme d’une sanglante révolte
de palais, monte sur le trône de la dynastie Shang
le dernier roi de la dynastie, Zhou Wang (纣王)
, tyran sanguinaire et
Mojin, the Lost Legend
débauché qui va
plonger tout le pays dans une période d’extrême décadence
morale signifiant la perte du Mandat céleste (ou du moins
c’est ainsi que la fin de la dynastie a été dépeinte dans
l’historiographie officielle, justifiant son renversement).
Le film
est une débauche caricaturale d’effets spéciaux qui lasse
bien avant la fin de ses 2 heures 30 ; il reprend en les
magnifiant les pires clichés d’une histoire mythique que les
historiens sont justement en train de démonter. On a perdu Wu
Ershan quelque part.
Creation of the
Gods I, bande annonce
Les deux
autres volets de la trilogie sont attendus en 2024 et 2025.
Filmographie
2004 Soap Opera《肥皂剧》
2011 The Butcher,
the Chef and the Swordsman《刀见笑》
2012 Painted Skin :
The Resurrection《画皮II》
2015 Mojin, the
Lost Legend
《鬼吹灯之寻龙诀》
2023 Creation of
the Gods I : Kingdom of Storms《封神第一部:朝歌风云》
[2]
La plus ancienne œuvre littéraire en langue mongole
qui nous soit parvenue, écrite pour la famille
royale mongole peu de temps après la mort de Gengis
Khan, en 1227, et probablement en script ouïgour.
[3]
Ecrivain à succès, orienté vers le public des
jeunes.