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Zhang Ming
章明
Né en 1961
Présentation
par Brigitte Duzan, 31 mai 2017, actualisé 9 mai 2021
Zhang Ming
(章明)
est né en
1961
à Wushan, dans la zone du barrage des Trois Gorges,
au Sichuan. C’est une région dont l’archéologie a
révélé la longue et riche histoire, et qui faisait
partie de la brillante civilisation du royaume de
Chu pendant la période des Printemps et Automnes et
des Royaumes combattants (8ème - 3ème
siècle avant Jésus-Christ). Zhang Ming lui a rendu
un hommage indirect dans son premier film et y a
tourné bon nombre des suivants.
C’est
un
réalisateur et scénariste d’un |
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Zhang Ming |
grand talent qui s’est
affirmé malgré les contraintes du système commercial et de
la censure.
1989-1996 : prolégomènes, premier film et purgatoire
Zhang Ming a
d’abord fait des études de peinture, avant d’entrer à
l’Institut du cinéma de Pékin, dont il est sorti avec un
diplôme de réalisateur en 1988, à un moment clef de
l’histoire du cinéma chinois. 1989 est en effet l’année de
la sortie du premier film de Zhang Yuan (张元),
« Mama » (《妈妈》),
le premier dans l’histoire de la République populaire à être
réalisé, après bien des péripéties et par la force des
choses, en dehors du système des studios d’Etat. Le film
était quand même enregistré auprès des studios de Xi’an, ce
qui ne sera même plus le cas de son film suivant : « Beijing
Bastard » (《北京杂种》),
sorti, en 1993, carrément « hors système, sans numéro
d’exploitation ni studio de production.
On peut ainsi
dater très précisément la date des débuts de ce qu’on
appelle la « sixième génération », qui se trouve coïncider
avec la rupture politique engendrée par les événements de
Tian’anmen ; le travail des jeunes réalisateurs va ensuite
se trouver facilité et influencé par le développement des
caméras numériques. Il s’agit de jeunes cinéastes en rupture
totale avec leurs aînés de la « cinquième génération » :
rupture stylistique, rupture esthétique et rupture
thématique. On ne joue plus sur les symboles, mais on veut
représenter la réalité, et la réalité urbaine et non plus
rurale.
Comme l’a dit
Zhang Yuan :
« [les réalisateurs de la cinquième génération] étaient de ces jeunes
intellectuels qui avaient été ‘envoyés à la campagne’ ;
nous, nous avons une culture urbaine… Ils ont tous vécu la
Révolution culturelle et sont restés un peu romantiques, pas
nous… Si je réalise des films, c’est parce que je veux
rendre compte des réalités et des problèmes sociaux. … Je
n’aime pas la subjectivité, je veux que mes films soient
objectifs… »
Zhang Ming a débuté
sous ces auspices. Il a raconté que, lorsqu’il a commencé à
tourner, il en avait par-dessus la tête de la terre jaune,
des champs de sorgho, des fichus rouges, des tambours
trimballés à la taille
(腰鼓),
des bandits et des propriétaires terriens ; les films
chinois de l’époque ne lui donnaient pas un sentiment de
réalité. Il est cependant allé plus loin que Zhang Yuan en
reconnaissant que l’objectivité est impossible, et en
prônant au contraire la recherche d’une vérité subjective :
« Qui a jamais atteint la vérité (真实) ?
La
vérité n’a jamais existé dans aucune œuvre d’art ; ce
qu’elles nous révèlent, c’est l’imagination de l’auteur, ses
goûts et attitudes, sa sensibilité et sa personnalité… »
Autant de points de vue personnels qui font la richesse et
la diversité de ses films.

Rain Clouds over
Wushan |
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En 1996,
son premier film,
« Rain
Clouds over Wushan » (《
巫山云雨》),
fait sensation au premier festival de Busan. Il est
depuis lors considéré comme un film-clef d’un
tournant de la « sixième génération ». Ce n’était
cependant pas un film « hors système » : il était
co-produit par
Tian Zhuangzhuang (田壮壮)
et… Han Sanping (韩三平),
grand manitou de China Film. S’il a ensuite été
interdit, c’est (officiellement) parce qu’il n’avait
pas respecté la réglementation concernant les visas
d’exportation. Il se trouve que 1996 était l’année
de reprise en main du système cinématographique par
les autorités chinoises…
Zhang Ming
n’est cependant pas passé à « l’underground ». Il a
simplement attendu de pouvoir obtenir les
autorisations nécessaires. C’est la raison
principale pour laquelle son
second film date
de 2001. Cinq ans de purgatoire. |
2005-2008 :
trilogie
1. C’est en
partie grâce au fonds Hubert Bals, du festival de
Rotterdam, qu’il a pu débuter le tournage de son
second film, « Week-end
plot » (《秘语拾柒小时》), le
scénario ayant été l’un des lauréats du fonds en
2000. Le film, tourné dans son Wushan natal, fut
ensuite projeté en première mondiale au même
festival l’année suivante.
L’histoire
se déroule pendant un week-end, que la jeune Jin
Xiaobei (金小蓓) vient passer pour se détendre sur les bords du Yangtsé, avec son petit
ami et trois de ses camarades d’université ; elle
retrouve là un ancien petit ami,
Yu Dong (于栋),
devenu policier et marié. L’arrivée de Xiaobei avive
les problèmes maritaux de Yu Dong, et l’atmosphère
devient de plus en plus tendue, jusqu’à ce que les
relations entre les six protagonistes entrent dans
une phase de crise à la suite d’une note anonyme et
mystérieuse : « T’aimer jusqu’à
la mort »
(爱你到死)).
Tout
le monde va désormais se |
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Week-end plot |
demander qui a envoyé le message…
Le problème est que
c’est un faux suspense. En réalité, le scénario était à
l’origine celui d’un vrai polar. Or, pendant le tournage, le
film a été censuré, pour « comporter des scènes trop
effrayantes, et présenter une interprétation tendancieuse de
l’histoire chinoise ». Zhang Ming a donc dû réécrire le
scénario ; il ne comporte plus qu’un ersatz de suspense qui
n’est plus effrayant du tout, mais n’a plus guère de sens
non plus.
Ces jeunes en goguette sur le bord du
fleuve font penser par moments à Antonioni ; certaines
séquences, et l’atmosphère en général, sont très proches de
« L’Avventura », avec cette impression de drame diffus qui
refuse de se matérialiser. Mais les personnages manquent
singulièrement de profondeur et de grâce
.
Comme l’écrivait un critique lorsque le film fut présenté au
festival de Hong Kong, en 2002 : « Il y a certainement là
les maillots de bain les plus laids de l’histoire du cinéma
chinois à cette heure, mais les relations entre les
personnages ne sont guère plus réussies. »
Week-end Plot
(sous-titres chinois/anglais), 1ère partie
http://www.56.com/u84/v_MjczMDk5OTM.html
2. Zhang
Ming est resté dans le même registre pour son film
suivant, mais il est beaucoup plus abouti, et d’un
style mieux maîtrisé. Sorti en 2005, il s’intitulait
d’abord « Grossesse » (《怀孕》),
mais, la censure (encore) n’ayant pas approuvé ce
titre, il s’est finalement appelé
« Before
Born » (《结果》).
Le titre
chinois final [Jieguo
《结果》]
est judicieux : il signifie « conséquence(s) », et
c’est, grosso modo, le sujet du film. Cette fois, il
ne se passe pas à Wushan, mais à Beihai (北海),
petite ville touristique du sud du Guangxi, avec
climat subtropical, restes d’architecture coloniale
portugaise et plage de sable fin classée « première
plage de Chine ». Honnêtement, le film ne donne pas
envie d’y passer ses vacances ; il aurait dû être
interdit pour cette seule raison. Mais c’est
justement l’envers du décor, une vision d’une autre
réalité.
Le personnage
principal, Ah Liang (阿亮),
a été chargé par |
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Before Born |
un dénommé
Wang Bo (王勃)
de traquer sa petite amie Xiao Dan (小单)
en plein délit d’adultère dans un hôtel de Beihai, dans la
chambre 427 exactement. Il la rate, mais abandonne sa
mission pour espionner une autre jeune femme, Yuran (虞染).
Il se
trouve que les deux jeunes femmes sont enceintes d’un même
mystérieux Li Chonggao (李崇高)
qui a disparu. Xiao Dan se fait avorter, reste Yuran…
C’est un film étrange, un peu à la Delvaux, avec très peu de
dialogues, beaucoup de silences, construit selon le principe
de la répétition, ou plutôt de la confrontation de deux
histoires conçues en miroir. La référence, ici, reconnue par
le réalisateur, est « Paysage dans le bouillard », le film
de Theo Angelopoulos sorti en 1988 (en chinois《雾中风景》) dont on retrouve des scènes très semblables et l’atmosphère un peu
irréelle. C’est un film sur une quête, la recherche de
quelqu’un qui puisse finalement donner un sens ultime à sa
vie.
Zhang Ming a expliqué qu’il a voulu montrer les obstacles
que ses personnages doivent surmonter pour aboutir à l’issue
finale, comme les enfants à la recherche de leur père dans
le film d’Angelopoulos.
Il peut être considéré comme la dernière partie d’une trilogie
dont les deux premières parties seraient
« Rain
Clouds over Wushan » et « Week-end Plot ».
3.
En
mai 2005, un distributeur privé de New York
spécialisé dans le cinéma indépendant des pays en
développement, Global Film Initiative, annonçait les
œuvres sélectionnées pour son programme bisannuel de
soutien aux productions de ces pays ; y figurait un
projet de Zhang Ming, intitulé « Dark Legend » (《黑暗传》).
Le film avait déjà reçu une aide du fonds
Hubert Bals
l’année précédente.
Il est sorti en 2008 sous le titre « The
Bride » (《新娘》),
de quoi s’y perdre, encore une fois.
L’histoire
se passe à nouveau dans la région des Trois Gorges.
Lao Qi (老齐),
veuf depuis peu, tient un petit boui-boui où il sert
le thé à quelques clients de passage, en dormant sur
un vieux matelas à l’arrière. Il a trois amis qui ne
roulent pas sur l’or non plus, et l’un d’eux, qui
est agent d’assurance, leur propose un plan pour se
faire de l’argent : Lao Qi va se remarier avec une
jeune innocente à laquelle ils vont payer
|
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The Bride |
une assurance-vie
en faveur de son époux ; ils élimineront l’épouse et se
partageront la prime.

Le manuscrit du chant
Dark Legend |
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Le problème est que
Lao Qi se laisse ensuite gagner par le charme innocent de la
jeune fille, et qu’il renâcle à céder aux instances de ses
copains. La conclusion finale est inattendue, et confère un
élément de légèreté à l’ensemble qui prend des allures de
fable.
Le film,
qui ne manque pas d’humour, est évidemment en
surface une satire des méfaits d’une urbanisation
rapide qui aurait ruiné les valeurs traditionnelles,
mais justement Zhang Ming dépasse le cliché en
donnant une image émouvante de la survivance des
traditions à la campagne, sous la forme de ce chant
funèbre, entonné à la fin du film, qui lui donnait
son premier titre chinois : Dark Legend《黑暗传》.
Le chant en question est une survivance des plus
anciens chants populaires de la région du Hubei, à
la frontière du Sichuan ; on en a retrouvé un
manuscrit lors de fouilles dans le district
forestier de Shennnongjia (神农架林区)
.
|
Il y a donc
un lien poignant entre ce très beau chant promis à
une disparition prochaine, la menace
d’engloutissement de la région par les eaux du
barrage, et l’atmosphère délétère
créée par
l’absence de valeurs morales des personnages, contaminés par
la soif d’argent rapide.
De la fiction au
documentaire
Zhang Ming a
ensuite travaillé sur un documentaire, dans le cadre
d’un projet d’histoire orale intitulé « Ils disent » (“他们说”), qui visait à la compilation d’entretiens avec des citoyens ordinaires
pour enregistrer leurs souvenirs et leurs expériences vécues
de passages oubliés ou passés sous silence de l’histoire
chinoise récente.
Il a interviewé des
gens d’une cinquantaine d’années et plus, pour qu’ils lui
confient leurs souvenirs douloureux, et il s’est rendu
compte que la majorité de ses interlocuteurs préféraient se
rappeler les épisodes joyeux ou drôles de leur existence,
illustrant, dit-il, ces vers de Pouchkine : « Toute douleur
finit par s’estomper, et le passé ne devient plus alors que
souvenirs heureux. » Mais il a quand même rencontré quelques
personnes qui pensent qu’oublier le passé est une forme de
trahison…
Finalement, il a
gardé trois témoignages pour en faire trois documentaires à
part entière :
- Chen Ping (陈坪)
représente les
jeunes des années 1970 : à vingt ans, il a été arrêté comme
meneur d’un groupe contre-révolutionnaire parce qu’il
parlait de littérature et de politique avec ses amis ; il
n’a été emprisonné que deux ans, mais cela a changé sa vie.
- Liu
Peipei (刘沛沛)
témoigne du début des années 1980, quand il était
étudiant en peinture ; c’étaient des années folles,
il voulait peindre nu, et a organisé une exposition
en plein air (《露天画展》)
qui fut
interdite.
- Wang Kang
(王康) est le contemporain de la Nouvelle Chine (新中国同龄人)
dont il a vécu les soixante ans d’histoire, les
moments glorieux et ceux de misère et de famine. Il
considère cela comme son destin.
L’histoire
de Wang Kang devait constituer la première partie
intitulée « 60 » (avec pour une fois un titre
chinois identique), et l’histoire de Liu Peipei la
seconde partie, intitulée
Cāngying
《苍蝇》
( ‘la mouche’).
Seule la
deuxième partie, l’histoire de Liu Peipei, a vu le
jour, sous le titre « The Fly » (《苍蝇》).
Retour à la
fiction, entre cinéma et télévision
En 2010,
Zhang Ming a écrit le scénario d’une série télévisée
inspirée du film de 1954 de Wang Weiyi (王为一)
« L’écho des clochettes de la caravane de chevaux
dans la montagne » (《山间铃响马帮来》).
2011-2013 : trois films dans la ligne
En 2011,
2012 et 2013, il a écrit et réalisé encore trois
films : « Folk Songs Singing » (《郎在对门唱山歌》),
dont la musique
et
l’interprétation ont été primées au festival de
Shanghai, « China Affair » (《她们的名字叫红》)
qui a obtenu le prix des critiques au même festival
et « Cherry Goddess » (《九号女神》),
primé au festival du Coq d’or.
Le premier,
« Folk Songs Singing », est un mélo adapté d’une
pièce de théâtre, sur l’histoire d’une jeune fille
amoureuse de son professeur de musique et convoitée
par le fils du chef de la police locale. Le film est
très bien joué, et, tourné au Sichuan, se distingue
par une musique faisant usage de chants populaires
locaux.
Quant à
« Cherry Goddess », c’est un film sans surprise,
avec un scénario « sous influence » : pour
promouvoir les cerises de son village, le paysan Liu
Qiang (刘强)
participe à un show de rencontres à la télévision où
il rencontre la post-doctorante Zhang Linje (张林洁),
la concurrente n° 9 ; il s’en éprend et elle va
participer à ses efforts de promotion et de
modernisation du village.
Ce film est
symbolique de l’histoire de Zhang Ming, réalisateur
et scénariste d’un immense talent qui a refusé de
passer hors système et s’est vu peu à peu rogner les
ailes par la censure et les impératifs commerciaux
du cinéma moderne.
2018 : The
Pluto Moment
Fort
heureusement, vingt-deux ans après son premier
succès critique, il a réussi à faire un film selon
ses propres exigences et c’est une réussite :
« The
Pluto Moment » (《冥王星时刻》)
a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs du
festival de Cannes en mai 2018 et y a été accueilli
avec enthousiasme par les critiques de cinéma dans
leur ensemble.
Le succès
du film lui a permis de rebondir avec un projet d’un
style totalement différent. |
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Folk Songs Singing

China Affair

Cherry Goddess

The Pluto Moment
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2020 : Hot Soup
En décembre
2020,
« Hot Soup » (《热汤》)
est remarqué au festival international de Hainan (海南岛国际电影节).
C’est un film complexe dont le scénario entremêle
les destins de quatre femmes : l’une est en
désaccord avec son mari sur la question d’avoir ou
non un enfant ; une doctorante voit sa thèse sur le
bonheur critiquée par son directeur de thèse, mais
n’a qu’une envie, c’est la terminer vite pour partir
aux Etats-Unis ; une adolescente n’arrive pas à
trouver un garçon qui soit à la hauteur des attentes
de son père, mafieux et autoritaire ; une jeune
femme qui s’apprête à partir aux Etats-Unis est la
cliente régulière d’un chauffeur de taxi qui est
amoureux d’elle ….
Tous ces
personnages semblent vivre dans des univers
parallèles, mais Zhang Ming suggère des liens
possibles entre eux et leurs problèmes sur la voix
du bonheur que tout le monde recherche.
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Hot Soup |

L’équipe au festival
de Hainan (photo Fortissimo) |
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En 2018, le
film a été retenu dans le cadre du forum de
financement du festival de Shanghai. Au festival de
Hainan, les droits de distribution ont été achetés
par Fortissimo.
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Filmographie
(hors télévision)
Fiction
1996 :
Rain
Clouds over Wushan / In Expectation
《 巫山云雨》
2001 : Weekend
Plot
《秘语拾柒小时》
2006 : Before
Born
《结果》
2007 :
Yuanzhang Baba
《院长爸爸》
2009 : The
Bride
《新娘》
2011 : Folk
Songs Singing
《郎在对门唱山歌》
2013 : China
Affair
《她们的名字叫红》
2014 : Cherry
Goddess
《九号女神》
2018 :
The Pluto Moment
《冥王星时刻》
2020 :
Hot Soup
《热汤》
Documentaire
2009 : The Fly
(40’)
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