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« Drug War », premier
polar de Johnnie To tourné en Chine, en mandarin
par Brigitte
Duzan, 16 mars 2013
« Drug
War
» (《毒战》)
a été la "surprise" du festival de Rome en novembre
2012. Présenté au
37ème festival de Hong Kong,
en mars 2013, il n’a cependant pas été choisi pour
l’ouverture : le festival lui a préféré un film
cantonais.
Johnnie To (杜琪峰)
est en effet l’un des réalisateurs hongkongais qui
lorgnent vers le continent pour y profiter de
l’essor rapide du marché et y prendre une place
disputée. Pour
« Drug
War
», il
s’est soumis aux conditions de censure, et a tourné,
en mandarin et dans le nord de la Chine, tout en
conservant cependant les grandes caractéristiques de
son univers propre.
Une
histoire compliquée de lutte contre des trafiquants
de drogue
Nous sommes
dans une ville portuaire du nord-est de la Chine, à
Jinhai (津海),
district de Tianjin. Le film débute, comme
d’habitude, par |
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Drug War,
confrontation Louis Koo/Sun Honglei |
la présentation des
principaux personnages.
Après une explosion
dans sa fabrique de coke qui a tué sa femme et ses deux
frères, Choi Tin-ming (蔡添明),
un natif de Hong Kong, s’enfuit au volant de sa voiture,
mais, sous l’emprise de la drogue, a un

Johnnie To présentant
Drug War au festival de Rome |
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accident.
Parallèlement, le trafiquant Li Zhenbiao (黎振标)
est arrêté avec son gang par une équipe de la police
anti-drogue de la ville, menée par l’agent secret
Zhang Lei (张雷).
Li Zhenbiao et ses copains ayant ingéré des sachets
de drogue pour les transporter, ils sont envoyés aux
urgences et se retrouvent dans le même hôpital que
Choi Tin-ming.
Les
problèmes commencent quand l’un des sachets éclate
dans le corps de l’un des trafiquants. Dans la
confusion qui s’ensuit, Choi Tin-ming tente de
s’échapper, |
mais il est
rattrapé par Zhang Lei et ses hommes. Menacé d’une
éventuelle condamnation à mort, il accepte de coopérer avec
la police pour les aider à démanteler le réseau de
trafiquants en échange de la promesse qu’il ne sera pas
poursuivi.
Pour
commencer, il accompagne Zhang Lei, qui se fait
passer pour le trafiquant Shuchang, lors d’une
rencontre dans un hôtel avec l’acheteur Haha, qui a
un vaste projet d’extension de son réseau à la Corée
du Sud et au Japon, et qui veut que Shuchang le
mette en contact avec un important fournisseur.
Après le départ de Haha, arrive le vrai Shuchang
tandis que Zhang Lei prétend alors être Haha et
persuade Shuchang d’arranger une rencontre avec le
fournisseur ; obligé de sniffer de la coke, il est à
deux doigts de défaillir… |
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Wai Ka-fai et Johnnie
To à la Biennale de Venise en 2007 |

Traqué |
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Cette même
nuit, Choi Tin-ming emmène Zhang Lei en TGV dans le
centre de la Chine où il a une autre fabrique,
dirigée par deux frères sourds-muets, où ils
installent des caméras cachées, avant de prendre un
autre TGV pour aller au rendez-vous fixé par le
fournisseur….
Le filet se
resserre de plus en plus, mais le succès de
l’opération reste dépendant de la poursuite de la
collaboration de Choi Tin-ming qui offre autant
d’informations qu’il |
peut pour sauver sa
peau, mais tout en gardant certains secrets …
L’univers de
Johnnie To transféré en Chine
Tous les
ingrédients habituels des films de Johnnie To sont
réunis, mais l’atmosphère est légèrement différente,
la mise en scène et la photo s’appuyant sur les
espaces caractéristiques du territoire chinois.
Intrigue,
violence et personnages/acteurs habituels
Johnnie To
retrouve la Chine plus de trente ans après son
premier film : « The
Enigmatic Case
»
(《碧水寒山夺命金》),
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L’univers habituel de
Johnnie To |
en 1980, un
film d’arts
martiaux cherchant l’originalité mais qui ne convaincra
personne, et à la suite duquel il reprendra du service à la
télévision hongkongaise.

Mais transplanté dans
le nord de la Chine |
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Entre-temps, il a peaufiné un style bien à lui. Le
scénario de « Drug War » a été concocté avec son ami
le scénariste et producteur
Wai Ka-fai
(韦家辉),
vieux complice avec lequel il a créé le studio
Milkyway en 1996 et avec lequel il a coréalisé la
plupart de ses films depuis 2000 (1). On retrouve
une de ses histoires tortueuses de gang et de
policier jouant les gangsters pour mieux les
coincer.
Le scénario
rappelle ceux des années 2000. Le duo de choc de
« Dug War », l’acteur |
hongkongais
Louis Koo
(古天乐)
dans le rôle de Choi Tin-ming et l’acteur chinois Sun
Honglei (孙红雷)
dans celui de Zhang Lei se trouvaient déjà face à face dans
« Triangle » (《铁三角》)
en 2007. Dans « Drug War », d’ailleurs, Louis Koo a dû être
doublé en mandarin.
Mais on
retrouve également les éléments comiques qui sont
une caractéristique de la cinématographie de Johnnie
To, mais qui sont aussi un passage presque obligé
dans tout scénario chinois. On a ici en particulier
les deux frères sourds-muets, interprétés par Li
Jing (李菁)
et
Guo Tao
(郭涛)
(2), dont les échanges tournent parfois presque au
numéro de xiansheng.
On retrouve
même à la fin du film une bonne partie des acteurs
récurrents chez Johnnie To qui font partie de son
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Deux sourds muets (Guo
Tao à g.et Li Jing) |
univers et en sont
symboliques : Lam Suet
(林雪),
Gordon Lam
(林家栋), Eddie Cheung (张兆辉)
et Michelle Ye
(叶璇).
Il est vrai qu’ils arrivent de façon quelque peu inattendue,
comme débarqués d’une

Une rappel de wuxia |
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autre planète, mais c’est celle, justement, de
Johnnie To et, en fidèles, on apprécie le clin
d’œil,
même s’il
n’est pas totalement logique ou cohérent.
La musique
aussi fait un lien avec les films précédents du
réalisateur : elle est signée du même Xavier
Jamaux qui travaille avec lui depuis « Mad
Detective » (《神探》),
en 2007. Sa musique atmosphérique est un élément
primordial pour lier entre elles des séquences
montées de façon rapide et volontairement décousue.
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Mais univers
reconditionné par le passage en Chine
Johnnie To
a amorcé son passage vers la Chine en 2011, avec
deux comédies romantiques calibrées pour le public
chinois, et toutes deux avec Louis Koo : « Don’t Go
Breaking My Heart » (《单身男女》)
et « Romancing in Thin Air » (《高海拔之恋2》).
Ce dernier film, sorti en 2012, a d’ailleurs été
tourné en Chine continentale, à Shangri-la.
Johnnie To a en fait commencé une sorte de politique
de la main tendue dès 2006, avec
« Election
2 » (《黑社会2》) :
le premier |
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Toute l’équipe du film
à Rome |
« Election »
traitait de l’évolution politique à
Hong Kong, sur fond
de lutte entre tradition et modernité, le second a pour
arrière-plan les relations avec la Chine ; la seconde partie
du titre entier envoie un

Election 2, le message
de l’unité |
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message
clair : « L’harmonie est le plus précieux » (《黑社会2:以和为贵》)
– l’harmonie ou l’unité – c’est ce qui apparaît le
plus nettement sur les affiches.
Si les deux
comédies de 2011 et 2012 n’ont pas connu le succès
escompté, « Drug War » devrait être mieux reçu car
il correspond à la vogue actuelle du film policier
en Chine continentale.
S’il est un
peu forcé dans les séquences comiques, et manque de
symbiose entre les acteurs principaux, c’est une
réussite en matière de photographie. La photo grand
angle du chef opérateur Cheng
Siu-keung (郑兆强) souligne les vastes étendues et la largeur des avenues, qui changent
des espaces confinés de Hong Kong où évoluaient
jusqu’ici les films de Johnnie To, et qui semblent
encore multipliées par un froid comme palpable – le
film ayant été tourné en hiver. |
Les fans
apprécieront en outre le travail de Soi Cheang (郑保瑞),
le réalisateur de deux films
produits par Johnnie To,
« Accident » (《意外》)
en 2009 et « Motorway » (《车手》)
en 2011, dont le principal intérêt tient à la chorégraphie
des courses poursuites de voitures.
Avec le recul,
« Sparrow »
(《文雀》)
apparaît de
plus en plus comme le chef d’œuvre du réalisateur, annonçant
un tournant dans son œuvre qui se matérialise aujourd’hui,
mais sans innovation majeure.
Bande annonce
Notes
(1) Il y a en outre
trois co-scénaristes, deux de l’équipe habituelle de Johnnie
To, plus Yu Xi (余曦),
jeune réalisateur et scénariste qui a fait des études à
l’université Qinghai, à Pékin, avant d’aller continuer des
études de cinéma à Hong Kong en 2008. Il est en particulier
l’auteur de deux courts métrages, un de fiction et un
documentaire, sur les conséquences du tremblement de terre
du Sichuan.
(2) Li Jing est un
acteur de dialogue comique (xiansheng
相声).
Guo
Tao est un
acteur comique très connu en Chine,
habitué des films de
Zhang
Yang (张扬)
qui l’a fait connaître dans « Spicy Love Soup » (《爱情麻辣烫》)
en 1997 .
A lire en complément :
Une interview de Johnnie To où il explique comment le film a
été conditionné par ce qui était jugé possible en fonction
de la censure chinoise et désirable pour le public chinois :
www.film.com/movies/johnnie-to-interview-drug-war
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