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« Ripples Across Stagnant Waters » :
le
dernier film de Ling Zifeng, comme une suite de « Chuntao »
par Brigitte
Duzan, 23 octobre 2016
Après
« Chuntao »
(《春桃》),
en 1988, Ling Zifeng a réalisé un dernier film qui
poursuit sa réflexion.
« Chuntao » brossait le tableau d’un personnage
féminin au caractère farouchement indépendant,
n’hésitant pas à braver les conventions sociales
pour vivre selon ses propres valeurs et principes.
Sorti quatre ans plus tard, en 1992, « Ripples
Across Stagnant Waters » (《狂》)
reprend le thème de l’émancipation féminine sous un
autre angle.
L’histoire
se passe pendant la période troublée de la fin des
Qing, entre 1894, début de la première guerre
sino-japonaise, et 1901, date de la fin de la
rébellion des Boxers, et les « ripples » du titre
sont les signes avant-coureurs du mouvement de
révolte contre la dynastie débouchant sur la
révolution de 1911. En ce sens, la fureur du titre
chinois (狂)
est autant celle des événements que la fureur de
vivre du personnage principal. |
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Ripples Across
Stagnant Waters |
Ce personnage
principal, Deng Yaogu (邓么姑),
est une jeune femme d’origine paysanne qui a été mariée à un
boutiquier, Cai Xingshun (蔡兴顺), et pensait ainsi pouvoir s’évader de sa condition et de la campagne.
Ce boutiquier, malheureusement, est un idiot borné, mais il
a un cousin, Luo Desheng (罗德生),
qui s’occupe de ses affaires, le défend et l’empêche de se
faire truander. Deng Yaogu et lui finissent par se
rapprocher, et devenir amants, sans que le mari s’en émeuve.
Xu Qing dans le rôle
de Deng Yaogu |
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Les
problèmes se multiplient cependant, avec la révolte
des Boxers ; les troupes armées déferlent de tous
côtés et, qui plus est, les rivalités commerciales
s’exacerbent. Ayant pris parti pour les Boxers,
l’amant est obligé de prendre la fuite et
disparaître ; le mari, lui, victime des agissements
d’un de ses concurrents, finit en prison. Et Deng
Yaogu accepte de se remarier pour assurer la pitance
de son fils…
L’histoire
est trop complexe pour être résumée en quelques
lignes. Elle est adaptée d’un roman, paru en 1936,
d’un auteur qui fut un précurseur de la « nouvelle
littérature » dans les années 1910-1920 : Li Jieren
(李劼人).
Le roman, « Rides sur les eaux dormantes »,
traduction littérale du titre chinois (《死水微澜》),
fut inspiré à
Li Jieren
par le roman de Flaubert « Madame Bovary » qu’il
avait traduit.
Deng Yaogu
est à l’image d’Emma Bovary, en quête du bonheur et,
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cela, avide de s’évader
du triste quotidien qui est le sien aux côtés de son idiot
de mari.
Mais le roman de Li
Jieren va bien au-delà de la description des émois et états
d’âme de son personnage. C’est un tableau en profondeur de
la société de son temps, celle de sa ville natale, Chengdu,
pendant la période de guerre et de troubles de la fin du
dix-neuvième siècle et du début du vingtième. C’est pour
cela qu’il a été porté aux nues par les critiques
littéraires chinois lors de sa parution, puis lors de sa
réédition au début des années 1950.
Ling Zifeng
s’attache plutôt à la psychologie de cette femme qui
apparaît dans son film comme une petite sœur de
Chuntao – d’ailleurs la scénariste est la même :
aussi forte de caractère, aussi audacieuse dans son
désir de s’affranchir des lois sociales pour vivre à
sa convenance, selon son propre désir. Et, ici, le
tabou qu’elle brise est au moins aussi grave que
celui de Chuntao : celle-ci organisait une vie à
trois, avec deux maris, en quelque sorte, Deng
Yaogu, elle, affronte la défense faite aux femmes de
se remarier dans la société traditionnelle chinoise. |
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Ling Zifeng avec les
deux principaux acteurs,
Xu Qing 许晴 et You Yong
尤勇 |
Ling Zifeng aurait
pu continuer avec la même actrice. Il n’en a rien fait,
montrant par là qu’il abordait le thème de l’émancipation
féminine sous un jour différent. L’actrice qui interprète le
rôle de Deng Yaogu est
Xu Qing (许晴).
Née
en 1969, elle est sortie de l’Académie du cinéma de Pékin en
1992, l’année du film. C’est d’ailleurs lui qui a lancé sa
carrière, avec
« Life
on a String » (《边走边唱》)
de
Chen Kaige (陈凯歌),
tourné pratiquement au même moment.
Comme dans
« Chuntao », Ling Zifeng a réalisé ici un superbe portrait
de femme, décidée à s’affirmer coûte que coûte dans la vie.
Le film
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