« Chuntao », l’un des films les plus réussis de Ling Zifeng
par Brigitte
Duzan, 23 octobre 2016
Sorti en
1988. « Chuntao » (《春桃》), de Ling
Zifeng (凌子风),
est aussi parfois intitulé « A Woman for Two ».
C’est en effet l’histoire d’un triangle amoureux,
mais un triangle original, fondé sur la nécessité
plus que sur le désir ; il est surtout le reflet de
la lutte d’une femme pour vivre une vie libérée des
contraintes et préjugés de la société
traditionnelle.
Le film
reprend donc le thème de l’émancipation féminine,
mais en adaptant une nouvelle éponyme, publiée en
1934, de Xu Dishan (许地山),
qui en avait fait l’un de ses thèmes de prédilection
en le traitant de façon très personnelle.
Le film
L’histoire
Alors que
Chuntao (春桃)
vient d’épouser Limao (李茂),
ils sont attaqués lors de leur nuit de noce par une
bande de malfrats, ces tufei (土匪)
qui semaient la désolation dans les campagnes
Chuntao
dans les années
1930. Elle arrive à se sauver, et s’enfuit jusqu’à Pékin où,
pour survivre, elle fait les poubelles et tas d’ordures en
quête de vieux papiers.
Liu Xiaoqing dans le
rôle de Chuntao
C’est alors
qu’elle rencontre Liu Xianggao (刘向高)
qui mène à peu près la même vie, et ils finissent
par vivre ensemble, ce que les gens autour d’eux
dénoncent comme
“姘居”pīnjū,
c’est-à-dire vivre ensemble sans être légalement
marié. Un cadre bienveillant leur propose un
hukou (户口)
en règle, de mari et femme. Mais Chuntao le refuse :
pour elle, la loi est la loi, et elle ne peut avoir
qu’un mari.
Plusieurs années
plus tard, elle a la surprise de reconnaître dans la rue un
mendiant famélique, privé de ses deux jambes, qui n’est
autre que Limao. Sans hésiter, elle le ramène chez elle.
Chuntao s’efforce alors avec détermination d’accommoder tout
le monde en se moquant du qu’en dira-t-on (on va vivre tous
les trois :
“咱们三个人就这么活下去”,si
quelqu’un se fiche de toi, tu ne peux pas le rosser, non ? :
“若是有人笑话你,你不会揍他?”).
Mais les
deux hommes n’ont pas son caractère : Xianggao part, Limao
se pend.
Chuntao le
sauve cependant, et Xianggao finit par revenir. Tous
trois continuent de vivre sous le même toit… Chuntao
se pose ainsi en femme libérée des conventions
sociales, une femme nouvelle capable, par sa seule
volonté, de vivre une existence répondant à ses
propres critères humains, et non ceux imposés par la
morale traditionnelle.
Une
remarquable interprétation
Avec Jiang Wen
Sur un scénario de
Han Lanfang (韩兰芳)
[1],
adaptation fidèle de la nouvelle de Xu Dishan, le film a
toutes les caractéristiques des œuvres de Ling Zifeng, et en
particulier une très belle cinématographie qui met en valeur
les détails expressifs, voire fugaces, des visages des
acteurs.
Jiang Wen
venait de jouer coup sur coup dans deux chefs
d’œuvre, « Hibiscus
Town » (《芙蓉镇》),
de
Xie Jin (谢晋)
et
« Le
sorgho rouge » (《红高粱》),
de
Zhang Yimou,
sortis respectivement en 1986 et 1987, et Liu
Xiaoqing jouait déjà à ses côtés dans « Hibiscus
Town »…
Le film a
été un succès et a obtenu le prix des Cent Fleurs (百花奖)
à la 12ème édition de ce festival.
La nouvelle
Le film est adapté
de la nouvelle éponyme d’un auteur du début du vingtième
siècle, original mais peu connu, spécialiste d’histoire des
religions : Xu Dishan (许地山).
Ses nombreuses nouvelles ont très souvent pour thème
l’émancipation de la femme, thème débattu et controversé en
Chine à l’époque où il écrivait, dans les années 1920-1930,
comme il n’a pas cessé de l’être par la suite.
Il est intéressant
de voir que le sujet de l’émancipation féminine était
toujours à l’ordre du jour à la fin des années 1980, lorsque
Ling Zifeng tourna son film, bien que le contexte ait
beaucoup évolué.
Mais « Chuntao »,
nouvelle comme film, reste surtout une fable universelle sur
la recherche du bonheur hors conventions sociales.