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L’univers de Tsai Ming-liang en huit longs métrages

3. « La rivière » 《河流》

par Brigitte Duzan, 11 juin 2012

 

Ce troisième film de Tsai Ming-liang (蔡明亮)  poursuit la peinture de l’aliénation et de la solitude dans le monde moderne, un monde pourri, envahi de toutes parts par des eaux malsaines.

 

Nous retrouvons Hsiao Kang/ Lee Kang-sheng (李康生)  dès les premières images, comme un marqueur temporel et spatial. Il rencontre une amie qui travaille sur le tournage d’un film et l’emmène avec elle. La réalisatrice, petit clin d’œil et bref hommage au cinéma de Hong Kong, est Ann Hui (许鞍华) en personne.

 

Elle tourne une séquence où l’on voit un cadavre flotter sur des eaux boueuses ; mais elle n’est pas satisfaite du tournage avec un mannequin, et Hsiao Kang se laisse convaincre de se jeter à l’eau pour simuler le mort. Il est parfait dans le rôle, mais, victime de la pollution ou d’un mal étrange, il est frappé dans les jours qui suivent d’une mystérieuse

 

La rivière, affiche chinoise

douleur dans la nuque qui devient vite insupportable.

 

Cette douleur semble être la traduction physique d’une détresse morale qui l’affecte comme tout son entourage. La famille est en effet encore plus disloquée que dans le premier film du réalisateur, « Les rebelles du dieu néon » (《青少年哪吒》) : les parents (interprétés par les mêmes acteurs Miao Tien et

 

The River

 

Lu Hsiao-ling) sont devenus des étrangers qui ne s’adressent plus la parole ; la mère a une liaison avec un homme qui vend des vidéos porno, le père fréquente les bars gays. Il y a comme un relent d’inceste dans l’air, et l’eau s’insinue partout, symbole d’une sexualité aussi pourrie que les flots immondes de la rivière, et véhicule du malaise général.

 

Le film débute par une longue séquence, typique du style de Tsai Ming-liang, qui résume à elle seule tout le film qui suit. La caméra, statique, filme un escalator, vide ; après quelques secondes de silence meublé par le seul bruit sourd et monotone de l’escalator, une jeune femme commence à descendre du côté gauche pendant qu’un jeune homme monte du côté droit. Au moment où ils se croisent, leurs regards indiquent qu’ils se reconnaissent et, sans avoir pu échanger un mot, ils se tournent l’un vers l’autre alors que l’escalator continue à les entraîner dans des directions opposées.

 

La jeune femme, cependant, après avoir atteint le bas de l’escalator, se retourne vivement pour remonter dans l’autre sens et rejoindre son ami qui l’attend en haut. Il y a là l’espoir d’une rencontre, un moment de grâce dans un paysage par ailleurs dévasté, rongé par l’eau, les amours anonymes, les maladies mystérieuses et la solitude sans appel. Mais le reste du film semble nier cette brève lueur initiale, et la détresse des personnages est d’autant plus flagrante qu’elle n’est pas allégorique : elle est physique, palpable, pesante, réelle.

 

Père et fils

 

Avec ses séquences longues et lentes, Tsai Ming-liang rend cette souffrance absurde insupportable pour le spectateur aussi bien que pour ses personnages.

 

Le film a obtenu l’Ours d’argent et le Prix spécial du jury au 47ème festival de Berlin, en 1997.

 

 

Bande annonce

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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