|
Ann Hui / Xu Anhua
许鞍华
Présentation
par Brigitte
Duzan, 26 mars 2013,
actualisé 7 décembre 2023
Après avoir
signé les films les plus novateurs dans les genres
les plus divers de la
Nouvelle Vague du cinéma hongkongais,
Ann Hui est devenue, la maturité aidant, une
réalisatrice d’une grande sensibilité qui, tout en
restant à l’écart du mainstream commercial, sait
allier ses exigences esthétiques aux contraintes du
marché.
Elle a peu
à peu peaufiné son style en abordant des genres
d’une infinie variété, traités alternativement sur
un mode humoristique ou dramatique, et su
approfondir les thèmes qui lui sont propres, en
partant des problèmes de l’immigration : problèmes
familiaux et sociaux, vus sous l’angle des
défavorisés et marginaux dans une société plus
conservatrice qu’il n’y paraît, et tout
particulièrement des femmes.
Etudes à
Londres et débuts à la télévision |
|

Ann Hui, en 2011 à
Venise |
Ann Hui (许鞍华)
est née en mai 1947 à Anshan (鞍山), dans le Liaoning, de père chinois, secrétaire du Guomingdang, et de
mère japonaise. Après l’instauration du régime communiste
chinois, la famille est partie à Macau, en 1952.
C’est là qu’Ann Hui
a passé son enfance, avant d’aller continuer ses études
secondaires à Hong Kong. Elle a fait des études d’anglais et
de littérature comparée à l’université de Hong Kong. Puis,
après une thèse de fin d’études sur Alain Robbe-Grillet,
elle est partie en 1972 étudier à la London Film School,
avant de retourner à Hong Kong en 1975. Elle fait partie de
tous ces réalisateurs hongkongais de la Nouvelle Vague qui
ont reçu une première formation à l’étranger, dans le monde
anglo-saxon.
1. A son retour à
Hong Kong, elle devient brièvement l’assistante de
King Hu (胡金铨),
mais, comme ses pairs de la
Nouvelle Vague,
c’est à la télévision qu’elle fait ses premiers pas et
trouve un terrain fertile pour affirmer un style totalement
novateur. Elle entre d’abord
à la chaîne
de télévision TVB (Television Broadcast Ltd) comme
scénariste et réalisatrice et y réalise, outre une série de
documentaires dont « Wonderful » (《奇趣园》),
quatre épisodes de la série CID dont « Social Worker – Ah
Sze » et « Social Worker – Boy ».

Social Worker – Ah Sze |
|
Ces
premières réalisations révèlent une profonde
implication dans les problèmes sociaux de Hong Kong.
« Social Worker – Ah Sze » décrit les
difficultés rencontrées par une femme qui émigre
illégalement de Chine continentale à Macau où elle
est vendue dans un réseau de prostitution avant
d’arriver à gagner à Hong Kong, mais pour y
continuer la même existence sans espoir, sous le
contrôle d’une triade. « Social Worker – Boy »
est une autre histoire désespérée, d’une famille
dont la mère prend le risque de simuler un accident
pour tenter de se faire payer des dommages et
intérêts. |
2. En 1977-78, Ann
Hui réalise six moyens métrages d’une heure pour la
Commission indépendante contre la Corruption (ICAC), dont
deux seront interdits. Bien que ces films soient sensés
louer le travail de la Commission, Ann Hui n’érige pas les
enquêteurs de l’ICAC en héros valeureux et invincibles, mais
les dépeint en confrontation avec le public, qui ne les
comprend pas ou, même, leur tourne le dos.
3. En
1978, la réalisatrice entre à la Radio-Télévision de
Hong Kong, (RTHK
香港电台),
où elle réalise trois épisodes de la série « Below
the Lion Rock » (《狮子山下》) :
« The Boy from Vietnam » (《越南来客》),
« The Bridge » (《桥》),
et « The Road » (《路》).
Ces films annoncent les principales thématiques de
son œuvre à venir : problèmes de société et
problèmes identitaires des immigrés à Hong Kong,
devenant par la suite recherche identitaire au sens
large, avec une attention particulière accordée au
sort malheureux des femmes. |
|

The Boy from Vietnam |
Dans « The
Bridge », par exemple, elle décrit les affrontements entre
les résidents et les autorités locales qui ont fait démolir
un pont ; à la fin, les autorités cèdent à la pression
publique et font reconstruire le pont. Quant à « The Boy
from Vietnam », il préfigure les nombreux films de la
réalisatrice sur les destins tragiques des immigrés et de
leurs luttes pour se reconstruire une identité dans un
contexte culturel différent. Le film va former la première
partie de la « Trilogie du Vietnam », au début des années
1980.
1979-1990 :
recherches et expériences
Satire des
croyances populaires
En 1979,
Ann Hui abandonne la télévision et se tourne vers le
cinéma, avec un premier long métrage, « The
Secret » (《疯劫》),
suivi d’un second l’année suivante, « The Spooky
Bunch » (《小姐撞到鬼》),
tous deux conçus sur le même sujet : les croyances
populaires dans le surnaturel et les esprits.
1. Le
premier est une sorte de film de série noire, avec
une personne assassinée qui n’est pas celle que l’on
pensait, et une narration complexe, dont une scène
de lecture de lettres de la pseudo-victime en
voice-over, mêlant passé et présent et brouillant
les perspectives.
2. Le
second, dont le titre chinois signifie ‘la petite
troupe se heurte à des fantômes’, reflète les
croyances chinoises traditionnelles aux fantômes et
esprits malveillants, mais traité sur un mode
humoristique. Dans « The Secret », les esprits
étaient imaginaires, ici ils sont réels, et
apparaissent même en plein jour. L’histoire est
celle d’une troupe d’opéra cantonais invitée dans
une petite île où les acteurs vont se trouver
confrontés aux fantômes de soldats morts pour avoir
ingurgité des médicaments trafiqués par les
grands-pères de deux membres de la troupe, et qui
cherchent à se venger.
Là encore,
Ann Hui innove sur le plan narratif, en adoptant un
ton de comédie légèrement carnavalesque qui mêle
confusément hommes et esprits, comme pour se moquer
des superstitions populaires. « The Spooky Bunch »
est un film inventif qui ouvrait la voie à une
nouvelle phase dans l’œuvre de la réalisatrice.
La trilogie
du Vietnam |
|

The Secret

The Spooky Bunch |
En 1981 et 1982,
dans un contexte où les films de gangsters et d’action
étaient à la mode, Ann Hui revient vers le sujet qu’elle
avait commencé à traiter avec « The Boy from Vietnam » en
1978. Les deux films alors réalisés complètent ce qu’il est
convenu d’appeler sa « Trilogie du Vietnam »,
témoignage personnel sur le sort des réfugiés vietnamiens
arrivés en masse à Hong Kong à la fin des années 1970.
1. « Story
of Woo Viet » (《胡越的故事》),
avec Chow Yun-fat et Cora Miao dans les rôles
principaux, est l’un des premiers « drames
politiques » réalisés à Hong Kong.
Woo Viet
veut quitter son pays, le Vietnam, pour aller aux
Etats-Unis. Mais il doit d’abord passer par Hong
Kong où il échoue dans un camp de réfugiés ; ayant
tenté de comprendre pourquoi certains disparaissent,
il doit s’enfuir avec un faux passeport. Il fait la
connaissance d’une femme qui voyage avec lui, mais,
lors de leur escale aux Philippines, comme celle-ci
risque d’être prise dans un réseau de prostitution.
Woo Viet reste pour tenter de la sauver et doit
devenir tueur à gages…
La fin est
sombre et n’offre pas de solution à l’errance de Woo
Viet. Le film poursuit la peinture sans espoir du
sort des émigrés commencée avec « The Boy from
Vietnam » : l’avenir semble sans issue pour eux. |
|

Story of Woo Viet |
2.
« Boat
People » (《投奔怒海》)
raconte le destin terrifiant du peuple vietnamien
après la prise du pouvoir par les Communistes, à la
suite de la chute de Saigon.
L’histoire
est contée par un photojournaliste japonais qui est
invité à faire un reportage sur la vie au Vietnam
après la guerre. Derrière les images idylliques qui
sont mises en scène pour lui, et les étrangers, il
découvre peu à peu les horreurs du quotidien : il
rencontre une mère qui se prostitue en secret pour
élever ses enfants et d’autres jeunes dont la vie
est précaire. Les conditions de vie sont atroces,
les gens traités comme du bétail, la mère, dénoncée
comme prostituée, se suicide, le journaliste périt
en aidant ses deux enfants à fuir le pays, mais eux
sont sauvés…
Derrière le
Vietnam communiste se profile la Chine communiste,
d’autant plus que le film a été tourné sur l’île de
Hainan : Ann Hui a obtenu l’autorisation de tourner
là juste après la fin de la guerre. « Boat People »
est le premier film |
|

Boat People |
de Hong Kong
tourné en Chine continentale. Chow Yun-fat déclina la
proposition de tourner à nouveau dans ce film, par peur de
se voir boycotté à Taiwan ; le rôle revint à Andy Lau qui
était encore peu connu à Hong Kong.
Le film a obtenu
cinq prix aux Hong Kong Film awards en 1982 (dont meilleur
film et meilleure réalisatrice) et a été présenté hors
compétition au festival de Cannes en 1983. Il a contribué à
asseoir la renommée internationale de la réalisatrice.
Pourtant, elle traverse ensuite une période un peu
chaotique.
Années de
transition et de recherche
1. En 1984, Ann Hui
rejoint une Shaw Brothers sur le déclin. Elle adapte alors
une nouvelle de Zhang Ailing (张爱玲)
écrite quarante ans plus tôt :
« Love
in a Fallen City » (《倾城之恋》).
L’histoire se passe à Hong Kong, juste avant la chute de la
ville aux mains des Japonais.
Zhang Ailing y
dépeint un personnage féminin meurtri par un premier mariage
désastreux, au bord du désespoir, qui retrouve goût à la
vie grâce à sa rencontre avec un sympathique célibataire
hongkongais rencontré par hasard à Shanghai qu’elle va
rejoindre à Hong Kong en pleine guerre.
La nouvelle a fasciné la
réalisatrice qui s’est sentie, selon ses propres
dires, vibrer à sa lecture et en parfaite symbiose
avec elle : « J’étais stupéfaite. Comment un
écrivain pouvait-il écrire sur Hong Kong avec
exactement les mêmes sentiments que les miens à
l’égard de la ville ? Il y avait là une résonance
très spéciale. »
L’adaptation qu’elle en a faite est donc
parfaitement fidèle à l’original, au point d’en
préserver des dialogues un peu trop littéraires.
Mais l’œuvre annonce une réflexion et une thématique
plus personnelles, mais qui ne prendra forme que
dans la décennie suivante. |
|

The Book and the
Sword, le roman
(en deux volumes),
édition originale |
2. En 1987, Ann Hui
réalise une autre adaptation d’une œuvre littéraire, un
roman de wuxia cette fois (武侠小说),
du grand maître de ce genre de littérature au vingtième
siècle : Jin Yong (金庸),
ou Louis Cha. L’œuvre qu’elle choisit d’adapter fait partie
des grands classiques du genre, le premier des quinze romans
de Jin Yong : « The Book and the Sword » (《书剑恩仇录》), initialement publié dans The New Evening Post en 1955-56.

Princess Fragrance |
|
Ann Hui en
tire deux films (en mandarin), sortis en août 1987 :
« The Romance of Book and Sword » (《书剑恩仇录》),
basé sur la première partie du roman, et
« Princess
Fragrance » (《香香公主》),
basé sur le personnage, apparu dans la seconde
partie, de cette princesse ouighour contrainte de
devenir la concubine de l’empereur Qianlong, autre
exemple de femme au destin malheureux dans la
filmographie de la réalisatrice.
C’est tout
au plus un exercice de style dans la carrière d’Ann
Hui, mais il ne faut pas négliger la thématique
profonde de ces deux films : le conflit entre
identité personnelle et identité nationale. |
3. En
1988, elle revient à un style et une thématique plus
personnels, avec une histoire d’amour sur fond de
changements sociaux à Hong Kong, contée par une
narratrice, du point de vue féminin : « Starry is
the night » (《今夜星光灿烂》).
Il s’agit
en fait de deux histoires d’amour vécues par une
femme, interprétée par Brigitte Lin (林青霞),
à vingt années d’intervalle : d’abord étudiante à la
fin des années 1960, elle tombe amoureuse d’un
professeur marié, Zhang Yingquan (张英全),
qui s’enfuit en Angleterre quand elle tombe
enceinte ; dans les années 1980, elle tombe
amoureuse de son fils.
Le film
retrace les événements sociopolitiques qui ont
marqué Kong Kong pendant ces deux décennies, en
commençant par les émeutes de 1967. Pendant ce
temps, alter ego de la réalisatrice, l’héroïne
poursuit un processus de maturation qui en fait une
femme indépendante. Au début, elle rêvait de voir
son amant l’emmener visiter la Grande Muraille ; à
la fin, elle y va toute seule… |
|

Starry is the Night |
Quant à Ann Hui,
elle est prête à aborder les thèmes familiaux sur fond de
conflit culturel qui lui sont les plus chers, et sans doute
aussi les plus douloureux.
Années 1990 :
recherche stylistique et genres divers
1. Sorti en
avril 1990 et présenté au festival de Cannes en mai,
dans la section Un certain regard, « Song of the
Exile » (《客途秋恨》)
est une
œuvre en grande partie autobiographique, d’une
grande sensibilité : à travers sa propre expérience
d’immigrée de Chine continentale et fille d’une mère
japonaise, Ann Hui dresse un tableau complexe
d’identités nationales et culturelles
conflictuelles, chez différentes personnes que les
hasards de l’histoire et de la guerre ont forcées à
l’exil. Le titre chinois donne le ton : lamentation
d’automne du voyageur (ou de l’hôte) en errance.
Le film
couvre trois décennies, des années 1940 à la fin des
années 1960, et analyse pendant cette période
l’évolution des rapports entre une jeune Chinoise de
Hong Kong, étudiante en cinéma, interprétée par
Maggie Cheung (张曼玉),
sa mère japonaise installée à Hong Kong et son
grand-père qui vit à Macau, mais qui, tous deux,
rêvent de revenir chez eux. C’est |
|

Song of the Exile |
grâce à un voyage
avec sa mère au Japon, dans sa famille, qu’elle se
réconcilie avec elle, et une partie de ses racines
identitaires. Le film s’achève sur leur retour ensemble à
Hong Kong, sur une note apaisée.
« Song of the
Exile » est l’un des chefs d’œuvre d’Ann Hui, un film
cathartique qui marque un tournant dans son œuvre.
2. Le film
suivant, « My American Grandson
» (《上海假期》),
sorti
en novembre
1991, est une variation sur le même thème : la
recherche identitaire chez des jeunes marqués par
l’émigration et l’exil, mais traitée cette fois avec
un humour chaleureux.
Sur un
scénario de Wu Nien-jen/ Wu Nianzhen (吴念真),
scénariste de
Hou Hsiao-hsien (侯孝贤)
et figure marquante de la Nouvelle Vague taiwanaise,
Ann Hui brosse le portrait d’un jeune garçon que son
père, jeune Chinois qui enseigne aux Etats-Unis,
envoie à son propre père en Chine parce qu’il n’a
pas le temps de s’en occuper. Le jeune Guming
renâcle contre le peu de confort de la maison du
grand-père et sème la zizanie dans son école en se
rebellant contre la discipline et le manque de
liberté critique laissée aux élèves. Il finit par
s’enfuir, mais, recueilli par une famille de
paysans, il est touché par leur gentillesse, et se
réconcilie avec son grand-père… et sa culture. |
|

My American Grandson |
3. En 1991
également, « Zodiac Killers » (《极道追踪》)
met en scène le sort fatal d’une jeune Chinoise
tombée amoureuse d’un gangster japonais. Mais c’est
une œuvre de transition, de même que « Boy and his
Hero » (《少年与英雄》)
en 1993.
Ann Hui
revient vers Hong Kong et les sujets qu’elle traite
le mieux, les femmes, la famille, le vieillissement,
avec « Summer Snow » (《女人四十》),
en 1995. Le film est traité dans un style réaliste,
décrivant les menues affaires de la vie quotidienne.
Le personnage principal, interprété par Joséphine
Siao, est une mère de famille dévouée à son mari et
à son fils, qui s’occupe en plus avec bonne humeur
de son beau-père veuf, atteint de la maladie
d’Alzheimer.
Le film
est un hommage sensible aux vertus discrètes des
femmes (le titre chinois signifie : la femme à
quarante ans) et préfigure
« A
Simple Life » (《桃姐》).
Il a obtenu l’Ours d’argent au festival de Berlin en
février 1995, tandis que Joséphine Siao y était
couronnée de celui de la meilleure actrice, avant de
glaner nombre de récompenses ailleurs, aux festivals
de Hong Kong et de Créteil en particulier.
Le film
suivant, « The Stuntwoman » (《阿金的故事》),
en 1996, devait être un hommage au film d’action
hongkongais, celui des King Hu et Chang Cheh, ainsi
qu’au travail réalisé en coulisses ; mais il n’est
qu’une curiosité restée dans les annales en raison
de l’accident survenu en cours de tournage à
l’actrice Michelle Yeoh, gravement blessée pour
avoir mal calculé un saut d’un pont. La réalité
avait rejoint la fiction.
4. Le film
le plus intéressant de la deuxième moitié de la
décennie est certainement, en 1997,
« Eighteen
Springs » (《半生缘》),
seconde adaptation par Ann Hui d’un roman de Zhang
Ailing, qui reprend le thème du sort tragique des
femmes, cette fois dans la Chine des années 1930 et
1940.
Si le film
est intéressant, cependant, c’est surtout pour les
innovations stylistiques introduites par la
réalisatrice dans cette adaptation, en particulier
dans le traitement du texte, par utilisation d’un
système complexe de monologue et de voice over.
Ce procédé
de voice over est à nouveau largement utilisé dans
« Ordinary Heroes » (《千言万语》),
l’année suivante, pour exprimer les sentiments
intérieurs des personnages, détermination ou
souvenirs nostalgiques. Le film est un hommage aux
héros anonymes de la lutte pour les réformes
sociales à Hong Kong, avec dans les deux rôles
principaux Anthony Wong et Lee Kang-sheng (l’acteur
fétiche de
Tsai Ming-liang).
Mais, en 1997, date de la
rétrocession de Hong Kong à la |
|

Zodiac
Killers

Summer Snow

Eighteen Springs |
Chine
,
Ann Hui a également réalisé un documentaire intitulé
« As Time Goes By » qui s’insère dans une série produite à
Taiwan sur la mémoire historique de Hong Kong, durant les
quarante années qui ont précédé la rétrocession.
Années 2000 :
élargissement et approfondissement de la thématique
Le début du
millénaire est marqué par une série de films qui
s’insèrent bien dans les thèmes usuels de la réalisatrice
mais ne sont pas des films marquants.
1. Ann Hui débute
le millénaire avec un film d’horreur traité en comédie, qui
semble être un clin d’œil à ses premiers films : « Visible
Secret » (《幽灵人间》)
a pour héroïne une jeune infirmière, interprétée par Shu Qi
(舒淇),
qui prétend avoir le pouvoir de voir les esprits. Une série
de morts dans son entourage inquiète son copain, surtout
quand son père se suicide à l’hôpital dans des circonstances
bizarres…
2. En 2002,
« July Rhapsody » (《男人四十》),
sur un scénario d’Ivy Ho (岸西),
est le pendant de « Summer Snow » réalisé sept ans
plus tôt ; le titre chinois signifie en effet
‘l’homme à quarante ans’. Le film conte l’histoire
caractéristique d’un professeur, interprété par
Jacky Cheung ; en pleine crise de la quarantaine, il
se laisse séduire par une étudiante tandis que son
mariage va à vau-l’eau. C’était la dernière
apparition d’Anita Mui au cinéma, avant son décès
d’un cancer cervical, en 2003.
3. En 2003,
« Jade Goddess of Mercy » (《玉观音》)
est l’adaptation d’un roman populaire à suspense qui
a aussi été adapté en série télévisée. Le film d’Ann
Hui est sauvé par l’interprétation de
Zhao Wei (赵薇)
dans le
rôle principal.
Mais il
faut attendre la seconde moitié des années 2000
pour
retrouver Ann Hui dans sa meilleure forme. Elle
élargit alors sa thématique sur les problèmes
sociaux et familiaux en l’étendant à des catégories
de marginaux sociaux qu’elle n’avait pas traitées
jusque là, les homosexuels en particulier.
1. En
2006, « The Postmodern Life of My Aunt » (《姨妈的后现代生活》)
est une tragi-comédie (faute de terme plus adéquat)
comme on en voit peu dans le cinéma hongkongais, sur
un scénario de Li Qiang (李樯),
le scénariste du « Peacock » (《孔雀》)
de
Gu Changwei (顾长卫)
en 2005.
Le film
est en outre interprété par un duo exceptionnel et
quelque peu inattendu : Chow Yun-fat dans le rôle
d’un artiste auto-proclamé, amateur d’opéra
traditionnel, et Siqin Gaowa (斯琴高娃)
dans le rôle de "la tante", qui, à cinquante ans
bien sonnés, vit seule à Shanghai loin de sa fille,
interprétée par
Zhao Wei, et à
laquelle sa naïveté bon enfant réserve quelques
déboires. |
|

July Rhapsody

The Postmodern Life of
my Aunt |
2. En 2008, « The
Way We Are » (《天水围的日与夜》)
revient à la thématique sociale si bien traitée par la
réalisatrice : elle y brosse le portrait d’une ouvrière qui
doit élever son fils et subvenir aux besoins de sa mère
malade ; elle fait la connaissance d’une femme plus âgée qui
l’aide à affronter les difficultés et la précarité de sa
situation.
3.
Second
volet de « The Way We Are »,
« Night
and Fog » (《天水围的夜与雾》)
a été le
film d’ouverture du 33ème festival de Hong Kong, en
mars 2009. Les deux films sont liés par leur
thématique et l’endroit où ils se passent : Tin Shui
Wai, au nord-ouest des Nouveaux Territoires. Tous
deux sont ce qu’Ann Hui a fait de meilleur sur les
problèmes des femmes dans un milieu difficile
d’immigrants où les femmes sont celles qui souffrent
le plus.
Le scénario
de « Night and Fog » est basé sur une affaire de
meurtre qui s’est réellement passée à Tin Shui Wai,
en 2004. Une femme a été assassinée avec ses deux
enfants par son mari après avoir alerté les services
sociaux sur les violences auxquelles elle était
soumise. Ann Hui a confié le rôle à une actrice
nouvelle dans sa filmographie qui fait merveille
dans ce film : Zhang Jingchu (张静初).
|
|

Night and Fog |
Années 2010 :
comédies et mélos
1. Sorti
en 2010, « All About Love » (《得闲炒饭》)
est un
film réjouissant sur les problèmes des lesbiennes à
Hong Kong, mais pas seulement. A travers l’histoire
de deux femmes qui ont vécu ensemble, se sont
séparées et perdues de vue, et se retrouvent par
hasard, dans un service de conseil aux femmes
enceintes, la réalisatrice se livre ici avec une
joie évidente à une satire de tous les préjugés qui
ont cours sur des sujets rarement abordés dans le
cinéma de Hong Kong : la sexualité, la maternité et
les discriminations de tous ordres, dans une société
finalement très conservatrice.
Traité sur
un mode humoristique particulièrement réussi, le
film est
pétille de joie de vivre, emmené par
l’interprétation hors pair de Sandra Ng, mais aussi
de tous les rôles secondaires. Il a fait l’ouverture
du festival d’été de Hong Kong, en juillet 2010.
|
|

All About Love |
On peut lui
rattacher, sur un thème proche, le court métrage de 2012
sponsorisé par youku : « My
Way » (《我的路》)
2. 2012 est aussi
la sortie d’un des grands succès d’Ann Hui tant dans les
festivals qu’au box office :
« A
Simple Life » (《桃姐》).
Elle
y reprend, avec une grande sensibilité, le thème de la
vieillesse et de la maladie, mais en le traitant dans le
cadre d’un autre thème qui lui est cher : celui des
relations familiales éclatées, au sein d’une société
hongkongaise toujours marquée par l’émigration, pour ne pas
parler de post-colonialisme. Elle y retrouve aussi son vieux
complice Andy Lau, même si le film, comme presque toujours
chez elle, est centré sur le personnage féminin, interprété
par Deanie
Ip (叶德娴).
3. Aussitôt après
« A Simple Life », Ann Hui s’est lancée dans la réalisation
d’un film sur la romancière Xiao Hong qu’elle préparait
depuis longtemps et pensait sortir pour le centenaire de la
naissance de Xiao Hong, en 2011 ; mais elle a été devancée
par
Huo Jianqi (霍建起).
Finalement,
son film est sorti en 2013 et s’appelle « The Golden Era »
(《黄金时代》), époque dorée comme les souvenirs du temps passé.
4. Sorti
en Chine continentale le 1er juillet 2017 pour le
20ème anniversaire de la Rétrocession de Hong Kong à
la Chine, puis le 6 à Hong Kong, « Our Time Will
Come » (《明月几时有》) se situe pendant la période de
l’occupation japonaise de la colonie britannique. Le
film dépeint la lutte de groupes de jeunes
résistants et a pour personnage principal une figure
légendaire de la résistance contre les Japonais à
Hong Kong, une femme surnommée Fang Gu (方姑),
interprétée par Zhou Xun (周迅). La photographie est
signée
Yu Lik-wai (余力爲),
le montage est de Mary Stephen. Outre Zhou Xun, le
casting compte une pléiade de grands acteurs, dont
des vétérans du cinéma de Hong Kong.
La première mondiale du film a eu lieu au festival
de Shanghai en juin 2017. Il devait ensuite être
présenté au festival de Cannes, mais, au dernier
moment, le film a été remplacé par « The Chinese
Widow » du réalisateur danois Bille August qui
|
|

Our Time Will Come |
avait été le film
d’ouverture du festival de Shanghai : une histoire héroïque
pendant la seconde guerre Mondiale entre une veuve chinoise
du Zhejiang et un pilote américain qu’elle a trouvé inanimé
et qu’elle sauve au prix de sa propre vie. Malgré tout,
« Our Time Will Come » a eu des réactions et des critiques
positives, en particulier en Chine, et a plus rapporté au
box-office que « The Golden Era ».
5. En 2020, pour
« Love
After Love » (《第一炉香》), Ann Hui est revenue vers
les sources littéraires qui lui ont inspiré
« Love
in a Fallen City » (《倾城之恋》)
en 1984 et
« Eighteen
Springs » (《半生缘》)
en 1997.
Comme pour compléter une trilogie, le film est
adapté du premier des deux « Brûle-parfums » qui
fait partie de la série de nouvelles publiées par
Zhang Ailing en 1943, comme
« Love in a Fallen City ». Avec
l’écrivaine Wang Anyi (王安忆)
pour le scénario
,
Christopher Doyle pour la photographie et Mary
Stephen pour le montage, Ann Hui s’est constitué une
superbe équipe.
« Love After Love »
a
été
présenté hors compétition à la 77ème
édition de la Biennale de Venise, début septembre
2020, tandis que la réalisatrice était couronnée
d’un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière.
Comme pour
clore une longue histoire, et au seuil d’une
nouvelle, Ann Hui avait entretemps participé à un
film sorti avec beaucoup de retard en 2020 : « Septet,
the Story of Hong Kong » (《七人乐队》).
Comme l’indique le titre, le film fait appel à sept
cinéastes emblématiques du cinéma hongkongais pour
retracer, chacun à sa manière, l’histoire de Hong
Kong et de son cinéma, sur sept décennies
.
Lancé par Johnnie To, le projet comptait au départ
huit réalisateurs, réduit à sept après l’abandon de
John Woo. On pouvait craindre un manque de
cohérence, trois impératifs de départ ont donc été
posés pour l’éviter : tourner en pellicule, partir
d’un souvenir d’enfance et exprimer sa vision
personnelle de la ville. Le génie de chacun a fait
le reste, les souvenirs se répondant, en écho.
Ann Hui offre une histoire pleine de sensibilité et
de subtilité centrée sur un directeur d’école, une
institutrice et une classe d’enfants turbulents.
Au-delà du thème du système |
|

Love After Love

Septet |
scolaire hongkongais, ce sont les problèmes
socio-économiques que touche ici Ann Hui, en revenant vers
l’un de ses sujets privilégiés depuis ses débuts ; elle
évoque la réduction du fossé entre les générations en
terminant sur la touchante réunion du vieux professeur et de
ses anciens élèves devenus adultes. On a l’impression d’une
master class.
2023 : Documentaire
Après
deux films qui semblaient se détourner de l’histoire et de
la vie de Hong Kong
,
Ann Hui
(许鞍华)
y est revenue dans un documentaire,
« Elegies » (《詩》),
dédié aux poètes de Hong Kong. Le documentaire a été l’un
des deux films d’ouverture du 47e Hong Kong
International Film Festival, le 30.mars 2023.
Filmographie
1979 The Secret
《疯劫》
1980 The
Spooky Bunch
《撞到正》
1981 The Story
of Woo Viet 《胡越的故事》
1982
Boat
People 《投奔怒海》
1984
Love in a
Fallen City 《倾城之恋》
1987 The
Romance of Book & Sword
《书剑恩仇录》
1987 Princess
Fragrance 《香香公主》
1988 Starry Is
the Night 《今夜星光灿烂》
1990 Song of
Exile 《客途秋恨》
1991 My
American Grandson 《上海假期》
1991 Zodiac
Killer
《极道追踪》
1993 Boy and
his Hero
《少年与英雄》
1995 Summer
Snow 《女人四十》
1996 The Stunt
Woman 《阿金的故事》
1997 As Time
Goes By Documentaire
1997
Eighteen
Springs
《半生缘》
1999 Ordinary
Heroes 《千言万语》
2001 Visible
Secret
《幽灵人间》
2002 July
Rhapsody
《男人四十》
2003 Goddess
of Mercy《玉观音》
2006 The
Postmodern Life of My Aunt 《姨妈的后现代生活》
2008 The Way
We Are 《天水围的日与夜》
2009 Night and
Fog
《天水围的夜与雾》
2010 All About
Love《得闲炒饭》
2011
A Simple Life 《桃姐》
2012
My Way
《我的路》
Court métrage
2014
The
Golden Era 《黄金时代》
2017 Our Time
Will Come
《明月几时有》
2020
Love After
Love
《第一炉香》
2020 Septet
《七人乐队》
2023
Elegies 《詩》
Documentaire
Le
territoire de Hong Kong avait été concédé en bail à
la Couronne britannique, par divers traités signés
après les défaites de la Chine dans les guerres de
l’opium. Il a été rétrocédé à la Chine le 1er
juillet 1997.
|
|