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« Red
Amnesia » : éprouvant retour des fantômes du passé, par Wang
Xiaoshuai
par Brigitte Duzan, 27 novembre 2015
Sorti en
première mondiale au 71ème festival de
Venise en 2014, puis présenté au festival de Toronto
dans la section Special Presentations, on a pu voir
« Red Amnesia » (《闯入者》)
en clôture de la 10ème édition du
festival du cinéma chinois de Paris, le 24 novembre
2015
.
Le film est
le dernier volet de ce qu’il est convenu d’appeler
la « trilogie de la Révolution culturelle » de
Wang Xiaoshuai (王小帅),
après
« Shanghai
Dreams » (《青红》)
en 2005 et
« 11
Flowers » (《我11》)
en 2011. C’est une conclusion douloureuse de ce qui
apparaît aussi bien comme une trilogie de la mémoire
– et de la mémoire refoulée. Une conclusion comme
une catharsis
,
comme si Wang Xiaoshuai avait exorcisé ses propres
fantômes du passé.
Un lourd
passé qui pèse sur le présent
Une vieille dame aux prises avec son temps
Deng Meijuan (邓美娟)
est une vieille dame
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Affiche 1 |
comme beaucoup d’autres, qui vit seule
depuis que son mari est décédé, il y a peu, et qui a du mal
à se faire à la vie moderne, et à celle de ses enfants.
Affiche 2 |
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Son fils
aîné, Da Jun (大军),
mène l’existence sans histoire d’un petit-bourgeois
chinois moyen, dont la femme supporte difficilement
l’intrusion régulière de sa belle-mère dans le logis
familial, et encore moins l’obstination de la
vieille dame à aller chercher leur fils à l’école.
Meijuan est à couteaux tirés avec son fils cadet,
Xiao Bing (小兵),
dont elle se refuse à accepter l’homosexualité,
sujet qu’elle se refuse encore plus à aborder, voire
même à mentionner, le laissant du domaine du
non-dit, comme tant d’autres choses. Mais cela ne
l’empêche pas de faire régulièrement intrusion chez
lui, pour remplir ce qu’elle considère comme sa
mission maternelle : lui préparer à manger. Les
rapports entre mère et fils en sont d’autant plus
tendus.
Elle a l’air de flotter dans la vie, Meijuan, dans
les bus bondés, les rues embouteillées, l’asile de
vieillards où elle a mis sa mère, le petit
appartement propret de Da Jun, et encore plus
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dans le monde chaotique de Xiao Bing. Elle se défoule de ses
frustrations dans son tête-à-tête quotidien, au moment du
repas, comme autrefois, avec son époux, dont la photo trône
au-dessus de la table à manger.
Et brusquement un fantôme du passé…
Cette
petite vie réglée au rythme des visites imposées aux
uns et aux autres est soudain perturbée par des
coups de téléphones intempestifs et répétés, d’un
inconnu qui reste au bout du fil sans articuler un
mot. Ses fils comme la police prennent ses plaintes
pour les divagations d’une vieille dame qui perd un
peu la tête.
Mais on la
prend au sérieux quand une pierre vient un jour
atterrir à ses pieds, en faisant voler en éclats la
fenêtre de son salon. Puis quand un sac d’ordures
est |
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Lü Zhong au festival
de Venise avec Qin Hao |
déversé à la porte
de l’appartement de Da Jun. En même temps, elle s’aperçoit
qu’elle est suivie dans la rue par un jeune garçon, inconnu,
qui finit par se rapprocher d’elle en l’aidant à porter ses
emplettes, et en se faisant inviter chez elle.
Lü Zhong avec Qin Hao
(à g.) et Feng Yuanzheng (à dr.) |
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L’atmosphère s’alourdit quand elle déclare à son
fantôme de mari qu’il s’agit d’un autre fantôme,
d’un certain « Zhao », dont elle a appris la mort
récente, un fantôme surgi du passé, pour lui faire
payer ses « dettes » envers lui…
Une dette
lourde, qu’explique brièvement Da Jun à son frère,
pour lui faire comprendre en même temps pourquoi sa
mère est si dure envers lui : Meijuan et son mari
ont fait passé la Révolution culturelle au Guizhou,
comme les parents |
de Qing Hong (青红)
dans
« Shanghai
Dreams », et, comme
eux, à la fin de la Révolution culturelle, ils
ont tenté
de rentrer chez eux, avec les mêmes difficultés.
Meijuan était d’autant plus désespérée qu’elle était
enceinte et voulait absolument donner naissance à
son deuxième fils en ville. Elle a donc dénoncé son
voisin Zhao pour prendre sa place et pouvoir
rentrer…
Meijuan
décide de retourner au Guizhou… Ce retour vers un
passé offusqué est la plus belle partie du film, et
le conclut en une séquence magistrale dont on se
garderait bien de divulguer la fin tragique.
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Meijuan avec son fils
Xiao Bing |
Une superbe
évocation de la mémoire enfouie
Une double trame
narrative
Meijuan avec le comité
de quartier |
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Le film
apparaît ainsi comme construit sur une double trame
narrative : une première ligne narrative décrivant
le présent, avec un fond de critique de la société
moderne qui renvoie à un thème spécifique de la
filmographie de Wang Xiaoshuai, dont
« Beijing
Bicycle » (《十七岁的单车》), Ours d’argent au festival de Berlin en 2001, est
certainement l’exemple le plus réussi.
Mais cette
ligne narrative n’est que le cadre qui permet
d’introduire et de développer la seconde en lui
donnant tout
un sens
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plus
profond – seconde ligne narrative qui est en fait le thème
central : l’évocation du passé qui renvoie à « Shanghai
Dreams ».
Autant le
premier thème paraît peu original, hormis le
personnage de Meijuan, simplement parce qu’il
rappelle beaucoup d’autres films récents, dont
« Une
famille chinoise » (《左右》),
autant le second a la pesanteur et la profondeur
qui, a posteriori, permettent de mieux apprécier
« Shanghai
Dreams », en
en en prolongeant l’histoire, en quelque sorte, et
en lui donnant le recul du présent.
Retour au
Guizhou |
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Tentant de recoller
ses photos déchirées |
La révélation de Da
Jun à son frère est en effet le tournant décisif du film.
Elle fait remonter soudain des tréfonds de la mémoire les
souvenirs tragiques d’une époque où le désespoir pouvait
pousser à tout pour assurer sa survie, et celle de sa
famille, tout un pan du passé, non-dit et d’autant plus
douloureux.
Poursuivie par son
passé |
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On comprend
mieux le décalage de Meijuan par rapport à la vie
moderne quand on est soudain confronté à la réalité
de son passé, qui rend le confort du présent
dérisoire. Les ruines du passé se font paysage
concret, de bâtisses délabrées, aux vitres brisées,
dont on imagine les vies misérables qu’elles ont pu
abriter. Et le pire : qu’elles continuent d’abriter,
car il reste encore là des familles qui n’ont jamais
pu s’en aller, revenir chez elles, des gens qui ont
été oubliés par l’histoire, comme des morts-vivants
au milieu de ces ruines du passé. |
Mais ceux qui s’en
sont sortis, qui ont réussi la transition vers la ville,
conservent en eux la conscience douloureuse de l’avoir fait
à leur dépens, même si ce n’est pas concrètement et
volontairement le cas comme dans celui de Meijuan. Le drame
tient aussi au fait que, une fois les rescapés réinstallés
en ville, le silence, entretenu par les autorités, a fait
tomber une chape de plomb sur les événements de toute la
période, et sur les familles oubliées, et jamais rapatrièes.
C’est tout
un travail de mémoire et de catharsis qui a été
évacué, avec impossibilité d’affronter sa
conscience, et de régler ses dettes, en demandant le
pardon qui les éteindrait. D’où ces fantômes qui
n’en finissent pas de surgir des limbes du passé,
jusqu’à disparition des derniers survivants.
Mais ils
laissent derrière eux un vide mémoriel car la jeune
génération est élevée dans une parfaite
méconnaissance des tragédies vécues par leurs aïeux.
C’est ainsi que l’on peut lire |
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Le fantôme du passé |
l’ultime image du
film : une fenêtre béante, ouverte sur un ciel vide.
Le film doit sortir
en France en avril 2016.
Note sur les
acteurs
Lü Zhong dans le rôle
de Deng Meijuan |
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La réussite
du film tient en grande partie à son interprétation,
et, en premier lieu, à la personnalité de l’actrice
qui interprète le rôle de Deng Meijuan : Lü Zhong (吕中).
Merveilleuse actrice
dont le visage même semble marqué par les
souffrances du passé et dont la présence seule
suffit à lier les éléments hétérogènes du scénario,
dans sa première partie.
On notera
aussi Qin Hao (秦昊) dans le rôle de Xiao Bing, dans
une interprétation |
subtile, sans les
excès dans le maniérisme souvent liés aux rôles comme le
sien ; il a juste un discret mouvement du doigt pour se
ramener un mèche de cheveux derrière l’oreille.
Dans un
clin d’œil qui est peut-être involontaire, par
l’allusion rapide au salon de massage qui semble
être son gagne-pain, il rappelle son récent rôle
dans le dernier film de
Lou Ye (娄烨),
« Blind Massage » (《推拿》).
On notera
aussi le tout jeune acteur Shi Liu (石榴)
dans le rôle du « fantôme de Zhao », l’ « intrus »
du titre. Né dans le Dongbei en 1998, il est un
acteur d’errenzhuan, choisi pour ses
aptitudes expressives, dans un premier rôle ingrat
où
il n’a guère l’occasion de les mettre en valeur.
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Shi Liu avec Wang
Xiaoshuai lors de
la présentation du
film à la presse |
Les acteurs
Lü Zhong
吕中
Deng Meijuan
邓美娟
Feng Yuanzheng
冯远征
Da Jun
大军,
fils aîné de Meijuan
Qin Hailu
秦海璐
l’épouse
de Da Jun
Qin Hao
秦昊
Xiao Bing
小兵,
frère cadet de Da Jun
Shi Liu
石榴
l’ « intrus »
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