Après « Ip Man », « Ip Man 2 », et bien d’autre encore : de
l’or en barre, Ip Man !
par Brigitte
Duzan, 17 mars 2013
Après le
succès de son premier « Ip Man » (《叶问》),
en 2008, Wilson Yip (叶伟信)et
son producteur Raymond Wong
(黄百鸣)
se sont empressés d’en préparer un second deux ans
plus tard,
« Ip Man 2 » (《叶问2》),
avec les mêmes acteurs et les mêmes ingrédients. Et
comme il est difficile de s’arrêter en si bon
chemin, on attend logiquement un « Ip Man 3 » qui
devrait en être la suite et achever une trilogie
maintenant, cependant, improbable vu la
multiplication des films sur le sujet.
« Ip
Man » : découverte d’un filon
« Ip Man »
(《叶问》)a
du jour au lendemain rendu célèbre un style d’art
martial jusque là assez ésotérique : le ‘wingchun’,
en mandarin
咏春
yǒngchūn,
c’est-à-dire chanter le printemps, ou ode du
printemps, une appellation étonnante pour une école
d’art martial, mais qui a sa signification : le
printemps
Wilson Yip
étant la saison du
renouveau, il s’agit d’un style non figé, un style en
perpétuel renouvellement (1).
(Y)ip Man et le
wingchun
Raymond Wong
C’est bien
ce qu’il est advenu du wingchun avec le
premier des grands maîtres à l’avoir popularisé :
Yip Man, devenu Ip Man dans le film de Wilson Yip
pour raisons sourcilleuses de droits d’auteur. D’un
art dont la légende veut qu’il tienne ses origines
d’une nonne, et qui avait donc au départ la mauvaise
image d’une technique de femmes, Yip Man a fait une
école qui a aujourd’hui des adeptes dans le monde
entier.
Né en 1893
à Foshan (佛山),
dans le delta
de la rivière des
Perles, il était issu d’une famille hakka de riches
commerçants et a reçu une éducation traditionnelle. Il a
débuté
l'apprentissage du wingchun vers dix ans, auprès du
maître Chan Wah-shun (陈华顺), qui résidait dans le temple du clan familial. Mais il avait déjà
soixante-dix ans : il mourut trois ans plus tard et Yip Man
fut son dernier élève. Il poursuivit ensuite son
apprentissage avec un élève du maître que celui-ci avait
désigné à sa mort.
A 15 ans,
l’adolescent fut envoyé étudier à Hong Kong au St.
Stephen's College, un établissement huppé pour
familles aisées et étrangers. On raconte qu’il se
porta un jour au secours d’une femme battue par un
agent de police étranger qu’il terrassa, et que
l’incident fut rapporté par un camarade de classe
qui en avait été témoin à un vieux voisin qui se
trouvait être le fils du maître de Chan Wah-shun.
L’adolescent continua donc à apprendre le
wingchun avec lui…
Il revint à
Foshan en 1917, à l’âge de 24 ans. Il rejoignit
l'armée pendant la guerre, puis, après la guerre, la
police de Foshan., tout en enseignant le wingchun
à certains de ses subordonnés, et à ses parents et
amis, mais sans ouvrir d'école.
En 1949,
après la fondation de la République populaire, à
l’âge de 56 ans, craignant d’être poursuivi en
raison de ses fonctions dans l’armée et la police du
régime nationaliste, il partit à Macao, puis à Hong
Kong.
Yip Man, le personnage
historique
On dit qu’il était
un
consommateur régulier d'opium. Comme il se fournissait au
marché noir et que le coût en était très élevé, il aurait eu
besoin d'une source de revenu stable pour payer l'opium
autant que pour subvenir aux besoins de sa famille. Selon
l’un de ses élèves, ce serait la raison pour laquelle Yip
Man aurait ouvert une école d'arts martiaux à Hong Kong. Les
revenus étaient cependant insuffisants, les élèves ne
restant généralement que quelques mois. Il dut déménager
deux fois.
Mais de
plus en plus d’élèves finirent par remporter des
victoires et sa notoriété s’accrut peu à peu. En
1967, ils fondèrent l’Association hongkongaise du
wingchun. Mais Yip Man n’eut guère le temps de
jouir de ses succès : il est mort en 1972 d’un
cancer de la gorge.
On est
donc loin de la légende dorée communément connue, et
véhiculée par les différents films sur sa vie et sa
carrière.
« Ip
Man », le film
Le
scénario du premier des « Ip Man » de Wilson Yip,
signé Edmond Wong, le fils du producteur, a fait
grommeler puristes et historiens, en particulier
pour avoir fait de Yip Man un patriote ardent,
luttant contre l’envahisseur japonais, et avoir
déguisé ses origines de rejeton de famille aisée.
Il débute
dans les années 1930 à Foshan, avec un jeune Ip Man
profil bas, s’entraînant sans faire d’éclats. Puis,
en 1937, après l’invasion japonaise, la famille est
chassée de ses
Ip Man
terres ; privé des
revenus familiaux, Ip Man doit aller travailler dans une
mine où il rencontre d’anciens congénères, puis dans une
fabrique de coton où il fomente la résistance à l’ennemi en
enseignant le wingchun aux ouvriers.
Un maître populaire
Il n’est
évidemment pas question de vérité historique, plutôt
d’hagiographie. En fait, le film a dû son incroyable
succès au box office aux superbes chorégraphies de
Sammo Hung ((洪金宝)et
à l’interprétation de Donnie Yen (甄子丹),
valeur sûre qui vaut son pesant d’or et qui est, en
outre, un sosie très crédible de l’original.
Si l’on
ajoute une épouse fidèle et vertueuse, interprétée
par une actrice que l’on n’imaginait pas forcément
dans ce rôle,
Lynn Hung (熊黛林),
on a un trio gagnant pour une romance édulcorée que le
réalisateur et le producteur se sont fait une joie de
resservir, avec quelques menues modifications.
Le film « Ip Man » (《叶问》)
« Ip Man 2 » : Donnie Yen contre Sammo Hung
« Ip Man 2 » (《叶问2》)
raconte l’arrivée du maître à Hong Kong, en 1949, et ses
débuts difficiles dans la ville. Hong Kong est alors en
effet une ville chaotique, où règnent la misère et à la
violence, un repaire de triades dont les écoles d’arts
martiaux ne sont tout au plus que des émanations, et des
annexes commodes pour recruter des membres. Yip Man décide
de nettoyer ce milieu pourri en ouvrant sa propre école pour
y enseigner les nobles valeurs du wushu. Et s’attire
donc ce faisant quelques haines bien senties.
Le film s’annonce
sous les mêmes auspices que le précédent, avec un budget
plus généreux encore que le premier (100 millions de dollars
de HK, contre 40 millions) (2), les mêmes décors
reconstitués à Songjiang, dans la banlieue de Shanghai, un
scénario également concocté par le fils du producteur,
Edmond Wong, et la même société de production/distribution,
Ip Man 2
Mandarin Films ((东方电影制作有限公司),
créée en 1991 par Raymond Wong. Une affaire quasiment
familiale, qui marche bien.
Mais là n’est pas
l’important. L’astuce promotionnelle, c’est d’avoir inclus
Sammo Hung dans le casting : il interprète le rôle du chef
d’un clan rival, les Hong, pardon Hung (洪派),
célèbre (au moins chez les initiés) pour l’école du même
nom : Hung Kuen /Hong Quan (洪拳).
Sammo Hung est parfait dans le rôle, et laisse présager par
sa seule présence aux côtés de Donnie Yen quelques scènes
époustouflantes pour la plus grande joie de leurs fans.
Une épouse fidèle
Mais il est une
question récurrente qui est revenue en boucle sur les forums
internet avant la sortie du film : et Bruce Lee ? Parce que,
enfin, l’élève phare de Yip Man, c’est lui, l’idole trop tôt
disparue. Alors, est-ce qu’on allait le voir, et qui allait
l’interpréter ? Soyons logique : d’abord, Bruce Lee n’est
entré qu’au début des années 1950 dans l’école de Yip Man,
il avait treize ou quatorze ans, alors, même s’il était
apparu dans le film, cela n’aurait pu être que rapide. En
outre, si on avait lâché Bruce Lee tout de suite, que
serait-il resté pour « Ip Man 3 » ?
Bref, Bruce
Lee est absent de « Ip Man 2 » pour pouvoir mieux apparaître
dans un troisième volet que l’on attend maintenant… Mais
Donnie Yen a annoncé qu’il ne fallait plus compter avec lui.
D’après les bruits de couloir, appréciables en l’occurrence
pour montrer les intérêts financiers en jeu, son cachet
serait passé entre les deux films de 10 à 15 millions de
yuans (soit près de 2,5 millions de US$), un prix d’ami,
selon le producteur. Il doit être trop cher maintenant…
On
se demande de toute façon si le troisième « Ip Man » va
vraiment voir le jour, vu la déferlante de films sur le
sujet qui ont submergé les écrans, le plus intéressant étant
sans aucun doute celui de Wong Kar-wai.
Le film « Ip Man 2 » (《叶问2》)
Un succès qui
a fait et continue de faire des émules
« Ip Man » devait
s’appeler « Yip Man, the Great Master », mais le titre a été
écourté parce que Wong Kar-wai avait un projet sur le même
sujet ; le film, sorti début 2013, s’intitule simplement
« The Grandmaster »
(《一代宗师》),
pour les mêmes raisons. Comme l’a dit
Raymond Wong lors de la sortie de « Ip Man », « le film aura
un style différent. » Sans aucun doute.
Deux « Ip Man »
supplémentaires ont en outre été réalisés depuis le premier
de Wilson Yip. Ce sont des films de Herman Yau (邱礼涛) :
« The Legend is Born:
Ip Man » (《叶问前传》),
sorti en 2010, avec Dennis To dans le rôle principal, et « Ip
Man: The Final Fight » (《叶问:终极一战》),
présenté en première mondiale au festival
de Hong Kong en mars 2013, avec Anthony
Wong reprenant un Ip Man plus âgé, approchant de la
soixantaine, et tentant de créer son école à Hong Kong dans
les années 1950, au milieu des difficultés
d’approvisionnement et de la corruption des années
d’après-guerre.
On va même avoir
un Ip Man en feuilleton télévisé à Taiwan : les droits ont
été acquis par une productrice de séries télévisées, Yang
Pei-Pei (杨佩佩),
qui va en faire, comme à son habitude, une série d’une
quarantaine épisodes. Il a été annoncé à la mi-2012 que ce
serait la star TV locale Kevin Cheng qui tiendrait le rôle
titre. Ip Chun, fils de Ip Man (87 ans), a été
La légende est née
pris comme
consultant. L’idée était de sortir la série en même temps
que le film de
Wong Kar-wai !
Après cela, on
pourrait aussi en faire un dessin animé. C’est de l’or en
barre, Ip Man, et ce surtout aujourd’hui où les films de
Wilson Yip et d’Herman Yau représentent sans doute les
derniers éclats d’un cinéma cantonais sur le déclin face à
la tentation du continent.
Bande annonce « The Legend is
Born: Ip Man » (《叶问前传》)
Bande annonce « Ip Man: The
Final Fight » (《叶问:终极一战》)
Notes
(1) Voir le
dossier sur le wingchun établi par un spécialiste des
arts martiaux :
(2) Soit un budget
passé de 5 à 13 millions de US$, à peine en deçà des 15
millions de dollars qui est le chiffre optimal, selon Peter
Chan (en 2009), pour pouvoir sans trop de problèmes
récupérer ses fonds en diffusant le film sur le marché de
Chine continentale.