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« Zhang Side » : grand film à la mémoire d’un héros de la Chine populaire

par Brigitte Duzan, 23 septembre 2012

 

« Zhang Side » (张思德》) est le grand succès de Yin Li (尹力), et, dans son genre, un chef d’œuvre. Sorti en septembre 2004 et produit par Han Sanping (韩三平) et China Film, le film a été réalisé pour commémorer le 60ème anniversaire du fameux discours prononcé le 8 septembre 1944 par Mao Zedong - « Servir le peuple » (« 为人民服务 » wèi rénmín fúwù ) – qui a immortalisé Zhang Side en l’érigeant en héros populaire à émuler.

 

Une peinture très vivante  de héros exemplaire

 

Une vie héroïque

 

Né en 1915 dans une famille de paysans pauvres du Sichuan, Zhang Side s’est enrôlé très jeune dans l’Armée rouge. Il a participé à la Longue Marche et est devenu membre du Parti communiste en 1937. Il a alors été muté

 

Zhang Side, affiche du film

dans la garde spéciale du Comité central, et, en 1943, nommé garde du corps de Mao Zedong.

 

Pendant le blocus économique imposé par le Guomingdang à la région autour de Yan’an englobant les zones frontalières du nord du Shaanxi et de l’est du Gansu et du Ningxia (陕甘宁边区) (1), Zhang Side se distingua en fabriquant du charbon de bois bien plus vite que la normale, en allant chercher le charbon encore brûlant dans les fours, sans le laisser refroidir. Un jour, cependant, la vieille dame chez qui il logeait ne le vit pas revenir : il était mort dans l’effondrement de l’un des fours.

 

C’était le 5 septembre 1944. Mao prononça son discours trois jours plus tard. A partir de là, Zhang Side est devenu l’un de ces nombreux héros sanctifiés par le régime dont les vies, glorifiées a posteriori, ont été offertes en modèles de courage et d’abnégation, le plus célèbre étant sans doute le soldat Lei Feng (雷锋) qui partage beaucoup de points communs avec Zhang Side, et en particulier sa totale dévotion envers le président Mao.

 

Une peinture très vivante

 

Zhang Side dans les affiches de propagande (collection Landsberger) : campagne 1961

 

Au début du film de Yin Li, Zhang Side est dépeint avec les attributs habituels des héros type Lei Feng. Bien qu’il ait été dans l’armée depuis plus de dix ans, il est toujours simple soldat, mais il continue à servir sa patrie avec la même simplicité et la même bonhomie.

 

Dans la scène introductive, il doit chanter dans un chœur de l’armée, dans un spectacle donné à un auditoire d’enfants auquel assiste le président Mao : on le place au dernier rang, mais sur quelques briques parce qu’il est plus petit que ses camarades. Il attire cependant l’œil de Mao par l’ardeur avec laquelle il chante : qui est ce petit type au visage crasseux (脸巴脏呼呼小鬼) ? demande Mao. On lui répond alors que c’est quelqu’un d’exceptionnel (响当当 xiǎngdāngdāng) et la conversation qui suit brosse son caractère : sérieux, naïf et bon enfant.

 

Toute la première partie du film emprunte aux clichés du

réalisme socialiste pour poser Zhang Side en héros au grand cœur qui vient en aide à tout le monde, jusqu’à se jeter à l’eau pour sauver un porc qui est en train de se noyer dans une rivière en crue. C’est un paysan qui a du mal à s’exprimer, plus à l’aise avec les enfants, arrivant même à tirer de son mutisme un petit garçon qui refuse de parler depuis la mort de ses parents et dont il devient une sorte de père adoptif.  

 

Une narration originale mais qui reste formatée

 

En même temps, cependant, le portrait du soldat modèle diffère quelque peu des schémas hagiographiques établis dans ce genre d’œuvre : l’intérêt du film réside en grande partie dans une narration très vivante, aux détails très réalistes, et il faut rendre hommage au scénariste, Liu Heng (刘恒), pour son travail (2).

 

Zhang Side est présenté avec des défauts bien humains : il chante faux, il boit trop à un banquet, et la caméra le suit alors qu’il sort vomir.  Il y a un effort certain pour dépeindre certaines situations avec humour, ce qui rend le film beaucoup plus acceptable aujourd’hui. Le personnage de Mao lui-même, qui est en fait le personnage principal du film, est présenté sous un aspect souriant et sympathique, proche du peuple (3).

 

C’est pourtant là que le film rejoint l’imagerie officielle. Chacune de ses apparences sur l’écran est précédée d’une musique de circonstance, très émotionnelle, et chaque scène

 

Zhang Side dans une affiche de propagande des années 1990 (collection Landsberger)

où figure le président représente comme une image d’Epinal : dans l’une des premières séquences, il est filmé songeur, en train d’écrire « Serve the people » ; il permet au jardin d’enfants du camp d’utiliser sa voiture quand il n’en a pas besoin, va jusqu’à offrir une paire de bonnes chaussures neuves à Zhang Side pour qu’il ne marche plus nus pieds et à se rendre au chevet d’un blessé pour éclairer de sa présence ses derniers moment. Mais, sous cet extérieur affable et ouvert, il est présenté comme une indéniable figure d’autorité paternelle, inspirant un respect dévotionnel aux troupes comme à la population.

 

Wu Jun dans le rôle de Zhang Side

 

Les passages où on le voit donner ses discours les plus importants reprennent les techniques utilisées dans les premiers films de propagande du régime, où une voix off expliquait in extenso ce dont il était question pour que personne ne puisse faire d’erreurs d’interprétation. Yin Li a affiné la méthode : dans une séquence où Mao exprime la nécessité de travailler avec acharnement, sont insérées dans le cours du discours des images de Zhang Side courant sur plusieurs kilomètres pour trouver un pneu

de secours pour la voiture du président. De la même manière, les informations importantes nécessaires pour comprendre le contexte de certaines séquences sont données par des dialogues entre Mao et son entourage, permettant en même temps d’orienter le point de vue des spectateurs sur ce qui est dit.

 

Une grande partie du film est en fait constituée de clichés : des scènes de soldats toujours en mouvement, même au repos, donnant une impression d’activité intense et constante, soulignant l’importance de l’action collective.

 

Un message renforcé par les images

 

Yin Li a superbement soigné l’esthétique de son film, qui vient renforcer les efforts d’originalité narrative et picturale.

 

Il est tourné en noir et blanc, mais ce n’est pas le noir et blanc expressionniste d’un Murnau ou d’un Béla Tarr, c’est un blanc et noir fumeux, qui évoque la couleur passée de documents d’archives.

 

Les images donnent en outre dès le départ au film un caractère emblématique. La première séquence,

 

Tang Guoqiang dans le rôle du président Mao

où l’on voit la petite silhouette de Zhang Side courir dans un vaste paysage montagneux du nord du Shaanxi, rappelle immédiatement les grands films chinois tournés dans ce même paysage qui est comme le symbole de la Chine profonde, et en particulier « La terre jaune » (黄土地).

 

Le film utilise par ailleurs une technique de montage qui coupe le récit et lui donne de la profondeur, la caméra très mobile renforçant l’aspect d’activité fébrile. La fin elle-même est très discrète, laissant à l’imagination du spectateur le soin de se représenter le héros mort.

 

Serve the people

 

Le film est certainement un sommet du genre. Il est significatif que la première ait eut lieu dans le Grand Hall du Peuple, à Pékin, suivie de l’habituelle série de récompenses nationales, Coq d’or, Cent fleurs - y compris le prix, bien mérité, du meilleur acteur à Wu Jun (吴军), etc.

 

A l’occasion de sa sortie, un journaliste du People’s Daily, Wang Jinyou, écrivait : « Les temps ont peut-être changé, mais la politique de réforme et d’ouverture nécessite toujours l’esprit de

Zhang Side : servir le peuple. » Le cinéma officiel chinois, en ce sens, fait comme l’idéologie du régime : il s’adapte au temps sans changer ses modèles de base.

 

 

Notes

(1) La région fut créée en 1937 par le Parti communiste dans le cadre du Second Front uni avec le Guomingdang, avec pour capitale Yan’an. Le Front ayant presque tout de suite été rompu, la région fut soumise à un blocus sévère du Guomingdang à partir de la mi-1939 et considérablement renforcé en 1941. La région dut alors survivre en économie d’autosuffisance. En 1944 y fut lancé un « mouvement pour la production ».

(2) Sur Liu Heng, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_LiuHeng.htm

(3) Caractéristique encore renforcée dans les films officiels récents produits, et coréalisés, par Han Sanping, en particulier « La fondation d’un Parti ».

 

A lire en complément :

Le texte du discours et sa traduction.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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