La
grande affaire de la fondation du Parti… et du film pour la
commémorer
par Brigitte Duzan,
23 avril 2009,
révisé 21 août 2012
Après la
« La
fondation de la République » (《建国大业》),
sorti en 2009 pour le 60ème anniversaire
de la fondation de la République populaire, et
couronné du Cerf d’or au 10ème
festival de Changchun,
le China Film Group a produit une deuxième
superproduction, cette fois sur la fondation du
Parti communiste chinois : la sortie a coïncidé avec
la commémoration du 90ème anniversaire de
l’événement, en 2011.
Le film
est, comme son prédécesseur, coréalisé par
Huang Jianxin (黄建新)
et Han Sanping (韩三平),
et reprend le même modèle : une reconstitution
minutieuse des faits, avec une kyrielle de stars
pour interpréter les différents rôles, mais moins
nombreux cependant que pour le premier film. C’est
un complément du précédent avec lequel il forme une
sorte de diptyque.
L’histoire
illustrée
Il couvre
les dix années entre 1911 et 1921,
La fondation du Parti
c’est-à-dire de la Révolution de 1911 à la fondation du Parti
communiste chinois en 1921. Mais l’accent est mis tout
particulièrement sur le mouvement du 4 mai 1919, comme
mouvement patriotique de protestation contre les clauses du
traité de Versailles (1), puis sur l’action des Soviétiques,
à partir de mars 1920, pour propager l’idéologie communiste
et agir en vue de la constitution d’un Parti frère.
Finalement, le film met en scène la réunion de treize
représentants, le 22 juillet 1921, dans un dortoir de femmes
à Shanghai : c’est l’événement fondateur du Parti communiste
chinois.
La fondation du Parti,
l’affiche avec les principaux personnages
Le film est
intitulé, littéralement, la « très grande affaire de
la fondation du Parti » (《建党伟业》).
On admirera la nuance dans le choix des adjectifs :
伟/伟大 wěidà
renvoie à
quelque chose de grandiose, autrement important que
le simple 大dà
du titre
du premier film,
ce qui est logique puisque la fondation du Parti est
l’événement novateur déterminant qui a changé la
face du pays et lui a permis de renaître
de ses
cendres, après les humiliations subies et les longues années
de guerre. Le titre anglais est d’ailleurs « Beginning of
the Great Revival » (le début de la grande renaissance). Il
reprend l’intertitre conclusif du film.
Un ton inattendu et
des acteurs choisis en conséquence
Le ton du
film, pourtant, n’est pas aussi grandiose que le
titre pourrait le faire attendre. Le choix des
acteurs y est pour beaucoup : ils ne sont pas ceux
habituels dans ce genre de rôle statufié. La
comparaison avec « La fondation de la République »
est révélatrice. Dans « La fondation du Parti », il
y a quelque chose de romantique dans les
personnages ; ils sont encore jeunes, pleins
d’enthousiasme, d’idéalisme, ils ont aussi les
émotions, les sentiments des jeunes de leur âge, et
de leur époque.
Liu Ye en Mao Zedong
jeune (à droite), He Ping à gauche
Mao avec Yang Kaihui
C’est
Liu Ye (刘烨),
qui interprète le jeune Mao Zedong. Il faut
reconnaître que le maquillage a réussi à le rendre
assez ressemblant, suffisamment pour être crédible.
Mais il interprète le rôle avec retenue, modestie et
sensibilité et beaucoup de tendresse dans les
séquences avec Yang Kaihui (杨开慧),
l’amour de jeunesse de Mao, qu’il épousa
pendant l’hiver 1920/21.
Ce n’est pas du tout le Mao fondateur de la
République. La scène de la soirée du Nouvel An, où
il regarde les feux d’artifice, la tête de Yang
Kaihui sur son épaule, sur fond de ville enneigée,
est une séquence qui restera dans les annales.
Yuan Shikai
(袁世凯)
est interprété par Chow Yun-fat, Chiang Kai-shek par Chang
Chen (张震),
acteur taiwanais qui a commencé chez Edward Yang
avant de tourner avec Wong kar-wai, puis avec
Ang
Lee dans
« Tigres et
Dragons »
où il joue aux côtés de… Chow Yun-fat, justement… Zhou
Enlai est interprété par Chen Kun (陈坤),
qui
jouait le rôle du fils de Chiang Kai-shek dans « La
fondation de la République ». Le réalisateur
John
Woo (吴宇森)
est le futur président de la République de Chine Lin
Sen (林森).
Rien de cela ne correspond aux « normes ».
Le film
joue aussi sur l’image évoquée par les acteurs.
Zhou Xun (周迅)
interprète le rôle de la femme de Li Da (李达),
représentant au premier congrès national du Parti,
lui-même interprété par l’acteur Huang Jue (黄觉) :
les deux ont joué ensemble en 2004 dans le film
« Baobei in Love » (《恋爱中的宝贝》)
de
Chow Yun-fat en Yuan
Shikai
Li Shaohong (李少红),
dans lequel ils interprétaient un couple romantique
dont le souvenir plane sur leurs nouvelles incarnations.
Huang Jue
Le choix de Tang Wei (汤唯)a créé une petite
surprise. L’actrice avait en effet été censurée et
interdite de tournage en Chine après la sortie de
« Lust.Caution »
(《色·戒》) en 2008, et elle s’était repliée sur Hong Kong pour pouvoir
continuer à tourner. « La fondation du Parti » a
donc signalé la fin de son purgatoire, mais on lui a
réservé le rôle de Tao Yi (陶毅), qui fut une intellectuelle en vue du Hunan (2), et l’une
des premières égéries de Mao, avant qu’il épouse
Yang Kaihui. Tao Yi a par la suite rejeté le
communisme, et est décédée prématurément en 1930, à
l’âge de 35 ans. La ressemblance n’est pas
frappante, mais le choix de l’actrice pour ce rôle
est révélateur...
Les autres acteurs sont moins connus, à part Li
Chen venu d’ « Aftershock » (rôle de Fang Da, le fils sauvé des décombres) ou le réalisateur
He Ping (何平),
qui interprète un autre représentant au premier
congrès, parce qu’il lui
ressemble naturellement. Il faut souligner la
prestation de Feng
Yuanzheng
(冯远征)
dans le
rôle de Chen Duxiu (陈独秀),
l’un des intellectuels les plus importants du
mouvement du 4 mai, et premier secrétaire général du
Parti.
Un autre Mao, une histoire revisitée sur le mode
affectif
Contrairement au film précédent, « La fondation du
Parti » a été financé sur fonds privés, par une
quarantaine d’investisseurs. C’est donc, encore plus
que « La fondation d’une République », un film
commercial qui devait être rentabilisé. Bien qu’il
ait monopolisé les salles de cinéma à sa sortie en
Chine, le film n’a pourtant pas été le succès
retentissant qu’a été le précédent, ce qui est
peut-être dû à un phénomène de lassitude du public,
plus qu’à la qualité intrinsèque du film lui-même.
Zhou Xun
Li Chen
Han Sanping et
Huang Jianxin ont opté pour une
représentation humaine de personnages iconiques, Mao en
particulier ; le film est vivant, et a même ses moments
d’ironie, de clins d’œil en coin. Mais ce
n’est
pas seulement pour attirer le public : le
scénario s’intègre en fait dans le mouvement de
« réécriture des classiques rouges » débuté dans les
années 1990, cherchant à concilier nostalgie
socialiste et romantisme individuel.
Le personnage de Mao, interprété par un acteur
chinois réputé par sa sensibilité, finit par perdre
de son contenu politique et idéologique pour tendre
vers une image humaine avec laquelle le spectateur
puisse s’identifier et sympathiser. Les débats
du 4 mai sont escamotés, Lu Xun est absent, et Chen Duxiu
représenté comme un intellectuel sympathique mais naïf.
Tous ces efforts n’empêchent pas le film, cependant,
de rester un peu pesant, avec une séquence
finale assez lourde montrant la fin du premier
congrès du Parti, avec l’adoption de la charte
finale, l’élection du comité central, et les
délégués entonnant l’Internationale. Les textes
introductif et conclusif reprennent les textes
consacrés, en replaçant l’épisode historique dans le
cadre d’une société semi féodale et coloniale tandis
que la fin annonce le début de « la grande
renaissance »…
Tang Wei dans le film
Tao Yi
« La fondation du Parti », avec
« La fondation d’une
République », sont en fait révélateurs d’une profonde
révision des dogmes fondateurs du Parti au pouvoir en Chine
et de ses icônes. On voit l’histoire en cours de réécriture,
et diffusée par le cinéma selon sa mission pédagogique telle
que définie par Mao lui-même. Sebastian Veg en a fait une
analyse approfondie dans le second numéro de 2012 de China
Perspectives qui restera un article de référence pour ces
deux films.*
Bande annonce
Notes
(1) Sur ce
mouvement, dit « du 4 mai » et celui qui l’a suivi, le
mouvement « de la nouvelle culture », voir :
(2)
Tao Yi (陶毅)
faisait partie de l’élite intellectuelle du Hunan, connue
comme l’une des « trois femmes remarquables de Zhounan »,
école normale réputée de la province (“周南三杰”). Elle
fut l’un des premiers maîtres de Ding Ling à Changsha :