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« One and
Eight » : le premier long métrage, trop méconnu, de la
cinquième génération
par Brigitte Duzan, 17 novembre 2017
Bien que, étant sorti le premier,
« La
Terre jaune » (《黄土地》)
lui ait volé la vedette et soit considéré comme une
sorte de manifesto de la cinquième génération, « One
and Eight » (《一个和八个》)
est véritablement le premier long métrage,
incroyablement hardi, réalisé par un groupe de
cinéastes de la fameuse "promotion 78" de l’Institut
du cinéma de Pékin. Il est né des circonstances : de
leur affectation dans un petit studio qui semblait
au départ un exil, presque un châtiment.
Genèse
Exil à Nanning
En avril 1982 débuta à l’Institut du cinéma de Pékin
le processus d’assignation des jeunes cinéastes de
la promotion ’78 qui venaient de terminer leur
cursus de quatre ans et devaient rejoindre les
différents studios du pays pour commencer leur
carrière. La règle nationale voulait que les jeunes
diplômés soient envoyés |
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One and Eight |
dans les villes où vivaient leurs familles, ou dans la ville
la plus proche possédant un studio. Certains étaient ainsi
favorisés par leur situation familiale, mais les autorités
chinoises demandaient à chacun de se soumettre aux décisions
prises à leur égard.
Le Studio du Guangxi à
Nanning |
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Pour la plupart des jeunes qui n’avaient pas accès
aux grands studios, Pékin ou Shanghai étant les
priorités, deux studios étaient particulièrement
redoutés : le Studio Emei du Sichuan, mais surtout
le Studio du Guangxi à Nanning (广西电影制片厂)
qui avait été créé en 1958, dans l’élan du Grand
Bond en avant, et vivotait depuis lors sans offrir
apparemment degrandes perspectives d’avenir.
Mais, justement, ce dernier Studio voulait sortir de
son isolement et, espérant profiter |
de l’occasion offerte par l’Institut du cinéma de Pékin,
envoya l’un de ses dirigeants à la capitale pour faire la
promotion du Studio et tenter d’attirer de bonnes recrues.
Il fit remarquer que, contrairement aux grands studios où un
jeune cinéaste pouvait rester assistant-réalisateur pendant
de nombreuses années avant d’avoir la possibilité de
réaliser son propre film, à Nanning au contraire, les
possibilités étaient bien plus ouvertes.
Finalement, il fut décidé d’envoyer à Nanning une équipe de
cinq jeunes très prometteurs, qui avaient déjà fait leurs
preuves et avaient des qualifications complémentaires :
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Pour la réalisation :
Zhang Junzhao (张军钊),
-
Pour la photographie :
Zhang Yimou (张艺谋)
et Xiao Feng (肖风),
-
Pour la direction artistique : He Qun (何群),
-
Et pour le son : Tao Jing.
Ils furent consternés quand ils apprirent leur
affectation, et cherchèrent par tous les moyens à
éviter d’être relégués dans cette lointaine
province. Mais rien n’y fit : à l’exception de Tao
Jing qui refusa son affectation, ils décidèrent
finalement de partir ensemble et de former un petit
groupe solidaire, une équipe soudée.
Ce qu’ils considéraient comme un exil, en fait,
s’avéra tout de suite |
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L’équipe des jeunes du
Studio du Guangxi en 1983 :
de g. à dr. He Qun, Zhang Junzhao, Xiao Feng et
Zhang Yimou |
une occasion inespérée de passer à l’action et de déployer
toute leur créativité en mettant en œuvre leurs idées.
Scénario adapté d’un poème lyrique
Arrivés au début de l’automne 1982, ils commencèrent tout de
suite par être assistants sur le tournage des films en cours
de réalisation au Studio. Mais, lors de la fête du Printemps
1983, Zhang Junzhao tomba sur un scénario qui attira son
attention ; il le fit donc lire à ses trois camarades qui le
trouvèrent eux aussi très intéressant et émouvant.
Guo Xiaochuan |
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Il était adapté d’un poème lyrique de Guo Xiaochuan
(郭小川)
qui avait été publié en 1979, mais écrit en 1957. Né
en 1919 et mort en 1976, Guo Xiaochuan est un poète
qui s’est enrôlé dans la 8ème Armée de
route en 1937 ; en 1941, il a été envoyé à Yan’an,
au centre de recherche littéraire, et, après 1949, a
travaillé dans le département de propagande du
Parti. Il est l’un des principaux représentants de
la poésie « lyrique politique » (政治抒情诗)
des années de guerre, mais – lit-on dans sa
biographie - son approche personnelle, |
mettant en exergue la valeur de l’individu, lui valut d’être
critiqué à la fin des années 1950, et encore plus pendant la
Révolution culturelle.
Le poème qui lui
valut d’être autant critiqué, c’est justement « One and
Eight », écrit dans la fièvre de la très brève envolée
libérale des Cent Fleurs. Guo Xiaochuan en confia le
manuscrit à un ami éditeur à fins de publication. Mais le
vent tourna, et l’ami, au lieu de publier le poème, écrivit
un article dénonciateur dans la presse. Guo Xiaochuan fut
déclaré droitier, et soumis à de telles épreuves qu’il finit
pas rédiger son autocritique et n’écrivit plus que des
poèmes laudateurs pour le régime et le Parti
.
L’histoire attira Zhang Junzhao et ses camarades car le
triste sort du personnage principal répondait à leurs
propres expériences en suscitant en eux une forte émotion.
Ce personnage, Wang Jin (王金),
est un membre du Parti soupçonné de collaboration avec
l’ennemi pendant la guerre de résistance contre le Japon.
Pendant l’enquête, il est emprisonné avec huit bandits, et
il se retrouve pris entre deux feux : ses accusateurs,
désireux de faire appliquer strictement la loi, et les
bandits avec lesquels il est enfermé, qui l’insultent et le
battent.
L’adaptation en scénario fut réalisée par le
scénariste Zhang Ziliang (张子良),
originaire de Xi’an. L’histoire se déroule en 1941.
Les Japonais poursuivent leur avance, les soldats
communistes doivent battre en retraite, mais en même
temps escorter leurs dangereux prisonniers. Pour
faciliter les choses, le chef de section ordonne
d’exécuter et les bandits et Wang Jin. Celui-ci
professe sa loyauté et son attitude courageuse
persuade les soldats de sa sincérité. Les Japonais
infligent une sanglante défaite aux Communistes qui
subissent de lourdes pertes. Les prisonniers
s’évadent, et, sous la conduite de Wang Jin,
finissent par échapper à l’ennemi qui les encercle.
La direction du Studio soutint le projet, qui allait
dans le sens de la nouvelle politique de réforme et
d’ouverture. Le directeur Guo Baochang (郭宝昌)
offrit même d’être le conseiller artistique du film,
ce qui finit d’emporter la décision. |
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Guo Baochang |
Révision
Le scénario, cependant, avait besoin d’être révisé, y
compris pour passer la censure. Le Studio affecta un budget
de 3 000 yuans à l’équipe pour qu’ils puissent aller dans
les provinces du nord où se déroule l’histoire, visiter les
lieux des combats, mener des interviews, et acquérir
suffisamment de connaissance pratique du terrain pour
réviser le scénario en conséquence.
C’était une rupture avec la pratique habituelle des
studios. C’était la première fois qu’on envoyait une équipe
entière en reconnaissance, normalement on n’envoyait que le
réalisateur et le scénariste. Surtout, le scénario révisé ne
fut pas seulement un scénario littéraire, à suivre
fidèlement, mais un travail d’équipe qui se poursuivit
ensuite pendant le tournage, avec des réunions et des
discussions se poursuivant tard dans la nuit – système qui
devint ensuite une caractéristique des méthodes de
travail de la cinquième génération, et de Zhang Yimou en
particulier.
La participation de chaque membre de l’équipe dès le
scénario entraîna aussi un changement de perspective,
le son et l’espace étant traités comme éléments dramatiques
à part entière, venant structurer la conception du film et
des séquences. Xiao Feng créa un véritable storyboard qui
indiquait jusqu’aux mouvements de caméra et aux angles de
prises de vue.
Quant à l’histoire elle-même, c’est sur le personnage de
Wang Jin que se concentrèrent les révisions, pour le rendre
plus central et souligner son caractère résolu. En fait, ses
sentiments répondaient aux leurs, de même que le thème
général de loyauté et d’honneur confrontés à l’injustice et
à la disgrâce les touchait particulièrement.
Ce qu’il leur manquait, cependant, et qu’ils recherchaient,
c’est une conclusion dramatique venant clore le film.
C’est par hasard que He Qun en trouva l’idée, en regardant
un soir à la télévision un film yougoslave de 1969 intitulé
« Le Pont » (Most). L’histoire se passe pendant la
Seconde Guerre mondiale : un groupe de partisans est envoyé
faire sauter un pont pour enrayer la retraite de l’armée
allemande. Ils sont découverts par les soldats allemands,
et, pour protéger la fuite de ses camarades, l’un d’eux
reste en arrière et, au dernier moment, après avoir épuisé
ses munitions, crie à ses camarades en fuite de jeter une
dernière grenade sur lui pour qu’il ne tombe pas aux mains
de l’ennemi.
C’est cette conclusion qui a inspiré celle de « One and
Eight ». Des soldats japonais encerclent la femme médecin
appartenant à l’unité où sont détenus Wang Jin et les
bandits. Ils sont sur le point de la violer quand l’un des
bandits tire sur elle : c’est sa dernière cartouche, qu’il a
utilisée pour sauver l’intégrité morale de cette
combattante. Cette séquence finale était en rupture totale
avec les codes et conventions du cinéma chinois, en
particulier dans sa peinture de la guerre de résistance,
dans le traitement du bandit comme de la femme médecin.
La révision du scénario fut un travail en commun, où chacun
apporta sa propre contribution, ses idées personnelles, et
ce travail en commun s’est poursuivi sur le tournage, chacun
mettant la main à la pâte au-delà des considérations de
statut ou de qualification, sans stricte division du
travail.
Le scénario fut finalement adopté par le Studio en avril
1983. Peu après fut annoncée la constitution formelle de
l’Unité des jeunes cinéastes chargée de sa réalisation, et
comprenant les quatre camarades venus de Pékin. C’était à
peine un an après la fin de leurs études, ce qui était sans
précédent. Ils se rasèrent la tête pour montrer leur
engagement, et apparurent ainsi devant l’ensemble du
personnel du studio, proclamant leur résolution de passer
les dix prochaines années comme simples assistants si le
film était un échec.
Du scénario à la réalisation
Repérage
Sur le tournage de «
One and Eight » : les deux chefs opérateurs Zhang
Yimou et Xiao Feng, avec au
premier rang He Qun à
g. et Zhang Junzhao à droite |
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Le repérage a été fait très tôt, quand l’équipe fut
envoyée dans le nord se familiariser avec les lieux
de l’action avant de terminer la révision du
scénario. Ils ont en fait parcouru les provinces du
Hebei et du Shaanxi, mais aussi du Gansu, et
jusqu’au Ningxia et une partie du désert de Gobi.
Cela leur a valu des critiques, le Gansu et le
Ningxia n’ayant jamais été conquis par les Japonais.
C’est pourtant là qu’ils ont décidé de tourner une
grande partie du film.
Leurs raisons vont à l’encontre de la vérité
historique, mais sont dans une parfaite logique
cinématographique : en 1982, le Hebei et le Shaanxi
étaient devenues des provinces |
agricoles, avec des champs à perte de vue, et des arbres et
des fils électriques partout. Or le film se passe en 1941/2,
au moment de la politique de la terre brûlée dite en Chine
« Opération des Trois Tout » (Sānguāng Zhèngcè
三光政策)
déclenchée à la fin de l’année 1941 par l’armée japonaise
(Tue tout, brûle tout, pille tout)
.
Pour rendre les images de désolation liées à cette
politique de destruction systématique, il fallait un
paysage dévasté, sans signe de vie : les vastes
paysages quasiment désertiques du Gansu et du
Ningxia étaient particulièrement adaptés. C’est donc
la reconstitution de la vérité historique, basée sur
une esthétique visuelle plutôt que sur la stricte
recherche textuelle, qui a prévalu, dans une optique
caractéristique de la cinquième génération.
Le film a été tourné dans le district de Yi (易县),
au Hebei, et dans les vastes étendues désertiques du
Ningxia. |
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L’opération Trois Tout |
Choc visuel : les acteurs…
Wang Jing (Tao Zeru)
et le chef
de section Zhu Xi
(Chen Daoming) |
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Le film a d’abord été conçu en termes visuels, avec
des images tellement frappantes qu’elles puissent
créer un choc visuel soulignant l’atmosphère du
scénario. Outre le paysage, l’aspect physique des
acteurs a été particulièrement travaillé. A part
l’actrice interprétant le rôle de la femme médecin,
tous se sont rasé la tête. En outre, ils ont été
envoyés pendant plusieurs semaines dans la campagne
près de Nanning pour se faire tanner la peau. Ils
finirent par avoir l’air de véritables bandits.
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Dans ses Mémoires
,
Ni Zhen raconte que, quand ils ont pris le train pour
rentrer à Nanning, ils ont attiré l’attention de la police.
Quand ils ont expliqué qu’ils préparaient le tournage d’un
film pour le Studio du Guangxi, tout s’est bien terminé.
Mais, quand ils sont ensuite partis dans le nord pour le
tournage, arrivés dans le Hebei où ils devaient changer de
train, ils ont inquiété les agents de la sécurité publique
et provoqué une panique parmi les voyageurs qui ont cru
qu’ils étaient des détenus de camps de travail récemment
relâchés. Les acteurs n’étaient pas connus à l’époque, en
1983
.
Ce travail sur le physique des acteurs était sans
précédent dans le cinéma chinois, dont les vilains,
dans la tradition du théâtre, avaient des aspects
caricaturaux qui relevaient plus des stéréotypes
dérivés de l’opéra chinois que de la réalité. Leur
aspect physique vient renforcer leur caractère,
dépeint de manière tout aussi nouvelle, à l’opposé
de ce que l’on trouve jusque-là dans les films
chinois sur la guerre, où les bandits sont sauvages,
cruels et toujours suspects de collusion avec
l’ennemi. Les personnages de bandits de « One and
Eight », au contraire, incarnent des valeurs de
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Les bandits |
courage et de loyauté, ils sont capables de patriotisme et
d’esprit de sacrifice ; bref, ils sont humains.
…les décors et les costumes
Le bandit Da Tuzi 大秃子 |
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Le même
travail de reconstitution visant à l’authenticité a
été fait sur l’aspect visuel des décors et des
costumes, en l’occurrence les uniformes de la 8ème
Armée de route. Pour ces derniers, le traitement
rappelle celui que la styliste Ma Ke fait subir à
ses tissus
:
ils ont été trempés dans de l’eau additionnée de
carbonate de sodium, puis battus et usés à la lime,
et enfin passés dans de la boue. Tous semblent
parfaitement authentiques.
Le temple en ruine a demandé aussi un travail
considérable auquel tout le monde a participé,
réalisateur, chefs opérateurs et directeur
artistique aidant à porter l’eau, creuser la terre
ou poser les briques.
Ce travail
en commun sans nette division des tâches a marqué
aussi bien la méthode de tournage de certaines
séquences. Ainsi, comme le raconte encore Ni Zhen
,
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pour la scène où
la caméra filme les cadavres jonchant le sol après le
massacre par les Japonais, Xiao Feng devait filmer en un
seul plan long les quelque deux cents corps gisant au milieu
des ruines ; pour faciliter les choses, Zhang Yimou, He Qun,
Zhang Junzhao et son assistant-réalisateur l’ont aidé, en
assurant en particulier qu’aucun des figurants ne bouge.
Style sans précédent
Si « One and Eight » est resté dans l’histoire du cinéma
chinois comme un film unique, c’est justement pour la
priorité donnée au style visuel, et à une composition
spécifique des plans développée par Zhang Yimou et Xiao
Feng, basée sur l’asymétrie. Zhang Yimou, en particulier, a
défendu l’idée que, comme il s’agissait d’un film sans
personnage féminin (hormis la doctoresse), un film d’hommes
aux sentiments bruts et violents, il fallait le traduire par
des images audacieuses, également violentes pour l’œil.
D’où des scènes où les acteurs ne sont pas au centre
de l’écran, mais au bord, avec parfois, même, un pan
de végétation masquant les visages, pour rendre
encore plus difficile à déchiffrer l’expression de
leurs visages, donc éviter l’accent sur les
sentiments. Jeu sur les couleurs aussi, presque en
noir et blanc.
Ce style sans précédent, d’une grande audace à
l’époque, n’a pas été sans poser de problème, Guo
Baochang lui-même, effrayé par les difficultés que
risquaient de lui valoir ces positions esthétiques,
tenta de persuader l’équipe de revenir à des
conceptions moins risquées ; les acteurs, aussi,
étaient réticents à accepter de se voir relégués en
bordure du cadre, avec peu de visibilité. Zhang
Junzhao aurait été prêt à faire des concessions,
mais Zhang Yimou, au contraire, durcit sa position,
et emporta l’adhésion des autres. Au final, le style
de l’image, tout en contrastes et couleurs sombres,
renforce le sentiment de désolation du scénario déjà
sensible dans le paysage. |
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Sortie en DVD |
Censure et après
« One and Eight » fut envoyé au Bureau de la censure en
novembre 1983. Inutile de dire que le film n’obtint pas le
visa tout de suite.
Enthousiasme
En revanche, l’équipe du film en profita pour organiser une
projection au Studio de Pékin, où ils invitèrent leurs amis,
professeurs et anciens camarades : tout le monde accourut,
la petite salle de projection qui leur avait été prêtée
était comble, et ce fut l’enthousiasme. Leur anciens
camarades et professeurs, mais aussi les vieux cinéastes
comme Chen Huaikai (陈怀皑)
– père de
Chen Kaige –ou les critiques comme Zhong
Dianfei (钟惦棐),
le père de l’écrivain A Cheng (阿城)
,
tous exprimèrent leurs louanges. Et leur émotion.
Le film n’avait pas passé la censure, mais la rumeur de
l’enthousiasme qu’il avait suscité à Pékin se propagea comme
une traînée de poudre. Cela motiva toute l’équipe du Studio
du Guangxi à continuer dans cette voie. L’invitation faite à
Chen Kaige de venir à Nanning en fut la
conséquence directe. C’est un autre scénario écrit par Zhang
Ziliang qui lui fut proposé, adapté d’un récit de Ke Lan (柯蓝)
intitulé « Echos dans le ravin » (《深谷回声》).
C’est le scénario de « La Terre jaune »…
Révisions
Adaptation au théâtre
en 2006 |
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L’odyssée de « One and Eight » n’était cependant pas
terminée. La brutalité des personnages et de leur
langage, la désolation des paysages et des
situations, les images sombres venant renforcer
l’atmosphère lourde, tout heurta la censure, mais
surtout elle ne pouvait accepter l’attitude
irrévérencieuse vis-à-vis de l’Armée communiste, et
l’ambiguïté des personnages des bandits.
Elle demanda de nombreux changements avant que le
film puisse sortir : ce furent surtout des coupes,
mais il fallut même retourner des scènes entières,
et en particulier la fin. La doctoresse n’est plus
tuée, mais sauvée de ses tortionnaires qui, eux,
sont abattus. Et elle a droit à un magnifique lever
de soleil sur les ruines et le désert. La version
finale conserve cependant l’aspect général du film.
Le film
ainsi révisé sortit en 1984 et eut un succès
commercial non négligeable, mais fut interdit
d’exportation |
jusqu’en 1987. En
fait, ce sont les réactions au festival de cinéma de Hong
Kong à la projection de « La
Terre jaune » en 1985
qui entraînèrent un durcissement des autorités de censure à
partir de l’automne.
Réactions divergentes
« One and Eight » exerça une influence significative sur les
cinéastes et les studios, et pas seulement par
l’enthousiasme qu’il suscita.
Il n’entraîna pas seulement la décision des dirigeants du
Studio du Guangxi d’inviter Chen Kaige à tourner « La Terre
jaune ». D’autres studios suivirent, par exemplecelui de
Xiaoxiang, dans le Hunan, où Wu
Ziniu (吴子牛)
tourna « Secret Decree » (《喋血黑谷》),
autre film de guerre qui innove en peignant un officier du
Guomingdang en « type bien », une première dans le cinéma
chinois de la période communiste.
Mais les réactions ne furent pas toutes positives. En fait,
l’intransigeance et la position radicale de Zhang Yimou
entraînèrent une scission dans les rangs de ladite cinquième
génération, une partie suivant Zhang Junzhao dans une
critique d’une esthétique qui faisait courir des risques
financiers aux studios, donc les fragilisait. Au studio de
Xi’an,
Wu
Tianming (吴天明)
lui-même souligna la nécessité de ne pas oublier le public
et de tenter de trouver une juste mesure entre désir
d’innovation et box-office.
C’est l’Ours d’or remporté à Berlin en 1988 par
«
Le Sorgho rouge » (《红高粱》)
et le succès du film au box-office en Chine qui relancera le
débat.
Toujours actuel
Le film fait l’objet d’une adaptation au théâtre en 2006, et
même en série télévisée en 2013, mais dans une version
aseptisée de l’histoire.
[présentation préparée en vue de la séance du 16 novembre
2017 du cycle "De l’écrit à l’écran" à l’Institut Confucius
de Paris Diderot]
Trois principaux acteurs :
Tao Zeru
陶泽如
rôle de
Wang Jin
王金
Chen Daoming
陈道明
rôle du chef de section
Xu Zhi
许志
Zhao Xiaorui
赵小锐
rôle de
Da Tuzi (Le Chauve)
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