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Run Run Shaw
邵逸夫
Présentation
par Brigitte
Duzan, 07 janvier 2014
Run Run
Shaw
est une
personnalité quasi légendaire de l’industrie
cinématographique de Hong Kong. Décédé à l’âge de
106 ans le matin du 7 janvier 2014, il aura à la
fois contribué aux premiers balbutiements du cinéma
chinois, et, à la tête du fameux Shaw Brothers
Studio, été l’une des figures majeures du cinéma de
Hong Kong, à partir des années 1950. Sa vie est
inséparable d’un siècle d’histoire du cinéma
chinois.
Débuts en
famille, à Shanghai puis à Hong Kong
Run Run
Shaw, ou Shao Yifu
(邵逸夫),
est né à
Ningbo, dans le Zhejiang, à la fin de l’année 1907,
soit dans les dernières années de la dynastie des
Qing. Il était le sixième des huit enfants (six
garçons et deux filles) d’un riche marchand de
textiles de Shanghai, ce qui lui valut le surnom de
Shao le sixième (邵老六),
et plus tard, l’appellation affectueuse de « Sixième
oncle » (六叔).
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Run Run Shaw
centenaire |
Il était encore au
collège – dans un établissement dirigé par des Américains -
quand ses frères aînés fondèrent leur première entreprise
cinématographique, au début des années 1920. Son frère aîné,
appelé à Shanghai
Shao
Renjie (邵仁杰),
ou du surnom Shao Zuiweng – le vieil ivrogne (邵醉翁),
était à la caméra, son deuxième frère,
Shao Cunren (邵村人)
écrivait les scénarios, le troisième,
Shao Renmei (邵仁枚)
était en charge de la distribution, et le jeune Yifu, alias
Run Run, les aidait à ses heures de loisirs.

Run Run Shaw jeune |
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En 1924,
Renmei quitta Shanghai pour mettre sur pied un
réseau de diffusion en Asie du Sud-Est et, en 1925,
les deux aînés fondèrent à Shanghai le
studio Tianyi (天一电影公司),
dans le quartier de Zhabei, au
nord de la concession internationale.
Renjie,
qui assumait la fonction de directeur général, donna
à la nouvelle compagnie une mission différente de la
plupart de ses concurrentes : promouvoir les valeurs
morales traditionnelles et la civilisation chinoise,
tout en évitant de s’occidentaliser.
A 19 ans,
pendant l’été 1927,
Run Run
partit rejoindre son frère Renmei à Singapour. Ils
tentèrent de briser le cartel qui opérait les
cinémas pour diffuser les films produits à Shanghai,
mais, quand leurs films furent boycottés, ils se
lancèrent dans un système de projections mobiles,
puis prirent en bail des cinémas à Singapour et en
Malaisie. La diaspora chinoise de l’Asie du Sud-Est
sera le gros marché
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des frères
dans les années suivantes.
En 1939, ils possédaient 139 cinémas dans la région.
En 1932, ils
produisirent le premier film parlant cantonais, « Le dragon
de platine » (《白金龙》).
Ce fut un succès inouï : le film resta sur les écrans
pendant plus d’un an, et généra un bénéfice de plus d’un
million de dollars pour un investissement initial de 1 500.
Deux ans plus
tard, en 1934, Renjie laissa Renmei en charge des opérations
à Shanghai et alla établir à Hong Kong un second studio, sur
des terrains achetés à Kowloon.
Pendant la
seule année 1935, il produisit dix films.
Deux ans plus tard
encore, en 1936, il transféra le studio de Shanghai à Hong
Kong et réorganisa le tout en une Société de production des
Mers du Sud, embryon du futur studio des Shaw Brothers.
Quant à Run
Run, il fit ses débuts en 1937 en tournant une
comédie cantonaise dont il avait écrit le scénario :
« Un paysan mal dégrossi rend visite à ses
beaux-parents » (《鄉下佬探親家》).
Mais Runje (Renjie) se retira après deux incendies,
en laissant le studio à la charge de Runde (Cunren).
Quand les
Japonais envahirent
Shanghai,
Hong Kong et Singapour, leurs cinémas furent
détruits et leurs studios saisis. Run Run échappa de
justesse à la prison pour avoir projeté des films
anti-japonais et partit |
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Run Run Shaw avec son
second frère Runde (à g.)
et troisième frère
Runme (au centre) dans les années 1950 |
faire des études
en Europe. Il ne revint à Hong Kong qu’à la fin de la
guerre.
Le Studio des Shaw
Brothers

1958 Création à Hong
Kong du Shaw Brothers Studio |
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Quand il
revint à Hong Kong, la situation avait
dramatiquement changé dans la colonie. Sous l’effet
de la vague de réalisateurs, producteurs et acteurs
venus de Shanghai pour fuir la guerre, et surtout la
guerre civile, puis le pouvoir communiste, le cinéma
de Hong Kong passa d’une dominance cantonaise à une
production essentiellement en mandarin, et ce fut
sous la houlette de Run Run Shaw.
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Les années d’or des
décennies 1950 et 1960
En 1957,
Run Run Shaw rapatrie les opérations
cinématographiques du Sud-Est asiatique à Hong Kong,
fonde la Shaw Brothers company (邵氏兄弟(香港)有限公司)
et construit le plus grand studio privé du monde à
Clearwater Bay, sur des terrains achetés bon marché
au gouvernement. Toute l’entreprise est organisée
selon des principes tayloriens d’intégration
verticale et d’efficacité maximale. Les studios sont
équipés du matériel le plus moderne, mais en mettant
l’accent non tant sur l’innovation artistique que
sur la rationalisation et la standardisation de la
production.
En 1959,
Raymond Chow vient se joindre à lui, pour prendre en
mains les activités de publicité, promotion et
marketing. En |
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Le logo du Shaw
Brothers Studio |
même temps, les
studios se lancent dans des grosses productions de drames en
costumes. La Shaw Brothers engage parmi les meilleurs
réalisateurs de l’époque. La Shaw Movietown est inaugurée en
décembre 1961 ; c’est le début d’un âge d’or.

1963 The Love Eterne |
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Le studio
sort des grands classiques « The Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》)
de
Li Hanxiang (李翰祥)
en 1963,
« Come Drink with Me » (《大醉俠》)
de
King Hu (胡金铨)
en 1965 … Et puis, en 1967,
c’est le
grand succès :
«
The One Armed Swordsman » (《独臂刀》)
est le premier film à gagner plus de un million de
$HK au box office local seulement ; en même temps,
il rend célèbres à la fois le réalisateur
Chang Cheh (张彻)
et l’acteur Jimmy Wang, et annonce un tournant dans
les films de
wuxia.
Au milieu des années 1960, la Shaw Brothers prend le
pas sur sa rivale, Cathay, fragilisée par la mort
brutale de son fondateur Loke, en 1964. Le cinéma
cantonais perd régulièrement du terrain. |
Le tournant de 1973
Le grand
tournant intervient en 1973 avec « Five
Fingers of Death »
(《天下第一拳》),
avec Lo Lieh (罗烈), qui bat des records d’affluence et de
recettes aux Etats-Unis et en Europe : la folie du
kung-fu est lancée. Elle va propulser Bruce Lee au
sommet de la gloire. Au milieu des années 1970, la
Shaw Brothers produit quarante films par an,
cinquante en 1974. Quelque 250 000 personnes vont
les voir quotidiennement dans les quelque 140
cinémas que possède la compagnie dans le monde
asiatique et les Chinatowns du monde entier. C’est
un cinéma formaté et doublé, les films
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1973 Lo Lieh dans
Five Fingers of Death |
étant tournés sans la bande son, rajoutée ensuite avec le
doublage approprié.
Mais Run Run Shaw
ne réalise pas l’importance de Bruce Lee et le laisse filer
chez son concurrent, la Golden Harvest créée en 1970 par
Raymond Chow, avec quelques collègues qu’il a emmenés avec
lui. En même temps, la vague des films en mandarin va
progressivement refluer, avec une nouvelle vague de
réalisateurs qui tournent en cantonais. A partir de là, Run
Run Shaw va concentrer ses activités sur la télévision.
Un empire télévisé

1983 Legend of the
Eagle Shooting Heroes |
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C’est dès
novembre 1967 que Run Run Shaw a investi dans la
télévision, en créant la première chaîne de
télévision commerciale par satellite, Television
Broadcasts Limited (TVB), alors que la principale
chaîne concurrente était câblée. C’est cependant à
partir du décès de son PDG, Harold Lee, en 1980, que
Run Run Shaw a développé ses activités dans la
compagnie, donnant en bail à TVB une bonne partie
des équipements de la Shaw Brothers.
TVB est
alors devenue une fabrique de stars internationales,
des acteurs Chow Yun-fat et Maggie Cheung aux
chanteurs Leslie Cheung et Anita Mui. En 2006, TVB
monopolisait 80 % des téléspectateurs de Hong Kong,
et contrôlait 78 % du marché de la publicité
télévisée. |
Et après….
Run Run Shaw s’est
marié une première fois en 1937, avec
Wong Mei Chun (Huang
Meizhen
黄美珍).
Elle est morte en 1987, à l’âge de 85 ans. C’est justement
l’année qui a marqué la fin des tournages à la Shaw
Brothers, comme si son décès marquait la fin d’une époque.
Dix ans
plus tard, en 1997, à l’âge de 90 ans, Run Run Shaw
s’est remarié, avec une femme de 67 ans qui
travaillait avec lui depuis des années : Mona Fong (方逸华),
dès lors appelée « Sixième tante » (六婶). C’est
une femme étonnante, née en 1931 à Shanghai où elle
commencé une carrière de chanteuse, comme sa mère.
Elle est arrivée à dix-huit ans à Hong Kong, et a
peu à peu gravi tous les échelons de la Shaw
Brothers, devenant le bras droit de
Run Run
Shaw. C’est une travailleuse acharnée, mais elle a
aussi le sens des affaires. Il semble que c’est elle
qui lui a conseillé d’investir dans la télévision,
en 1967.
Depuis
2000, elle est PDG adjoint de TVB. C’est cette
année-là que Run Run Shaw a vendu sa bibliothèque de
760 films chinois à Celestial Pictures, une société
hong-kongaise filiale d’un groupe de medias de
Malaisie. Peu de temps plus tard, il
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A près de cent ans
avec
sa seconde épouse Mona
Fong |
a acquis une
participation majoritaire dans le projet de Hong Kong Movie
City, un investissement de 180 millions de dollars visant à
construire un gigantesque complexe de studios modernes à
l’est de Hong Kong.
Run Run Shaw a
également quatre enfants et neuf petits enfants. L’une de
ses petites filles,
Soo-wei Shaw, a été nommée
en 2008 directrice du Festival international de cinéma de
Hong Kong.
La continuation de son œuvre est assurée.
A lire
en complément
Un article d’un spécialiste des Shaw Brothers qui se demande
quel est le premier film du studio :
www.morethankungfu.com/?p=278
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