Zhang Che (张彻),
ou Chang Cheh dans sa transcription hongkongaise
courante, est l’un des grands réalisateurs de Hong
Kong qui a révolutionné le film de wuxia (武侠片)
à partir du milieu des années 1960, dans le cadre de
la renaissance des films en mandarin dans la colonie
britannique sous l’égide de la Shaw Brothers.
C’est le succès des nouveaux films de wuxia,
dont « The One-Armed Swordsman » (《独臂刀》)
de Zhang Che en 1967, qui permit à la Shaw Brothers
d’affirmer sa suprématie sur son rival historique,
le studio Cathay qui disparut en 1970. Zhang Che fut
déterminant dans la reconfiguration du genre, en
mettant l’accent sur les valeurs masculines – et
violentes - des héros de la tradition héritée du
roman « Au bord de l’eau » (《水浒传》),
tandis que
King Hu (胡金铨),
de son côté, préférait mettre en exergue les
héroïnes martiales remontant aux chuanqi des
Tang (1).
Chang Cheh jeune
Zhang Che, cependant, a eu une longue et prolifique carrière
qui mérite d’être appréciée au-delà des clichés auxquels on
la résume souvent. Il a réalisé une centaine de films en une
quarantaine d’années, à Hong Kong, mais aussi à Taiwan et
même en Chine continentale, tournant parfois jusqu’à huit
films en une année. Si sa vision nouvelle du wuxia a
amorcé la transition vers le film de kung-fu, il a été
précurseur à bien d’autres titres, et pourfendeur de
nombreuses conventions. Son œuvre est le reflet d’une
personnalité complexe, nourrie de littérature et d’opéra.
Scénariste pendant vingt ans
Zhang Che n’était pas prédestiné à devenir réalisateur, et a
dû se contenter longtemps d’être scénariste.
Années 1940 : Scénariste à Shanghai
De son vrai nom
Zhang Yiyang (张易扬),
Zhang Che est né en février 1923 dans le district de
Qingtian (青田),
dans le sud-est du Zhejiang. On dit que son père était un
seigneur de guerre.
Pendant la guerre, à la fin des années 1930, il est allé
faire des études de sciences politiques à l’Université
nationale centrale (国立中央大学)
qui se trouvait alors
à Chongqing. A
la fin de son cursus, il obtint un poste de scénariste au
Comité central des activités culturelles (中央文化运动委员会),
puis a été
nommé secrétaire du Comité des activités culturelles de la
ville de Shanghai (上海市文化运动委员会).
C’est ainsi qu’il fit la connaissance d’artistes et de
personnalités du monde du cinéma.
Son premier scénario date de 1947 : c’est celui de « La
femme au visage masqué» (《假面女郎》),
l’un des derniers films tournés à Shanghai
par Fang Peilin (方沛霖)
avant de partir à Hong Kong.
1949 : Taiwan
C’est à Taiwan, en 1949, que Zhang Che tourne son premier
film : « Alishan dans la tourmente » (《阿里山风云》).
C’est le premier film en « guoyu » (ou mandarin de
Taiwan) réalisé après la chute du régime colonial japonais.
Zhang Che est l’auteur du scénario, ainsi que de la chanson
qui est le thème du film, d’abord intitulée « La jeune fille
d’Alishan » (《阿里山的姑娘》),
avant de devenir
célèbre sous le titre « La haute montagne est verte »
(《高山青》).
La chanson Gaoshan qing 高山青
Les événements politiques l’incitent à rester dans l’île. Il
écrit ensuite surtout pour le théâtre. En 1956, il écrit le
texte d’une pièce dont le rôle principal est interprété par
la star de la Cathay, Li Mei (李湄),
qui lui commande le scénario d’un film et l’invite à venir à
Hong Kong le tourner avec elle.
1957 : Hong Kong
Le film sort en 1957 : c’est « Wild Fire » (《野火》).
Mais c’est un échec. Zhang Che se replie sur l’écriture :
critiques de films, articles divers, et même nouvelles et
romans, sous des pseudonymes.
Ce sont ses articles et critiques qui attirent l’attention
sur lui. Il est embauché comme scénariste d‘abord par la
Cathay, puis, en 1962, par la Shaw Brothers qui lui permet
très vite de passer à la réalisation car le studio était en
plein développement.
Réalisateur vedette de la Shaw Brothers
1963-67 : Premiers films
Dès 1963, le studio lui confie en effet la coréalisation,
avec Yuan Qiufeng (袁秋枫),
d’une adaptation d’un opéra huangmei : « The
Butterfly Chalice » (《蝴蝶杯》).
D’une part, Zhang Che y montre son amour de l’opéra, mais il
en profite, déjà, pour pourfendre une convention : le
personnage masculin est interprété par un homme, Jin / Chin
Feng (金峰),
et non par une femme. D’autre part, on trouve au générique
des acteurs qui vont devenir des figures clefs de la
première génération d’acteurs de Zhang Che : outre Jin Feng,
Lo Lieh (罗烈),
Tian Feng (田丰),
Wu Ma (午马)...
Au niveau du style, cependant, Zhang Che est, dans ce film,
clairement influencé par
Li Han-hsiang (李翰祥)
dont « The Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》)
sort d’ailleurs la même année.
Bande annonce de The Butterfly Chalice (sous-titres anglais)
L’année suivante, en 1964,
Zhang Che tourne « The Tiger Boy » (《虎侠歼仇》),
dans lequel apparaît pour la première fois celui qui va
devenir son premier acteur fétiche : Jimmy Wang / Wang Yu (王羽).
Avec « The Magnificent Trio » en 1965 (《边城三侠》),
ce sont deux films qui préfigurent les grands films de
wuxia qui vont suivre dans la carrière de Zhang Che, et
dont « The One-Armed Swordman » (《独臂刀》),
en 1967, est la première grande réussite.
1967 :Le sabreur manchot, violence et opéra
Cheng Peipei et Wang
Yu dans Golden Swallow
Avec ce film, Zhang Che fixe ses codes et son
esthétique, qu’il développera tout au long des
années suivantes.
A une époque où les actrices concentraient à Hong
Kong tout l’intérêt des spectateurs, où
King Hu
faisait de
Cheng Pei-pei (郑佩佩)
l’Hirondelle d’or de son film éponyme, et la digne
descendante des grandes actrices de wuxia qui
avaient enflammé les foules à la fin des années 1920
à Shanghai,
Zhang Che exalte les valeurs masculines de
fraternité et d’héroïsme et donne les rôles
principaux à
ses acteurs. Même quand il réalise une suite à
« L’hirondelle d’or » de King Hu, avec « Golden Swallow »
(《金燕子》)
en 1968, le personnage féminin cède la primeur à son
homologue masculin.
Brisant une autre convention, les héros de Zhang Che
sont promis à des morts magnifiques, dans des bains
de sang filmés de façon réaliste, avec poches de
sang éclatant sous le choc des lames, mais en fait
d’un sur-réalisme épique renvoyant aux mises en
scène d’opéra. La violence devient un facteur clef
dans ses scénarios : Zhang Che apparaît comme le
maître d’une esthétique de la mort et de la
violence, d’un style qualifié de yanggang (阳刚)
qui est une ode fervente à la masculinité.
L’histoire de « The One-Armed Swordman » reprend
cependant bien des thèmes traditionnels du wuxia,
et en particulier la liberté individuelle,
teintée d’esprit rebelle et la fidélité aux maîtres,
jusqu’au sacrifice.
Quand l’école de l’Epée d’or est attaquée, le
serviteur Fang Cheng sacrifie sa vie pour sauver
celle de son maître
One-Armed Swordsman
Qi Rufeng (齐如峰)
qui, par gratitude, accepte son fils Fang Gang (方刚)
comme élève. Mais celui-ci est
En 1967, sur le
tournage de One-Armed Swordsman
méprisé par les autres élèves. Au cours d’un combat,
dépitée de ne pas avoir de succès auprès de lui, la
fille unique du maître, Qi Pei (齐佩),
lui tranche un bras. Il est sauvé par une jeune
paysanne, Xiao Man (小蛮),
qui lui confie un vieux manuel familial où il trouve
la description d’un style spécial pour épéiste
manchot. Quand l’école est à nouveau attaquée, Fang
Gang peut sauver son maître, mais il préfère, à la
fin, se retirer à la campagne pour mener une vie
tranquille avec Xiao Man.
Cette conclusion est typique des nouvelles de
wuxia depuis les chuanqi des Tang, mais
Zhang Cheen a inversé les codes : habituellement, ce
sont les héroïnes, les nüxia, qui
disparaissent une fois leurs hauts faits terminés.
L’histoire se termine par quelques mots laconiques :
et on ne l’a plus jamais revue, ou : on n’a plus
jamais entendu parler d’elle. Ici c’est le xia,
le héros masculin, qui renonce à prendre la tête de
l’école, et se retire dans une vie qui n’est même
pas monastique, simplement ordinaire. Le film se
termine par un
Avec son assistant
John Woo
anti-climax que l’on peut rapprocher de la fin heureuse des
mélodrames traditionnels du cinéma de Hong Kong, cantonais
surtout, à l’époque.
L’Assassin
« The One-Armed Swordman » a été un incroyable
succès commercial, propulsant Jimmy Wang au
rang de star, préfigurant Bruce Lee ; c’est le
premier film de Hong Kong à avoir dépassé le million
de dollars de HK, confirmant le flair de Zhang Che,
premier à avoir senti que le public demandait
maintenant des héros masculins.
Hong Kong était en plein tumulte : l’année 1967 est
marquée par des émeutes, et c’est pendant ces
émeutes que Zhang Chen tourne « The Assassin »
(《大刺客》).
Les
valeurs de révolte et de liberté individuelle prônées dans
ces films prennent donc une signification particulière dans
le contexte politique de la colonie.
1968-71 : de Jimmy Wang à David Chiang
En 1969, « Return
of the One-Armed Swordsman»
(《独臂刀王》),
après
« Golden
Swallow»,
parachève codes et règles, avec une pléiade d’acteurs qui
constituent une première génération autour de Jimmy Wang.
Zhang Che est épaulé par un duo de chorégraphes,
Tong Gaai / Tang Gang (唐佳),
formé à l’opéra cantonais, et Lau Kar-leung / Liu Jialiang (刘家良),
qui règlent les scènes de combats comme des séquences
martiales d’opéras. Même les scènes d’éventration, qui
deviennent récurrentes à partir de « Vengeance » (《报仇》),
en 1970, sont inspirées d’une tradition opératique ;
d’ailleurs, ce film est adapté d’un opéra, « The
Frontier Gate » (《界牌关》).
Bande annonce de
Vengeance
« Vengeance »
marque une nouvelle étape. Nouvelle étape, d’abord,
dans l’esthétique, avec un jeu de couleurs bleutées
qui saturent l’atmosphère dès la séquence initiale,
mais aussi dans la technique, avec en particulier
une utilisation poétique duralenti pour filmer la
mort du héros, comme dans une extase finale. Dans
« Vengeance », le personnage interprété par Ti Lung
avance ainsi au ralenti vers la mort qui l’attend
dans la maison de thé en tenant à la main une cage
d’oiseaux – scène d’une beauté irréelle dont John
Woo a repris l’image en 1992 au début de « Hard
Boiled » - ou
The New One-Armed
Swordman
« A toute épreuve » - (《辣手神探》) :
Chow Yun-fat apparaît marchant lentement en tenant lui aussi
une cage
d’oiseaux…
David Chiang et Ti
Long en 1969, au moment du « New One-Armed
Swordsman »
Nouvelle étape, aussi, dans le choix des acteurs
avec, après le départ de Jimmy Wang de la Shaw
Brothers, la consécration du formidable duo
d’acteurs Ti Lung (狄龙) /
David Chiang / Chiang Da-wei (姜大卫)
que l’on retrouve dans les films de Zhang Che
pendant toute la décennie 1970, à commencer,
en 1971, par « The
New One-Armed Swordsman »,
en français « La rage du tigre » (《新独臂刀》).
Ce film est un remake du premier qui porte à son
paroxysme la violence inhérente à l’univers de Zhang
Che. Le scénario, signé Ni Kuang (倪匡)
comme le premier, est une histoire de vengeance
typique des films de Zhang Che, et des films de
wuxia en général, mais avec un côté provoquant dans
le sanguinaire et l’atroce. L’histoire supprime la
relation complexe avec les deux femmes au cœur du
premier film pour se concentrer sur celle – ambigüe
et exaltée – entre les deux « héros », l’infirme
Chiang anéantissant une armée pour
venger la mort de son ami démembré, attaché à des chaînes.
Dans ce film, le réalisateur décline ses images
devenues obsessionnelles en incroyables morceaux de
bravoure restés célèbres pour leur démesure. On est
proche de l’opéra dans sa dimension symbolique. Et
c’est cette dimension symbolique du « sabreur
manchot » qui sera reprise, comme en hommage, par
Tsui Hark (徐克)
quand il signera en 1995 une nouvelle version de ses
exploits : « The Blade » (《刀》).
En 1972,
sur un autre scénario de Ni Kuang, cette fois adapté
d’un épisode du grand classique de Shi Nai’an (施耐庵), « The
Water Margin » (《水浒传》)
est une dernière œuvre de la période reprenant les
mêmes acteurs et thèmes de vengeance sanglante, mais
comme apaisée, avant de passer, la même année, à un
style différent….
A partir de « Vengeance », au début des années 1970,
Zhang Che fait évoluer le style du wuxiades
combats à l’épée aux
Water Margin
jeux très réalistes de « fists and legs », se posant ainsi
en précurseur du kung-fu que Bruce Lee va populariser à
partir de « The Big Boss » en 1971. Un Bruce Lee que Zhang
Che ne réussira pas à faire entrer à la Shaw Brothers….
1972-1976 : The
Boxer from Shantung et la série des Shaolin
The Boxer from
Shantung
En 1972, « The Boxer from Shantung » - ou
« Le justicier de Shanghai » - (《马永贞》)
apparaît plus comme un film de gangsters que de wuxia,
mais avec une conclusion désabusée qui tranche
avec les règlements de compte habituels du genre.
Aux côtés de David Chiang, le film consacre comme
nouvel acteur clef Chen Kuan-tai (陈观泰),
apparu dans « Vengeance » en 1970.
L’année suivante, cependant, marque une nouvelle
étape dans la filmographie de Zhang Chen : des films
situés dans la dynastie des Qing, avec de
méticuleuses reconstitutions des décors et des
costumes. Celui qui amorce la série est « Blood
Brothers » (《刺马》),
interprété par le trio David Chiang / Ti Lung /
Chen Kuan-tai, sur une chorégraphie de Lau Kar-leung.
On ne peut s’empêcher – malgré ses dénégations - de
voir un remake de ce film dans celui de 2007 de
Peter Chan (陈可辛)
« The
Warlords» (《投名状》),
qui s’appelait à l’origine…
« The Blood Brothers ». C’est sans aucun doute un
reflet de la fascination exercée par Zhang Che sur
Peter Chanqui lui a de nouveau été comparé lors de
la sortie de son dernier film,
« Wuxia »
(《武侠》),
en 2011 (2).
Au milieu des années 1970, il tourne une série de
films sur des thèmes historiques : la rébellion des
Boxers, Marco Polo… En même temps, Zhang Che
introduit le genre du kung-fu, qui est une extension
logique de sa filmographie centrée sur les exploits
physiques de héros incarnés par des stars d’arts
martiaux. Les grands classiques de la période,
de1974 à 1976, sont les films décrivant la rébellion
des moines de Shaolin contre la dynastie des Qing,
conduisant à la destruction du monastère, dont, en
1974, « Five Shaolin Masters » (《少林五祖》)
et, en 1976, « Shaolin
Temple » (《少林寺》),
le second étant le prologue du premier et se
terminant par l’attaque de l’armée des Qing, ne
laissant que huit survivants parmi les moines.
Chang Cheh en tournage
dans les années 1970
Le film de Shaolin Temple
The Brave Archer
Dans ce dernier film, on retrouve les acteurs
vedettes de Zhang Che, dont, en têtes d’affiche,
David Chiang et Ti Lung, avec un nouveau venu, Fu
Sheng (傅声),
que Zhang Che avait remarqué dans la Southern Drama
School de la Shaw Brothers où il était entré en
1971.
Fu Sheng va jouer de 1977 à 1982 dans la série des
« Brave Archer » adaptés de la trilogie de
Jin Yong (金庸)
« The Legend of the Eagle-Shooting Heroes » (《射雕英雄传》) –
quatre films sur des scénarios de Ni Kuang aussi
complexes que les histoires originales de Jin Yong,
mais où l’intérêt réside dans l’exaltation de la
fougue et des corps des acteurs et dans les scènes
d’action, filmées en couleurs superbes et en plans
longs mettant en valeur la gestuelle chorégraphiée.
Zhang Che était un fin lettré, mais a rarement tenté
d’adapter des œuvres littéraires, sauf « Water
Margin » et Jin Yong, justement – et il n’a pas
considéré ces adaptations comme
ses meilleures œuvres. Il a insisté sur le fait que ses
scénarios sont des œuvres originales. Ils sont en
Ses acteurs fétiches
avec le réalisateur : de g. à dr.
Fu Sheng, Ti Lung,
Chang Cheh et David Chiang
général calqués sur les histoires traditionnelles de
la littérature de wuxia, mais surtout
construits sur quelques-uns de leurs thèmes
principaux, axés sur les valeurs viriles des xia.
En fait ils sont d’abord structurés selon des
schémas récurrents de revanche automatique :
l’amputation d’un héros doit entraîner ipso facto
celle d’un méchant, et la mort de deux méchants être
équilibrée par celle de deux héros…. Tout semble
dicté par une logique mathématique qui laisse
l’esprit aux prises avec l’image.
1978-1989 :
les cinq poisons et les super ninjas
La période suivante est marquée par cinq autre
acteurs introduits, en plus de Fu Sheng, dans
« Shaolin Temple » : les « Five Venoms » (ou cinq
poisons) qui donnent leur nom en 1978 à un film
annonçant un changement de style lié, comme souvent
chez Zhang Che, au changement d’acteurs (et, dans ce
cas, de chorégraphe) : « The Five Deadly Venoms »
(《五毒》).
Le film est l’histoire d’un groupe de cinq experts
d’arts martiaux ayant chacun un style lié à un
animal particulier et désigné comme tel : le
mille-pattes (蜈蚣),
le serpent
(蛇),
le scorpion
(蝎子),
le lézard (壁虎)
et le crapaud
(蛤蟆). Les
acteurs se connaissaient depuis l’enfance, et
avaient été formés à l’école de l’opéra de Pékin de
Taiwan avant d’entrer à la Shaw Brothers et de
rencontrer Zhang Che.
C’était après la rupture de
celui-ci avec son chorégraphe Lau Kar-leung à la
suite du tournage de « Disciples of Shaolin »
The Five Deadly Venoms
(《洪拳小子》),
en 1975. Les cinq acteurs seront aussi chorégraphes des
films où ils joueront, dont
Crippled Avengers
« Crippled Avengers » (《残缺》),
un film qui atteint des sommets dans l’atrocité,
certes, mais aussi dans l’inventivité des scènes
d’action.
Ici encore, le scénario est
bâti sur une histoire de revanche impitoyable : un
homme dont le fils a eu les mains tranchées par des
ennemis se venge sur les coupables en les mutilant
un à un, les quatre hommes s’entraînant alors pour
développer les capacités qui leur restent afin de se
venger à leur tour. Le film baigne dans une
atmosphère macabre, mais d’un esthétisme extrême
dans la chorégraphie des combats et jusque dans les
couleurs, le rouge omniprésent du sang versé se
détachant sur les
couleurs saturées des décors et
costumes. Il y a quelque chose de baroque dans « Crippled
Avengers », comme dans les « Chinese Superninjas » (《五遁忍术》)
de 1982.
Mais c’est un baroque qui annonce une
décadence, comme un ultime feu d’artifice. Dans les années
1980, Zhang Che a du mal à se renouveler et s’essouffle peu
à peu. Il est passé de mode à Hong Kong. Il va tourner à
Taiwan, puis en Chine continentale, une fois encore
anticipant un mouvement qui va s’amplifier à partir de la
fin des années 1990.
Rebond de carrière en Chine
1986-1993 : six films en Chine
En 1984, Zhang Che tourne encore
un film avec la Shaw Brothers, « Dancing Warrior » (《霹雳情》),
puis, à partir de 1986 et « Great Shanghai 1937 » (《大上海1937》),
il tourne six films en Chine.
Mais il est malade, et atteint
d’une surdité croissante.
1989 : Just Heroes
Aussi, en 1989, ses anciens
collaborateurs et acteursse réunissent-ils pour
réaliser un film afin de lui permettre, grâce aux
bénéfices réalisés, de prendre une retraite
tranquille en se consacrant à l’écriture. Y
participent entre autres David Chiang, Ti Lung,
Danny Lee, et même Yuen Woo-ping, comme souvent chez
Zhang Che dans un rôle secondaire ; il est réalisé
par l’ancien assistant de Zhang Che du temps de
« One-Armed Swordsman »,
John Woo (吴宇森),
resté l’un de ses plus
indéfectibles admirateurs et disciples, assisté de
Wu Ma.
Le film sort en 1989 sous le
titre de « Just Heroes »
Just Heroes
(《义胆群英》).
Selon John Woo lui-même, le budget étant très serré,
il a rapporté des bénéfices
appréciables. Mais Zhang Che l’a mal pris : il n’avait
aucunement l’intention de prendre sa retraite. Il a donné
l’argent à des étudiants en cinéma, puis est reparti tourner
en Chine.
L’équipe de Just
Heroes autour de Chanc Cheh
en 1989, avec john Woo
à droite
Son dernier film date de 1993.
Il est décédé en juin 2002 à Hong Kong.
Zhang Che a initié un mouvement
totalement nouveau de films de wuxia, puis de
kung-fu, et exercé une influence considérable sur
toute une génération de réalisateurs hongkongais qui
ont suivi ses traces. Il continue à être considéré
comme l’un des grands parrains du cinéma de Hong
Kong, mais il a aussi été le mentor de Quentin
Tarantino, qui s’est inspiré de lui pour concevoir
son propre univers, à commencer par « Kill Bill » :
le scénario est une histoire de vengeance que
n’aurait pas reniée Zhang Che,
mais Tarantino pervertit cependant
l’univers et les codes de son modèle en faisant d’une tueuse
à gages son personnage principal.
L’héritage de Zhang Che est plutôt à
rechercher à Hong Kong, où il a sans doute été mieux compris
qu’ailleurs. Dans les témoignages de ses proches, on lit
l’admiration et le respect pour un personnage d’une grande
culture, témoin ces souvenirs de John Woo :
Dès notre première rencontre je fus très impressionné par
l’homme. C’était un véritable gentleman, toujours très
élégant, et surtout un intellectuel, l’incarnation
contemporaine des anciens lettrés chinois (peu de personnes
savent qu’il est, entre autres, un véritable maître
calligraphe). Le plus frappant, au bout du compte, c’est que
sa personnalité ressemblait à s’y méprendre à celle des
personnages de ses films : un esprit chevaleresque toujours
rivé aux notions d’honneur et de loyauté. Il m’appréciait
beaucoup, comme il appréciait d’ailleurs tous les gens qui,
à l’époque, tentaient de faire bouger les choses…. (3)
Ses films en apparaissent d’autant plus comme ceux d’un
esthète.
De Zhang Che à Peter Chan : la vie antérieure et l’existence
actuelle du « nouveau wuxia ».
(3) Chang Cheh par John Woo,
hors-série spécial Asie (été 1993) de la revue "Le
Cinéphage".
A voir en complément
Documentaire de la Shaw Brothers sur Zhang Che :
1ère partie
2ème partie
A lire en complément
Un article de Zhang Che sur les croisements de cultures
occidentale et orientale et le mélange des cultures du
peuple et de l’élite à la base du wuxia, l’influence
de l’opéra et de Kurosawa, le parallèle avec King Hu, sa
lutte contre les conventions, etc…
"Creating the Martial Arts Film and the Hong Kong Cinema
Style,"
in The Making of Martial Arts Films -- As Told by Filmmakers
and Stars