Sylvia Chang – ou Chang Ai-Chia selon la
transcription taïwanaise – est une personnalité hors
norme, aux talents multiples. Actrice taïwanaise
passée à la réalisation en 1981, elle est aussi
écrivain-chanteuse-dramaturge-scénariste-productrice.
Elle a été membre du jury de la 42ème
Berlinale en 1992 ; en octobre 2015, elle est
présidente du jury New Currents du festival de
Busan, et elle y présente aussi trois films, en tant
qu’actrice, réalisatrice/ productrice, scénariste et
dramaturge.
Présidente du jury New
Currents
au 20ème festival de
Busan, octobre 2015
Elle a soixante-deux ans, et n’a jamais été aussi belle et
débordante d’énergie et de créativité.
Actrice et chanteuse
De la radio à la télévision…
D’une famille originaire de Wutai, dans le Shanxi, Sylvia
Chang est née le 21 juillet 1953 à Chiayi (Jiayi
嘉義市),
au sud-ouest de Taiwan. Son père était officier dans
l’aviation nationaliste ; en 1954, il meurt dans un accident
quand son avion percute une montagne. Son grand-père
maternel était directeur général de la Radiodiffusion
chinoise (中国广播公司)
établie à Nankin puis transférée à Taipei.
DJ à seize ans
Sa mère déménage à Hong Kong quand
Sylvia Chang
est toute petite, puis aux Etats-Unis quand elle a
onze ans ; à treize ans, elle fait des petits
boulots pour gagner de l’argent de poche. Elle
revient à Taiwan à l’âge de quinze ans, en 1968.
En 1969, elle abandonne ses études pour devenir, à
seize ans, DJ à la radio-télévision de l’aviation
taïwanaise. L’année suivante, elle fait ses débuts à
la télévision, et joue dans un premier film diffusé
en 1971.
…au cinéma
Deux ans plus tard, en 1973, elle décroche son
premier rôle au cinéma, dans le film de Lo Wei (罗维)
« The Tattooed Dragon » (《龙虎金刚》),
produit par la Golden Harvest, avec Jimmy Wang Yu (王羽)
et Sam Hui (许冠杰).
En 1977, elle interprète le rôle de Lin Daiyu (林黛玉)
dans la version mémorable du « Rêve dans le pavillon
rouge » (《金玉良缘红楼梦》)
réalisée par
Li
Han-hsiang (李翰祥).
C’est une production des Shaw Brothers. Sylvia Chang
avait rompu son contrat avec la Golden Harvest qui
ne lui promettait que des rôles de potiches, à un
moment où la société s’engageait dans la production
des films de Bruce Lee, mais elle a toujours gardé
de très bons rapports avec le
Dans Dream of the Red
Chamber (1977)
fondateur, Raymond Chow, qui était un ami de son
grand-père ; il est devenu son véritable mentor.
Dans Legend of the
Mountain (King Hu, 1979)
Au cours des années suivantes, elle poursuit sa
carrière d’actrice avec les plus grands réalisateurs
du moment :
King Hu (胡金铨),
Edward Yang (杨德昌),
Tsui Hark (徐克)…
Mais c’est grâce à la série des quatre films « Aces
Go Places » (《最佳拍档》)
qu’elle devient populaire auprès du grand public :
elle interprète le rôle d’une femme agent de police
qui parle, marche et agit comme un homme. Elle en
sort couverte de bleus, mais les films sont un
énorme succès commercial, et sont couronnés du prix
du meilleur film en mandarin aux Hong Kong Film
Awards.
… et à la chanson
En même temps, en 1980, elle rencontre le musicien taïwanais
Lo Ta-yu (罗大佑),
chanteur et compositeur de chansons pop-rock-folk très
populaires. Il lui écrit des chansons, ils chantent
ensemble ; elle s’était mariée en 1978, elle divorce. Elle
chante : demain sera encore mieux (《明天会更好》).
Autre classique de l’époque : Enfance
《童年》
Réalisatrice, scénariste et actrice
Premier film en 1981
En 1981, cependant, elle passe aussi derrière la
caméra. Elle approche la trentaine et ne veut pas
rester actrice toute sa vie. C’est Raymond Chow qui
lui offre sa première chance, avec « Once
Upon a Time » (《某年某月某一天》),
un film qui était déjà commencé, mais en panne : le
réalisateur s’était tué dans un accident de voiture.
Reprendre un film dans ces conditions est toujours
une gageure.
Dans Shanghai Blues
(Tsui Hark, 1984)
Sylvia Chang réécrit le scénario, mais les acteurs étaient
déjà choisis. Elle était complètement perdue, a-t-elle
raconté par la suite. Le film a été tourné en trente jours,
et s’est révélé un désastre. Elle s’est effondrée en pleurs
lors de la conférence de presse.
Il lui faudra cinq ans pour s’en remettre. Mais, avec son
second film, en 1986, elle s’affirme comme réalisatrice et
scénariste au talent prometteur.
De Passion…
Dans Full Moon in New
York (Stanley Kwan, 1989)
Le scénario de « Passion » (《最爱》),
d’abord, est original et bien écrit : il met en
scène deux veuves, amies et confidentes, qui
évoquent leurs souvenirs. Elles ont aimé le même
homme, marié à l’une et passionnément amoureux de
l’autre. Interprété par Sylvia Chang elle-même, avec
Cora Miao dans le rôle de celle qui était mariée, le
film est construit en une série de flashbacks qui
retracent les circonstances souvent douloureuses de
ce double amour passionné, qui n’a jamais détruit l’amitié
indéfectible entre les deux femmes.
Pour ce film, Sylvia Chang a été couronnée comme
actrice, non comme réalisatrice, aux
Hong Kong Film Awards. Il préfigure pourtant ses
films ultérieurs.
Ce même double thème des amours maritales et
extra-maritales et des liens très forts entre femmes
sera en effet repris et développé sous diverses
variantes dans ses films suivants, avec une tendance
plus appuyée au mélodrame à la chinoise par la
suite. Si elle a donné le rôle principal à Maggie
Cheung dans son film suivant, « Yellow
Story » (《黄色故事》) en
1977, elle a en général tendance à l’interpréter
elle-même.
En 1995, pour « Siao Yu » (《少女小渔》),
elle coécrit le scénario avec
Ang Lee (李安).
C’est un drame humain dans le contexte de la
diaspora
Dans C’est la vie mon
chéri (Derek Yee, 1993)
chinoise. Siao Yu et son ami sont des immigrants illégaux
aux Etats-Unis qui tentent d’obtenir la green
Dans Eat Drink Man
Woman (Ang Lee, 1994)
card pour pouvoir rester dans le pays. Empruntant de
l’argent à des amis, ils paient un Américain
d’origine italienne pour qu’il épouse Siao Yu –
mariage de convenance qui a cependant des
conséquences regrettables sur leur vie intime.
Le film a été tourné à New York avec un budget très
modeste, mais vaut par la fraîcheur et
l’authenticité des sentiments et des
interprétations, en particulier, dans le rôle
principal, celle de René Liu, que l’on retrouvera
dans les films suivants de Sylvia Chang.
… à Tempting Heart et 20 30 40
En 1999, « Tempting
Heart »
(《心动》),
dont
elle
est également scénariste et interprète principale,
est encore, treize ans plus tard, une variation des
mêmes thèmes que « Passion » : amour, amitié et
nostalgie. Mais ils sont déclinés selon une vision
résolument féminine. Le scénario lui a coûté cinq
ans d’efforts. Elle voulait au départ écrire une
histoire d’amour toute simple. Après deux révisions,
elle l’a laissé tomber, et l’a terminé plus tard à
Los Angeles, en repartant de zéro.
Sylvia Chang met en scène une réalisatrice qui tente
de tourner un film romantique en recherchant quel
est le rôle du destin dans une relation amoureuse,
et qui finit par reconsidérer son propre premier
amour dans une optique nouvelle. Le film est
Dans Tempting Heart
(1999)
donc scindé en deux parties : une première partie dans les
années 1970, avec une jeune Xiao Rou (小柔)
interprétée par Gigi Leung, et Xiao Rou dans les années
1990, interprétée par Sylvia Chang elle-même.
Xiao Rou tombe amoureuse de Ho-jun (浩君),
interprété par Takeshi Kaneshiro, mais leur relation se
heurte à l’opposition des parents de Xiao Rou et leur amour
s’émousse peu à peu. Des années plus tard, Ho-jun finit par
épouser la meilleure amie et confidente de Xiao Rou, Chen-li
(陈莉),
interprétée par Gigi Leung, mais celle-ci lui avoue in fine
qu’elle est en fait lesbienne et aime Xiao Rou… Celle-ci
n’apprendra la vérité qu’après la mort de Chen-li.
En 2004 à la Berlinale
pour son film
20, 30, 40
(réalisatrice et actrice)
On retrouve, sous une forme légèrement différente,
la trame de « Passion ». Mais c’est un film
partiellement autobiographique comme l’indique une
brève note à la fin, et l’un des plus beaux films de
Sylvia Chang.
Cinq ans plus tard, avec « 20
30 40 »,
en 2004, la réalisatrice approfondit son approche.
Le filmoffre une vision émouvante, mais pleine
d’humour aussi, à l’occasion, de la femme moderne.
Il reprend une structure courante : trois femmes de
vingt, trente et quarante ans, confrontées à des
problèmes relationnels et identitaires, et tentant
d’y trouver des solutions.
Les trois rôles sont interprétés par Angelica Lee,
Rene Liu et Sylvia Chang elle-même, et les deux
actrices ont participé au scénario. Cela donne
beaucoup de fraîcheur et de spontanéité à
l’ensemble, mais sans retrouver l’impact émotionnel
de « Tempting Heart ».
Transition : Run Papa Run
« Run Papa Run » (《一个好爸爸》),
en 2008, apparaît comme un film atypique dans la
filmographie de Sylvia Chang. C’est une comédie dramatique
hongkongaise dont le scénario est adapté d’un roman de Benny
Li (李纯恩) publié
en 2008 : « Un papa mafieux » (《黑社会爸爸》).
Le scénario a d’ailleurs été primé aux 28èmes Hong Kong Film
Awards.
Le film met en scène le boss d’une triade qui tente
désespérément de cacher ses activités criminelles pour
protéger sa fille. L’accent n’est plus sur les relations
entre femmes ; Sylvia Chang en revient au thème des
relations père-enfant des mélodrames chinois, mais de façon
atypique : non les relations classiques père-fils, mais les
relations entre un père hors normes et sa fille, et le
changement induit dans la vie et le caractère du père par la
naissance du bébé. C’est un film inclassable, qui mêle
drame, comédie et satire, mais reste difficilement crédible,
en dépit d’une remarquable interprétation par Louis Koo.
Trailer
Années 2010 : maturité d’un talent multiforme
En 2010, Sylvia Chang collabore avec
Li Yu (李玉)
pour “Buddha Mountain” (《观音山》)
où elle interprète une ancienne chanteuse d’opéra
rongée par le souvenir, et la perte de son fils.
2009 Design for Living
Mais, après « Run Papa Run », elle s’est tournée
vers une nouvelle expérience, l’écriture d’une pièce
de théâtre dont elle a également assuré la
production et où elle
Dans Buddha Mountain
(Li Yu, 2010)
interprètait le rôle principal : « Design for Living »
(《生活与生存》).
Après une première à Shenzhen fin 2008, la pièce a rencontré
un immense succès à Hong Kong début
Design for Living (une
scène de la pièce)
2009, puis lors de diverses tournées à Taiwan et
dans les principales grandes villes de Chine
continentale. Mais le succès même a incité la
réalisatrice à poursuivre l’expérience en révisant
la pièce pour en faire une véritable comédie
musicale, de quatre heures, qui a bénéficié du
soutien enthousiaste du metteur en scène
expérimental de Hong Kong
Edward Lam Yik-wah.
L’histoire est celle d’une agressive femme
d’entreprise qui s’apprête
à introduire son affaire en Bourse après la crise bancaire
suscitée par la chute de Lehman Brothers. La pièce est une
réflexion sur les valeurs de la Chine urbaine moderne,
valeurs de travail, mais aussi valeurs de réalisation
personnelle, dans un contexte de concurrence très dure.
Le succès est dû au caractère de divertissement de la pièce,
qui a été révisée pour compresser les dialogues et réduire
la longueur, et à la notoriété de Sylvia Chang et des
acteurs qui ont attiré leur public de fans ; mais il semble
refléter aussi le goût croissant en Chine pour le spectacle
vivant.
Adaptation télévisée et film
Le succès de la pièce a incité les producteurs de la
télévision et du cinéma à en acheter les droits
d’adaptation. Une première série télévisée a été réalisée
par une société de Pékin.
Mais le plus intéressant est le film musical adapté
de la pièce par
Johnnie To (杜琪峯),
avec Sylvia Chang comme coscénariste, productrice
exécutive, et actrice principale :
« Office »
(《华丽上班族》).
Pour Johnnie To, c’était un genre totalement
nouveau, et un défi. Le scénario est calqué sur la
pièce, avec peut-être des défauts qui en découlent,
mais le film tient beaucoup
Dans Office (Johnnie
To, 2015)
aux acteurs choisis, et en particulier aux quatre
principaux : Chow Yun-fat aux côtés de Sylvia Chang, et,
face à eux, l’équipe de jeunes auditeurs venus faire l’audit
de la société en préparation de l’introduction en Bourse, le
"roi de la pop" Eason Chan (陈奕迅)
et une formidable Tang Wei (汤唯).
Le film a été présenté en septembre 2015 au 40ème
festival de Toronto, en séance spéciale, et il est à nouveau
l’objet d’une présentation spéciale au festival de Busan en
octobre.
En même temps, Sylvia Chang a réalisé un nouveau film :
« Murmur
of the Heart » (《念念》),
sorti en Chine en avril 2015.
2015 : Murmur of the Heart
Murmur of the Heart
C’est son premier film après
« Run Papa Run », sept ans plus tard. C’est un drame
qui part d’un conflit entre générations, et d’un
traumatisme d’enfance mal surmonté. On retrouve le
contenu émotionnel de « Tempting Heart », mais aussi
un ton élégiaque pour évoquer les souvenirs et
exprimer désirs et espoirs.
Coécrit avec le Japonais
Yukihiko Kageyama,
le scénario a une structure complexe qui fait
alterner souvenirs d’enfance fabuleux, évoqués dans
un registre quasi fantastique, et scènes de la vie
actuelle, dont l’aspect chaotique traduit
l’instabilité caractérielle des personnages.
Yu-mei et son frère Yu-nan sont nés sur l’île de
Lyudao, « l’île verte », au large de la côte est de
Taiwan. Ils ont grandi ensemble en écoutant les
contes de sirènes et de châteaux sous la mer que
leur racontait leur mère. Yu-mei a été séparée de
son frère quand sa mère est partie vivre à Taipei en
n’emmenant qu’elle. Maintenant, elle est peintre, et cultive
une relation houleuse avec un aspirant boxeur. Quant à
Yu-nan, il est guide touristique.
Yu-mei est obsédée par son ressentiment envers sa mère, et
son ami boxeur tout aussi névrosé, à cause des espoirs
démesurés qu’a placés en lui son père marin. Yu-nan semble
mener une existence plus équilibrée, bien que solitaire,
mais sa réticence à venir voir sa sœur à Taipei dénote un
autre blocage affectif. Dans les trois cas, les rapports aux
parents sont un obstacle majeur à une vie normale. Mais la
mère est tout aussi victime de son passé, enfermée dans des
mariages ratés ou dérivant après un divorce, comme beaucoup
d’héroïnes des films antérieurs de Sylvia Chang.
Chacun rumine son passé, avant de finalement se réconcilier
avec lui, et de pouvoir enfin accéder à une existence
apaisée.
Trailer
2015 est sans doute une année charnière dans la carrière de
Sylvia Chang. Elle a déjà annoncé que son prochain film se
situerait en Chine continentale…
Filmographie
1. En tant qu’actrice (principaux films)
2015 Office
《华丽上班族》
de
Johnnie To - également scénariste et productrice
exécutive