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« The Grandmaster » : film splendide mais dont on attend (impatiemment) la version redux

par Brigitte Duzan, 21 mars 2013

 

Dixième long métrage de Wong Kar-wai (王家卫), « The Grandmaster » (《一代宗师》) est sorti le 8 janvier 2013 en Chine et deux jours plus tard à Taiwan ; il a été le film d’ouverture de la 63ème Berlinale le 7 février et a été présenté début mars au 15ème festival de Deauville, en présence du réalisateur. Le 19 mars enfin, il a été projeté en avant-première au Forum des images à Paris (1), en attendant sa sortie en France le 17 avril. 

 

Projet retardé et repensé

 

Le film était attendu depuis longtemps, comme c’est souvent le cas des films de Wong Kar-wai. Mais c’est d’autant plus vrai de celui-ci qui a connu de fâcheux concours de circonstances. Wong Kar-wai était parti pour faire un film sur Yip Man (叶问), maître d’un art martial nommé wingchun (en mandarin 咏春 yǒngchūn) (2)

 

Lors de la conférence de presse donnée à la Berlinale, où il était également président du

 

The Grandmaster, première affiche (2010)

jury, le réalisateur a expliqué pourquoi : en 1999, il a été invité à regarder un petit film documentaire familial en super-8, montrant Yip Man âgé, faisant une démonstration des 108 combinaisons de mouvements de wingchun dans le salon de sa maison. L’homme était de dos, mais, à un moment, il s’est arrêté, soit parce qu’il était fatigué, soit parce qu’il avait un oubli. Wong Kar-wai commença alors à se poser la question de la transmission de son art, ce qui est le point de départ du film.

 

Le projet a lentement mûri, étant au départ conçu comme une sorte de légende dorée du personnage de Yip Man (叶问传奇”) pour évoluer vers une réflexion et des recherches élargies sur le monde des arts martiaux, ses codes et ses valeurs.

 

Festival de Berlin 2011

 

Parallèlement, les projets sur Yip Man se sont multipliés : « The Grandmaster » est le quatrième à sortir en cinq ans, après deux de Wilson Yip intitulés « Ip Man » (《叶问》) et « Ip Man 2 » (《叶问2), en 2008 et 2010, et un de Herman Yau (邱礼涛) intitulé « The Legend is Born : Ip Man » (问前传), également en 2010. Un second Herman Yau, « Ip Man, the Final Fight » (:终极一战), est encore programmé en première mondiale au 37ème festival de Hong Kong, en mars 2013.

 

Yip Man est en effet devenu une sorte d’icône du fait qu’il a été – même brièvement -  le professeur de Bruce Lee, mais Wong Kar-wai a expliqué son intérêt de façon plus profonde : le wingchun était au départ un art martial pour gens fortunés car l’enseignement coûtait cher. Yip Man l’a popularisé et « démocratisé » en le mettant au niveau de toutes les bourses et à la portée du plus grand nombre.

 

Approfondissant sa réflexion au long de dix années de maturation, Wong Kar-wai a fini par concevoir un film qui n’est plus seulement sur Yip Man, mais sur les arts martiaux comme ensembles de valeurs et modes de pensée ; c’est un reflet de lui-même, et une prolongation, sous une autre forme, des thèmes traités dans ses films précédents : une pierre de plus à l’édification d’une œuvre parfaitement cohérente.

 

Une histoire complexe entre Foshan, Hong Kong et le Nord-Est de la Chine

 

Le film commence à Foshan, dans les années 1930, et se poursuit après la fondation de la République populaire, au début des années 1950, mais à Hong Kong, avec un détour par le Nord-Est de la Chine. Il nécessite, pour être compris, une petite explication sur les différents styles d’arts martiaux évoqués, représentés par divers ‘maîtres’.

 

Brève introduction aux arts martiaux évoqués dans le film

 

Si les arts martiaux ont une longue histoire en Chine, c’est au début du vingtième siècle que leur développement a été le plus significatif, parallèlement à l’évolution de la société. Pendant la période républicaine, en particulier, rebaptisés « art national » (ou guoshu 国术), les arts martiaux furent encouragés comme facteurs de promotion de la fierté nationale et de la grandeur de la nation ; un Institut central des Guoshu (Zhongyang Guoshuguan 中央国术馆) fut même créé en 1928 et des compétitions furent organisées à partir de 1932.

 

Le mouvement fut stoppé par la guerre. Après l’avènement du régime communiste, ensuite, la tentative de mainmise politique sur les arts martiaux entraîna un exode des grands maîtres, principalement vers Hong Kong et Taiwan.

 

Avec ces épisodes historiques pour toile de fond, le film de Wong Kar-wai met en scène les rivalités entre diverses écoles, et surtout entre styles du Nord et du Sud.

 

Parmi les styles du Nord, le film en a retenu  trois :

 

-    le xingyiquan  ou ‘forme/volonté’ (形意拳), l’un des principaux styles ‘internes’ (内家拳), caractérisé par des sursauts d’énergie visant à terrasser l’adversaire ; selon la légende, il aurait été créé par le général Yue Fei (岳飞), sous les Song, qui a vraisemblablement synthétisé des techniques remontant à la dynastie des Liang (梁朝) au sixième siècle.

 

C’est un art resté relativement obscur jusqu’à la fin du 19ème siècle et a été popularisé dans toute la Chine du Nord au début du siècle suivant par Sun Lutang (孙禄堂) qui pratiquait aussi le baguazhang ; il échangea des connaissances et pratiques avec un maître du Sud,  Fu Chen Sung/Zhensong (傅振嵩), créateur du baguazhang style Fu, qui propagea ensuite le xingyiquan chez lui.

 

-    le baguazhang (八卦掌) ou ‘paume des huit trigrammes’ (chaque trigramme étant associé à un animal),  créé par Dong Haichuan (董海川), chef de la garde impériale, à la fin des années 1800.  

 

Le baguazhang met l’accent sur l’énergie interne et repose sur une stratégie de changement constant pour s’adapter à

 

Sun Lutang faisant une démonstration

l’adversaire, ou des adversaires multiples. Chaque maître a son style.

 

Baguazhang et xingyiquan sont deux des trois principales écoles du wudangquan (武当拳) qui regroupe les formes “internes” d’arts martiaux, opposées aux formes “externes” représentées par les styles enseignés au temple Shaolin, selon la double classification instaurée lors de la première compétition organisée par le Central Guoshu Institute après sa création en 1928 

 

-    le bajiquan (八极) ou ‘poing des huit extrémités’ est un autre style ‘interne’ qui s’appelait à l’origine baziquan (耙子掌) ou ‘poing du râteau’ en raison de la forme du poing au combat ; dans sa terminologie actuelle, il se réfère au Livre des mutations et signifie ‘qui s’étend dans toutes les directions’.

 

Originaire du Hebei, il s’est développé par transmission familiale, surtout dans la communauté hui, mais il s’est aussi transmis à Taiwan, et c’est cela qui a intéressé les scénaristes du film.

 

Parmi les styles du Sud, outre le wingchun de Yip Man (2), il est aussi question dans le film d’un autre style, attaché à une famille, la famille Hung (洪家) : le Hung Ga Kuen (ou hongjiaquan 洪家拳), l’un des cinq styles rattachés au temple Shaolin du Sud (南少林). Le temple étant un nid de rebelles à la dynastie des Qing, il fut détruit, et Hung, qui était marchand de thé, quitta le Fujian pour aller s’installer dans le Guangdong.

 

Le Hung Ga Kuen est célèbre pour avoir été le style pratiqué par Wong Fei Hung (黄飞鸿), devenu héros d’art martial légendaire qui a eu son heure de gloire dans le cinéma cantonais après le film de 1978 où il est interprété par Jackie Chan, et culminant dans les années 1990 avec la série des six « Once Upon a Time in China »  (《黄飞鸿》) avec Jet Li dans les trois premiers films.

 

Tels sont, de façon très schématique, les points principaux, factuels et légendaires, qu’il convient de garder en mémoire pour comprendre le contexte du film, mais il s’agit tout au plus d’un contexte : le monde qu’évoque Wong Kar-wai dans « The Grandmaster » est un univers essentiellement spirituel, un univers de codes d’honneur et de valeurs à pondérer.

 

Un scénario complexe qui joue sur l’allusion

 

- Introduction

 

Le film commence de manière significative par une réflexion de Yip Man/Ye Wen en voix off (parlant à un interlocuteur caché) : vous pouvez avoir les talents les plus exceptionnels, le maître le plus brillant, le style le plus percutant, ce n’est pas la peine d’en parler, le gongfu (3) tient en deux mots : horizontal et vertical – si vous êtes dans l’erreur, vous finirez étendu par terre ; sinon, vous resterez debout – et seuls ceux qui sont debout peuvent parler.

 

Cette brève introduction est suivie d’une séquence d’anthologie : un combat de Yip Man contre un groupe d’adversaires, filmé sous une pluie battante, s’achevant sur la victoire de Yip Man et un plan rapproché de son visage imperturbable sous son panama ruisselant de pluie. Sur quoi la caméra se déplace vers quelques spectateurs dont l’un dit (en mandarin) : « Superbe gongfu ! Qui est-ce ? » Réponse : « C’est Ye Wen ». Les présentations sont faites.

 

Ces trois brèves séquences introductives sont une parfaite synthèse du film : privilégiant le verbe, et la réflexion qu’il véhicule, tout en donnant toute son importance à l’art du combat, mais traité d’une façon elliptique, et symbolique, qui rappelle « Les cendres du temps » (《东邪西毒》).

 

1. 1930-1937

 

L’autre ellipse concerne sa vie privée. Wong Kar-wai nous en donne juste l’aperçu nécessaire pour évoquer une vie heureuse et paisible, sans souci matériel, consacrée essentiellement à son art, mais aussi aux plaisirs de l’esprit, symbolisés par son amour de la musique, qu’il partage avec son épouse. Ceci nous donne quelques superbes séquences dans le « Pavillon d’or » de Foshan (佛山金楼) qui rappellent Hou Hsiao-Hsien (侯孝贤) et l’univers baroque des « Fleurs de Shanghai » (《海上花》).

 

Ce calme est rompu par l’arrivée d’un maître du Nord, Gong Yutian (宫羽田), maître de baguazhang et xingyiquan. Agé, il a pour ambition de transmettre son art en unissant les styles du Nord et du Sud. Il a désigné un successeur en la personne d’un orphelin qu’il a recueilli et formé, Ma San (马三), et, lors d’une rencontre au Pavillon d’or, demande aux maîtres du Sud de désigner leur propre représentant pour l’affronter.

 

Yip Man est désigné pour représenter le Sud. Ma San a provoqué des rixes et s’est fait réprimandé par son maître pour son caractère emporté, contraire aux valeurs martiales. De façon à nouveau caractéristique, le combat  Gong Yutian/Yip Man se place, lui, essentiellement dans le champ des idées. Gong Yutian reconnaît la supériorité de son rival avant de revenir dans le Nord, en l’y invitant.

 

La fille de Gong Yutian, cependant, Gong’er (宫二), considère cette issue comme une tache sur la réputation familiale, et décide d’affronter elle-même Yip Man. Le combat se déroule dans le Pavillon d’or, rappel emblématique de la taverne d’un film de wuxia et des grands classiques de King Hu (胡金铨), avec en particulier une partie, extrêmement stylisée, se déroulant dans un escalier. Le principe initialement retenu étant que, les arts martiaux n’étant pas l’attribut de rustres, le premier qui casse quelque chose a perdu, Yip Man est déclaré vaincu pour avoir cassé une marche.

 

2. 1938-1952

 

L’affrontement aura surtout résulté à allumer une flamme entre eux, qui restera latente car la guerre éclate peu après. En octobre 1938, les Japonais envahissent Foshan. C’est la fin d’un âge d’or. Comme dit Yip Man à ce tournant du film en voix off : les quarante premières années de ma vie furent un printemps, mais ensuite je suis passé directement en hiver.

 

Le conflit anéantit les projets de Gong Yutian. Yip Man doit renoncer à partir dans le Nord. La famille de Yip Man est ruinée, il se retrouve sans ressources, ses deux petites filles meurent de faim… Commence une période difficile, marquée par la solitude. 

 

Gong’er, elle, dans le train du retour, sauve impulsivement Yi Xiantian (一线天), un maître de bajiquan blessé sur le point d’être capturé par les Japonais. C’est à elle que revient le rôle central de cette seconde partie du film, comme par l’effet de sa victoire, même symbolique, sur Yip Man.

 

Tony Leung en Ip Man

 

Ce sont les conflits au sein de la famille Gong qui sont ici les principaux ressorts du scénario. Ma San s’est révélé être non seulement violent, mais également traître, à sa patrie comme à la famille : il a pris le parti de collaborer avec les Japonais. Gong Yutian le désavoue et le renie, mais la confrontation l’achève. Gong’er décide alors de reprendre le flambeau, contre l’avis des anciens du clan familial lui rappelant les dernières paroles du défunt : ne cherchez pas à me venger. C’est elle qui prend la tête des funérailles, qui sont l’occasion d’une formidable fête visuelle, bannières blanches filmées sur un fond de paysage enneigé.

 

Zhang Ziyi en Gong’Er

 

Elle affronte ensuite Ma San dans un dernier combat d’anthologie: scène nocturne fantastique sur un quai de gare enneigé, alors que défile un train interminable. Ma San est vaincu, mais Gong’er est blessée. Renonçant à se marier, elle se retire dans un isolement dépressif, en sombrant dans l’opium ; au milieu des volutes de fumée, elle revoit son enfance, et l’enseignement reçu de son père, qu’elle a observé longtemps en cachette en train de s’entraîner… 

 

Tout ceci est conté en flash back à la fin du film, quand, le soir du Nouvel An 1950, elle rencontre à nouveau Yip Man tout aussi solitaire, qui est parti s’installer à Hong Kong pour fuir de possibles représailles de la part du régime communiste en raison de son passé dans les rangs de l’armée et de la police du Guomingdang (2). Alors qu’il tente de la convaincre d’ouvrir elle aussi une école d’art martial pour que son art ne disparaisse pas, elle lui répond que ce ne serait pas le premier. Un flash forward deux ans plus tard, en 1952, les

montre lors de leur dernière rencontre : elle lui avoue lui avoir voué un amour muet toutes ces années… ce que les regards échangés révèlent être réciproque.

 

Les principaux acteurs et leurs rôles 

 

Tony Leung Chiu-wai  (梁朝伟)        Yip Man (叶问), maître de wingchun
Song Hye Kyo (
宋慧乔)                  Zhang Yongcheng (张永成), épouse de Yip Man

Wang Qingxiang (王庆祥)                Gong Yutian (宫羽田), maître du Nord-Est (baguazhang, xingyiquan)

Zhang Ziyi (章子怡)                       Gong Ruomei (宫若梅), ou Gong’er (宫二), fille de Gong Yutian

Zhao Benshan (赵本山)                    Ding Lianshan (丁连山), « l’esprit du Nord-Est »(关东之鬼)

Zhang Jin (张晋)                           Ma San (马三), disciple de Gong Yutian

Yuen Woo-ping (袁和平)                 Chen Huashun (陈华顺), premier maître de Yip Man
Chang Chen (
张震)                        Yi Xiantian (一线天), maître de bajiquan

Shang Tielong (尚铁龙)                  Jiang (老姜), fidèle disciple de maître Gong

Xiao Shenyan (小沈阳)                   San Jiangshui (三江水), nouvelle recrue de Yi Xiantian

 

Un film qui reprend les thèmes et les codes propres à Wong Kar-wai

 

« The Grandmaster », comme tous les films de Wong Kar-wai, est une nouvelle manifestation et magistrale illustration de son univers propre, indissociable des codes et thèmes spécifiques qui lui sont liés.

 

Une histoire d’exil et de transmission de valeurs

 

Pour préparer son film, Wong Kar-wai a réalisé de nombreux entretiens avec des maîtres d’arts martiaux. Il dit avoir été frappé par trois traits caractéristiques chez eux : leur confiance, leur modestie et leur générosité, cette générosité venant d’une volonté de transmettre et partager un art difficile.

 

Cette transmission d’une culture, d’un héritage, implique souvent un exil, comme celui de Yip Man à Hong Kong, rappelant celui de Wong Kar-wai lui-même, avec en toile de fond le thème continu dans son œuvre de recherche

 

Premier combat féérique

sous une pluie diluvienne

identitaire, ou d’identité à reconstruire, dans environnement culturel différent.

 

Son film est en fait un hommage à une culture des arts martiaux qu’il a découverte peu à peu, tout comme les acteurs, et sa part dans la transmission de valeurs finalement universelles. Il est cependant bien plus.

 

Mais essentiellement une histoire de solitude et d’amour impossible

 

Tout le dernier quart du film est imbu d’un sentiment de solitude et d’infinie tristesse qui fait de ce film le pendant de beaucoup des films précédents de Wong Kar-wai, des « Cendres du Temps » à « In the Mood for Love ». Il en émane le même sentiment d’amour impossible, de frustration affective exacerbée par le non-dit, de nostalgie impalpable suscitée par la fuite du temps ; on a des personnages qui, de même, se frôlent sans se toucher vraiment, se croisent à un moment de leur existence, s’aiment sans le dire, et se perdent à jamais, en gardant éternellement le souvenir de ce qui aurait pu être et n’a pas été.

 

Décor baroque..

 

et atmosphère à la Hou Hsiao-hsien au début du film

 

Le Yip Man de Tony Leung est bien un double du Chow Mo-wan que l’acteur interprétait dans « In the Mood for Love ». D’ailleurs plusieurs références musicales renvoient à ce film : le thème général, du compositeur japonais Shigeru Umebayashi, mais aussi la chanson de Zhou Xuan « Age of Bloom » (花样年华) que Maggie Cheung écoute à la radio dans « In the Mood for Love » et qui est citée expressément dans « The Grandmaster » (dans une séquence du Pavillon d’or). Dans« In the Mood for Love », c’était un marqueur

spatio-temporel, évoquant la Shanghai de la fin des années 1940 ; dans ce film-ci, c’est une autocitation qui suggère l’atmosphère de l’autre film.

 

Splendeur visuelle et fête littéraire, mais montage trop elliptique

 

Superbe photographie et dialogues littéraires

 

Les films de Wong Kar-wai sont toujours particulièrement réussis sur le plan de la photographie. Nous étions habitués au chef opérateur Christopher Doyle, voici le Français Philippe Le Sourd, qui a travaillé avec Wong Kar-wai sur des films publicitaires, en particulier pour Philips.

 

Son style est marqué par la publicité, et fait merveille pour décomposer un mouvement, cadrer un visage, le mouvement d’une main, détailler la forme mouvante du sang tombant dans une flaque

 

L’enterrement de maître Gong (blanc sur blanc)

d’eau… Ses compositions, aussi, en particulier au début du film, ont la qualité d’un tableau de maître. Filmant à 80 % de nuit, il a des éclairages étonnants. Son travail sur le mouvement dans les séquences chorégraphiées rejoint, en le dépassant, celui fait par Christopher Doyle dans « Les cendres du temps ».

 

Après l’ultime combat contre Ma San

 

Il a été secondé, pour la seconde partie, par le chef opérateur chinois Song Xiaofei  (宋晓飞) à qui l’on doit entre autres la photographie de « Cow » (《斗牛》) et qui vient de signer celle de « Lost in Thailand » (《人再囧途之泰囧》).

 

Ils ont été aidés dans leur travail par des décors – dus au vieux complice de Wong Kar-wai, William Chang - qui frisent parfois le fantastique, comme cette vieille gare du Dongbei, la dernière à posséder une locomotive à vapeur, qui se loue à prix d’or, ou des sites naturels que l’on dirait reconditionnés pour le tournage, comme cette étendue de neige où progresse la procession funéraire de Gong Yutian.

 

Il faut rendre hommage, également, aux deux co-scénaristes : le dramaturge Zou Jingzhi (邹靜之) et le grand spécialiste de la littérature de wuxia passé récemment derrière la caméra, Xu Haofeng (徐浩峰). Il est certainement

meilleur comme scénariste que comme réalisateur, et l’on retrouve sa griffe dans nombre de dialogues malheureusement impossibles à rendre dans les sous-titres. « The Grandmaster » est le film le plus littéraire de Wong Kar-wai.

 

Mais le film est malheureusement desservi par le montage.

 

Trop d’ellipses et de personnages difficiles à comprendre

 

Le tournage a duré vingt mois, sur trois ans. Le résultat est un film de quatre heures qui a été réduit à un peu plus de deux pour les besoins de la sortie en salle et au festival de Berlin : il pêche par des incohérences qui rendent souvent la compréhension difficile. Certains personnages sont même carrément sacrifiés. C’est le cas des deux maîtres interprétés par Chang Chen et Zhao Benshan, qui sont cités dans le générique en troisième et quatrième position, donc doivent avoir dans la version originale des rôles bien plus étoffés.

 

Rappel de l’atmosphère de In the Mood for Love

 

Beauté presque irréelle des décors

 

Celui de Zhao Benshan est réduit à quelques bribes de dialogues ; mais Wong Kar-wai ne peut sans doute pas le supprimer complètement vu sa notoriété, et parce qu’il a utilisé ses relations dans le Dongbei pour obtenir une réduction du prix de location de la gare. Chang Chen (Yi Xiantian), quant à lui, apparaît dans une première séquence que l’on a du mal à comprendre, et dont on ne saisit la justification qu’à la fin, dans une séquence qui le montre recrutant des disciples pour son école de bajiquan à Hong Kong.

 

On sent bien que Wong Kar-wai n’est pas satisfait. Le montage a été revu pour le festival de Berlin, mais les modifications sont mineures et ne favorisent pas la compréhension ni la cohérence globale du film. Quelques séquences en flashes back montrant des scènes de l’enfance de Yip Man, qui étaient au début, ont été raccourcies et reportées à la fin, sans doute par souci de cohérence avec les flashes back sur l’enfance de Gong’er qui sont juste avant.

 

Effet de photographie (du sang tombant dans une flaque d’eau)

 

Travail sur la calligraphie du titre

 

Le plus injustifié reste la citation de Bruce Lee ajoutée en toute fin, juste avant le générique, en anglais uniquement : elle rompt l’atmosphère de triste nostalgie créée à la fin du film et semble juste une concession faite au public occidental qui ressemble bien peu au réalisateur.

 

Il ne reste plus qu’à attendre la version redux du film qui ne devrait pas tarder comme peut le laisser prévoir le précédent des « Cendres du temps ».

 

Bande annonce

 

 

Notes

(1) Dans le cadre des avant-premières Positif

(2) Sur Yip Man, voir le début de l’article sur « Ip Man » (《叶问》)

(3) Gongfu (功夫) à prendre ici au sens étymologique : l’excellence atteinte - en tout domaine - par l’étude et la pratique, nécessitant à la fois temps et énergie et conduisant à un perfectionnement intérieur.

(4) Gong Yutian semble au moins en partie inspiré d’un maître nommé Gong Baotian 宮宝田, chef de la garde impériale à la fin de la dynastie des Qing et représentant de la troisième génération de maîtres de baguazhang. Il avait été surnommé Gong Houzi, c’est-à-dire ‘le singe’, et le singe sur l’épaule de Shang Tielong, dans le film, pourrait être un rappel de ce détail. Il avait trois fils et une fille, mais aucun n’a perpétué son art, ce qui a fait écrire : il n’y a pas eu d’héritiers du  baguazhang style Gong - ce qui est contesté mais correspond bien à la situation dans le film.   

 


 

A voir en complément

 

Conférence de presse au festival de Berlin (à partir de 9’) :

 

 

 

 

 

     

 

 

 
 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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