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Rencontre avec Isabelle Glachant, productrice française de
Wang Xiaoshuai… et tant d’autres
par Brigitte
Duzan, 21 septembre
2011
C’est
Isabelle Glachant qui a produit le dernier film de
Wang Xiaoshuai
(王小帅),
« 11
Flowers » (《我11》), en compétition officielle au festival de San Sebastian après avoir été
présenté en séance spéciale au festival de Toronto.
Elle est
étonnante, Isabelle Glachant :
ces
derniers temps, elle a participé à la production de
« The City
of Life and Death » (《南京!
南京!》),
troisième film de
Lu Chuan
(陆川)
et ‘concha de oro’ du 57ème festival de
San Sebastian, en 2009,
et,
tout récemment, à celle du dernier
Lou Ye (娄烨),
intitulé tout simplement « Hua » (《花》) en
chinois mais « Love and Bruises » en anglais, film
tourné à Paris qui a été présenté au début de ce
mois de septembre à la Biennale de Venise, aux
‘Journées des auteurs’.
De passage
à Paris entre le Canada et l’Espagne, elle nous a
raconté comment une jeune Française en arrive à
s’installer en Chine pour devenir productrice de
films chinois, et pas des moindres… et en quoi
consiste son travail. |
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Isabelle Glachant avec
Wang Xiaoshuai
au festival de Cannes
lors du prix
décerné à Shanghai
Dreams |
1989 : Le feu à la
plaine
L’esprit cartésien
demande un début à toute chose, qui est aussi un début
d’explication. Pour Isabelle Glachant, tout a commencé
un jour de juin 1989, devant l’ambassade de Chine, à
Paris. Ce jour-là, sa petite histoire rencontra la grande,
et le choc provoqua une petite étincelle, de celles qui
mettent le feu à la plaine.
L’effet Tian’anmen
Juin 1989 : elle
passait son bac, et Paris bruissait de rumeurs sur des
événements en train de se produire à Pékin, sur une certaine
place Tian’anmen, où des étudiants manifestaient pour la
liberté, liberté de s’exprimer, de créer, d’aimer et de
vivre sans contrainte. Quel étudiant ne serait pas prêt à
défendre un tel programme ? Alors elle a pris le métro pour
aller manifester avec une foule de ses pairs devant
l’ambassade de Chine.
Les autres, pour la
plupart, en sont restés là, et sont partis en vacances. Elle
est partie à Canton, un an. C’était quand même mieux que
Pékin à l’époque. Et puis Canton, c’est à une encablure de
Hong Kong, et Hong Kong c’est la ville du cinéma, ou d’un
certain cinéma, qui se fête tous les ans dans un immense
festival qui draine le gotha du cinéma chinois : découverte
extasiée.
Et, de retour en
France, logique avec elle-même, elle s’inscrivit à Paris 8,
à Vincennes, pour des études de cinéma. Isabelle Glachant
est ainsi, ou du moins je la vois ainsi à travers mon prisme
personnel : on rêve un instant, mais on agit celui d’après,
ce qui permet d’entretenir le rêve, mais aussi in fine de le
concrétiser. On a ainsi le rêve et la finalité du rêve, un
peu comme on a le beurre et l’argent du beurre.
De Paris 8, en
1993, elle est passée à Canal+, comme assistante d’Isabelle
Giordano, qui
avait lancé deux ans auparavant l’émission ‘Le journal du
cinéma’. Or
c’est en mai, cette année-là, que Chen Kaige obtint la Palme
d’Or à Cannes pour « Adieu ma Concubine » (《霸王别姬》).
Personne à Canal+ ne le connaissait. Isabelle fut chargée du
reportage. Et devint ensuite la spécialiste maison du cinéma
chinois, et même plus largement asiatique, pendant six ans.
Le pied à l’étrier
Isabelle Glachant au
festival de Berlin avec Wang Xiaoshuai
et l’équipe du film
Une famille chinoise |
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En 1997,
elle alla s’installer à Hong Kong, comme
correspondante Asie (freelance) de Canal+. Autre
effet papillon, c’est alors, en 1998, que la France
décida de créer un poste d’attaché audio-visuel à
l’ambassade de France à Pékin. Il n’était pas facile
de trouver quelqu’un qui connût à la fois
l’audio-visuel et la Chine. Isabelle fut recrutée,
et travailla à l’ambassade jusqu’en 2003, ce qui la
mit en contact, entre autres, avec le ban et
l’arrière ban des réalisateurs chinois. |
Sa carrière
indépendante débuta réellement en août 2003 lorsqu’elle
décida, au bout de la durée de son poste à Pékin, de ne pas
rentrer à Paris et de profiter d’un autre occasion qui se
présenta alors. La société Tang Media des frères Tang,
distributeur du
« Fanfan la Tulipe » de
Gérard Krawczyk
produit par
Luc Besson et Europa Corps, avait besoin
de quelqu’un à Pékin qui puisse assurer la coordination pour
la sortie du film dans la capitale. Le film sortit à Pékin
le 27
février 2004, comme prélude
officieux de l'Année de la France en Chine.
Avec
120 copies doublées en chinois, dans un contexte
concurrentiel très tendu, il fit quand même 250 000 entrées
sur la totalité du pays, et ce fut
l’un des rares
films français à avoir bénéficié en Chine d’une distribution
en partage de recettes, et la première fois par une société
française, la formule étant jusque là réservée aux majors
américaines.
Cette première
expérience fut suivie d’une autre du même genre, mais d’un
autre ordre : la coordination avec la Cinémathèque française
de l’immense rétrospective de films français organisée dans
le cadre des manifestations de
l'Année de la France en Chine (octobre 2004-juillet 2005).
Isabelle se tourna alors vers la production, pour des
réalisateurs chinois qu’elle avait connus dans le cadre de
son travail à l’ambassade, et ce fut une autre aventure.
2005 :
l’aventure de la production
C’est
Wang Xiaoshuai
qui est venu la chercher le premier. Il préparait
« Shanghai
Dreams ».
Elle participa ensuite à la production de « Lost
in Beijing » (《苹果》),
troisième film de la réalisatrice
Li Yu
(李玉), puis de
« The
City of Life and Death » (《南京!
南京!》),
troisième film, aussi, de
Lu Chuan (陆川).
Ce n’est
pas elle qui choisit les réalisateurs avec lesquels
elle travaille, ce sont eux qui la choisissent et
font appel à elle. Son rôle ne se borne pas à
trouver les financements, bien que ce soit une
partie importante de son travail. Elle
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Isabelle Glachant avec
Lu Chuan et l’équipe du film
The City of Life and
Death à San Sebastian en 2009 |
travaille aussi
avec le réalisateur sur le scénario et sur les rushes, comme
guide et conseiller extérieur, œil distancié qui, par sa
distance même, est plus à même de voir les petits défauts,
les choses qui clochent et qui irritent, que le réalisateur
immergé dans son œuvre en devenir.
Cela implique une
connaissance intime du réalisateur, de son œuvre, de son
style et de son mode de création, une connaissance intuitive
qui est plus de l’ordre de l’illumination que de la
réflexion, mais passe par un travail minutieux, nourri par
l’expérience, sur le texte et sur l’image.
Isabelle Glachant avec
Wang Bing
au festival de Cannes |
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Sa relation avec
Wang Xiaoshuai,
acquise au fil des ans, est peut-être exemplaire en ce sens,
et c’est elle qui a permis le remarquable travail réalisé
sur
« 11
Flowers ». Il a
commencé dès la genèse de l’œuvre : Wang Xiaoshuai pensait à
ce sujet depuis une dizaine d’années sans oser le
concrétiser, surtout après « Shanghai Dreams » car il
jugeait les sujets trop proches, d’autant plus qu’il avait
imaginé au départ situer
« 11 Flowers » à la même
époque que l’autre film, à la fin des années 1970.
C’est au
bout de longues discussions que le projet a
finalement vu le jour sous sa forme actuelle,
l’autre apport inestimable de la productrice étant
dans les équipes techniques venues apporter leur
contribution, dans le cadre de l’accord de
coproduction franco-chinois.
Cette même
entente sur les critères artistiques et |
esthétiques
de base joue dans sa relation avec la réalisatrice
Yang Lina (杨荔娜) dont
le documentaire
« The
Love of Mr An » (《老安》), produit par Isabelle, figure dans la
rétrospective du festival de l’édition 2011 du
festival de San Sebastian. Comme
tous les documentaristes, Yang Lina rêvait de passer
à la fiction, c’est en train de se faire et
ce pourrait être une
nouvelle collaboration.
Mais
Isabelle travaille aussi à la production du prochain
film de
Wang Bing (王兵),
revenu au documentaire après son
incursion récente,
lui aussi, dans la fiction (1). Ce sera certainement une
nouvelle surprise.
2012 :
la consécration
Depuis janvier
2012, Isabelle est la représentante en Chine d’Unifrance
Films, organisme au sein duquel elle œuvre pour la
distribution commerciale des films français en Chine et
l’organisation du Panorama du cinéma français.
Le 13 juin 2012, Mme Sylvie Bermann, Ambassadeur de France
en Chine, lui a remis les insignes de Chevalier dans l’ordre
des Arts et Lettres. |
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Isabelle Glachant lors
de la cérémonie de remise de sa décoration, entourée
de ses amis et amies cinéastes
Premier rang autour d’elle, de g. à d. : Yu Nan
(余男), Li Yu (李玉), Lou Ye (娄烨), Wang Bing (王兵), Lü
Yue (吕乐), Yang Chao (杨超)
Second rang, de g. à d. : Gu Changwei (顾长卫), Yang
Lina (杨荔娜), Wang Xiaoshuai (王小帅), Mme Sylvie Bermann
Ambassadeur de France en Chine, Hsu Hsiaoming (réalisateur
et producteur de Taïwan) |
(1) avec
« Le
fossé » (《加边沟》),
film surprise de la biennale de Venise en septembre 2010.
A lire en
complément :
L’interview réalisée par Le petit journal à Pékin à
l’occasion du Filmart, le 28 mars 2012 ; Isabelle y parle de
son rôle de représentante d’Unifrance en Chine et du cinéma
chinois :
http://www.lepetitjournal.com/pekin/a-la-une-pekin/100795-isabelle-glachant--le-cinema-un-pont-encore-fragile-entre-la-chine-et-la-france.html
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