Le nom de Cong Shan évoque aussitôt l’image de la
jeune actrice du
« Gardien
de chevaux » (《牧马人》),
devenue brusquement célèbre en 1982, et restée
depuis lors, dans bien des esprits, indissociable du
rôle.
La célébrité à vingt ans
Cong Shan est née le 19 mai 1962 à Pékin.
Fille d’artistes
Cong Shan
Qin Xiaoyu
aujourd’hui, donnant un cours de maquillage
Ses parents étaient tous deux des acteurs réputés de
kunqu, de l’école de kunqu du nord (北方昆曲剧院).
Sa mère est Qin Xiaoyu (秦肖玉),
spécialisée dans les rôles de dan (昆曲旦角),
son père Cong Zhaohuan (丛兆桓),
acteur de kunqu
spécialisé dans les rôles de xiaosheng (小生),
formé au début des années 1950 dans la troupe de
kunqu du nord (北方昆曲剧团)
créée à l’initiative de Zhou Enlai ; il est
aujourd’hui un maître, enseignant, librettiste et
metteur en scène.
Leur carrière a été brisée par la Révolution
culturelle et la famille dispersée : son père a été
emprisonné pendant huit ans, libéré seulement en
1975 ; sa mère a été assignée à une « école de
cadres » (干校),
tandis que sa sœur aînée était envoyée dans une
ferme à la campagne.
Pendant ce temps, Cong Shan, qui avait quatre ans en
1966, a été élevée à Pékin par sa grand-mère
maternelle.
Choisie par Xie Jin
Cong Zhaohuan dans
l’un de ses rôles célèbres,
Li Hui dans « La mère de Li Hui » 《李慧娘》
Actrice débutante
En 1981 elle entre au Conservatoire central d’art dramatique
de Pékin (中央戏剧学院),
dans la seconde promotion après la Révolution culturelle,
celle de
Jiang Wen (姜文),
Lü Liping (吕丽萍),
Liu Bin (刘斌)
et autres.
En 1982, alors qu’elle n’est encore qu’en première
année, elle est choisie par
Xie Jin (谢晋)
pour interpréter le rôle principal féminin dans
« Le
gardien de chevaux » (《牧马人》) :
celui de Li Xiuzhi (李秀芝).
Le film rencontre un immense succès : il remporte à sa
sortie le prix d’excellence du Ministère de la culture, et,
en 1983, le prix du meilleur film au festival des Cent
fleurs. Cong Shan, pour sa part, devient l’actrice en vue du
moment : elle est nominée pour le prix de la meilleure
actrice au festival du Coq d’or, et, au terme d’un vote de
600 000 personnes organisé par le Journal de la jeunesse
chinoise (《中国青年报》),
est
élue par les spectateurs en tête de la liste des dix
vedettes les plus aimées du grand écran.
Xie Jin la reprend en 1983, pour interpréter le rôle
délicat de la servante Xiurong (秀蓉)
dans
« Qiu
Jin » (《秋瑾》).
Mais sa célébrité lui a valu entre temps d’être
soumise à des pressions terribles.
Purgatoire
Le système chinois de formation des artistes relève
de la relation établie au fil du temps entre un
maître et ses élèves ; la notoriété soudaine d’un
élève rompt cette dynamique, et remet en cause la
Cong Shan dans Le
gardien de chevaux, rôle de Xiuzhi
hiérarchie des
personnes et des valeurs. L’élève se retrouve dans une
position inconfortable, comme une sorte de troublion
oubliant la place qui est la sienne, et qu’il s’agit de lui
faire dûment retrouver.
Cong Shan a dû faire face à la foule de ses admirateurs, qui
l’approchaient de manière spontanée, avec enthousiasme, dans
la rue et ailleurs : Cong Shan ! Mais, comme, effrayée, elle
baissait la tête et partait vite sans rien dire quand on lui
posait des questions, on commença à dire qu’elle était
hautaine et orgueilleuse.
Le plus dur, cependant, vint des professeurs du
Conservatoire, froissés dans leur dignité par l’admiration
pour Xie Jin qu’elle avait exprimée lors d’interviews ; ils
s’attachèrent à remettre dans le droit chemin leur disciple
égarée. La formation des acteurs, à l’époque, était encore
basée sur l’apprentissage du théâtre. Tout acteur était
d’abord un acteur de théâtre. C’est ce que ses professeurs
ne se firent pas défaut de lui rappeler sans ménagements, en
soulignant ses insuffisances. Cong Shan se vit reléguée dans
des rôles secondaires, voire des rôles de figurants.
La situation continua après la fin de ses études : elle fut
affectée, non à un studio, mais à une troupe de théâtre,
avec persistance des brimades. Elle dut même accepter un
jour d’être éclairagiste, dans l’une des pièces montées par
la troupe.
A Good Woman
Dans A Good Woman
Le présent était difficile à vivre, mais l’avenir
était aussi très sombre. C’est sur ces entrefaites
que, en 1984,
Huang Jianzhong (黄健中)
lui proposa l’un des rôles principaux, sinon le
principal, dans le film qu’il préparait : « A Good
Woman » (《良家妇女》),
sorti en 1985.
C’était le rôle de Yu Xingxian (余杏仙)
dans ce film injustement méconnu, sur un sujet très
semblable à celui de la nouvelle « Xiaoxiao » (《萧萧》)
de Shen Congwen (沈从文),
adaptée en 1986 par
Xie
Fei (谢飞)
[1] :
Yu Xingxian est une autre adolescente, comme Xiaoxiao,
mariée à un enfant, selon une ancienne tradition rurale.
C’était un rôle en or pour Cong Shan.
Le problème était que Huang Jianzhong devait signer un
contrat avec la troupe, pour fixer les conditions dans
lesquelles Cong Shan serait provisoirement détachée auprès
du réalisateur pour le tournage du film. La situation
s’éternisa, Huang Jianzhong attendant Cong Shan pour
commencer le tournage. Finalement, elle partit tourner sans
contrat ni autorisation.
Quand elle revint et mit tout le monde devant le fait
accompli, ce fut encore un moment difficile. Finalement le
contrat fut signé a posteriori pour entériner la situation ;
le studio de Pékin, producteur du film, fut condamné à payer
une amende et la quasi intégralité du cachet de Cong Shan
fut reversée à la troupe.
Et elle reprit sa
place dans la troupe, sans plus d’espoir qu’auparavant.
Finalement, la seule solution pour sortir de cet univers
désespérément clos lui parut être de partir. Elle fit deux
demandes de bourse, l’une aux Etats-Unis, l’autre en
France ; c’est la réponse favorable du gouvernement français
qui lui parvint en premier. Elle partit en 1987
[2]
et ne rentrera en Chine que huit ans plus tard.
Nouveau départ en France
Paris
Cong Shan débarque en France un peu désemparée. Elle apprend
d’abord le français et s’intègre peu à peu. La vie reprend
un cours plus calme, non dénué de difficultés, mais sans les
tensions auxquelles elle devait faire face en Chine. Elle se
ressource et se recentre, mais recommence à zéro : elle
apprend à jouer naturellement, pour transmettre des
sentiments, alors que l’enseignement en Chine mettait
beaucoup plus l’accent, avant tout, sur une diction claire,
bien accentuée. Libérée, elle retrouve sa passion pour le
métier d’acteur.
Elle suit les cours du Conservatoire d’art dramatique, à
Paris, pendant deux ans, puis obtient une bourse pour une
troisième année, pendant laquelle elle diversifie sa
formation : elle va suivre des cours au Théâtre du Soleil,
au cours Florent…
De ces années parisiennes restent trois rôles au cinéma et à
la télévision : dans un téléfilm de Denys Granier-Deferre de
1993, dans le court métrage Tour Eiffel réalisé par Veit
Helmer en 1994, et, la même année, dans « La Piste du
télégraphe » de Liliane de Kermadec.
Mais, entre-temps, en 1992, Cong Shan a été appelée à Taiwan
pour y tourner un film.
Taiwan
Elle y tourne non seulement un film mais aussi, dans la
foulée, une série télévisée.
Le film, c’est « A Dai » (《阿呆》),
du réalisateur taïwanais Cai Yangming (蔡扬名)
sur un scénario de Wu Nien-ren (吳念真) :
l’histoire d’un homme qui quitte son village et devient le
garde du corps d’un gangster alors qu’il est diagnostiqué
d’une tumeur au cerveau ; Cong Shan interprète la femme du
gangster.
En 62 épisodes de 60 minutes, la série télévisée
qu’elle tourne ensuite et dont on pourrait traduire
le titre par « La Comédie de Cixi » (《戏说慈禧》),
lui offre le rôle de l’impératrice. Réalisée par Fan
Xiuming (范秀明)
et diffusée à la télévision taïwanaise d’avril à
juin 1993, la série brosse la vie de Cixi de
l’adolescence à sa morten quatre parties : « Au
sortir d’un rêve de jeunesse » (〈少女惊梦〉),
« Les luttes de la concubine du prince » (〈王妃之争〉),
« Grands changements au cœur du palais » (〈深宫巨变〉),
« Crépuscule sur l’île impériale » (〈日落瀛台〉),
et c’est Cong Shan qui interprète le rôle du début à
la fin.
Dans le rôle de Cixi
1er épisode
Après être revenue à Paris pour participer aux trois
tournages déjà évoqués, elle revient en Chine, en 1995.
Retour en Chine
Dans Une Chambre pour
deux
Après un premier tournage en 2002, elle s’éloigne
quelques années du cinéma pour s’occuper de son
fils. Elle revient en 2006 pour tourner dans un film
de Zhang Tianya (张建亚),
une de ces comédies urbaines dans lesquelles il
s’est spécialisé, et qui sort en février 2007.
A la suite de ce film, elle tourne, aux côtés de Zhu
Shimao (朱时茂),
dans « Une Chambre pour deux » (《两个人的房间》),
un film de Lu Xuechang (路学长),
réalisateur pékinois né en 1964. Sorti en Chine en
février 2008, le film est conçu comme unesorte de
suite au « Gardien de chevaux », avec les deux mêmes
interprètes. Cong Shan interprète maintenant une
femme d’âge mur dont la fille est partie étudier à
l’étranger et dont le mari est totalement absorbé
par son travail…
Elle tourne ensuite dans un film de
Zhang Tianya (张建亚)
qui est une suite au film de 2007 : « Fit Lover » (《爱情左灯右
行》).
Dans le premier, c’était un homme qui devait se choisir une
partenaire parmi une douzaine de femmes, dans « Fit Lover »,
les rôles sont inversés.
En 2008, Cong Shan joue dans un film de
Ma Liwen (马俪文),
« Desires of the Heart » (《桃花运》),
malheureusement compromis par le départ de
Ge You (葛优)
qui devait en interpréter le personnage principal,
mais sauvé par le talent et l’imagination de Ma
Liwen.
Après deux autres films,
Cong Shan
répond à l’appel de Zhu Shimao qui passe en 2011
derrière la caméra pour réaliser son premier film,
« Under
the Influence » (《戒烟不戒酒》),
où il interprète lui-même le rôle
Dans In-Laws New Year
principal, mais où elle n’a qu’un petit rôle. Cette
année-là, elle joue aussi le rôle de Liu Wenli (刘文丽)dans
« In-Laws New Year » (《亲家过年》)
du réalisateur de Hong Kong Ye Weimin (叶伟民)
ou Raymond Yip.
Mais, en 2014, elle a la joie de travailler avec
John Wu (吴宇森),
et de tourner dans « The
Crossing » (《太平轮》),
le rôle de la mère de Zhou Yunfen (周蕴芬母亲).
Son seul regret : elle a tourné une séquence,
préparée et répétée avec sa mère, où elle devait
interpréter un air de kunqu ; elle l’a
travaillée pendant trois mois, mais la séquence a
été coupée au montage.
Et maintenant ?
Cong Shan est déçue par les rôles qu’on lui propose. Ce qui
l’intéresserait, ce sont des sujets concernant des
femmes arrivées à l’âge mur, fragilisées par les
tensions autant sociales que familiales, auxquelles
elle pourrait apporter sa propre expérience. Mais ce
genre de sujet est rare aujourd’hui.
Dans The Crossing
Alors elle a conçu le projet d’écrire l’histoire de ses parents à partir
des archives familiales, et des discussions avec ses
parents. Elle pourrait éventuellement en faire ensuite un
film…
(article écrit à la suite d’une rencontre à Paris avec Cong
Shan, lors de sa venue à l’occasion du festival du cinéma
chinois de Paris, début décembre 2016)
[2]
Une autre actrice de la même génération a suivi un
parcours très semblable : découverte elle aussi par
Xie Jin,
qui lui a donné le rôle principaldans
« La jeunesse » (《青春》)
en 1977, elle fut portée au pinacle pour son rôle de
« Petite fleur » dans le film de Zhang Zheng (张铮)
en 1980, maiselle aussi choisit de partir pour fuir
les pressions – c’est
Chen
Chong (陈冲),
ou Joan Chen. La différence est qu’elle est partie
aux Etats-Unis, en 1981, et qu’elle y est restée.