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Nouveaux films
de Sonthar Gyal et Li Ruijun en compétition à la 65ème
Berlinale !
par Brigitte Duzan, 12 février 2015
C’est dans la section Generation Kplus de la 65ème
Berlinale, qui se tient cette année du 5 au 15 février, que
sont en compétition deux films chinois attendus : le second
du réalisateur tibétain
Sonthar Gyal (松太加)
et le quatrième de
Li Ruijun (李睿珺).
« River » (Gtsngbo)
de Sonthar Gyal
Comme les films de
Pema Tseden (万玛才旦),
dont
Sonthar Gyal est le chef opérateur depuis
maintenant plus de dix ans,
« River » (《河》)
se passe dans le Qinghai, et plus exactement dans le
district de Tongde (同德县),
dont Sonthar Gyal est originaire et où se situait
déjà son premier film,
« The
Sun Beaten Path » (《太阳总在左边》).
Comme Pema Tseden aussi, il a grandi dans une
famille de bergers, et c’est la vie d’une famille de
ce genre vue, à travers les yeux de leur petite
fille, qui lui a inspiré le sujet de son film.
L’enfant s’appelle Yangchan Lhamo ; elle a beau
n’avoir pour tout compagnon qu’un ours en peluche,
elle ne voit pas d’un bon œil le petit frère ou la
petite sœur que sa mère, enceinte, lui promet pour
bientôt. Son père emmène toute la famille et son
troupeau dans les pâturages d’été, mais une brebis
est tuée par un loup ; reste un petit agneau qui
devient la mascotte de l’enfant et égaie sa
solitude. |
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River |

Sonthar Gyal préparant
le tournage,
avec la petite
Yangchan Lhamo |
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Elle constate, sans trop comprendre, les rapports
difficiles de son père avec son grand-père, lama qui
s’est retiré vivre dans la montagne en ermite –
énigme qui sera levée sans que cela soit finalement
très important. Là n’est pas l’essentiel, mais
plutôt dans la peinture de cette vie pastorale prise
sur le vif, comme dans un documentaire, et ce
d’autant plus que les acteurs sont non
professionnels.
Le film a été tourné sur trois ans, et trois saisons
différentes ; il respire par la photographie
des paysages et la musique |
qui accompagne le
tout, les deux étant signées des mêmes artistes que dans le
film précédent de Sonthar Gyal : Wang Meng (王猛)
et
Dukar Tserang, également collaborateur privilégié de Pema
Tseden.
Le cinéma tibétain amorce une phase de maturation.
« River Road »《家在水草丰茂的地方》 de
Li Ruijun
Ce quatrième film de
Li Ruijun
arrive avec déjà une aura favorable : il a
été présenté, et très bien accueilli, au festival de
Tokyo en octobre 2014.
Comme ses films précédents, il a été tourné dans son
Gansu natal, mais il est encore plus personnel que
les films précédents. Il porte en effet un regard
nostalgique sur la culture d’une ethnie locale
aujourd’hui en voie de disparition, mais qui fait
partie de ses souvenirs d’enfance : les Yugurs, une
branche des Uyghurs, dont la différence principale
est d’être restés bouddhistes quand les autres se
sont convertis à l’islam. Ils ne sont guère plus
qu’une dizaine de mille aujourd’hui ; leur langue,
leurs coutumes et toute leur culture va disparaître
avec eux.
C’est dans ce contexte qu’a été conçu le film, avec
un regard en partie documentaire comme le film de
Sonthar Gyal. En fait, les deux œuvres ont bien des
points communs, l’autre étant |
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River Road |
que les personnages principaux du film de Li Ruijun sont
aussi des enfants : deux frères dont le père est parti en
disant qu’il reviendrait les chercher et qui n’est jamais
revenu. Quand meurt le grand-père
à la garde duquel ils ont été confiés, ils partent à
sa recherche sur leurs chameaux, en suivant le
fleuve, selon une recommandation paternelle qu’ils
n’ont pas oubliée.

Li Ruijun arrivant à
Berlin |
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Ils ne s’entendent pas très bien, mais leur périple
est une sorte de voyage initiatique, dans une région
en voie de désertification, où l’eau fait défaut
partout, et d’abord dans le fleuve, complètement
asséché. La nature semble répondre à l’abandon dont
souffrent les enfants.
On retrouve les acteurs des films précédents de Li
Ruijun : le plus jeune frère jouait dans
« Fly with
the Crane » (《告诉他们我乘白鹤去了》),
Zhang Min, qui interprète le rôle de la mère, jouait
aussi dans les deux films précédents, etc…. Seul
changement notable par rapport à ceux-ci : le chef
opérateur, qui n’est plus
Yang Jin (杨瑾),
qui n’était pas libre, mais Liu Yonghong (刘勇宏),
le chef opérateur de
« Blind Shaft » (《盲井》)
et de « Luxury Car » (《江成夏日》),
entre autres. Et la musique est signée
Peyman
Yazdanian, qui a travaillé avec Kiarostami et
Farhadi.
Les trois derniers films de Li Ruijun apparaissent
ainsi comme |
un triptyque sur la vie dans son coin du Gansu,
comme les films de
Sonthar Gyal forment peu à
peu un témoignage personnel sur la vie pastorale
dans le Qinghai. Tous deux portent un œil critique
sur l’évolution de la vie de communautés menacées
par les modifications du paysage et de la société.
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