La légende de
Zhong Kui revue par Zhao Tianyu et Peter Pau : une
esthétique de jeu vidéo
par Brigitte Duzan, 25 février 2015
Sorti sur les écrans chinois pour les fêtes marquant
le début de l’année de la chèvre, le 19 février
2015, « Zhong Kui : Snow Girl and the Dark Crystal »
(《钟馗伏魔:雪妖魔灵》)
est un film coréalisé par Zhao Tianyu (赵天宇) et
Peter Pau (鲍德熹)
qui l’a aussi coproduit, en a supervisé les effets
spéciaux et, en tant que chef opérateur,en a
également signé la photo.
Le film est arrivé en seconde position au box
office, quasiment ex-aequo avec « From Vegas to
Macau II » (《赌城风云II》),
de Wong Jing (王晶),
volet 2015 de la série des « God of Gamblers » (《赌神》)
[1]
dont l’origine remonte à… 1989 - une longue
histoire, illustrée par Chow Yun-fat.
La légende de Zhong Kui
Zhong Kui (钟馗),
lui, est un personnage légendaire dont les sources
remontent à la dynastie des Tang, et plus
précisément à
Zhong Kui
« L’histoire officieuse des Tang » (《唐逸史》) [2]:
il serait apparu en songe à l’empereur
Chen Kun
Tang
Xuanzong (唐玄宗)
pour mettre en déroute un démon qui, dans son rêve,
lui avait dérobé sa flûte et une bourse brodée de sa
favorite Yang Guifei (杨贵妃).
A son réveil, l’empereur aurait ordonné au peintre
officiel Wu Daozi (吴道子)
de faire le portrait du pourfendeur de démons et de
le mettre sur la porte de sa chambre.
La légende s’est ensuite emparée du personnage. Dans
sa version la plus courante, Zhong Kui était un
candidat aux examens impériaux, qu’il réussit haut
la main. Mais il était d’une telle laideur que, lors
de son entretien avec les lauréats, l’empereur lui
refusa le titre de « bachelier » auquel il avait
droit, et lui interdit l’accès à la fonction
publique. De désespoir, et en signe de remontrance,
Zhong Kui
Li Bingbing
se suicida en se frappant la tête sur les marches du palais.
Zhao Tianyu (à dr.)
sur le tournage
Comme tous les suicidés, il fut condamné aux enfers,
mais l’empereur contrit lui offrit une robe de
fonctionnaire à titre posthume, et son intelligence
attira l’attention du roi des Enfers qui en fit le
chef des esprits et fantômes. Il est devenu par la
suite un exorciste, combattant d’esprits maléfiques
à la longue épée, barbu et menaçant, et dieu
protecteur sur les portes.
Bien que le personnage soit très populaire, le sujet
a été très peu exploité au cinéma. Depuis le
début du tournage, il y a un an, le 16
février 2014, on se demandait donc avec curiosité ce
que le film allait être et quel en serait le
scénario. Le résultat reflète en fait l’évolution du
public des salles de cinéma chinoises.
Un film comme un jeu vidéo, qui cible le public de
Guo Jingming
Producteur/chef
opérateur Peter Pau
Bao Bei’er (à dr.) et
Yang Zishan
Rédigé par six coscénaristes, dont Zhao Tianyu, ce
film fait de Zhong Kui un sauveur de l’humanité en
lutte contre les forces du mal – l’humanité
comprenant bien sûr, en première ligne, la femme
qu’il aime parce que le film doit être aussi une
histoire d’amour.
Mais l’histoire, quelle qu’elle soit, n’est qu’un
prétexte : le but des réalisateurs et producteurs
est d’offrir un divertissement purement visuel, où
compte surtout une photo très travaillée, boostée
par la 3D et les effets spéciaux. D’où le rôle
essentiel de
Peter Pau, dont on voit la carrière
dériver progressivement en huit ans de
« Tigre et dragon » (《卧虎藏龙》)
à « The Forbidden Kingdom » (《功夫之王》).
Par la simple force des choses, c’est-à-dire les
lois du « marché ».
Féérie
Vision infernale
On a au total un film étonnamment proche, dans sa
conception et son esthétique, d’un jeu vidéo, avec
des personnages caricaturaux et surtout tout un
bestiaire de monstres fantastiques.
Or le jeu vidéo est le divertissement favori de la
tranche d’âge qui représente maintenant le plus gros
des spectateurs de cinéma en Chine. Ce sont les fans
des films de de Guo Jingming (郭敬明)
que ce « Zhong Kui » cherche à attirer et séduire.
D’ailleurs la productrice, An Xiaofeng (安晓芬),
dite Ann An, est celle qui a produit les deux
premiers « Tiny Times » (《小时代》).
Les acteurs eux-mêmes ont été choisis en
conséquence : dans les rôles principaux, Chen Kun (陈坤),
Li Bingbing (李冰冰)
et Winston Chao (赵文瑄),
et, dans les rôles secondaires, Bao Bei’er (包贝尔),
Yang Zichan (杨子姗)
et la jeune Jike Junyi (吉克隽逸),
fraîche émoulue du concours de la chanson Voice of
China (中国好声音).
Graphisme de jeu vidéo
Trailer
Retour nostalgique vers le Zhong Kui de Cheng Peipei
Dans ces conditions, on ne peut s’empêcher de penser
avec un rien de nostalgie à la fraîcheur de
Cheng Pei-pei (郑佩佩)
dans le rôle d’un Zhong Kui féminin dans « Zhong
Kui Niangzi » ou « The Lady Hermit » (《钟馗娘子》)
de Ho Meng-hua (何梦华),
un film produit par la Shaw Brothers en 1971.
[1]
La première position revenant à
« « Dragon
Blade » (《天将雄狮》),
de
Daniel Lee (李仁港),
avec Jackie Chan.
[2]
Le mythe a certainement des origines
bien plus anciennes, remontant à des rituels
d’exorcisme que l’on trouve décrits dans des livres
comme le Livre des rites (Liji《礼记》)
et en particulier les Rites des Zhou (Zhouli《周礼》).
Ce qui expliquerait le rêve de l’empereur, fondé sur
la connaissance de ces rituels.