|
Cheng
Pei-pei
郑佩佩
Présentation
par Brigitte Duzan, 21 février
2014, actualisé 19 juillet 2024
Cheng Pei-pei est une actrice devenue mythique qui se
confond dans l’imaginaire des cinéphiles avec le
personnage qu’elle interprète dans le film tout
aussi mythique de
King Hu (胡金铨)
sorti en 1966 :
« L’Hirondelle
d’or » (《大醉侠》).
Elle incarne une nouvelle génération de grandes
actrices de wuxia, qui a émergé au moment où
les films de wuxia ont pris un nouvel essor à
Hong Kong, à la fin des années 1960, grâce aux
innovations de King Hu et de
Zhang Che (张彻). Elle
a cependant poursuivi ensuite une longue carrière
qui n’est pas encore terminée, et dont elle dit
valoir les succès à sa volonté et à sa détermination
face aux défis, mais aussi à beaucoup de chance.
L’hirondelle d’or
Née le 4 décembre 1946 à Shanghai, Cheng Pei-pei n’est
arrivée à Hong Kong qu’en 1960. |
|

Cheng Pei-pei en 2014 |
A l’école de la
Shaw Brothers
C'est en 1962, à 16 ans
à
peine,
que
Cheng
Pei-pei entre à l'école d'acteurs dite du sud de
la Shaw Brothers
(南国实验剧团),
où
elle apprend
l'art dramatique et la danse. C’était
l’époque où la Shaw Brothers en était encore à un stade
expérimental avec ses jeunes acteurs. On leur proposait des
rôles, on les testait pour voir ce dont ils étaient
capables, et le rythme de tournage était loin d’être aussi
infernal que ce qu’il deviendra par la suite, dans les
années 1970. C’est ainsi que Cheng Pei-pei a interprété des
rôles totalement différents dans ses premiers films.
Elle signe son contrat en 1963 et
tourne son premier film l’année d’après, mais le premier
notable est le quatrième, en 1965 : « The Lotus Lamp »
(《宝莲灯》),
de Yue Feng (岳枫).
Elle y interprète le rôle d’un jeune étudiant qui, égaré en
montagne, trouve refuge dans un temple consacré à la déesse
de la montagne, interprétée par la grande actrice Lin Dai (林黛)
au sommet de sa carrière. Touchée par
ses prières, la déesse descend sur terre et le jeune
étudiant tombe amoureux d’elle. Quand un enfant naît de ce
couple proscrit, la déesse est enterrée sous la montagne ;
l’étudiant décide d’élever l’enfant pour qu’il se venge.
Le film est l’adaptation d’un opéra
huangmei où Yue Feng a tenté de cloner des embryons de
film de wuxia : quelques scènes de combat, quelques
effets spéciaux, des décors noyés dans une brume irréelle,
et le thème de la vengeance. Cheng Pei-peiy est d’une
fraîcheur juvénile face à Lin Dai, d’autant plus
pathétiquequand on sait qu’elles’est suicidée avant la fin
du tournage.

Dans Princess Iron Fan |
|
En 1966, Cheng Pei-pei enchaîne avec
deux films
de Ho Meng-hua (何梦华)
adaptés du « Voyage vers l’Ouest » qui sortent
respectivement en janvier et en août : « The
Monkey Goes West» (《西游记》)
et
« Princess Iron Fan » (《铁扇公主》)
dans lequel elle interprète le rôle du squelette
blanc (白骨精).
|
Mais 1966 est l’année déterminante pour sa carrière :
l’année de « Come Drink with Me » ou
« L’Hirondelle
d’or »
(《大醉侠》)
dont le rôle la propulse au rang de vedette
emblématique du nouveau film de wuxia,
descendante des grandes actrices des années d’or du
wuxia à Shanghai, à la fin des années 1920 :
Fan Xuepeng (范雪朋), Xu
Qinfang (徐琴芳),
Wu Lizhu (邬丽珠)
ou
Xia Peizhen
(夏佩珍).
Cheng Pei-pei est un modèle de nüxia
calqué sur celles des chuanqi des Tang,
mais le surréel en moins. Sa célèbre image, ses deux
courtes épées à la main, évoque les représentations
de Nie Yinniang
(聂隐娘)
à l’opéra (1). Elle est exactement ce que King Hu
cherchait alors : une actrice formée à la danse et à
l’opéra, et non aux arts martiaux.
Elle expliquera plus tard que King Hu
pensait que, si elle était danseuse, elle pourrait
se former aux arts martiaux ; elle n’en
|
|

L’Hirondelle d’or |
savait rien, mais – dit-elle – elle
voulait faire mieux que les garçons, et en ce sens différait
des autres actrices qui avaient peur de s’abîmer le nez, ou
de sortir couvertes de bleus. Cheng Pei-pei n’en avait
aucune crainte, et c’est – en partie - ce qui lui valut le
succès qu’elle a eu.
Le film de King Hu était tellement
différent des autres films de l’époque que
Run Run Shaw
voulut le détruire : il n’avait pas de beaux costumes, pas
d’autres jolis filles que Cheng Pei-pei, et les scènes de
combat étaient à nulles autres pareilles : jusqu’alors, les
séquences d’arts martiaux au cinéma étaient des séquences
d’opéra filmées comme du théâtre, alors que
King Hu utilisa
des angles différents et surtout un mode de montage
totalement novateur. Cheng Pei-pei suivait aveuglément les
instructions qu’il lui donnait :
« Quand je revois « L’hirondelle
d’or », ce n’est pas moi que je vois, je ne vois que King
Hu, et les instructions qu’il me donnait. Il n’était pas
très grand, et moi, j’étais grande, car j’avais de longues
jambes. Il me demandait toujours de plier les jambes, et de
me faire aussi petite que possible. Il détestait mes jambes
et voulait qu’elles soient couvertes par mes vêtements. Il
disait que des jambes longues manquent de force. » (1)
Non seulement le film a eu énormément
de succès, mais il a aussi entraîné une vague de films de
wuxiaà Hong Kong, à commencer par la « suite » de
« L’Hirondelle d’or » tournée par
Zhang Che (张彻)
en 1969, toujours avec Cheng Pei-pei : « Le retour de
l’Hirondelle d’or » (《金燕子》).
Si le film n’a pas été réalisé par King Hu, c’est que
celui-ci avait laissé la Shaw Brothers et était parti
chercher un peu plus de liberté à Taiwan. Il aurait bien
aimé pouvoir emmener Cheng Pei-pei avec lui, mais celle-ci
était sous contrat avec la Shaw Brothers.
Elle resta donc à Hong Kong. Mais le
film de Zhang Che n’a rien à voir avec celui de King Hu.
Zhang Che ne concevait le genre du wuxia que comme
éminemment masculin, et les scènes d’action n’étaient plus
avec lui de subtiles scènes de danse opératique, mais des
affrontements violents et sanglants. « Il voulait que
l’action soit laide » (1). Dans ce film, ce n’est plus Cheng
Pei-pei mais Wang Yu (王羽)
qui a la vedette.
Les années 1970

Zhong Kui Niangzi |
|
Cheng Pei-pei surfa ensuite sur la
vogue du wuxia, avec Ho Meng-hua (何梦华)
et Lo Wei (罗维).
Au second elle ne dut guère que de rencontrer Jackie
Chan alors qu’il n’était encore que directeur des
cascades, mais elle tourna quelques films plus
intéressants avec le premier, dont « The Lady
Hermit », ou « Zhong
Kui Niangzi »
c’est-à-dire « Un Zhong Kui au féminin » (《钟馗娘子》):
elle y interprète une
nüxia
luttant, comme le légendaire Zhong Kui, contre une
bande de démons. |
Mais,
dans les années 1970, ensuite, sous
l’influence en particulier de Zhang Che, les films de
wuxia ont peu à peu évolué vers les films de kung-fu, en
même temps que beaucoup de réalisateurs de Hong Kong
passaient à Taiwan. Les rôles féminins furent de moins en
moins nombreux et intéressants.
Cheng Pei-pei était arrivée au bon
moment, quand l’émergence du wuxia offrait des rôles
en or, mais, une fois la vogue passée aux Bruce Lee et autres
experts d’arts martiaux, Cheng Pei-pei se maria et partit à
Los Angeles où elle commença par enseigner la danse.
Etats-Unis et retour à Hong Kong
Télévision aux Etats-Unis
C’est à Los Angelesque, par l'intermédiaire de Bruce
Lee, elle rencontre Chuck Norris qui devient son instructeur
en arts martiaux. Elle
tente un retour au cinéma en 1973 dans « Tiewa » (《铁娃》),
de Lo Wei, mais le film est un échec. Cheng Pei-pei
abandonne le cinéma pendant près de quinze ans,
se lance dans la promotion immobilière
et
se consacre à mettre au monde et élever deux filles.
A la fin des années 1970, elle se tourne vers la
télévision, et crée une émission de « Health Dance »
pour la TVB, à Hong Kong, qui voulait émuler les
émissions de Jane Fonda en lançant un programme
local d’aérobics. Cheng Pei-pei est considérée comme
la personne idéale pour promouvoir le concept,
diffusé à Hong Kong et à Taiwan.
Elle enchaîne avec des talk shows, mais revient aux
Etats-Unis pour s’occuper de son fils. Elle tourne
des documentaires, en |
|

Cheng Pei-pei dans
Painted Faces |
s’inspirant du projet « Igo Ono » de King Hu (3),
et réalise une série télévisée sur l’histoire des immigrants
sino-américains.
Mais son divorce la ramène à Hong Kong.
1988 : retour au cinéma

Dans Flirting Scholar |
|
En 1988, elle revient au cinéma,
dans « Painted Faces » (《七小福》),
film cantonais d’Alex
Law
où elle tient le rôle d'une instructrice dans la
célèbre école d’opéra de Pékin de maître Yu, aux
côtés de Sammo Hung qui y fut lui-même formé.
En 1993, son rôle dans « Flirting Scholar »
(《唐伯虎点秋香》),
de Lee Lik-chi (李力持),
où elle joue aux côtés de
Gong Li (巩俐)
lui vaut une certaine
célébrité en Chine continentale où le film a été
programmé à la télévision. |
Puis, en 1994, afin de rencontrer Michelle
Yeoh (杨紫琼)
qui interprète le personnage de Wing Chundans « Wing
Chun » (《咏春》) de Yuen Woo-Ping (袁和平),
Cheng Pei-pei accepte
d'interpréter pour quelques minutes son maitre
d’arts martiaux. Mais, Michelle Yeoh ayant
dû momentanément arrêter le tournage du film en
raison d’une blessure,
Cheng Pei-pei doit finalement
se contenter de jouer face à une doublure.
Cependant, son vœu se réalise enfin, quand
Ang Lee (李安) lui
demande d’interpréter le |
|

Jade la Hyène dans
Tigre et Dragon |
rôle de Jade la Hyène (碧眼狐狸) dans
« Tigre et Dragon »
(《卧虎藏龙》) en 2000. C’est un rôle emblématique, qui inscrit le
film dans la lignée de
King Hu ; c’est le seul, aussi, où
elle campe un personnage négatif.
Années 2000 : encore le wuxia

Cheng Pei-pei (à g)
dans Legendary Amazons |
|
Elle a cinquante-quatre ans. Le succès
international du film relance sa carrière. Elle
tourne une série de films d’arts martiaux dans les
années 2000, jusqu’à quatre pendant la seule année
2010. Mais ce sont des rôles mineurs, dans des films
secondaires – comme dans « Legendary
Amazons »
(《杨门女将之军令如山》)
de Frankie Chan,sorti
en 2011,
qui est un remake du film de 1972 « The 14 Amazons »
sur le sujet classique des femmes générales de la
famille Jiang. |
Années 2010 : une vie après le wuxia
La soixantaine
radieuse, Cheng Pei-pei semblait vouloir s’évader
des rôles dans lesquels elle avait été cantonnée
jusqu’ici. Début 2014, son rôle dans le film «
Lilting », du jeune réalisateur d’origine
cambodgienne Hong Khaou, semblait marquer un nouveau
départ dans sa carrière : celui d’une mère
sino-cambodgienne confrontée à des problèmes
relationnels avec son fils, interprété par Andrew
Law. |
|

Dans Lilting |
Cheng Pei-pei était une excellente actrice, tout simplement.
Elle est décédée le 17 juillet 2024.
Notes
(1) Sur Nie Yinniang, voir :
www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_Wuxia_Breve_histoire_du_wuxia_xiaoshuo
_I_2a.htm
(2) « Forever
Young and Restless », interview
de Cheng Pei-peidu 5 décembre 2010, par Asia Pacific Arts.
(3) « The Battle of Ono », filmsur les immigrants chinois
qui ont travaillé à la construction du chemin de fer
Union Pacific en Californie,
que King Hu a commencé à préparer en 1982, maisqu’il a
laissé inachevé à sa mort en 1997.
|
|