« A Big
Deal » (《巨额交易》),
de
Ma Liwen (马俪文),
est sorti le 2 décembre dernier sur les écrans
chinois. Il visait à conquérir une place de choix
parmi les comédies de fin d’année. C’est un raté, et
un triste raté quand on pense au talent de la
réalisatrice.
Un scénario
bancal
Une idée de
départ intéressante
L’idée de
départ du scénario ne manquait pourtant pas
d’intérêt – et d’ailleurs les premières images sont
de bon augure. Il s’agissait de conter l’aventure de
trois lascars d’une trentaine d’années qui décident
un jour d’en finir avec une vie minable de petits
employés sous-payés et de se lancer dans une affaire
mirobolante, un « big deal » qui leur permette de
s’enrichir vite et facilement.
L’originalité tenait dans le « big deal » en
Affiche
question : un
projet hôtelier pharaonique dans les sables de Dubai. On
avait de quoi bâtir une satire très drôle en alliant le
mauvais goût nouveau riche chinois au goût pompier des
réalisations locales. Cela aurait pu être une sorte de conte
des mille et une nuits à la chinoise dans les sables des
Emirats arabes.
Feng Xiaogang aurait certainement fait
quelque chose de brillant sur le sujet. Mais ce n’est pas
donné à tout le monde, le genre est particulièrement
difficile.
Mais une ligne
narrative décousue
Les trois copains à
Dubai
L’idée de
départ, d’abord, est mal exploitée. On tombe très
vite dans la caricature superficielle. Les
caractères n’ont guère plus de consistance que des
personnages de série télévisée bon marché, et la
narration procède par sauts, tentant sans y parvenir
de lier les fils de l’histoire du deal et ceux d’une
vague intrigue amoureuse jugée sans doute nécessaire
pour répondre aux attentes du public des comédies de
fin d’année chinoise.
Un trader, Zhang
Ze, se retrouve sans travail, et se joint à un ancien
camarade de classe au chômage depuis un an, Liu Yijun, pour
se lancer dans un projet proposé par un autre copain, Wang
Yunpeng : un projet immobilier de deux milliards de dollars
à Dubai. Quand ils arrivent sur place, cependant, leur
contact local vient d’avoir un quadruple pontage coronarien.
Wang Yunpeng prend donc lui-même les choses en main, mais le
promoteur immobilier est en panne de crédit et n’arrive pas
à terminer la construction de ses villas. Le trio lui
propose alors de construire un complexe hôtelier sur le
terrain restant. Il ne leur reste plus qu’à trouver les
investisseurs.
C’est alors
que le scénario diverge : Zhang Ze rencontre la
jeune et jolie Zhou Yun qui arrive, comme un cheveu
sur la soupe, de Corée du Sud où elle vient de se
faire virer d’une société qu’elle avait créée avec
son copain. Et, à partir de là, on peine à suivre
une histoire faite de pièces rapportées comme un
patchwork mal cousu.
Mais où est
passée Ma Liwen ?
Les défauts
du scénario sont encore
La belle vie
accentués par ceux
de la réalisation, en dépit d’une superbe photo (1) et d’un
montage rapide qui colle bien avec le sujet.
Des acteurs mal
choisis
Les acteurs ne font
que renforcer l’aspect caricatural de leurs rôles, et on ne
pouvait guère attendre mieux du quatuor choisi (sans parler
des rôles secondaires) : le playboy taiwanais Blue Lan (ou
Lan Ching-lung
蓝正龙),
le chanteur/acteur du continent Kimi Qiao (Qiao Renliang
乔任梁),
l’acteur hongkongais Chapman To (Du Wenze 杜汶泽)
et la « Barbie coréenne » de films télévisés
Han
Chae-yeong(韓彩英).
Seul Ye
Daying (叶大鹰)
dans le
rôle du magnat de l’immobilier en déroute tire son
épingle du jeu ; lui a du métier, mais il ne peut
sauver le film à lui seul.
Des
dialogues ineptes
Le film est
coulé, finalement, par ses dialogues. Si, au moins,
on avait eu des sorties brillantes, faisant mouche à
tout coup, peut-être aurait-on pu passer sur le
reste. Mais les dialogues sont peut-être le pire du
film.
A la recherche
d’investisseurs
Citons juste les
réparties que l’éminent porte-parole gouvernemental Global
Times donne en exemple, à l’appui de sa critique élogieuse
du film :
« Some
of the more memorable quotes from the film include "poor men
are rubbish" and "the value of a man is reflected by his
credit card."…»
On rirait si ce
n’était pas si triste.
Triste image de
l’état du cinéma chinois aujourd’hui
Love Story
Ma Liwen (马俪文)
était considérée, à ses débuts, comme la brillante
élève et disciple de
Tian Zhuangzhuang (田壮壮). Son deuxième film,
« Toi et moi » (《我们俩》),
est l’un des petits chefs-d’œuvre qui ont marqué en
Chine le milieu des années 2000. Et si ses deux
films suivants n’atteignent pas la finesse de leur
prédécesseur, ils restent de très bons films.
On est
sincèrement attristé de voir un tel talent gâché par
les contraintes absurdes de la production
cinématographique chinoise actuelle, d’autant plus
que c’est se tirer une balle dans le pied : sous
prétexte de vouloir à tout prix se placer dans un
créneau qui peut rapporter beaucoup, on y entraîne
des réalisateurs qui ne sont pas faits pour ce genre
de films et n’en ont de toute évidence pas le goût,
mais se laissent entraîner parce qu’ils n’ont guère
d’autre choix.
On en arrive ainsi
à un épuisement des jeunes talents et un appauvrissement du
cinéma, malgré des reconversions apparemment réussies, comme
celle de Xu
Jinglei (徐静蕾).
Et, contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas là une
question de censure.
(1) Photos signées
Huang Lian (黄炼),
le directeur de la photo, entre autres, du dernier film de
Zhang Yibai (张一白)
« Eternal Moment » (将爱情进行到底).
Nota : S’il y a une
chose dans le cinéma chinois, à l’heure actuelle, qui
empêche de désespérer totalement, ce sont les directeurs de
l photo…
Le film, comme pièce à conviction (avec une bande son problématique mais
sous-titres anglais) :