|
Li Minwei / Lai Man-wai
黎民伟
1893-1953
Présentation
par Brigitte
Duzan, 7 octobre 2013
Li Minwei
est considéré à la fois comme l’un des pères
fondateurs du cinéma chinois (“国片之父”),
et comme le « père du cinéma de Hong Kong » (“香港电影之父”).
A la tête de la compagnie Minxin, puis au sein de la
Lianhua, il a en effet marqué son époque et
contribué à développer un cinéma que l’on
appellerait aujourd’hui d’auteur, dans un contexte
qui ne lui était pas forcément favorable.
Réalisateur
précurseur
D’une
famille originaire de Xinhui, dans le Guangdong (广东新会),
Li Minwei (黎民伟)
est né en 1893 au Japon, mais a grandi à Hong Kong.
Sa jeunesse
est marquée par son engagement révolutionnaire aux
côtés de Sun Yatsen : il s’engage dès l’âge de seize
ans dans les rangs du Tongmenghui (同盟会)
et en 1915 dans ceux du Parti révolutionnaire
chinois (中华革命党). |
|

Li Minwei |
Brodsky et la
Huamei

Li Minwei jeune |
|
C’est à
Hong Kong, en 1913, que Li Minwei rencontre un homme
d’affaires américain d’origine ukrainienne nommé
Benjamin Brodsky qui avait fondé en 1909 à Shanghai
la Asia Film Company. Or, cette même année 1909,
un incendie
détruisit le studio Fengtai (丰泰照相馆) de Ren
Qingtai (任庆泰), à Pékin, haut lieu des premiers pas du cinéma chinois. Cet incendie
contribua au transfert de Pékin à Shanghai du noyau
stratégique des activités cinématographiques en
Chine.
Brodsky
était un personnage étonnant, qui parlait le chinois
et le cantonais, et réussit à tourner à l’intérieur
de la Cité interdite ; son court métrage « Stealing
the Roast Duck » (《偷燒鴨》),
réalisé en 1909, est considéré comme un film
précurseur dans l’histoire du cinéma de Hong Kong.
Mais 1912,
année de la fondation de la République de Chine,
marquait le début d’une période incertaine et
troublée, a priori |
peu favorable au
cinéma. Brodsky vendit la Asia Film Company à deux
directeurs shanghaïens d’une compagnie d’assurance (1), et
partit à Hong Kong.
C’est donc
là que, en 1913, il s’associa avec Li Minwei et son
frère Li Beihai (黎北海)
pour fonder la compagnie Huamei (ou
sino-américaine :
华美影片公司),
restée célèbre dans l’histoire du cinéma chinois
parce que c’est elle qui a produit le premier film
de Li Minwei : « Zhuangzi met son épouse à
l’épreuve » (《庄子试妻》).
Zhuangzi
met son épouse à l’épreuve
Le film est
adapté d’un opéra cantonais sur le penseur célèbre
du rêve du papillon. Dans le scénario de Li Minwei,
Zhuangzi décide de tester la fidélité de son épouse.
Il feint d’être mort et simule son enterrement, sur
quoi sa femme, sans plus attendre, prend un amant,
dédaignant même d’aller se recueillir sur la tombe
du défunt. Mais l’amant n’est autre que Zhuangzi
déguisé. Se rendant compte de sa bévue, la femme se
suicide pour échapper à l’opprobre.
|
|

Li Minwei dans le rôle
de
la femme de Zhuangzi |
C’est le premier
film de fiction du cinéma chinois, avec « Un couple
infortuné » (《难夫难妻》),
réalisé la même année par
Zhang Shichuan (张石川)
à la compagnie Xinmin (新民影片公司)
à Shanghai. Il est remarquable à plusieurs titres.

Yan Shanshan |
|
C’est le
frère de Li Minwei, Li Beihai, qui interprète
Zhuangzi, et Li Minwei sa femme, comme le voulait
encore la tradition qui interdisait aux femmes de
monter sur scène pour jouer aux côtés des acteurs.
Mais justement, le rôle de la servante de la femme
de Zhuangzi est interprété par la première épouse de
Li Minwei, Yan Shanshan (严姗姗),
qui devint ainsi la première actrice du
cinéma chinois.
Autre
innovation : si le tournage eut lieu en extérieur et
en lumière naturelle, comme c’était courant à
l’époque, en revanche il marque la première
utilisation d’effets spéciaux en Chine,
en l’occurrence l’apparition soudaine et dramatique
du fantôme de Zhuangzi.
Enfin,
comme Brodsky revint peu après aux Etats-Unis et
qu’il emporta le film avec lui pour l’exploiter,
c’est le premier film chinois à avoir été
exporté. |
Fondateur de la
Minxin
La Minxin à Hong
Kong
Au début des années
1920, Li réalise son rêve : ouvrir une salle de cinéma.
Puis, en 1922, il fonde une première compagnie de
production, qui porte déjà le nom de Minxin (民新制造影画公司),
et qui est située dans la rue qui a depuis lors été baptisée
« rue de l’écran » (银幕街).
C’est ensuite le 5
mai 1923 qu’il fonde la compagnie Minxin (民新影片公司), avec ses deux frères Li Haishan (黎海山)
et Li Beihai (黎北海).
Dans les années
suivantes, ils produisent plusieurs
documentaires d’actualité - sur le premier congrès du
Guomingdang, en janvier 1924, ainsi que sur les activités du
gouvernement de Canton et de son président, Sun Yat-sen,
reflétant l’engagement politique de Li Minwei. Par ailleurs,
en 1924, à Pékin, il filme plusieurs extraits d’opéras
interprétés par Mei Lanfang.
En 1925, de
retour à Hong Kong, il réalise avec son frère « Rouge »
(《胭脂》),
un film adapté du recueil de contes fantastiques de
Pu
Songling (蒲松龄),
le Liaozhai zhiyi (《聊斋志异》) ;
il y interprète le rôle principal aux côtés de sa
seconde épouse Lin Chuchu (林楚楚).
Mais les
événements politiques l’obligent bientôt à cesser
ses activités. En 1925, une grève partie de Shanghai
gagne d’autres provinces chinoises, puis Hong Kong.
Cette première grève générale, et la seule de
l’histoire de la colonie britannique, dura jusqu’en
1926, paralysant l’économie. De |
|

Rouge |
nombreux cinéastes
abandonnèrent alors Hong Kong ; ce fut le cas de Li Minwei.
La Minxin à
Shanghai

Li Minwei (à g.) avec
le chef opérateur
Liang Linguang et le
réalisateur
Hou Yao dans les
années 1920 |
|
En 1926, il
déménage à Shanghai et s’associe avec Li Yinsheng (李应生),
qui avait fait ses études en France, pour créer la
Shanghai Minxin (上海民新公司).
Le studio
tourne avec pour actrices les deux épouses de Li
Minwei, Yan Shanshan et Lin Chuchu, et la fille de
Li Yingsheng, Li Dandan (李旦旦).
Mais, pour la réalisation, Li Minwei fait appel à
des personnalités du théâtre et du cinéma, Ouyang
Yuqian (欧阳予倩)
,
Bu Wancang (卜万苍),
Hou Yao (侯曜),
qui formeront ensuite l’ossature de la compagnie
Lianhua. Et, en 1929, il crée une école de cinéma
pour former de nouveaux talents (民新影戏专门学校).
Jusqu’en
1929, la Minxin produit dix-neuf films qui tranchent
sur la production commerciale de l’époque par leur
niveau artistique et littéraire. C’est le cas en
particulier de
« La
rose de Pushui » (《西厢记》),
réalisé par Hou Yao en 1927,
d’après le grand classique
de la littérature chinoise qu’est « Le Récit
|
du Pavillon de l’Ouest » ou
Xixiangji. C’est un film novateur à bien des points de
vue, qui reflète le goût de Li Minwei pour les innovations
techniques.
Mais
certains films de la Minxin tranchent aussi par leur
engagement politique. Ainsi, en 1928, un film sur
« l’incident de Jinan » (済南事件)
où sont insérées des bandes d’actualités montrant
des scènes de massacre est épinglé par la censure
japonaise ; il fait perdre à la compagnie ses droits
d’exclusivité dans certains cinémas, en particulier
dans les concessions étrangères, ce qui entraîne des
difficultés financières.
Cofondateur
de la Lianhua
En 1929,
Li Minwei s’associe avec
Luo Mingyou (罗明佑)
dans l’intention de produire « Rêve de printemps
dans l’antique capitale » (《故都春梦》)
de
Sun Yu (孙瑜).
A la tête d’un réseau de salles de cinéma dans le
nord de la Chine et à Shanghai, Luo Mingyou a pour
ambition d’étendre ses opérations à la production et
de donner un nouvel élan au cinéma chinois. |
|

La rose de Pushui |
C’est le premier
film de la Lianhua (联华影业公司)
qui voit
le jour en août 1930 et rassemble, autour de Luo Mingyou,
outre la Minxin de Li Minwei, la Dazhonghua Baihe (大中华百合)
de Wu Xingzai (吴性栽)
ainsi que d’autres petites compagnies. Li Minwei prend la
direction du premier studio de la compagnie et produit toute
une série de films dans les cinq années qui suivent. Lin
Chuchu, quant à elle, devient l’une des stars de la Lianhua.
La Lianhua,
cependant, est à son apogée en 1935, quand se suicide Ruan
Lingyu. La compagnie rencontre des difficultés financières
croissantes. En 1936, Luo Mingyou est contraint à la
démission, et Li Minwei la quitte à son tour.
La guerre et après

Li Minwei avec Yan
Shanshan et
Lin Chuchu et leurs
enfants |
|
Il produit
encore trois films en reprenant le nom de la Minxin.
Mais, en 1937, après le début des hostilités, il se
réfugie à Hong Kong, et crée une petite
société de production. Après la chute de Hong Kong
aux mains des Japonais, en 1941, le studio est
détruit. Refusant de coopérer avec les forces
japonaises, Li Minwei vend ce qui lui reste, et part
avec sa famille se réfugier à Canton, puis au
Guangxi où, pour faire vivre tout le monde, il
travaille dans un centre culturel (广西省立艺术馆)
fondé par l’un des anciens réalisateurs de la
Minxin, Ouyang Yuqian. Il y met en scène une pièce
de théâtre, « Koxinga » (《郑成功》)
où il fait jouer Lin Chuchu et son fils, Li Keng (黎铿).
En 1945, la
guerre finie, il revient à Hong Kong où il travaille
un temps pour la compagnie Yonghua (永华影业公司),
mais doit se retirer pour raison de santé : il est
d’atteint d’un cancer. Le nouveau gouvernement
chinois lui propose un poste à Pékin
|
qu’il ne peut
cependant accepter car il est déjà très malade.
Il meurt le 26
octobre 1953, à l’âge de soixante ans, laissant derrière lui
une nombreuse progéniture (2). Lors de ses funérailles est
tendue au-dessus de son cercueil une grande bannière où l’on
peut lire : « Père du cinéma national » (“国片之父”).
Notes :
(1) Quand la
situation se stabilisa, les deux associés créèrent un
nouveau studio, la compagnie Xinmin,
et engagèrent Zhang Shichuan (张石川)
et Zheng Zhengqiu pour gérer les activités
cinématographiques.
(2) Les enfants de
la famille Li – Li Minwei, ses deux frères et leurs femmes –
ont développé des liens étroits avec le cinéma de Shanghai
et de Hong Kong. La fille de Li Haishan Li Zhuozhuo (黎灼灼)
est devenue une actrice, débutant à la Lianhua en 1932 dans
un film de
Bu Wancang, et continuant jusqu’au début des
années 1980. Le fils de Li Minwei, Li Keng (黎铿),
a débuté dès l’âge de trois ans, devenant une star
enfantine, tandis que sa sœur cadette Li Xuan (黎宣)
a fait une carrière au théâtre et à la télévision. Sa
petite-fille Li Zi (黎姿 ou
Gigi Lai), enfin, a joué dans un feuilleton très populaire
de la télévision de Hong Kong.
|
|