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Zhao
Liang, photographe et vidéaste 赵亮
par Brigitte Duzan, 10 septembre 2015
Alors que, en ce mois de septembre 2015, le nouveau
documentaire de
Zhao Liang (赵亮),
« Behemoth »
(《悲兮魔兽》),
figure parmi les films en compétition internationale
àla 72ème Biennale de Venise, il est
intéressant d’explorer une autre facette de l’œuvre
de cet artiste : photographie et vidéo d’art, en
complément du documentaire. |
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Behemoth |
C’est à partir du début des années 2000 qu’il a commencé à
exposer des vidéos et des photographies, autre moyen pour
lui, à côté du documentaire, d’explorer les tensions et
contradictions qui affectent la société et la vie
quotidienne dans la Chine contemporaine, et d’abord celle
des plus démunis. Son regard est critique, nostalgique, et
humain. Ce qui l’intéresse, c’est la vie des plus humbles,
ignorés des institutions, et pourtant rouage essentiel du
moteur de la croissance.
Ses documentaires sont un réquisitoire contre les injustices
et les inégalités sociales, en particulier le plus célèbre,
« Pétition,
la cour des plaignants » (《上访》).
Depuis lors, il s’est intéressé aux conséquences,
désastreuses pour l’environnement, de la croissance
chinoise. C’est le sujet de
« Behemoth », tourné en
Mongolie intérieure, entre mines de charbon et mines de fer,
industrialisation galopante et prairies en voie de
disparition.
Ses photos et vidéos approfondissent ce même thème,en
partant d’une esthétique traditionnelle pour investir la
vidéo d’art. A l’heure où le documentaire est difficile à
financer et rentabiliser, plus encore que le cinéma de
fiction non commercial, Zhao Liang rejoint les grands
cinéastes chinois, comme
Hu Jie
(胡杰)
ou
Yang Fudong (杨福东),
qui reviennent vers leur discipline de départ – peinture,
gravure, photographie - pour développer une œuvre artistique
en marge du cinéma.
2004 : Beijing Landscape
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Beijing Green No. 2
(2004-2007), Ink jet print on xuan rice paper
(Studio-X Beijing) |
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L’emprunt à la
peinture traditionnelle de paysage est très net dans l’une
de ses premières séries, Beijing Landscape, Elle comporte
cinq photographies grand-format, montées sur des rouleaux de
papier de riz xuan, plus une installation vidéo. Le
triptyque vert est le plus réussi : reprenant un style
coloré de la peinture traditionnelle tardive de shanshui,
avec des verts parfois très vifs
.
L’effet est reposant, au-delà de la nostalgie, mais affleure
à droite un élément inquiétant porteur des menaces de la
croissance et de l’urbanisation.
2004-2007 Narrative Landscape
Narrative Landscape |
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Cette série est un mix de photographies et d’une
vidéo de 25 minutes, sur le thème de la Grande
Muraille, une Grande Muraille en train de
s’effondrer, victime du passage du temps et symbole
de l’érosion de la tradition et de la culture.
Dans la vidéo, elle disparaît sous une tempête de
sable ; la muraille devient emblème fragilisé,
vulnérable aux rafales porteuses de sable qui
soufflent des champs voisins parce qu’ils ont été
érodés après la déforestation entraînée par le
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développement rapide de l’urbanisation, donc de la
construction,
2006-2008 Heavy Sleepers
Il s’agit de photos, et d’unedouble vidéo de
dix-huit minutes, faite pour être projetée des deux
côtés d’un corridor. Zhao Liang est allé
photographier, dans leurs dortoirs de fortune, des
travailleurs migrants venus à Pékin participer aux
grands travaux de rénovation urbaine avant les Jeux
olympiques, et en particulier à la construction du
Nid d’oiseau, nouveau symbole prenant le relais de
la Grande Muraille. |
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Heavy Sleepers 1 |
Heavy Sleepers 2 |
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D’un côté, les images montrent des ouvriers couchés
sur des nattes, les uns contre les autres,
profondément endormis ; de l’autre côté, les nattes
sont vides, tout le monde est au travail. Alors la
caméra s’attache aux minces objets de la vie
quotidienne qui sont restés là, à attendre leur
retour. |
Telle qu’elle est présentée, la vidéo est une
immersion totale dans le monde de ces migrants venus
embellir la capitale, nouveaux héros anonymes,
sacrifiés sur l’autel de la croissance.
A partir de 2013, les photos et vidéos de Zhao Liang
reflètent la réflexion poursuivie pour la
préparation de
« Behemoth » ;
elles sont comme un complément |
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Heavy Sleepers 3 |
du documentaire, et destinées à être exposées parallèlement
à sa projection.
2013 Black Face, White Face
《黑脸,白脸》
Black Face, White Face
1 |
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Cette série est une simple juxtaposition visuelle,
figurant la réalité fragmentée de la Chine : visage
noir, couvert de suie, d’un mineur, et visage blanc,
enduit de craie, d’un ouvrier d’usine. Le montage
évoque en contrepoint la complexité socio-économique
de la Chine contemporaine, sa consommation effrénée
de ressources naturelles et la diversification des
classes sociales.
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Il évoque aussi, implicitement, le monde de l’opéra
traditionnel et de ses visages peints, comme symbole
d’une culture populaire dont il est indissociable.
Mais c’est un monde réduit à une opposition binaire,
noir de la force brute et blanc couleur de mort,
plus sinistre que le noir.
2014 East Wind, West Wind 《东风,西风》
Zhao Liang a monté ici un triptyque d’images
mouvantes sur trois écrans, qui revisitent la
fameuse remarque de Mao sur la lutte entre
communisme et capitalisme : « Soit le vent d’Est
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Black Face, White Face
2 |
prévaut sur le vent d’Ouest, soit c’est le vent d’Ouest qui
est dominant. »
Chacun des écrans recycle des motifs de l’opéra
révolutionnaire « La légende de la lanterne rouge » (《红灯记》),
en confrontant le présent des spectateurs au passé de la
Chine.
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