par Brigitte Duzan, 19 juillet 2014, actualisé 8 mars 2016
Zhu Rikun est l’une des figures de proue du cinéma
indépendant chinois contemporain et, depuis 2013,
réalisateur de documentaires engagés.
Producteur et promoteur de films indépendants
chinois
Promoteur et un temps directeur du festival de
Songzhuang, Zhu Rikun a joué un rôle de premier plan
en tant que producteur de films indépendants, grâce
à son studio
Fanhall (现象工作室),
créé en décembre 2001.
En 2012, il a été conseiller des commissaires
Gertjan Zuilhof
[1]
et Gerwin Tamsma
pour la série « Hidden Histories » de documentaires
indépendants chinois donnée dans le cadre du festival
international de Rotterdam, programme dont la pièce
maîtresse était une rétrospective de documentaires d’Ai
Weiwei (艾未未).
Réalisateur de documentaires
L’interrogatoire
The Questioning
En 2013, Zhu Rikun est passé lui-même derrière la
caméra, en réalisant un premier court métrage
documentaire : « The Questioning » ou
« L’interrogatoire » (cháfáng《查房》),
présenté en mars au festival Cinéma du Réel, à
Paris.
Il s’agit d’un plan séquence fixe de 21 minutes,
filmé en caméra cachée. Zhu Rikun était en
déplacement à Xinyu (新余),
dans le Jiangxi (江西),
où il était venu, en juillet 2012, apporter son
soutien à des défenseurs des droits de l’homme. Un soir,
alors qu’il était dans sa chambre d’hôtel, la police
débarqua à l’improviste. Avant d’ouvrir, Zhu Rikun eut le
réflexe d’allumer sa caméra et de la laisser tourner pour
filmer la scène, prise dans son intégralité.
La séquence montre l’intrusion policière et la façon
d’opérer des policiers, une dizaine, la plupart en uniforme,
d’autres en civil. L’un d’entre eux filme lui aussi la scène
avec un caméscope, soulignant le climat d’insécurité et de
suspicion. Tout commence comme un vulgaire contrôle
d’identité, mais le dialogue se tend et vire à l’absurde
quand Zhu Rikun refuse de coopérer docilement. Il est de dos
à la caméra, comme un témoin anonyme, et les policiers sont
souvent réduits à leurs uniformes, leur tête étant hors
champ.
La séquences’achève par quelques textes, en chinois et en
anglais,énumérant les exactions de la police de locale à
l’encontre des défenseurs des droits de l’homme ces
dernières années. Le documentaire prend ainsi valeur
d’engagement politique et donne son sens au contrôle qui
précède.
Extrait
The Dossier
En 2014, Zhu Rikun a réalisé son premier long
métrage documentaire, « The Dossier » (Dang’an《档案》),
projeté hors compétition, le 13 août, dans le cadre
de la
67ème édition du festival de Locarno.
Il est ensuite passé au festival de Vancouver.
Il s’agit d’un documentaire de 128 minutes sur l’une
des personnalités les plus marquantes
The Dossier
de la dissidence tibétaine, Tsering Woeser. Son recueil
d’essais, « Notes on Tibet » (《西藏笔记》),
a été interdit en septembre 2003 ; en même temps, elle a été
expulsée de l’Association de la littérature et des arts de
la Région autonome tibétaine (西藏自治区文联).
En 2006 les deux blogs sur lesquels elle continuait à
publier des poèmes et des textes ont été fermés. En 2008,
elle a été assignée à résidence à Pékin pour avoir parlé
avec des journalistes au moment des troubles au Tibet….
The Dossier, Tsering
Woeser
Zhu Rikun a réussi à obtenir son dossier officiel,
et c’est l’analyse de ce dossier qui constitue la
trame sur laquelle est construit son documentaire.
Il est divisé en deux parties : dans la première,
Tsering Woeser lit le lourd document officiel, et sa
lecture est entrecoupée d’un dialogue avec le
réalisateur ; dans la seconde partie, Zhu Rikun suit
Tsering Woeser revenant au Tibet, avec sur les
talons des officiers des services de sécurité
chinois. Le voyage est comme une libération, une
bouffée d’air, mais illusoire : la liberté est
toujours surveillée.
Dust
« Dust » (Chén《尘》)
est un documentaire de 85 minutes projeté pour la
première fois à Florence, au Festival dei Popoli, en
décembre 2014. Tourné au sud du Sichuan dans le
district de Muchuan (沐川县),
sous la juridiction de la ville de Leshan (乐山),
il explore la condition des mineurs du Sichuan, et
plus particulièrement leurs maladies pulmonaires.
On connaît la triste situation de la province en
matière de sécurité dans les
Dust
mines : en mai 2013, une explosion dans une mine près de la
ville de Luzhou (泸州市),
au sud-est de la province, a fait 28 morts et 18 blessés
parmi les 108 mineurs qui travaillaient dans la mine au
moment de l’explosion ; l’année précédente, en août 2012, un
accident à la mine de Xiaojiawan (肖家湾煤矿),
à Panzhihua (攀枝花),
à l’extrême sud de la province, avait fait 45 morts et une
cinquantaine de blessés.
Après l’explosion de 2013, l’Administration pour la sécurité
du travail a suspendu la production dans les mines de la
province le temps de contrôles de sécurité, et annoncé la
fermeture de 500 petites mines locales (et illégales) d’ici
la fin de 2013. Il était alors prévu d’en fermer 20 000 au
niveau national. Le Sichuan figure au 16ème rang
des provinces chinoises productrices de charbon, avec 0,6 %
de la production nationale. Les mines fournissent
essentiellement des utilisateurs locaux, isolés du marché
national, et ne respectent aucune règle de sécurité.
Mais elles ne se préoccupent pas non plus de la santé des
mineurs, et ces conséquences-là sont moins connues car plus
faciles à dissimuler. La maladie pulmonaire provoquée par
les poussières de charbon, la pneumoconiosis, est très
répandue. C’est le sujet du documentaire de Zhu Rikun dont
le titre – Poussière
Chén
《尘》
– est le premier caractère du terme qui désigne la maladie
en chinois :
chénfèibìng
尘肺病,
c’est-à-dire la maladie de la poussière dans les poumons.
Zhu Rikun a filmé un groupe d’anciens mineurs atteints de la
maladie et leurs efforts pour tenter d’obtenir des
compensations financières du gouvernement. L’un est mort en
2012, les autres sont sous pression constante, soumis au
harassement des autorités locales qui les considèrent comme
des fauteurs de troubles, et une menace pour la stabilité
sociale.
Les moins atteints partent pour les villes de la côte pour
tenter d’y trouver du travail ; les autres restent dans les
villages, dans des situations désespérées, et d’autant plus
que personne ne le sait. Et ce n’est pas le documentaire qui
améliorera leur situation car il n’a aucune chance de
pouvoir être montré en Chine.
Welcome
Welcome
Zhu Rikun a complété « Dust » avec un documentaire
plus court, « Welcome » (Huanying《欢迎》),
présenté à Paris en mars 2016 dans le cadre des
Séances spéciales du festival Cinéma du réel.
Il montre le contexte dans lequel a été tourné
« Dust » : au début du film, sur fond d’écran noir,
on entend deux voix d’hommes qui souhaitent la
bienvenue à deux autres. En fait, il était en cours
de tournage, et avait été convoqué pour
une entrevue avec les autorités locales. C’est
l’enregistrement brut de l’entretien qu’il donne in extenso.
On connaît les méthodes : sympathie insistante, devenant de
plus en plus pressante, puis vaguement menaçante, pour
demander la destruction des images filmées. C’est le pendant
de « L’interrogatoire ».
Le complice et ami de Zhu Rikun,
Gertjan Zuilhof, a
décodé sur Facebook : “Zhu Rikun has made a black
movie called Welcome, which could be translated as Fuck
Off!”…
(Gertjan
Zuilhof, 6 mars 2016)
Filmographie
2013
The Questioning
Cháfáng
《查房》
2014 The Dossier Dang’an
《档案》
2014 Dust Chén《尘》
2016 Welcome
Huanying
《欢迎》
[1]
Critique, historien d’art et
programmateur du Festival de cinéma international de
Rotterdam.