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« Hi, Mom » : grand succès pour une comédie nostalgique de fin d’année

par Brigitte Duzan, 11 mars 2021 

 

Premier film écrit et réalisé par Jia Ling (贾玲), « Hi, Mom » (《你好,李焕英》), est une comédie sortie pour le Nouvel An chinois le 12 février 2021. Le film a engrangé près de 800 millions de dollars, ce qui en fait non seulement le premier film au box-office chinois de 2021, mais encore le second film de tous les temps en Chine en termes de recettes, derrière « Wolf Warrior 2 » (《战狼2) de Wu Jing (吴京) sorti en 2017.

 

C’est un film dont l’étonnant succès tient en grande partie au bouche-à-oreille, et à un scénario du genre « Back to the Future » dont on n’aurait pas attendu une telle gloire médiatique, mais qui a fait rire en touchant les fibres sensibles d’un grand nombre de Chinois bloqués sur leurs lieux de travail par l’interdiction de rentrer chez eux pour la Fête du Printemps. La médiocrité des films en concurrence sur les écrans en même temps a fait le reste.

 

Émotion à partager

 

Hi, Mom

 

En chinois « Hello, Li Huanying », le film est adapté d’un sketch comique de 2016 de Jia Ling qui se produit dans des spectacles comiques populaires du genre xiangsheng (相声) [1]. Le sketch était inspiré de sa relation avec sa mère, morte dans un accident quand Jia Ling avait 19 ans, et né de son infini regret de ne pas avoir pu la voir avant sa mort.

 

Dans le film, dans lequel Jia Ling interprète le rôle principal qui est son alter ego, la jeune Jia Xiaoling (贾晓玲) revient par magie en 1981, et, tombant du ciel, atterrit dans un tas de feuilles mortes devant l’usine où travaillait alors sa mère, Li Huanying. Se présentant comme une lointaine cousine, elle se lie d’amitié avec sa mère et tente d’influer sur le cours des choses, et en particulier sur son mariage, l’encourageant à épouser un homme prospère pour qu’elle ait une vie plus aisée, donc plus agréable pour sa fille aussi. Ce retour intempestif dans le passé lui permet surtout de constater que, contrairement à ce qu’elle pensait, sa mère l’aimait beaucoup.

 

Raisons du succès

 

Les raisons de cette déferlante sont multiples, mais celles mises en avant sont esentiellement du domaine statistique et socio-économique. Pourtant l’impact du film est surtout d’ordre émotionnel.

 

Médiocre concurrence

 

L’une des premières raisons du succès est la médiocrité des films sortis en même temps pour la Fête du printemps : les deux principaux, « Detective Chinatown 3 » (《唐人街探案3) de Chen Sicheng (陈思诚) et « A Writer’s Odyssey » (《刺杀小说家》) de Lu Yang (路阳) ont été balayés par la vague d’émotion suscitée par « Hi, Mom ». Le premier avait bien commencé, le deuxième n’a pas tenu la route dès le départ.

 

Le premier est le troisième volet d’une série Detective Chinatown produite par Wanda Pictures et mêlant comédie, mystère et fantasy. Le n° 3 a pour principal atout les deux stars du box-office : Wang Baoqiang (王宝强) et Liu Haoran (刘昊然). Le film a bien démarré, mais a chuté dès le deuxième jour d’exploitation, avec une chute de 76 % des entrées, en grande partie en raison du bouche-à-oreille de « Hi, Mom ».

 

Quant à « A Writer’s Odyssey », produit par Ning Hao (宁浩),

 

Detective Chinatown 3

c’est le dernier film du réalisateur du très bon « Brotherhood of Blades » (《绣春刀》) sorti en 2014. Il est sans doute ruiné par un scénario trop complexe qui tente d’allier éléments de fantasy et de thriller à une histoire d’écriture de roman de science-fiction semblant perturber la réalité.

 

On note par ailleurs qu’il n’y avait cette année aucun film américain en lice, l’épidémie de covid ayant perturbé les productions de films aux Etats-Unis. Or les grands blockbusters américains sont régulièrement en tête du box-office chinois, même si c’est un peu moins vrai récemment. On a eu pour cette période de fête le même phénomène que celui observé en août normalement, quand les films étrangers sont interdits sur les écrans chinois, ce qui donne la primeur aux films produits localement.

 

Conditions économiques

 

Il est certain que les statistiques du box-office chinois peuvent faire crier au miracle dans le contexte d’une « industrie du cinéma » laminée mondialement par la crise du covid et la fermeture des cinémas pendant des mois – et encore les cinémas chinois étaient réduits à 50 ou 70 % de leurs capacités en raison des normes sanitaires en vigueur.

 

 

Atterrissage dans les feuilles mortes

 

 

Beaucoup en concluent à une vigueur exceptionnelle de « l’industrie » du cinéma chinois en comparaison avec le reste du monde, et en particulier les Etats-Unis. Il faut dire que plusieurs facteurs sont venus gonfler les chiffres : d’une part, le prix des billets a encore augmenté, et le nombre de salles aussi : il y a, début 2021, 15 500 écrans de plus qu’au début de 2019, 5 800 nouveaux écrans ayant été ajoutés pendant la seule année 2020, malgré les six mois de fermeture des salles [2].

 

Jia Ling et sa “mère” Li Huanying

 

Le facteur primordial, cependant, est dû à la situation liée à la crise sanitaire : pour éviter de propager le virus sur l’ensemble du territoire, une directive a interdit aux entreprises de permettre à leurs employés de prendre des vacances pour aller passer les fêtes dans leurs familles, aux quatre coins du pays, exode annuel massif attendu par des travailleurs dont c’est la seule occasion dans l’année de voir leurs parents, et parfois même leurs enfants. Bloqués en ville, des millions de citoyens éloignés de chez eux n’ont ainsi eu d’autre

divertissement que d’aller au cinéma, et au restaurant, les deux étant souvent liés. L’argent qui aurait été dépensé en billets de train l’a été en grand partie en billets de cinéma, sans que l’on ait trop entendu les gens se plaindre du coût exorbitant des billets dans ces conditions.

 

Facteurs affectifs

 

Dans ces circonstances, le film a produit un effet émotionnel intense sur la masse du public, lié au très fort attachement à la famille en général, et à la mère en particulier, en lien avec la nostalgie peut-être plus vive que jamais pour le pays natal (xiāngchóu 乡愁). Le film a été tourné dans la ville natale de Jia Ling, Xiangyang (襄阳) dans le nord-ouest du Hubei, et il est significatif que beaucoup de critiques de spectateurs, sur douban en particulier [3], louent la reconstitution de l’ambiance de la ville et de l’usine dans les années 1980. Il est certain aussi que la comédie est vive et enlevée, comme un numéro de xiangsheng, justement.

 

Les articles sur le film dans la presse chinoise se concentrent sur cet aspect affectif. Ce qui compte ici, c’est la décharge émotionnelle qu’il a permise, comme si les spectateurs, murés dans leur

 

Des personnages conçus comme

des personnages de bande dessinée

tristesse de ne pouvoir rejoindre leur famille, liée aussi aux souvenirs des années 1980, s’en libéraient soudain grâce à ce film. En larmes à la sortie des cinémas, ils exprimaient leur frustration de ne pouvoir partager leur émotion, en particulier avec leur mère, et se ruaient sur leur téléphone pour le faire de loin.    

 

L’échec relatif de « Detective Chinatown 3 » malgré les deux locomotives que sont ses deux acteurs principaux semblerait indiquer que le public chinois apprécie qu’on le fasse pleurer autant que rire, et que l’on partage ses émotions, comme dans les bons vieux mélodrames.

 

Présentation du film (avec principaux extraits)

 

Pas d’enthousiasme indu

 

Il ne faudrait pas en conclure pour autant à l’invincible progression du cinéma chinois, ou, comme récemment The Economist, en conclure que « Hi, Mom » « illustre la popularité croissante des productions nationales » en Chine. Ce n’est vrai, à la limite, que si l’on ajoute la réserve « en l’absence de toute autre production ».

 

 

Ambiance

 

 

Le film illustre surtout l’isolement croissant du cinéma chinois, dans une bulle quasiment spéculative au milieu du reste du monde, comme la société dans son ensemble. « Hi, Mom » est un succès de « l’industrie du cinéma » chinoise, succès d’ailleurs totalement inattendu, lié à la teneur du film, mais aussi à un concours de circonstances favorables. C’est un succès en termes globalement quantitatifs, qui incitent au contraire à la plus grande réserve quant à l’avenir de ce cinéma en tant que septième art, c’est-à-dire comme culture.

 

Ambiance encore

 

Le système quasi autarcique dans lequel évolue le cinéma aujourd’hui en Chine, doublé de structures de diffusion axées sur les grosses productions, réserve des lendemains difficiles pour quiconque ne se préoccupe pas de résultats financiers, mais de cinéma. On voit bien que les axes de croissance passent, comme pour la population, par le développement des villes moyennes, avec des nouveaux citadins issus de la campagne et habitués aux spectacles télévisés.

 

Le danger est justement que l’importance du marché intérieur fasse oublier que le cinéma est un art, qui nécessite un public capable de l’apprécier. La protection de la production nationale est favorable aux magnats de l’industrie, elle appauvrit le cinéma. « Hi, Mom » en est le dernier exemple. On se prend à rêver du temps où les comédies de fin d’année, en Chine, étaient signées de Feng Xiaogang (冯小刚). Et on apprécie d’autant plus les films de Wang Xiaoshuai (王小帅) qui jouent eux aussi sur la nostalgie du passé. Autrement.

 

 


 

[1] Genre relevant d’une tradition populaire du nord, devenu une composante régulière des Galas de fin d’année de la télévision chinoise, pendant longtemps chasse gardée de Zhao Benshan (赵本山).

Jia Ling est née en 1982, a fait des études à l’Institut central d’art dramatique, s’est fait connaître dans des sketches de xiangsheng à la télévision et, avec deux partenaires, a créé en 2016 une société de production, Big Bowl Entertainement (大碗娱乐).

[2] Mais il s’agit de chiffres bruts. Les statistiques de 2020 font état de 2 300 fermetures définitives de complexes, soit 20 % de la capacité totale, compensée par la construction de près de 6 000 nouveaux écrans, pour la plupart dans des grands complexes déjà existants, avec élimination des plus petits et/ou moins rentables. Voir :

https://variety.com/2021/film/news/china-cinema-screen-count-increased-2020-1234909164/

[3] Où le film est noté 8.1/10 : https://movie.douban.com/subject/34841067/

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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