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Lu Yang
路阳
Présentation
par Brigitte Duzan, 17 mai 2015, actualisé 12 mars 2021
Lu Yang (路阳)
est un nouveau-venu original dans le paysage
cinématographique chinois des années 2010 : il est
metteur en scène par vocation et reconversion ;
c’est chez lui un choix délibéré et réfléchi.
Il est l’un des rares réalisateurs en Chine
aujourd’hui qui, sans être indépendant, continue à
tourner obstinément avec des exigences artistiques
sur lesquelles il n’est pas prêt à transiger. Ses
films restent confidentiels, mais, en 2014, son
troisième film lui a enfin valu un début de
reconnaissance. Il est considéré comme « le talent
hors normes de la nouvelle génération » (“新一代鬼才导演”).
Ingénieur reconverti
De l’industrie au cinéma |
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Lu Yang |
Lu Yang a commencé par faire des études d’ingénieur, et, une
fois son diplôme obtenu, à travailler en tant que tel. Mais
il ressentait une aversion croissante pour son travail, et
le désir croissant, en parallèle, de se consacrer au cinéma.
Snow in the Wind |
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Il a finalement franchi le pas en se présentant au
concours d’entrée à l’Institut du cinéma de Pékin,
dont il est sorti en 2007, après trois années
difficiles, passées surtout à de poser des
questions, en se sentant en décalage avec les autres
étudiants.
Pendant sa première année d’étude, en 2005, il est
assistant du réalisateur
Yang Yazhou (杨亚洲),
sur le tournage de « Snow in the Wind » (《雪花那个飘》)
– l’histoire d’une jeune villageoise tellement
passionnée de cinéma qu’elle se marie avec un
projectionniste. Sorti en 2006, le film obtiendra le
prix spécial du jury au festival de Montréal. Il est
produit par le studio de Xi’an (西安电影制片厂),
et ce premier contact sera déterminant pour la suite
de la carrière de Lu Yang.
Cette même année 2005, Lu Yang réalise deux courts
métrages : « Les ponts de Suzhou » (《苏州桥》)
et « Une heureuse existence » (《幸福生活》),
suivis de deux autres |
l’année suivante, dont l’un – « Retour à la maison » (《回家》)
– obtient le premier prix au festival des établissements
d’enseignement supérieur de Chine (全国高校影像展一等奖).
Scénarios de séries télévisées
A la fin de ses études, Lu Yang se tourne vers l’écriture de
scénarios pour des séries télévisées, essentiellement des
séries d’espionnage et contre-espionnage : en 2007, il écrit
celui de la série « Counter Strike » (《反恐精英》),
et en 2008, la série en 34 épisodes « La brèche de 1949 »
(《天堑1949》)
dont il est également directeur exécutif.
En 2010, il signe encore un scénario pour une série
d’espionnage, en trente épisodes, mais, au début de l’année,
il décide de franchir le pas et de passer à la réalisation
de films.
Débuts au cinéma
Sans se laisser démonter par les opinions
divergentes et les critiques, et en particulier
celles de son père, Lu Yang prépare et réalise son
premier film selon ses propres idées et critères.
Premier film : début de notoriété
Ce premier film – « My Spectacular Theatre »
(《盲人电影院》)
- est d’abord une idée originale de scénario, écrit
avec sa coscénariste Chen Fu (陈舒),
née en 1982 et diplômée de l’Institut central d’art
dramatique.
L’histoire est celle d’un jeune sans emploi, vendeur
de DVD piratés, nommé Chen Yu (陈语),
qui, pour échapper à la police qui le poursuit, se
réfugie dans un cinéma. Or il s’agit d’un cinéma
pour aveugles, qui a été fondé par un vieil homme,
le vieux Gao (老高),
dont l’épouse était aveugle. Il continue à y passer
des vieux films américains en noir et blanc pour un
petit groupe de fidèles du quartier. |
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My Spectacular Theatre |
Chen Shu |
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Il embauche Chen Yu pour lui servir de
projectionniste et traducteur. Le salaire est très
bas, mais, quand Chen Yu réalise que le vieux Gao
est atteint de la maladie d’Alzheimer, il décide de
rester et de prendre sa suite en continuant à
assurer la gestion du cinéma.
Le film
dépeint la vie des spectateurs dont le cinéma est le
grand divertissement, dont une petite vendeuse qui
feint la cécité et ne vient là que pour voir Chen Yu
dont elle est amoureuse. En fait, le cinéma s’avère
être bien plus qu’un divertissement, c’est pour ces
aveugles le moyen par lequel ils communiquent leurs
émotions et, en même temps, le dépositaire de
souvenirs du passé. Leur rapport au cinéma, par la
voix et le son, est finalement bien plus profond que
celui de la plupart des spectateurs
. |
Le film a été produit par le studio de Xi’an et
soutenu par
Tian Zhuanzhuang (田壮壮).
Les acteurs sont excellents, dont, dans le rôle du
vieux Gao, l’acteur taïwanais Chin Chi-Chieh
(金士杰).
Le film a reçu un très bon accueil :
il a obtenu le prix du public au Festival de Busan
en octobre 2010, puis le prix du meilleur premier
film au Festival du Coq d’or, en septembre 2011.
Le succès donne confiance à Lu Yang et l’incite à
continuer. Mais ce qu’il veut désormais réaliser,
c’est le film auquel il songe dès le début : un
wuxiapian !
Second film en attendant…
Il commence tout de suite à se mettre en campagne
pour trouver un producteur et le financement…
Malheureusement, le wuxiapian n’est plus à la
mode, au début des années 2010 en Chine, ni les
films « en costumes » (古装片),
comme disent les Chinois, c’est-à-dire ceux qui se
passent sous une |
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Chin Chi-Chieh sur le
tournage
de “My Spectacular
Theatre” |
lointaine dynastie. Surtout dans le style classique, sans
excès d’effets spéciaux, qu’envisage Lu Yang.
A Motor Home Adventure |
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En désespoir de cause, il réalise un autre film, une
sorte de road movie plein d’humour dans un style
totalement différent du premier : « A Motor Home
Adventure » (《房车奇遇》),
dont le scénario est à nouveau coécrit avec Chen Fu.
L’histoire est celle du président tyrannique d’une
société leader sur le marché des parfums et
cosmétiques, Xu
Zhaohui (徐朝晖),
qui est un jour diagnostiqué comme étant atteint de
leucémie. La nouvelle de sa maladie fragilise son
autorité ; le personnel se rebelle contre ses
diktats, et ses concurrents se liguent contre lui
pour le renverser. Son seul espoir, pour sauver son
entreprise, est de guérir, mais, pour cela, il a
besoin d’une greffe de moelle ; or, il n’a pas de
famille. C’est alors que sa secrétaire a l’idée
géniale : aller rendre visite à la dizaine de femmes
qu’il a connues dans sa vie pour voir si l’une
d’entre elles n’aurait pas eu un enfant…
Le film est produit en 2012, mais ne sort que deux
ans |
plus tard. Il a entre-temps enfin réussi à réaliser son wuxiapian,
qui sort en août 2014…
2014 : Brotherhood of Blades: le succcès par le wuxia
Ce wuxiapian, c’est
« Brotherhood
of Blades » (《绣春刀》),
et c’est une réussite, dans un style qui renoue
brillamment avec les grands classiques du genre :
les films de
King Hu,
bien sûr, mais aussi les grands romans qui ont
défini le genre, avec leurs thèmes d’amitié, de
loyauté et de revanche qui sont ici au cœur du
scénario. En même temps, c’est un film d’un réalisme
moderne, où les valeurs morales sont allègrement
battues en brèche, et où les héros ont tous leurs
faiblesses.
« Brotherhood
of Blades »
reflète l’amour de Lu Yang pour les films
historiques, et l’étendue de sa culture
cinématographique. Les références sont multiples.
Mais l’histoire est inspirée d’un fait historique
réel : la chute du tout puissant eunuque Wei
Zhongxian (魏忠贤)
en 1627, à l’avènement du jeune empereur Chongzhen (崇祯帝),
dernier empereur de la dynastie des Ming.
Lu Yang a travaillé sur le film dès 2011, en
élaborant le |
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Brotherhood of Blades |
scénario avec sa coscénariste désormais habituelle, Chen Fu.
Mais personne ne voulait financer un film dont le genre
n’avait plus les faveurs du « marché ». Finalement, c’est en
inversant les procédures que Lu Yang a fini par débloquer le
financement : il a d’abord obtenu, pour interpréter le rôle
principal, l’accord de l’acteur taïwanais
Chang Chen (张震),
favorablement impressionné par le scénario.
Au total, Lu Yang a bénéficié d’un budget de 30 millions de
yuans, soit
4,25 millions
d’euros, apportés par nul autre que… China Film. Il est
dommage que le groupe n’ait pas ensuite accompagné la sortie
du film sur les écrans chinois d’une campagne publicitaire
et promotionnelle adéquate. Le film a surtout brillé dans
quelques festivals étrangers, à commencer par celui de
Busan en octobre 2014
.
A sa sortie en Chine, il n’a eu droit qu’à 3% des écrans…
réussissant quand même à rapporter plus de trois fois le
montant du budget au box-office, en grande partie grâce au
bouche à oreille.
Interviewé à la
sortie du film,
Lu Yang s’est moqué avec humour de ce système commercial,
qui est en train de ruiner le cinéma chinois :
在中国,电影是一种奇怪的消费品—我们每个人都会介意花钱吃到难吃的餐厅,买到质量不佳的衣服,唯独不介意并且愿意毫不吝啬地为一部又一部烂片掏钱,以及花费时间。而在此之后,“吐槽烂片”的社交风潮本身又成为扩大烂片影响力的助推器,“拍烂片、看烂片、骂烂片”已经构成了一条成熟的流水线。
En Chine, un film est un produit de consommation bizarre –
tout le monde renâcle à gaspiller son argent sur de la
mauvaise bouffe ou des vêtements de mauvaise qualité, la
seule chose qui ne gêne personne, c’est de dépenser sans
compter son temps et son argent sur un film pourri après
l’autre. Après quoi le cri général pour cracher sur un
mauvais film est son meilleur outil promotionnel. Le
processus séquentiel « Tourner des films pourris, aller voir
des films pourris, et maudire les films pourris » est devenu
une chaîne de production parfaitement au point.
On peut espérer que le succès de « Brotherhood of
Blades » lui facilite au moins le financement de son
prochain film. Lu Yang a fait la preuve de ce qu’il
sait faire.
Détour par la télévision
En attendant, il a réalisé une série télévisée en 45
épisodes, qui sera diffusée en août 2015 : « Princess
Jieyou » (《解忧公主》).
C’est un film historique, situé à l’époque de
l’empereur Wudi des Han (汉武帝
- 141-87 avant Jésus-Christ).
Il met en scène l’histoire de la princesse Jieyou,
donnée en mariage en l’an 105 avant JC au roi des
Wusun (乌孙)
pour sceller une alliance entre la dynastie des Han
et ces tribus nomades du bassin du Tarim. Le film la
dépeint selon l’historiographie officielle, heureuse
dans son mariage, et diffusant la culture chinoise
dans les steppes tout en favorisant les échanges
culturels. |
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Princesse Jieyou |
2017 : Brotherhood of Blades II
Brotherhood of Blades
II |
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Deux ans plus tard, Lu Yang revient avec une suite à
son wuxiapian de 2014. Le nouveau film est
sous-titré « The Infernal Battlefield » (《绣春刀:修罗战场》),
et le scenario est de nouveau écrit avec Chen Fu (陈舒).
Nous sommes toujours sous la dynastie des Ming, on
retrouve le garde impérial Shen Lian (沈炼),
toujours interprété par Chang Chen. Mais ce n’est
pas une suite au premier, plutôt une préquelle car
l’action se situe juste avant celle du premier film.
Il est encore question de complots, de machinations
et d’alliances trahies, comme le veut la tradition
de ce genre de film, mais le scénario à tiroirs est
remarquablement bien agencé, même s’il est un peu
difficile de suivre au début ; tout finit par
s’enchaîner avec maestria, dans la même perfection
de costumes et de décors, et avec la même volonté de
réduire au minimum les effets spéciaux. |
Les fans d’arts martiaux ont en outre apprécié que ce qu’ils
considéraient comme un défaut dans le premier film a été
corrigé : le volet II a beaucoup plus de combats. Il y a
peut-être d’ailleurs l’influence de
Xu
Haofeng (徐浩峰)
dans le choix d’armes inhabituelles comme dans
« The
Master » (《师父》),
masse hérissée de piquants ou grosse boule au bout d’une
chaîne. Le film de Lu yang a d’ailleurs la même atmosphère
de monde pourri où l’on ne peut faire confiance à personne
que dans ce film de
Xu
Haofeng.
Après deux films réussis dans un genre de wuxiapian
classique, très bien faits, on pouvait se demander comment
Lu Yang allait poursuivre.
2020 : The Sacrifice
Il revient là où on ne l’attendait pas : il
coréalise, aux côtés de
Guang Hu (管虎),
Tian Yusheng (田羽生)
et Frant Gwo (郭帆)
,
et sous la supervision du premier, un film sur un
épisode de la guerre de Corée conçu en quatre
parties, une partie pour chacun des réalisateurs :
« The Sacrifice » (《金刚川》),
sorti le 23 octobre 2020.
C’est la dernière phase de la guerre de Corée, en
1953, quand est lancée la grande campagne de
Jincheng (金城战役)
ou Kumsong. Le film doit son titre chinois à un
chapitre peu connu de l’histoire, quand les soldats
doivent réparer un pont au-dessus de la rivière
Geumgang. Les parts respectives de chaque
réalisateur ne sont pas indiquées, le tout est
superbement lissé et maîtrisé. Mais c’est Guan Hu
qui en a tiré le plus de crédit. |
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The Sacrifice |
2021 :
A Writer’s Odyssey
A Writer’s Odyssey |
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« A Writer’s Odyssey” (《刺杀小说家》)
est un film à la fois d’aventure et de fantasy sorti
le 12 février 2021, pour la Fête du printemps. Le
scénario est adapté d’une nouvelle éponyme de
Shuang
Xuetao (双雪涛),
et le film a été produit par
Ning Hao (宁浩).
L’histoire est très complexe car elle se divise en
deux fils narratifs correspondant à des styles
totalement différents : l’un est centré sur le
personnage d’un père à la recherche de sa fille
enlevée par des trafiquants ; il est contacté par
une société puissante qui lui dit avoir retrouvé sa
fille, mais lui demande en échange de tuer un jeune
auteur en train d’écrire un roman de fantasy qui
semble altérer la réalité. Le film alterne donc
entre séquences réalistes autour des efforts du père
pour retrouver sa fille, et les séances de
science-fiction représentant ce que le jeune
écrivain est en train d’écrire et qui semble avoir
des répercussions dans le monde réel. |
Pour les effets spéciaux, Lu Yang a embauché l’équipe qui a
signé ceux du film « The Wandering Earth », la
postproduction de ces séquences a demandé deux ans et demi
de travail. Le film a du mal, cependant, à faire les
soudures, et le public a été décontenancé par la complexité
de l’histoire, surtout en période de fêtes, où il recherche
traditionnellement plutôt des divertissements plus légers.
Le film a été écrasé au box-office par
« Hi,
Mom » (《你好,李焕英》)
de Jia Ling (贾玲).
Filmographie
(en tant que réalisateur)
Au cinéma, longs métrages
2010 My Spectacular Theatre
《盲人电影院》
2014 A Motor Home Adventure《房车奇遇》
2014
Brotherhood of Blades
《绣春刀》
2017 Brotherhood of Blades II: The Infernal Battlefield
《绣春刀:修罗战场》
2020 The Sacrifice
《金刚川》
2021 A Writer’s Odyssey
《刺杀小说家》
A la télévision
2015 Princess Jieyou
《解忧公主》
(Série
en 45 épisodes)
Le réalisateur auquel a été confiée la réalisation
du film de science-fiction « The
Wandering Earth »
(《流浪地球》)
d’après le roman de Liu Cixin.
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