un film d'aventure à la Indiana Jones, sur fond de
Révolution culturelle
par Brigitte Duzan, 31 décembre 2015
Après
Lu Chuan (陆川),
c’est
Wu Ershan (乌尔善)
qui a sorti une adaptation de l’un des fameux
romans « de pilleurs de
tombes » (1)
de Zhang Muye (张牧野)
« Ghost Blows out the Light » (《鬼吹灯》).
Coproduit par trois des plus grandes compagnies de
production chinoises actuelles, Wanda Pictures,
Beijing Enlight Pictures et Huayi Brothers, « Mojin,
the Lost Legend » (《寻龙诀》)
est sorti en Chine le 18 décembre 2015. Pour un
budget de près de 40 millions de dollars, les deux
premières semaines d’exploitation en Chine en ont
déjà rapporté 200 millions.
Pas de surnaturel, mais des clins d’œil politiques
La Révolution culturelle comme toile de fond
Le scénario raconte les aventures des trois mêmes
personnages que ceux imaginés par
Mojin, the Lost Legend
Zhang Muye : Hu Bayi (胡八一),
Shirley Yang (Shirley 杨)
et Wang Kaixuan (王凯旋).
Il est en trois parties :
1. Le film débute alors que les trois aventuriers
entrent dans un mausolée souterrain. Une narration
off-screen nous apprend qu’ils font partie d’une
ancienne école de pilleurs de tombes appelée Mojin
Xiaowei (摸金校尉).
2. L’histoire reprend à New York à la fin des années
1980. Les trois partenaires se sont retirés de la
« profession » et vivent à New York de la vente sur
le tarmac de « trésors chinois ». Mais Wang Kaixuan
décide de reprendre ses anciennes activités après
avoir été contacté par un mystérieux et riche
businessman qui veut mettre la main sur une
météorite appelée « Fleur d’Equinoxe » car elle
aurait le pouvoir de faire revenir les morts à la
vie. Or elle serait enterrée dans la tombe d’une
princesse Khitan, en Mongolie intérieure. Et voilà
les trois compères repartis.
3. Il se trouve que l’affaire les ramène vingt ans
en arrière, quand Hu Bayi et Wang Kaixuan s’étaient
retrouvés au même
Chen Kun en Hu Bayi
endroit avec leur groupe de Gardes rouges, à la fin des
années 1960. Un flash-back montre les Gardes
Shu Qi en Shirley Yang
rouges détruisant les « vieilleries » qu’ils
rencontrent sur leur chemin, mais finalement décimés
par une armée de soldats japonais devenus zombies
dans une tombe. L’histoire semble vouloir se
répéter…
Les trois acolytes sont rejoints par une femme, Ying
Caihong (应彩虹),
qui est à la fois propriétaire d’une mine et chef
d’une secte également à la recherche de la fabuleuse
Fleur, et qui ajoute à l’atmosphère. Mais le
meilleur du scénario tient à la nostalgie de l’amour
perdu, à la
fois chez Chen Kun et Wang Kaixuan : amour de jeunesse,
romantique, de Chen Kun, doublé de la
nostalgie d’une époque révolue marquée par la pureté
de ses idéaux révolutionnaires, chez Wang Kaixuan.
Changement de titre et élimination du surnaturel
Le film devait initialement s’intituler « The
Ghouls » et reprendre en chinois le titre de la
série de romans de Zhang Muye (《鬼吹灯之寻龙诀》).
Mais les esprits et revenants étant toujours en
Chine du domaine des superstitions interdites, les
titres ont dû être révisés, tout comme le scénario,
ce qui était une gageure étant donné que c’est quand
même une base de l’histoire.
Le titre chinois conservé signifie « A la recherche
des mystères du dragon ». Et le titre anglais est
une référence à un chapitre initial de la série. En
effet, au début, Zhang Muye explique qu’il y avait à
l’origine quatre « écoles » de pilleurs de tombes,
un peu à la manière des écoles d’arts martiaux.
Huang Bo en Wang
Kaixuan à New York…
Mojin (摸金派)
est la principale d’entre elles, et son nom signifie : celle
qui « touche l’or ».
Wang Kaixuan dans la
tombe
Les éléments de surnaturel ont par ailleurs dû être
gommés.
Wu Ershan a travaillé pendant plus de deux
ans avec son scénariste
Zhang Jialu (张家鲁),
celui qui a cosigné le scénario de son film
précédent, « Painted Skin II » (《画皮2》),
mais aussi, entre autres, celui du film de
Feng Xiaogang (冯小刚)
« A World Without Thieves » (《天下无贼》).
Il leur a fallu respecter trois conditions
essentielles pour pouvoir passer la censure : outre
le changement de titre,
les personnages principaux ne devaient pas commettre
de crime, et tous les phénomènes devaient avoir des
explications matérielles. Pas de surnaturel, donc,
mais de l’étrange. Zhang Muye lui-même a dû gommer
le surnaturel quand il a voulu publier ses romans en
version papier.
Ce qui est étonnant, cependant, dans le
Liu Xiaoqing en chef
de secte
film de
Wu Ershan, c’est qu’il semble fonder l’étrange sur
des faits intervenus pendant la Révolution
La secte
culturelle. C’est l’un des points forts du roman
initial d’avoir basé l’intrigue sur des faits
initiaux arrivés aux personnages alors qu’ils
étaient jeunes, envoyés « à la campagne » au début
de la Révolution culturelle.
Dans le roman (et dans
le film de Lu Chuan),
c’est dans les monts Kunlun ;
Wu Ershan, lui, a
choisi sa propre région d’origine, la Mongolie
intérieure. Au lieu de la haute montagne, et du
désert ensuite, on a de vastes paysages mongols.
Cependant, c’est avant tout l’utilisation des thèmes
liés à la Révolution culturelle qui est intéressante
chez
Wu Ershan, car elle forme une sorte de
thématique secondaire qui sous-tend l’histoire
générale, en apportant une note de critique
politique à la fois humoristique et un brin
nostalgique, mais surtout semblant justifier par la
folie de l’époque l’idée délirante de la quête de la
Fleur qui suit… Le délire et la folie se font
historiques.
Angelababy en amour de
jeunesse, pendant la Révolution culturelle
Belle photo, excellents interprètes… mais long
… et en princesse
Khitan
Le film marque certainement un progrès dans la
maîtrise des effets spéciaux en Chine. Mais les
scènes de combat contre les zombies sont chaotiques
sans être convaincantes.
Les images de la steppe mongole sont classiques ;
Wu
Ershan est chez lui, et la photo est signée Jake
Pollock (Américain établi à Taiwan). La musique de
Koji Endo apporte un élément folklorique
supplémentaire par son utilisation de thèmes de
chants mongols.
Le film tient cependant surtout par ses interprètes,
même si le jeu de
Huang Bo
(黄渤),
et plus encore de Xia Yu (夏雨),
est parfois un peu trop burlesque, comme si Wu
Ershan avait voulu détendre l’atmosphère.
Chen Kun est tout à fait dans le genre de rôle à son
image, empreint de la nostalgie de son amour de
jeunesse perdu. Shu Qi a la pétulance d’un rôle à la
Feng Xiaogang, et
on a la surprise de voir
Liu Xiaoqing (刘晓庆)
dans un rôle où on ne l’aurait pas attendue….
Mais cela n’empêche pas le film, à plus de deux
heures, d’être trop long. C’est l’un des défauts
récurrents des films chinois actuels, comme si on
n’osait plus faire déplacer les spectateurs pour
moins de deux heures de spectacle.